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Coriandrum sativum - Coriandre (Umbelliferae = Apiaceae) - DODINET Elisabeth - Octobre 2001

Cette synthèse a été réalisée principalement à partir des contributions de Michel Chauvet et de Jacques Melot sur Tela botanica, réseau des botanistes francophones entre le 13 septembre et le 7 octobre 2001.

Ont également contribué à cet échange : Aino Adriaens, Edith Armange, Pierre-Michel Blais, Michel Cambornac, Jean-Pierre Jacob, Alain Rongier, Raphael Zumbiehl.

Le débat lancé sur la question, apparemment anodine, du genre du mot " coriandre " a très vite évolué en une recherche des origines du nom pour tenter d' expliquer l'utilisation, dans la langue française, du genre féminin pour transcrire un nom latin neutre. Ceci a permis de donner quelques jalons sur les usages anciens du nom et ses formes dialectales dans diverses langues européennes.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française : " Coriandre, nom féminin, est emprunté (XIIIe s.) au latin coriandrum ". Le mot " coriandre " désigne à la fois la plante et, par métonymie, son fruit utilisé comme condiment. Il faut donc, pour un usage correct conforme aux dictionnaires, utiliser le féminin (" la " coriandre), tant pour la plante que pour les fruits. Cependant, l'utilisation du masculin " le " coriandre, est une " erreur " de langage trop fréquente pour être le produit du hasard.
On peut noter que, parmi les langues romanes, le français fait, en la matière, figure d'exception, car l'italien coriandolo, l'espagnol culantro ou cilantro et le portugais coentro sont tous masculins. Comment, dans ce contexte, expliquer le passage d'un neutre latin à une forme de genre féminin?

Coriandrum sativum L.



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1 - Les origines, retour aux sources antiques

Le terme est attesté en mycénien sous les formes ko-ri-ja-da-na, ko-ri-a2-da-na et une forme k-ori{-ja-do}-no (restaurée), l'équivalent de koriadnon (coriadnon) en grec. Il apparaît notamment dans diverses tablettes de Pylos, de Knossos et de Mycènes, soit comme un élément des offrandes rituelles, soit dans les matières premières entrant dans la fabrication d'onguents et de produits aromatiques pour les temples-palais. La coriandre vient toujours en premier dans les listes de produits et dans les plus grandes quantités. Bennet proposait de voir dans les produits en tête de liste (dont la coriandre) ceux exprimés en mesures sèches, ce que Palmer met en doute tout en admettant que l'ordre n'est pas anodin.
La forme la plus ancienne en grec alphabétique est coriannon ; Chantraine (Dictionnaire étymologique de la langue grecque) le donne comme un emprunt à une " langue méditerranéenne ".
Le latin coriandrum est un emprunt au grec koriandron (Romanisches etymologisches Wörterbuch, W. Meyer-Lübke, 3e éd., Heidelberg (Winter), 1935, 2232). S. Davis, The language of the Linear A Script 3 et 7, avait proposé d'y voir un emprunt à l'accadien huri'ânu et huri'a, mais le mot pourrait également être en rapport (secondaire?) avec koris " punaise " (koriandron aurait, alors, le sens apparent de " mari de la punaise "). Ce lien, qui pourrait être imputable à l'étymologie populaire, se serait opéré par l'odeur des feuilles froissées rappelant celle de la punaise.

Le latin présente également une forme dissimilée coliandrum (Pline, med. 1,6 ; Garg. Mart. 4, etc.) et une forme coriandrus, féminin de la 3e déclinaison.

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2 - Masculin ou féminin, histoire d'une évolution complexe

Dans le Lexicon Ægidii Forcellini on trouve ce qui suit : " Coriandrum [...] b. Alia forma est coriandrus, i, f. [pour féminin] dans Cato, Vegetio de re veterin. ". Dans le Thesaurus linguæ latinæ (ed. auct. et consil. Acad., quinque germanicarum berolinensis gottingensis lipsiensis monacensis vindobonensis), la forme féminime coriandus (de la 3e déclinaison donc) est confirmée chez Cato déjà cité et dans Ars veterina sive mulomedicina. Cette forme se trouve aussi chez Oribase (Syn., I, 17, IV, 1). Certains de ces détails sont confirmés dans Latham, Dict. mediev. latin, qui, pour la forme féminine coriandrus cite Neckham, De Naturis rerum.

Tobler et Lommatzsch indiquent " m. und f. ". Les formes féminines sont attestées dans le glossaire latin-français des gloses de Glasgow et le Ménagier de Paris. On en trouve également des indications dans le Roman. etym. Wörterbuch de Meyer-Lübke et dans Godefroy (cf. ci-dessus). Curieusement la forme féminine n'est pas signalée chez Charles Dufresne, seigneur du Cange, Glossarium mediæ et infimæ latinitatis, 1678, ni chez Diez. Rien non plus dans Maigne d'Arnis, Lexicon manuale ad scriptores mediæ et infimæ latinitatis, ce qui d'ailleurs n'a rien d'étonnant, puisque ce gros pavé fait grise mine à côté des six énormes volumes du Cange.

Mattioli (1579, Comm. Diosc., III, c. LXII, p. 451-453) écrit " le coriandre " , ce qui montre que " coriandre " fut, pour un temps, masculin, au moins dans les publications de savants. En 1580, Ambrosius Calepinus emploie le latin coriandrum.

Fleurs de Coriandrum sativum L.

Randle Cotgrave, en 1611, A Dictionarie of the French and English tongues, London, donne le français " coriandre " comme masculin. De même en ce qui concerne le Dictionnaire des arts et des sciences de Thomas Corneille (1694, vol. I, p. 256-257). Dans l'édition de 1690 (non paginée) du dictionnaire de Furetière, " coriandre " est féminin. Il est intéressant de le constater car chez Thomas Corneille (1694) déjà cité, il est masculin, alors que le texte d'accompagnement (avec rappel de l'odeur de punaise, etc.) est très voisin par le contenu.
En remontant dans le temps, il semble qu'il n'y ait rien sur la coriandre dans la version française du Gart der Gesundheit (1485), nile Jardin de santé (1500). Vaillant (1727, Bot. paris.) utilise le nom " coriandre " (s.m.s.s.e.), sans qu'il soit, cependant, possible de juger si le mot est considéré comme féminin ou masculin...

À la lumière de ces éléments, sont apparues deux explications possibles:

- Bien que se rattachant à un nom latin neutre, le français " coriandre " aurait pu prendre le féminin par " régularité ", les noms en " -andre " tirés d'un terme latin en " -andr(i)a " étant féminins en français. L'attraction d'un mot par un ensemble d'autres mots est un mécanisme bien connu de l'évolution des langues. Ce mécanisme a plus à voir avec la phonétique qu'avec la sémantique. Cette première explication, compte tenu de la suivante, pourrait, en fait, expliquer la persistance du féminin, plus que son origine.

- En réalité, le genre féminin actuel de " coriandre " s'explique plus vraisemblablement par le féminin bas latin " coriandrus ", que l'on trouve déjà chez Caton (III-IIes s. av. J. C.), puis chez Oribase (IIIe s.). Selon certains documents, cette forme aurait été reprise au Moyen Âge, dès le Xe s., chez Abu Ali Husayn ibn Abd Allah ibn Sina (Avicenne).

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3 - Le cheminement du mot au Moyen Âge et aux débuts des Temps Modernes

Selon Tobler et Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch, vol. II, colïander est attesté à côté de corïander en vieux français.
En allemand, la forme coriander est, selon Kluge, attestée dès 1450, mais le vieux haut allemand porte kullantar (cullintar, selon A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des mots, éd. Klincksieck, 4e éd. 1959, retirage 1994, p. 143, qui signalent en outre l'anglo-saxon cellandre, une forme confirmée par l'Oxford English Dictionary) et le moyen haut allemand kullander. Dans Konrad von Megenberg, Das Puch der Natur (vers 1475), on trouve utilisé coriandrum (wanzenkraut) : " Coriandrum haizt in etleicher däutsch wanzenkraut. daz kraut ist warm und [...] ". La variante " dentale " (en " l ") est attestée dans toutes les langues germaniques (y compris en anglais), bien que la forme moderne y soit uniformément en " -rian " (et non en " -lian ") : coriander (anglais), koriander (suédois, norvégien, danois), kóríander (islandais), etc.


En français, on relève de même " coliandre " (1359, Compt. de l'argent), mais également " coriande " (attesté le 21 avril 1368, Exéc. test. de Simon du Bas, A. Tournai), selon Godefroy, dans le tome IX de son Dict. ancienne langue française et de ses dialectes du IXe ou XVe siècles. La variante dentale a, d'ailleurs, persisté dans de nombreuses formes en français dialectal, particulièrement en occitan, avec notamment coulhandre, couliandra, coliandré (ancien provençal), couyandri (niçois), coulhandro (toulousain)... (Flore populaire d'Eugène Rolland), en espagnol (culantro, cilantro) et en portugais.
Cette forme aurait son origine dans le latin médiéval (probablement par emprunt à la forme latine dissimilée) ; les enseignements du sanscrit attestent d'un certain voisinage entre le " r " et le " l " (consonnes dites liquides), qui explique la coexistence des deux formes.

Fruits non matures



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4 - Et pour la petite histoire, quelques éléments glanés au fil des discussions

E. Rolland signale un savoureux cévenol : " graneto de boudin ". Dans la Flore occitane du Tarn de Gustave Farenc, publiée par Ernest Nègre en 1973, la coriandre est désignée sous les noms de " anis colhandre ", " anis pudent ", " anis salvage " et " coriandra ".

Sur les usages :

Elle est largement utilisée (tant pour ses feuilles et ses fruits que pour ses racines) depuis le monde arabe (avec une pointe au Portugal et en Espagne) jusqu'au sud de l'Asie et à la Chine. Les fruits de la coriandre sont utilisés dans la cuisine indienne, broyés avec d'autres aromates (moutarde, cumin, cardamome...) pour préparer les caris. Les fruits sont classiquement utilisés en France dans la recette des " champignons à la grecque " et comme condiment dans diverses préparations de cornichons. Les fruits, récoltés un peu avant maturité et mis à sécher à l'ombre, s'utilisent dans les préparations au vinaigre, mais aussi dans l'huile d'olive. On a longtemps fait des " dragées " en enrobant de sucre un grain de coriandre (comme on fait avec l'anis de Flavigny).

Les feuilles de coriandre que certains préfèrent au persil donnent, à faibles doses, un goût exquis aux salades. La coriandre est, au demeurant, bien connue à Marseille sous le nom de " persil arabe " ; elle est également dénommée " persil chinois ".
Bon à savoir :

Le grain de coriandre n'est pas toujours rond ; en Inde, les variétés cultivées ont des grains ovales. On les trouve en France dans les épiceries indiennes (passage Brady, dans le Xe arrondissement de Paris, par exemple).
Et pour en savoir plus, on peut consulter une monographie récente :
Diederichsen Axel, 1996, Coriander, Coriandrum sativum L., Rome, IPGRI Gatersleben, IPK (Promoting the conservation and use of underutilized and neglected crops, 3) ; 83 p.
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Auteurs

Synthèse réalisée par : Elisabeth DODINET

Date de la synthèse : Octobre 2001

Ont contribués à cette synthèse :

  • Michel CHAUVET
  • Jacques MELOT
  • Aino ADRIAENS
  • Edith ARMANGE
  • Pierre-Michel BLAIS
  • Michel CAMBORNAC
  • Jean-Pierre JACOB
  • Alain RONGIER
  • Raphael ZUMBIEHL

Cette synthèse a été réalisée principalement à partir des contributions de Michel CHAUVET et de Jacques MELOT sur la liste de discussion tela-botanicae.

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