Croissance démographique
Les défis de la mondialisation
La transition tunisienne est d'abord économique
: pays performant, qui a enregistré un taux de croissance économique
de 6,5% en 1999, la Tunisie est aujourd'hui résolument engagée
dans un processus de libéralisation économique, s'acheminant
vers son intégration progressive à l'économie globale. Celle ci
est principalement concrétisée, depuis 1996, par la signature
d'un accord de libre échange avec l'Union Européenne (UE) qui
aura entre autres conséquences, l'ouverture et la dé-protection
croissante du marché et des producteurs tunisiens face à la
concurrence étrangère d'ici 2007.
Forte de ces performances économiques, la
Tunisie a pu participer dés le début de la décennie 90 aux négociations
commerciales multilatérales (adhésion au GATT en 1991), et
s'engager résolument dans un processus d'intégration régionale
passant par la signature de l'Accord de Libre Echange avec l'Union
Européenne en 1996. Le processus d'ouverture économique amorcé
par les engagements de la Tunisie vis à vis du GATT (OMC) comme
vis à vis de l'Union Européenne en 1996 présente plusieurs
implications directes : un accés de moins en moins restrictif au
marché tunisien pour les producteurs étrangers, la suppression
progressive des droits de douanes et taxes appliquées aux
produits en provenance de l'UE et la réduction du soutien de l'état
aux entrepreneurs nationaux, industriels et agricoles. Les impacts
potentiels de ces engagements sur l'économie tunisienne vont de
la disparition d'une part substantielle du PIB industriel tunisien
directement menacé par le démantèlement tarifaire, à
l'affaiblissement, voire la suppression, de nombreuses activités
devenues incapables de soutenir la concurrence. Les conséquences
seraient inévitablement, outre le manque à gagner fiscal évalué
à 6% pour les recettes de l'état, une menace équivalente sur
l'emploi, dans la perspective de la restructuration de l'économie.
Plusieurs scénarios sont évoqués et il est
encore difficile d'évaluer toutes les conséquences de
l'ouverture économique dans la mesure ou les accords du GATT (OMC)
comme ceux de la zone de libre échange prévoient une
progressivité dont jouit encore l'économie tunisienne dans la
mise en oeuvre du démantèlement de la protection, dont certaines
mesures ne prendront effet qu'à partir de 2007. De fait, la libéralisation
est conduite avec prudence puisque le taux de protection effective
atteint 88% en 1999.
La décennie à venir doit néanmoins voir
passer la Tunisie d'une économie fortement protégée par un état
principal investisseur, à hauteur de 49.6% du total des
investissements en 1997, à une autre, ouverte à l'impulsion du
secteur privé national et étranger comme principal moteur de la
croissance. Si les scénarios différent, les analyses semblent
s'accorder pour définir un certain nombre de conditions déterminantes
pour un bilan économique et social positif au processus de
transition actuel : la nécessité d'une politique macro économique
active, doublée de mesures d'accompagnement importantes ; le
besoin d'un accroissement significatif des apports de capitaux extérieurs
; l'impératif d'une reconversion compétitive de l'économie, particulièrement basée sur le changement qualitatif de la
ressource humaine.
Certes, consciente de ces nécessités, la
Tunisie a lancé depuis 1996 un vaste programme de mise à niveau
(PMN) de son appareil productif, aidant les entreprises
industrielles et de services liés à l'industrie à acquérir les
capacités nécessaires pour faire face aux " exigences du
libre échangisme ". Ce programme assiste les entreprises
dans des investissements matériels et immatériels (marketing,
certification, organisation...) et /ou des restructurations
financières susceptibles de développer la compétitivité de
l'entreprise industrielle. La perspective est d'aider les
entrepreneurs nationaux à faire face à la concurrence étrangère
à venir, sur les marchés tunisiens comme sur les marchés étrangers
sur lesquels ils sont encouragés à investir. Entre 1996 et 1999,
le PMN concerne un investissement total de 1161.7 millions de
dinars, soit un taux de réalisation global de 59%. A dater de
mars 2000, plus de 1300 entreprises ont adhéré au PMN, représentant
à ce jour 40% de l'emploi des industries de plus de 20 employés
et 39% du chiffre d'affaire à l'exportation.
En parallèle au PMN, la Tunisie a également
engagé une série de réformes réglementaires visant la
promotion effective de l'investissement et particulièrement des
investissements étrangers directs (IDE) qui semblent avoir
atteint un niveau en deca des attentes. C'est particulièrement
vrai pour la part des IDE issus des pays de l'UE qui représentent
65% du total des IDE depuis la signature de l'accord de libre échange
en 1996, contre 79.6% entre 1992 et 1995. Ils représentent 10.3%
de la FBCF entre 1996 et 1999, contre 13.7% entre 1992 et 1995.
Les défis des années à venir pour réussir
la transition économique actuelle sont donc multiples : ils se
situent partiellement dans la nécessité d'une mise à niveau
complète de l'appareil productif, dont une partie non négligeable
est relativement peu concernée, telle que l'agriculture ou les
services, secteurs traditionnellement protéges et pour lesquels
peu de mesures d'accompagnement existent à ce jour. C'est également
le cas du tissu économique informel, constitué essentiellement
de micro entreprises, dont la part dans l'emploi est estimée par
l'Enquête Nationale Population et Emploi de 1999 à au moins
31.4% de la population active occupée non agricole.
Ils résident également dans les capacités
futures à transformer l'appareil d'État pour en faire le
facilitateur efficace d'une prise en charge accrue de la
croissance par le secteur prive, garant de la circulation rapide
et libre de l'information et du capital, dans un contexte de
mondialisation. Ils se situent enfin au plan de la mise à niveau
des ressources humaines du pays dont le changement qualitatif et
la diversification constituent les conditions de la compétitivité
à même de justifier des coûts de main d'oeuvre relativement élevés
en Tunisie, liés notamment aux système de protection des
travailleurs et du pouvoir d'achat.
Enfin, dans la poursuite de la voie suivie par
la Tunisie depuis son indépendance, la réussite de l'insertion
économique se mesurera également à la capacité du pays à
continuer de garantir la cohésion sociale, dans la recherche d'un
développement harmonieux visant à distribuer équitablement les
fruits de la mondialisation entre ses citoyens.
L'évolution des indicateurs sociaux en Tunisie
est globalement positive, et des progrés significatifs ont été
enregistrés en matière de développement humain. En 1998, l'IDH
place la Tunisie en 101ième position sur 174 pays, avec un score
de 0.703. Comparée à d'autres pays qui ont le même point de départ
en 1975, la Tunisie reléve le défi et affiche des progrés parmi
les plus notables1. Les performances de la Tunisie sont encore
meilleures sur la base du PIB par habitant (PPA), évalué à 5404
dollars US en 1999, qui la place 72 ième sur 174 pays.
La Tunisie est l'un des pays qui a le plus
spectaculairement réduit son taux de pauvreté, qui est passé de
12.9% de personnes vivant au dessous du seuil national de pauvreté
en 1980, à 6.2% en 1995. En dépit des nombreux efforts
consentis, certaines poches de pauvreté se maintiennent toutefois
depuis quelques années, liées sans doute en partie au taux de chômage
en hausse, avec une transformation notable : les pauvres sont de
plus en plus urbains (69.6% en 1998 contre 41.8% en 1980).
En terme d'indicateurs de l'état de santé de
la population, la régression de la mortalité infantile et des
moins de cinq ans est régulière (estimées respectivement à 24
et 30 pour mille naissances vivantes). Alors qu'aucune différence
significative n'est à relever entre garçons et filles, le milieu
rural continue à enregistrer des quotients de mortalité néonatale, postneonatale, infantile et des moins de cinq ans, deux fois plus
élevés que ceux enregistrés dans le milieu urbain. Les mêmes
disparités se retrouvent au niveau de la malnutrition aiguë et du
retard de croissance. En matière de santé de la femme, tous
les indicateurs de couverture dans les services de périnatalité
ont enregistré une amélioration : les accouchements en milieu
assisté et le taux de prévalence contraceptive ont sensiblement
augmenté. Toutefois, les décés maternels et la fréquence de
l'anémie chez la femme ont connu une réduction inférieure aux
objectifs souhaités. Les disparités régionales qui persistent
sur certains aspects du développement humain constituent un axe
majeur des problématiques liées au développement social.
La Tunisie qui a déjà entamé sa transition démographique
connaît aujourd'hui un croît démographique maîtrisé, se
situant à environ 1.12% avec une part de la population âgée de
plus de 60 ans évaluée à 9% aujourd'hui et estimée à 15% en
2030. L'indice synthétique de fécondité a baissé de 3.38
enfants par femme en 1990, à 2.23 en 1998. La population
tunisienne est également aujourd'hui à majorité citadine (62.4%
en 1999), bien que l'exode rural soit aujourd'hui limité, passant
de 14% dans la deuxième moitié des années 80 à seulement 3% au
début des années 90. Cette transition démographique est
accompagnée d'une transition épidémiologique - ou les maladies
dites dégénératives sont de plus en plus prévalentes - ce qui
ne manquera pas d'avoir des incidences significatives sur le système
de santé et sur les capacités de l'État à financer la prise en
charge de ces maladies du troisième âge souvent trop coûteuses.
Le gouvernement tunisien a d'ailleurs déjà
engagé un certain nombre de réformes relatives au financement du
secteur de la santé, encourageant le secteur privé à prendre
une part de plus en plus importante dans les prestations de soins
et rééquilibrant les contributions de chacun des intervenants (ménages,
état et tiers payants). Dans ce cadre cependant, la couverture
sociale se concentre en prévalence sur les plus démunis, en
excluant progressivement les couches intermédiaires de la
population dont les revenus (qui restent malgré tout modestes) ne
leur permettent plus de bénéficier de la gratuité des soins.
Outre son poids sur le secteur de la santé, l'évolution
démographique et à la part croissante de la population active
continueront également d'exercer une pression croissante sur l'économie
nationale et sur le marché de l'emploi, au moins jusqu'à 2005.
Le taux de chômage est estimé à 15.7% en 1997, avec des taux
atteignant 21% dans certaines régions de l'ouest du pays et ce en
dépit d'un taux d'absorption des demandes additionnelles en
progression constante et qui a atteint 91.4% sur la période
1997-2001. Il est attendu que le chômage continuera d'augmenter
au moins jusqu'à 2005, d'une part au vu des restructurations économiques
encore limitées résultant des processus d'ouverture et de libéralisation,
d'autre part en raison des évolutions démographiques et de la
part croissante de la population active dans la population totale
jusqu'à 2030 environ.
L'emploi représente donc une priorité
nationale appelant des stratégies et des actions concertées pour
répondre à plusieurs tendances parallèles relevées par l'Enquête
Nationale Population Emploi de 1997: celle du chômage des jeunes
d'une part, puisque 63% des chômeurs sont âgés de moins de 29
ans et qu'une part croissante d'entre eux sont diplômés de
l'enseignement supérieur (4% en 1997 contre 0.7% en 1984) ; celle
des chômeurs de longue durée ensuite (49% des chômeurs) et des
pertes d'emploi résultant des processus de privatisation et des
changements structurels liés au processus d'ouverture économique
(environ 13 000 licenciements en 1997); celle de l'emploi féminin
enfin, concentré en majorité dans des domaines appelés à des
restructurations, tels que le textile et l'agriculture, bien que
la population active féminine soit plus instruite que la
population active masculine (9.1% de niveau supérieur contre
6.4%).
Dans ce cadre, à l'initiative du Chef de l'Etat,
le Gouvernement tunisien a engagé une réflexion dans le but de développer
d'une part des stratégies multisectorielles permettant une
meilleure absorption par le marché du travail des demandes
additionnelles d'emploi et d'autre part, des outils opérationnels
de suivi, d'évaluation et de projection permettant d'appréhender
de manière globale les problèmes d'emploi.
Une part importante de l'examen engagé s'intéresse
aux différents niveaux de l'appareil éducatif qui, avec le système
de formation professionnelle, se trouvent au centre de la problématique
tunisienne de mise à niveau des ressources humaines nécessaire
à l'augmentation de la compétitivité globale de l'économie et
qui a déjà fait l'objet d'un certain nombre de réformes. En
effet, si la population active occupée est de plus en plus
instruite, avec un nombre moyen d'années d'études qui est passé
de 3.49 en 1984, à 5.27 en 1997, le taux d'analphabétisme, bien
qu'en régression continue, demeure élevé: 27% de la population
de 10 ans et plus est touchée, et notamment 53% des femmes
rurales. En 1999, l'analphabétisme concerne encore 8.5% des 15-24
ans et a des répercussions directes sur le chômage, puisque
62.2% des chômeurs sont, en 1997, analphabètes ou de niveau
d'instruction primaire et que les échecs et/ou abandons scolaires
posent inévitablement des problèmes importants d'insertion des
jeunes à la vie socio-économique.
Parmi les préoccupations majeures, les
questions liées à la qualité de l'enseignement et au problème
fondamental du rendement du système éducatif, illustrées notamment
par un taux de redoublement moyen de 17% dans l'enseignement de
base et le secondaire, par un taux d'abandon global de 6.4%, par
un nombre de 300 000 enfants de 6 a 16 ans actuellement non
scolarisés et par le fait que sur une cohorte de 100 enfants
inscrits en 1 ère année de l'école primaire, 17
seulement obtiennent le baccalauréat. La réflexion lancée par
le Chef de l'État sur l'école de demain pose aussi le problème
fondamental d'une école socialisante et adaptée aux nouveaux
besoins économiques et sociaux dans la formation du citoyen de
demain, mieux outillé pour s'adapter aux changements constants.
L'enjeu de la mise à niveau des ressources
humaines est au coeur des préoccupations et des politiques économiques
et sociales menées par les pouvoirs publics tunisiens dans la
mesure où le pays accuse encore un certain retard à ce niveau :
en effet, classée première en terme de compétitivité économique
globale sur 24 pays du continent africain, la Tunisie arrive en dernière position quant à l'adéquation de formation des diplômés
du supérieur par rapport aux besoins des entreprises2. Ces
constats laissent présager des résultats substantiels que la
Tunisie pourrait obtenir si la qualité de ses ressources humaines
lui permettait d'orienter son économie vers des secteurs porteurs
à haute valeur ajoutée, notamment dans les domaines de l'électronique
et de l'informatique. Les performances relativement basses de
l'enseignement supérieur, qui compte un effectif total de 180 000
étudiants, mais également celles du système de formation
professionnelle, pour la formation de techniciens intermédiaires
qualifiés, sont donc à mettre directement en relation avec les
stratégies macro économiques d'ouverture vers de nouveaux
secteurs, ainsi que sur les stratégies de promotion de l'emploi,
qui doivent absorber les demandes additionnelles.
Globalement toutefois, sur les différents
volets du développement social, la Tunisie montre un bilan positif
sur le maintien des équilibres et des acquis sociaux, dans un
contexte de transition économique pourtant difficile. Ceci en
dépit du fait que l'écart noté entre les performances en matière de PIB par habitant et celles de l'IDH semble indiquer
une difficulté pour le pays à transformer l'accroissement des
revenus ou des ressources monétaires en potentialités de développement
humain.
Face à ces nouveaux enjeux et au vu de
recettes publiques devenues insuffisantes pour maintenir les
bienfaits d'un Etat Providence, la Tunisie explore de nouvelles
modalités de gestion sociale impliquant, aux côtés de l'Etat,
les autres acteurs du développement dont le secteur privé. Les résultats
des nouvelles réflexions engagées détermineront de la capacité
du système à continuer de maintenir les acquis enregistrés,
face à l'ouverture économique et aux difficultés grandissantes
de l'Etat à maintenir sa prise en charge des équilibres.
1 Sur un échantillon incluant l'Algérie, la
Bolivie, la Chine, le Honduras, le Swaziland, la Tunisie, la
Turquie et le Zimbabwe, qui font état d'un point de départ
similaire en 1975, la Tunisie affiche la progression la plus
substantielle de son IDH, précédée uniquement par la Chine.
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Dernière mise à jour : 31 Décembre 2002 |