A l’occasion du colloque organisé sur la Tunique d’Argenteuil, le 12 décembre 2005 (1) , Marcel Alonso, ingénieur, membre du Conseil d ‘administration du CIELT(2) , a présenté une synthèse des différentes études conduites sur le Linceul de Turin depuis le dernier Symposium de Paris (3) , aussi bien par l’autorité custode de la relique que par la communauté scientifique internationale. Il a souligné par ailleurs que les médias français et internationaux se sont fait aussi l’écho de nombreuses propositions nouvelles, dont certaines lui paraissent « des élucubrations infantiles : procédés grossiers de faussaires, documents historiques éculés, expertises de tissus absurdes » ; le tout assorti de procès d’intention contre les sindonoloques, « censés être tous de mauvaise foi ». Les études présentées ici par l’auteur couvrent notamment les nombreux travaux effectués pendant la période 2002-2005. Notons par ailleurs qu’un nouveau procès d’intention a été lancé depuis, lors de la sortie du livre du « zététicien » Paul Eric Blanrue (4) qui a cru démontrer que le Linceul est une « escroquerie ».

 

1- Élucubrations médiatiques

- Le « Shadow Shroud ». Plusieurs médias américains ont présenté (sans donner la parole aux spécialistes) un ingénieux procédé qui a enthousiasmé les adversaires déclarés des « miracles » : dû à un jeune professeur de lettres, Nathan Wilson, ce procédé vise à produire un ensemble « positif - négatif » du Visage, ressemblant à celui du Linceul de Turin. Wilson a utilisé pour cela un visage de l’Homme du Linceul (négatif) peint sur une vitre, laquelle est exposée ensuite au soleil devant une toile de lin écru qui blanchit au soleil ; protégé par la peinture, le lin (à « l’ombre ») reçoit une empreinte inversée sombre (s’apparentant au « positif » du Linceul), dont le contraste avec le reste du tissu s’accentue en fonction de la durée d’exposition au soleil. On peut alors en tirer, bien sûr, un négatif.

L’italien Fanti (5) a refait l'expérience. Il a pris du lin écru et l’a exposé pendant 20 jours au soleil, derrière une vitre peinte. Il a obtenu une image analogue, ressemblant (plus ou moins) au Linceul. Mais l'observation des fibres au microscope ne trompe pas : elles sont colorées uniformément, alors que, sur le Linceul (fig. 1 - photo prise (6) dans la région du nez, pages centrales de ce ne numéro 35), les imprégnations des fibres torsadées donnent aux fils un aspect strié.

- « Science et Vie ». Ce mensuel français a présenté à la presse, en juin 2005, au Muséum d'Histoire Naturelle, un procédé sensé avoir produit, au XIV° s., l'image du Linceul ; cette présentation a précédé la parution d'un dossier (7), cherchant à « démasquer une fois pour toutes la supercherie » de cette « fausse relique » et la « mauvaise foi » des scientifiques partisans de son authenticité, « aveuglés par la passion » :

+ pour la formation de l’image, le dossier s’appuie sur le procédé « nouveau » imaginé par le « zététicien » Henri Broch, ainsi résumé par le journal « Le Monde » : « mouillez, tamponnez, séchez…faites adorer ! ». Ce procédé reprend, en fait, la méthode de Joe Nickell, qui l'avait popularisée aux Etats-Unis dans les années…1980 ; il consiste à mouler un bas-relief avec un linge humide, puis à teinter les parties saillantes avec de l'ocre lié par du collagène (8) . Comme celle de Nickell, l’« œuvre » ainsi obtenue présente une médiocre tridimentionnalité, tandis que certaines autres œuvres, faites par des méthodes similaires, sont parfois très belles, et fournissent même une image don le relief est proche de celui du Linceul. Mais l'examen au microscope décèle immédiatement que les fibres teintées par les grains d'hématite provenant du frottis de collagène (fig. 2 (9) sont radicalement différentes de celles du Linceul ;

+ pour l'expertise textile, le dossier s’appuie sur un « spécialiste de l’Institut belge de recherche pour l’industrie et l’agriculture » (!) Celui-ci prétend que le tissage particulier du Linceul, en chevrons « 3 lie1 », ne peut avoir été produit au Moyen-Orient qu'après le VI° s., lorsque les métiers correspondants y ont été importés de Chine. Or, outre des étoffes chinoises en sergé aussi complexe, conservées au Musée Historique des Tissus de Lyon et datant d'un millénaire avant notre ère, on peut y voir aussi, par exemple, un drap copte du IVè siècle dont ont aperçoit encore les chevrons. Les « experts » devraient savoir que seuls sont conservés, dans les musées, les tissus exceptionnels, décorés ou précieux (soies) : il y a donc peu de chances d'y voir des tissus simplement en lin et sans décors, comme celui qui a pu servir de Linceul au Christ.

- Procédé « ad-hoc » ? La chaîne américaine « National Géographic » (habituellement sérieuse sur les sujets neutres, comme la mer ou les volcans) a rediffusé dans toute l’Europe une « mise à jour » de son documentaire démontrant que « seul Léonard de Vinci aurait pu refaire la peinture vue à Lirey et disparue depuis » (sic). Malgré de nombreuses protestations (10), cette élucubration grossière demeure sur le site de « NG ». Il est curieux de voir une chaîne dont les ambitions scientifique et pédagogique sont grandes, tomber à un si bas niveau.

 

2- Restauration du Linceul - Image du verso

- Cette opération, effectuée pendant l’été 2002 (11) , sous l’autorité du custode de Turin, a été critiquée par certains sindonologues et archéologues, parfois vivement (12) , car le Linceul ne pourra quasiment plus être montré qu'à plat, derrière le verre blindé de sa châsse, toutes les pièces de consolidation ayant été ôtées. S’il est maintenant en atmosphère contrôlée et à l'abri des agressions, les réponses apportées sur les autres risques encourus ont paru très insuffisantes à certains spécialistes. Par ailleurs, l'élimination des « saletés » (déchets carbonés, fils d’ébarbage, poussières et fibres indésirables), bien qu’elles aient été rassemblées dans une trentaine de flacons dûment répertoriés, a peut-être éliminé des informations précieuses (au moins topologiques) sur l'histoire de l’objet : par exemple, la résine (encens ?) bordant certains trous, ou la terre provenant des pieds, des genoux ou du nez, voire des plis du tissu, pouvant témoigner des sols de Jérusalem, ou peut-être même des murailles d' Édesse.

- Malgré ces inconvénients, la restauration a permis : d’une part, d'obtenir une surface plus propre et moins frippée ; et surtout, d’autre part, de réaliser, pour la face cachée(13) , des documents d'une exceptionnelle qualité qui alimenteront sans doute les recherches pluridisciplinaires pendant de nombreuses années : photos à haute résolution (analogiques et numériques) et macrophotos (par Durante) ; scannérisations paramétrées (par Soardo) ; photographies en fluorescence UV (par le docteur Celia) ; spectres de réflectance UV-VIS (par Pellegrini et Caldironi) ; spectres Raman (par Tagliapetra et Orsi) ; et prélèvements pour analyses locales.

- A ce jour, le résultat sans doute le plus important de cette opération est la découverte que l'image du corps existe bien au verso. Lors de la présentation des résultats de la restauration, par le cardinal Poletto (en septembre 2002), les spécialistes virent immédiatement que les fluides corporaux (sang, lymphe, sueur) avaient migré à travers l’étoffe, et dessinaient la même sihouette (bien qu’atténuée) de l’autre côté du drap ; sur la photo (médiocre) du Visage au verso (fig. 3),on voit que l’image, très atténuée, est fortement brouillée par les irrégularités du tissu, mais elle existe bien, en correspondance avec celle du recto (fig. 4). C’est au professeur Fanti que revient le mérite d’avoir obtenu le premier, à partir de traitements informatiques (14) , un résultat convaincant au niveau du Visage (nez et moustache bien dessinés).

 

3- Travaux sur la datation du tissu

- Il est certain que, depuis 1988, les radiocarbonistes cherchent à justifier leur résultat (le Linceul serait un faux du XIVè siècle), dans divers travaux et revues :

+ un numéro spécial de la revue « Dossiers d’Archéologie » (paru en septembre 2005) a été consacré à « l’apport du C 14 dans l’archéologie ». L’ensemble des articles démontre que les archéologues ne devraient pas se contenter du test au C14 pour établir l'âge d'un objet, lequel doit résulter d'une confrontation pluridisciplinaire de toues les données. Pourtant, dans celui consacré au Linceul par Jacques Evin, le résultat obtenu en 1988 est présenté comme « un absolu incontournable et définitif » ;

+ aux U.S.A., l’américain Damon (15) a convaincu d’autres chercheurs du caractère « impeccable » de la datation de 1988 (d'où la conviction de Ray Rogers - voir ci-après). Et le NIST (National Institute for Standard and Technology), qui s'honore de prix Nobels, a également statué sur « l'exemplarité de la datation du Linceul », dans sa revue des règles de l’art en matière de radiodatation ;

+ concernant l'effet éventuel de l'incendie de Chambéry sur la date trouvée pour le Linceul, Long et Hedges (Universités de Tulsa et Oxford) ont voulu réfuter l’hypothèse de Kouznetsoff, en montrant que la carboxylation thermique de la cellulose ne pouvait être la cause d'un rajeunissement significatif : les résultats de leurs expériences, astucieuses mais peu convaincantes, ont été publiés dans la revue « Radiocarbon » ;

- la thèse de la contamination bioplastique du tissu par des lichens, due à Garza Valdès et Mattingly, a été curieusement reprise par le physicien Gove (16) , pour réclamer une nouvelle datation, alors qu'un simple calcul montre que cette thèse ne peut pas justifier un rajeunissement aussi important (13 à 14 siècles).

- D’autres chercheurs se montrent cependant insatisfaits et poursuivent des travaux intéressants :

+ après avoir démontré la faisabilité théorique de l'enrichissement en C14 par effet thermique, l’équipe de physiciens comprenant Jackson, Propp et Fornhof cherche à reproduire l'incendie de Chambéry, en vue d’étudier la carboxylation thermique et le fractionnement isotopique (cf. étude de Kouznetsoff) ;

+ de leur coté, MM. Moroni, Barbesino et Bettinelli ont cherché à attribuer le « rajeunissement » (augmentation du taux résiduel de C14) à une ordalie (17) signalée dans la littérature : ils pensent avoir « rajeuni » significativement un vieux lin en le faisant bouillir dans une huile « jeune ». Ce résultat curieux demande à être justifié scientifiquement et corroboré expérimentalement ;

+ des travaux statistiques ont été poursuivis par Walsh, van Haelst, Jouvenroux, etc… à partir des résultats publiés par la revue « Nature » en 1988. Ils débouchent toujours sur une provenance disparate des échantillons analysés. Cette anomalie, tout à fait objective, aurait dû, normalement, amener les responsables du test à effectuer des mesures supplémentaires, ou, à tout le moins, à se montrer plus prudents dans leurs conclusions.

- Datation par le taux résiduel de vanilline (18) :

+ la lignine résiduelle des fibres de lin est un polyphénol qui se décompose (en fonction de la température et du temps selon l'équation d'Arrhénius, bien connue des chimistes), en donnant un monophénol aromatique (la vanilline), facile à déceler par le test au phloroglucinol. Seuls les lins très anciens n'en contiennent plus, et c'est le cas de toutes les fibres du Linceul, qui voit ainsi son antiquité vérifiée. Mais, selon le chimiste américain Rogers (19) , il y en avait sur des fils supposés provenir du prélèvement de 1988, où il trouva en outre de l'alizarine et du coton. Convaincu par ailleurs que le test au C14 n’avait pas pu se tromper intrinsèquement, Rogers en déduisit que le Linceul avait été retissé (ou ravaudé) à l’endroit du prélèvement, ce qui permettait d’expliquer l'anomalie de datation ;

+ mais, unanimement, ce n'est pas l'avis des experts en textiles (MM. Raes, Vial, Testore, Mme Flury-Lemberg), qui ont examiné en détail l'endroit du prélèvement de 1988, dont on possède par ailleurs d'excellentes photos (montrant le caractère vierge de cette zone).

 

4- Réalisations de l’image par des artistes

(travaux honnêtes aboutissant à des résultats remarquables).

- Mrs Emily Craig, disciple (sérieuse) de Joe Nickell et de Mac Crone a réussi des portraits à l'hématite et au collagène, non seulement très ressemblants à l'image du Linceul, mais dont l’inversion chromatique est surprenante de beauté et de fidélité au Linceul, y compris pour l'aspect tridimensionnel. Évidemment, les propriétés physico-chimiques de ces toiles n'ont rien à voir avec celles du Linceul. En effet, c'est l'hématite seule qui constitue l'image et ses grains sont décelables à la loupe (cf. fig.2) ; alors que les fils qui font l'image sur le Linceul sont recouverts de produits organiques corporels humains : caillots, protéines diverses coagulées et leurs dérivés amino-carbonylés, porphyrines, sels, produits qui font les traces de sang, de sérum, de sueurs, de lymphe… Mais on y trouve aussi des débris végétaux, des traces de terre sur le nez et les pieds, ainsi que du fer dans les taches d'eau (les seaux d'eau de Chambéry qui on servi à éteindre l'incendie devaient être rouillés!

- La galerie d'art allemande « KunstKreis » a obtenu, sur un tissu de lin à chevrons semblable au Linceul, une image jaune-brun sur fond jaune paille, « magnifique et très réaliste » (selon l’avis de Mme Crispino, spécialiste de renom). Mais, bien que cette image ressemble à une brûlure encore plus superficielle que celle du Linceul, la « roussissure monochrome » mise en œuvre (par plusieurs passages à des intensités différentes) n’a traité que la chaîne (qui est en relief comme sur le Linceul) ; la trame (qui est en creux) apparaît toute blanche, alors que sur le Linceul c'est exactement le contraire. Décidément, le Linceul est infalsifiable, à l'instar d'une fleur, qu'aucun artifice ne saurait remplacer !

 

 

 

5- Formation de l’image par contact et émanations naturelles du supplicié

En plus des observations précédentes, voici l'essentiel des observations et travaux que j’ai présentés moi-même à l'appui de cette thèse, à Dallas, en octobre 2005 :

+ elle fut constamment en vigueur, avant que la photographie ne permette de découvrir la propriété extraordinaire de l'image d'avoir l'apparence d'un négatif. L’homélie de Grégoire le Référendaire (lors de l’arrivée du Mandylion à Constantinople, en 944), y fait allusion (image due aux « sueurs de l’agonie »), en même temps qu'il mentionne la plaie du côté (propre au Linceul). Les chanoines de Lirey l’évoquent également ;

- au début du XX° s., Vignon se démarqua de la thèse « photographique » naissante (flash lumineux dû à l'éclair, ou à l'électricité,…) (20) ; il proposa la théorie de la « vaporographie » (réaction des vapeurs ammoniacales sur la poudre d’aloès), qui répondait à une partie des observations qu'il avait faites ;

+ cette théorie fut améliorée par Volckringer (1942), qui nota que les empreintes végétales obtenues dans les herbiers sont produites par les substances cellulaires, qui migrent avec la vapeur d'eau lors de la dessiccation de la plante. Elles peuvent apparaître longtemps après que la source ait été retirée (21) . Enfin, elles ont des propriétés identiques à celles du Linceul, notamment la tridimensionnalité (fig. 5) ; cette « projection » de molécules lourdes sera plus tard approfondie par Rogers (voir ci-après) ;

+ l’origine de la couleur jaune-paille n'est pas thermique, car, en UV, l'image ne « fluoresce » pas , alors que les brûlures du Linceul « fluorescent » en rouge ;

+ en 1938, Antoine Legrand expérimenta, sur un tissu en lin semblable à celui du Linceul, le contact avec la sueur du corps. D'abord invisible, une image colorée se développa et apparut saturée au bout de trois ans. Elle ne pouvait pas être effacée par les solvants ordinaires. Le STURP (22) montrera plus tard (Heller et Adler en 1981) que la coloration des fibres ne disparaît qu’avec des réducteurs très puissants comme la diimide, mais cela ne résout pas les problèmes de son origine et de sa composition ;

+ un pas important est fait avec Rogers en 2003 : en essayant d'arracher une fibre colorée, collée sur le scotch de prélèvement, il observe qu'elle abandonne sa couleur dans la colle, et ressort toute blanche. La présence de cette gaine, porteuse de couleur, a deux conséquences : a) elle masque partout la fluorescence naturelle de la fibre de lin elle-même ; b) elle possède le caractère « additif » qui permet au traitement numérique (en soustrayant le « bruit ») de retrouver l'image (cf. ci-après) ;

+ pour Rogers donc, l'image de couleur jaune-paille ne peut être due qu'à une gaine, insoluble, entourant toute fibre-image. Son épaisseur sera inférieure à 0,05 microns, et les fibres ainsi colorées n’imprègneront le tissu que sur une profondeur d'environ 40 microns. La couleur jaune ne saurait être produite que par des réactions de Maillard (fournissant des mélanoïdines jaune-paille à structure amino-carbonyle). Or, la décomposition des produits corporels doit fournir les amines primaires nécessaires. Quant aux sucres « réducteurs » indispensables à une réaction rapide, ils pourront venir de l'amidon ; et Rogers rappelle que les fibres ont été vraisemblablement ensimées avant tissage et ont conservé des traces superficielles après lavage (comme l’indique un texte de Pline l'Ancien sur le tissage du lin à l'époque du Christ). Cet amidon (hydrolysé) est indispensable à la cinétique des réactions de Maillard, généralement lentes à température ordinaire, mais que Rogers voudrait voir terminées après une trentaine d’heures (séjour dans le sépulcre) ;

+ en réalité, les micro-photos d'Evans (cf. fig. 1) montrent que les fibres, même en dehors des marques sanglantes, sont aussi couvertes de bien d'autres produits d'origines diverses, comme nous l'avons vu précédemment ;

+ importance de la diffusion gazeuse : Rogers et Arnoldi en 2003 (23) , sur la base d'une observation fausse, faite en 1983 (« les fibres ne montrent aucune trace de capillarité, ni ménisque, ni agglutination »), pensent que seule la diffusion gazeuse peut expliquer la présence des images colorées dans les régions éloignées du contact direct corps-tissu. Rogers a vérifié l'efficacité du mécanisme de diffusion avec une toile de lin (imbibée d'amidon et séchée), disposée (en forme de toit) au dessus de 3 ficelles imbibées de cadavérine : 24 heures plus tard, des roussissures (plus ou moins nettes et colorées) sont apparues sur cette toile (fig.6). Il a démontré ainsi la possibilité de projeter une image à courte distance (1 cm), avec une résolution semblable à celle des images du Linceul, par évaporation d'un produit de décomposition du corps. Pour cela, il a été obligé d'imaginer la présence, en couche mince, d'amidon de blé bouilli et de cadavérine pour voir l'image se développer rapidement à la température supposée du tombeau ;

+ les expériences de Volckringer et de Legrand ayant rendu crédible l'hypothèse de l'image latente, il faut examiner si les théories physico-chimiques autorisent l'apparition d'une gamme plus grande de produits colorés, conformes aux données incontournables de Mark Evans (microsphotos en couleurs) : la réponse est oui si l'on renforce le principe de diffusion convective par celui de distillation (évaporation-condensation), tous deux préalables à la mise en route des réactions chimiques de type Maillard ;

+ rôle de la capillarité : les propriétés de surface du lin (considérablement hydrophobe malgré le blanchiment) et l'architecture des fibres dans la toile, ont joué un rôle primordial dans la formation de l'image. Si le Linceul avait été en coton (nettement hydrophile), l'imbibition (adsorption et diffusion des produits corporels) aurait été fulgurante et les images résultantes floues et informes. L'image du revers aurait été renforcée. L'eau de déshydratation du corps a pu filtrer en phase vapeur à travers le drap (sans être retenue) en y déposant au passage les molécules lourdes à chaînes neutres ou oléophiles. Fortement adsorbées sur les sites correspondants des fibres, elles pourront attendre l'hydrolyse des surfaces purement cellulosiques (hydrophiles) pour commencer à former, avec leurs produits dérivé, des mélanoïdines colorées ;

+ parallèlement, les fluides adsorbés (par contact) ou condensés (par projection) sur les surfaces complexes des fibres vont les envelopper (gaine colorée), puis migrer par capillarité vers les parties profondes du tissu jusqu'à l'autre face (où la trame affleure sur 80% de la surface). Une étude informatique de la surface du Linceul montre que, sur la face principale (constituée à 80% par la chaîne), l'essentiel de l'image est piégé au fond des sillons, sur les 20% représentant les fils de trame. Ainsi, lorsqu'on enlève l'ensemble les traces portées par les fils en relief (grâce à la transformée de Fourier des fils de chaîne), on ne modifie quasiment pas l'image. Et c'est l'inverse pour l'autre face.

 

6- Formation de l’image par « rayonnement »

C'est la thèse la plus « à la mode », encore aujourd'hui, car elle cherche à rendre compte à la fois du caractère « photograhique » de l'image (négativité, projection orthogonale, absence d'images latérales), et de son caractère prétendument « superficiel ». Certains veulent rendre compte en plus de la disparition du corps, du rajeunissement du drap, du séisme qui accompagna la mise au tombeau, voire du « flash » de la Résurrection. Les mécanismes étudiés sont donc très divers.

- Le Père Rinaudo suppose une source naturelle de rayonnement, provenant du corps lui-même du supplicié: la désintégration du deutérium fournit d’une part les protons qui vont colorer (superficiellement) le drap, et d’autre part les neutrons nécessaires à la production du radiocarbone qui va le « rajeunir ». Pour que le tombeau ne soit pas détruit, il fait appel à la théorie quantique (des « particules virtuelles »).

- Le Dr Gus Accetta, lui aussi, pense à une source naturelle de rayonnement provenant du corps. Il s'est donc injecté, par voie veineuse, des particules ionisantes qui vont « imager » son corps sur une laque sensible, à l'instar d'une scintigraphie. Résultats intéressants, mais différents de l'image du Linceul.

- Plusieurs expérimentateurs supposent qu'un violent séisme a pu créer (par piézo-électricité) un champ électrostatique puissant autour du corps. Sa décharge sur le Linceul aurait imprimé l'image (brûlure superficielle des fils). Parmi eux, il faut citer :

+ l’expert Judica Cordiglia qui a montré (en 1984, à Bari) des images saisissantes de réalisme, avec un champ électrique de 90 000 volts. Il poursuit ses recherches ;

+ Mme de Liso (cf. symposium de Paris, en 2002 (24 ), qui pense que la présence de radon (particules alpha), abondant dans le sous-sol, permet l'impression d'images, sans avoir recours à des champs aussi puissants. Ses résultats expérimentaux nécessiteraient l'expertise d'un physicien ;

+ les professeurs Lattarullo et Fanti (cf. congrès de Dallas, en 2005), qui étudient la formation d'images par « effet Corona » (plasma froid généré par un champ électrique élevé mais de puissance faible). Le roussissement des fibres de lin obtenu a l'apparence de celui du Linceul.

-D'autres physiciens cherchent à reproduire l'ensemble des propriétés de l'image qu'ils observent à l'aide de radiations électro-magnétiques d’origines diverses (VIS, UV, X, Laser..). Citons parmi eux les Docteurs Moran, Jackson, et Wangher, dont les thèses ont été évoquées également au congrès de Dallas, en 2005. La plus extraordinaire (au sens strict) est celle de John Jackson, qui suppose que le drap, pesant, a chu à travers le corps dématérialisé recevant un rayonnement UV du vide (les « vacuum UV rays » sont de très faible énergie).

 

Le point commun de toutes ces interprétations disparates, c'est d'ignorer la simple imprégnation du tissu par les produits (corporels) du supplice.

 

7- Améliorations de la connaissance de l’image

et de son report sur le tissu

- Continuité de l'image : le mathématicien Mario Latendresse (canadien) a repris les travaux récents de Fanti et Marinelli sur la modélisation des distances drap-corps du crucifié; il a montré (à Dallas, en 2005) que le Linceul, posé naturellement sur le Corps, pouvait rendre compte raisonnablement des caractéristiques de l’image frontale, sans qu'apparaissent les déformations que l'on pourrait craindre, venant d'une projection non parfaitement orthogonale. Le sang des cheveux ne provient donc pas des joues (lesquelles vont apparaître plus clairement grâce à des traitements adaptés - cf. ci après). Cette conclusion confirme les observations précédentes : il n'y a donc qu'une seule image, plus sanglante près des blessures ayant saigné, chargée de colloïdes en laque desséchée sur les parties saillantes, et de films plus ténus en regard des parties dont la distance au tissu n'excède pas 20-30 mm. L'ensemble correspond au report (topologiquement fidèle) des sérosités organiques, au fur et à mesure qu'elles imbibèrent le Linceul. Il ne peut donc pas y avoir d'image sous les taches de sang, ni de « double image » ! Nous ne développerons pas ici les observations concernant les sangs ante-mortem et post-mortem, ni l'humidification nécessaire pour décalquer les premiers.

- Purification de l'image : il est patent que le Visage, en particulier, est défiguré par des bandes verticales (alternativement sombres et claires), dont les bords, parfaitement linéaires, suivent les fils [elles furent supposées porteuses de lettres, selon Ugolotti (1979) et Marion (1995)]. L'examen minutieux, en réflexion et en transparence, montre qu'elles correspondent à des groupes de fils de chaîne indépendants de l'image. Ils correspondent sûrement à des écheveaux de fils blanchis séparément. Ce phénomène peut être observé aussi horizontalement (trame), encore que, là, l'effet de tassement du peigne vient le compliquer. Le tissu n’aurait donc pas été blanchi après tissage.

Par des traitements numériques adaptés, les ingénieurs français Castex, de Bazelaire, et Doumax, ont réussi à « égaliser » la teinte de base de tous les fils. L'image dont ils sont porteurs apparaît alors purifiée de tous les parasites déformants, et c'est un Visage plus régulier, moins sévère et plus conventionnel que l'on peut contempler (fig. 7).

Comme ces traitements laissent l'image intacte, le dépôt de celle-ci n’aurait pas altéré la composition de surface du fil, ce qui irait dans le sens d’une couleur déposée, ajoutée à celle du fil ( modèle additif de la gaine, signalé plus haut).

Beaucoup d'autres travaux passionnants sont en passe d'aboutir, et pourront faire l’objet de publications ultérieures.

 

8- Conclusions

Comme on l’a vu ci-dessus, les études scientifiques sur le Linceul de Turin ne sont pas près de se terminer. Les images qu'il porte sont naturelles et infiniment complexes, comme est naturel et infalsifiable un lys des champs. Elles doivent être préservées de tout traitement « invasif », et, bien sûr, de tout prélèvement destructif.

 

Marcel Alonso

NOTES et références

1. cf. MNTV n 33 - 2. cf CIELT: Centre International d'Etudes sur le Linceul de Turin 3. cf. compte rendu sommaire sur le symposium d’avril 2002, paru dans le bulletin MNTV n° 26. 4.cf. « Le secret du suaire. Autopsie d’une escroquerie » - Paul Eric Blanrue - Ed. Pygmalion - 2006. 5. Professeur de Mécanique à l’Université de Padoue - cf. MNTV n°26. 6. par Mark Evans. 7. cf. « La Science aveuglée par la passion », dossier réalisé par Isabelle Bourdial - « Sciences et Vie » n° 1054 de juillet 2005 - MNTV a réagi vigoureusement à ce dossier, dans le bulletin n° 32 (article disponible sur notre site Internet), et dans « Famille Chrétienne » (n° 1438, du 6 août 2005). 8. colle d’os ou de peau, connue au Moyen Age. 9. photo prise par G. Fanti. 10. Rappelons que Léonard de Vinci, né en 1453 - soit 100 ans après l’arrivée du Linceul à Lirey- passe pour être un inventeur « en avance sur son temps » du point de vue scientifique et gnostique. 11. cf. MNTV n° 27. 12.cf notamment le livre de W. Meacham : « The Rape of the Turin Shroud ». 13 après dépose de la toile de Hollande et des 48 pièces cousues par les clarisses de Chambéry en 1534 ; les bords des trous de l’incendie de 1532, nettoyés, ont été recousus directement sur un nouvelle toile. 14 cf. G. Fanti et R. Maggiolo, in « Journal of Optics A : pure applied Optics » - 6/2004. 15l ’un des responsables de la datation du Linceul en 1988 (laboratoire de Tucson en Arizona) - cf. article de la revue «Nature»,vol. n° 337 du 16 février 1989. Damon est décédé le 14 avril 2005. 16. l’un des « pères » de la nouvelle méthode (AMS) de datation par spectrométrie de masse. 17.épreuve appliquée au Moyen Age pour vérifier la culpabilité, par le « jugement de Dieu » (eau, feu, huile bouillante,…). Citée par A. Lalaing, seigneur de Montigny, dans « Collection des chroniques belges » (Bruxelles, 1876), cette ordalie ressemble fort aux légendes véhiculées par les cafés « littéraires ». Le Linceul n'en porte aucune trace. 18 cf. l’article paru sur ce sujet dans le bulletin MNTV n° 34. 19 Ray Rogers est décédé en mars 2005. 20. En effet, beaucoup d'observateurs de l'époque, frappés par le caractère négatif (et projetable) de l'image générale du Linceul, cherchèrent, parmi les évènements bibliques, ceux qui auraient pu projeter l'image du Crucifié sur Son Linceul : éclairs de l'orage, électricité du tremblement de terre,… (cf. « Le Saint-Suaire de Turin » - A. Loth - Ed. Houdin - 1900). 21 Les composés colorés qui se forment au contact du support cellulosique (glucide polysaccharide) doivent être les mêmes que les composés amino-carbonylés. 22 Le STURP, « Shroud of Turin Projet Research », a examiné scientifiquement le Linceul pendant cinq jours à Turin, en 1978. 23 cf. « Melanoïdins » - Ames JM Editions - Office for official publications for European Communities - 2003 24. cf MNTV n° 26

 

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