Introduction
Au Mozambique, le débat sur les agrocarburants a beaucoup évolué au cours de ces cinq
derniÚres années, alimenté par la spéculation et le boom de la demande, ainsi que par les
promesses des investisseurs Ă©trangers. Les investisseurs ont obtenu le droit de louer 5
millions d'hectares de terres au Mozambique rien quâen 2007, ce qui correspond Ă un
septiĂšme de la surface agricole du pays. Dans le mĂȘme temps, le gouvernement sâest
engagĂ© Ă crĂ©er des conditions extrĂȘmement favorables aux investisseurs Ă©trangers, au
détriment des droits les plus élémentaires des citoyens mozambicains. Un exemple ? La
« Politique et stratĂ©gie nationale en matiĂšre dâagrocarburants » Ă©laborĂ©e par la Banque
mondiale, sans aucune participation de la société civile, dépourvue de toute transparence et
rendue publique uniquement aprÚs avoir été ratifiée et approuvée par le Parlement.
Compte tenu de la sécheresse du climat sec qui rÚgne en Afrique et du volume important de
terres à faible rendement, le jatropha a été présenté comme la culture idéale pour la
production dâagrocarburants. Un tel engouement nâa pas manquĂ© de soulever des questions
quant aux qualités du jatropha. La ruée pour développer la production de jatropha à grande
échelle et ses effets sur le long terme ont-ils été suffisamment étudiés ? Emerge également
la crainte de voir cette monoculture ne résoudre ni les problÚmes du changement climatique
ni de la sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique, pas plus que ceux liĂ©s Ă la pauvretĂ©. Cette Ă©tude est destinĂ©e Ă
combler ces lacunes en Ă©valuant de maniĂšre approfondie les consĂ©quences dâune
production industrielle du jatropha au Mozambique, tout en prenant en compte les arguments
qui plaident en faveur de sa culture.
Mythe no. 1:
Le jatropha pousse sans difficultés sur une terre pauvre et donne de
bons rendements
Cette affirmation nâest vĂ©rifiĂ©e en aucune maniĂšre au Mozambique, ni dans la littĂ©rature qui
est consacrée à la culture de jatropha, ni dans les reportages pas plus que dans les
interviews de membres de communautĂ©s paysannes ou dâexperts de divers horizons. La
majeure partie du jatropha produite au Mozambique est cultivée sur des terres arables avec
force engrais et pesticides. MalgrĂ© tout cela, sa croissance et ses rendements laissent Ă
désirer.
Lâun des arguments principaux concernant le potentiel supposĂ© que reprĂ©sente le
Mozambique pour la production de jatropha serait lâexistence de vastes Ă©tendues de
« terres arables et pauvres inutilisées ». Mais la plupart des experts estiment cette estimation
trÚs exagérées. De plus, sur le plan des ressources naturelles, il ne faut pas oublier que 70%
du Mozambique est recouvert de forĂȘts et de bois et que la plupart des projets dâagriculture
industrielle vont se substituer Ă la vĂ©gĂ©tation naturelle. Dans lâactuel contexte de
réchauffement climatique au niveau mondial, la déforestation ne fait que renforcer cette
tendance. Câest pourquoi la plantation de cultures telles que le jatropha au Mozambique,
destinĂ©es Ă ĂȘtre transformĂ©es en agrocarburants, reprĂ©sente de fait une menace
supplĂ©mentaire qui plombe les efforts visant Ă rĂ©duire les Ă©missions de CO2. Lâexploitation
industrielle de surfaces occupées par des terres soit disant « non utilisées » ainsi que des
forĂȘts, est par ailleurs extrĂȘmement problĂ©matique : ces espaces sont en effet trĂšs
importants pour la protection des nappes phrĂ©atiques, dâĂ©cosystĂšmes fragiles et de la
biodiversité. Ils contribuent également de façon significative aux besoins alimentaires de
base des habitants en leur fournissant protéines animales, fruits, bois de chauffe et
matériaux de construction. Ces grandes étendues de terres sont essentielles pour les
communautés rurales ; leur exploitation industrielle aurait des conséquences dramatiques
pour leur survie.
Mythe no. 2:
Les plantations de jatropha nâont pas besoin dâĂȘtre irriguĂ©es et
nĂ©cessitent peu dâentretien
Les faits montrent au contraire que lâirrigation des plantations de jatropha sont nĂ©cessaires
au Mozambique, mĂȘme dans les rĂ©gions oĂč les prĂ©cipitations moyennes se situent entre 800
mm et 1400 mm/an. Dans la rĂ©gion au Sud du pays, oĂč le niveau le plus bas de
prĂ©cipitations annuelles avoisine les 600mm, une irrigation constante Ă©tait tout de mĂȘme
nĂ©cessaire. MĂȘme dans les zones recevant environ 800 mm de pluie par an, certains
cultivateurs irriguent tout de mĂȘme leurs cultures de jatropha pour obtenir un meilleur
rendement. Dans lâune des rĂ©gions dans laquelle nous nous sommes rendus, les paysans
souffraient dĂ©jĂ de lâimpact nĂ©gatif engendrĂ© par une irrigation massive de monocultures
intensives pratiquée par une société étrangÚre implantée dans cette zone.
Mythe no. 3:
Le jatropha résiste aux maladies et aux insectes nuisibles
Cette étude démontre au contraire à quel point le jatropha est vulnérable aux maladies, ainsi
quâaux problĂšmes liĂ©s Ă la prolifĂ©ration de champignons et dâinsectes nuisibles. Lorsque les
plantes Ă©taient durement atteintes, les plantes cessaient de produire des feuilles et ne
laissaient aucune autre alternative aux paysans que celle de les arracher. Un recours massif
aux engrais et aux pesticides nâa pas permis de rĂ©soudre le problĂšme. Tout aussi
préoccupant le fait que les insectes nuisibles présents dans les cultures de jatropha se
répandent dans les cultures vivriÚres avoisinantes, une réalité confirmées aussi bien par les
agriculteurs que par les experts agricoles que nous avons rencontrés. De plus amples
recherches sont indispensables pour dĂ©terminer lâimpact de la culture du jatropha sur les
cultures vivriĂšres et sur la sĂ©curitĂ© alimentaire en gĂ©nĂ©ral. MĂȘme un impact mineur doit ĂȘtre
pris au sĂ©rieux dans lâactuel contexte de pĂ©nurie alimentaire, du manque de soutien Ă
lâagriculture de subsistance et de la faiblesse du secteur agricole.
Mythe no 4:
Le jatropha ne constitue pas un risque pour la sécurité alimentaire,
mais une opportunité de développement pour les cultures de
subsistance
Au Mozambique, les cultures de jatropha se substituent clairement aux cultures vivriĂšres.
Dans la mesure oĂč 87% des Mozambicains pratiquent une agriculture de subsistance et
quâils produisent 75% de leur consommation, le plan visant Ă encourager la culture
industrielle de jatropha suscite les plus vives inquiétudes. Un sentiment encore renforcé par
la faiblesse des Ă©changes entre les paysans, leur manque dâaccĂšs aux marchĂ©s, aux lieux
de stockage, Ă la communication et Ă lâinformation. Dans ce contexte, il leur est donc
particuliĂšrement difficile de tirer profit de la culture de jatropha. Lorsque les prix des matiĂšres
premiĂšres agricoles sâeffondrent sur les marchĂ©s, les agriculteurs mozambicains qui
pratiquent des cultures de rente paient un lourd tribut. Ceux qui pratiquent une culture de
subsistance sont plus rĂ©sistants aux fluctuations des prix dans la mesure oĂč ils consomment
un fort pourcentage de ce quâils consomment. Dans ce contexte, le passage Ă une culture de
rente non consommable telle que le jatropha changerait profondément la donne.
Les autorités ont recouru à des décrets pour sensiblement modifier une loi fonciÚre, visant
initialement à protéger les droits fonciers des communautés rurales. La loi continue toutefois
Ă reconnaĂźtre lâimportance du rĂŽle jouĂ© par les responsables des communautĂ©s dans le
domaine des droits fonciers, ainsi quâen matiĂšre de prĂ©vention et de rĂ©solution des conflits
au niveau local. La loi est toutefois contournée par les investisseurs et les agents
gouvernementaux de façon à obtenir le consentement de membres de la communauté pour
lâaccĂšs aux terres, sans que ladite communautĂ© ne soit consultĂ©e. Lorsque celles-ci ont lieu,
les consultations sont rarement transparentes et assorties de promesses fallacieuses. Ces
abus sont rendus possibles par la faible connaissance de leurs droits quâont les
communautĂ©s, ainsi que par lâabsence de traductions des documents en langues locales.
Lorsquâun abus est signalĂ©, la rĂ©solution des conflits demeure trĂšs dĂ©licate, les
communautĂ©s manquant cruellement de ressources et dâinformations concernant les
procédures juridiques à suivre. Résultat
: lâaccaparement de nombreuses terres
communautaires destinées à la culture industrielle de jatropha au Mozambique est plus que
jamais dâactualitĂ©.
Conclusions et recommandations
Les promoteurs du jatropha propagent lâimage dâune culture destinĂ©e Ă ĂȘtre transformĂ©e en
agrocarburant nâayant aucun impact nĂ©gatif sur la sĂ©curitĂ© alimentaire, mais pouvant
rapporter des revenus supplémentaires aux cultivateurs et favoriser le développement rural.
Cette étude a démontré que ces assertions sont au mieux fausses et au pire dangereuses.
Cette enquĂȘte a sĂ©rieusement remis en cause lâaffirmation selon laquelle le jatropha favorise
un développement durable au Mozambique. Au niveau international, un nombre croissant de
preuves ont été établies qui démontrent que le jatropha ne remplit pas les espoirs placés
dans cette culture, et quâil reprĂ©sente une vĂ©ritable menace pour lâindĂ©pendance alimentaire
et les revenus attendus en zone rurale. Ce rapport recommande que tout appui au
dĂ©veloppement des cultures de jatropha au Mozambique soit stoppĂ©, jusquâĂ ce que les
problÚmes majeurs engendrés pour les cultures de subsistance soient résolus et que les
communautés parviennent à garantir leur sécurité alimentaire. La société civile du
Mozambique Ă©tait parvenue aux mĂȘmes conclusions en 2008, ce qui avait dĂ©bouchĂ© sur une
dĂ©claration et une sĂ©rie de recommandations Ă mettre en Ćuvre : prioritĂ© aux cultures
vivriĂšres, soutien accru aux cultures de subsistance ainsi quâaux coopĂ©ratives, garantie des
droits ruraux, respect des droits fonciers des communautĂ©s et encouragements visant Ă
favoriser une indépendance alimentaire.
Maputo, août 2009
Coordination :
Justiça Ambiental (JA) et União Nacional de Camponeses (UNAC)
Rédigé par :
Daniel Ribeiro et Nilza Matavel
Equipe de recherche :
Anabela Lemos, Daniel Ribeiro, Diamantino Nhampossa, Leandro
Marcos, et Nilza Matavel
Equipe de soutien :
Arsénio Banze, Fredson Guilengue, Joshua Dimon, Rehana Dada,
Sanda Janela et SĂlvia Dolores
Photos :
Daniel Ribeiro, Dino Ribeiro et Nilza Matavel
Publiée et financée par :
Alliance Sud, Arbeitsgruppe Schweiz Kolumbien, Basler Appell
gegen Gentechnologie, Bio Suisse, Pain pour le prochain, Caritas, DĂ©claration de Berne,
Action de CarĂȘme, EPER, Kleinbauern-Vereinigung, Pro Natura, Reformierte Kirchen BE-JU-
SO, SWISSAID, Terre des Hommes, Uniterre