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Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité - CIERL

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Projets de recherche du CIERL: détails


Franc-maçonnerie, rationalisme, libre-pensée, laïcité


Cette unité coordonne les activités de recherche sur la franc-maçonnerie, le rationalisme, la libre-pensée, la laïcité:

Franc-maçonnerie en général: Luc Nefontaine

Histoire de la franc-maçonnerie: Hervé Hasquin et Jacques Lemaire

Symbolisme, aspects anthropologiques de la franc-maçonnerie: Luc Nefontaine, Pierre Daled, Christophe Loir, Baudouin Decharneux

Antimaçonnisme: Jean-Philippe Schreiber

"Aux origines du mythe du complot antijudéo-maçonnique. The Myth of the Jewish and Masonic Coalition : towards its Origins".

1. Argument

La théorie du complot est une figure dominante de nos sociétés contemporaines. Toute menace intérieure ou extérieure, toute atteinte à l'ordre moral inspiré par l'Eglise, tout vecteur de la modernisation de la société ont systématiquement été perçus par l'opinion réactionnaire, depuis la Révolution française, comme les effets d'une puissance occulte qu'il s'agissait de diaboliser. La franc-maçonnerie fut particulièrement visée de ce point de vue. Avec les années 1860, en Allemagne puis en France, le discours antimaçonnique va s'emparer de la thématique juive pour fustiger la conspiration antichrétienne qui serait à l'oeuvre dans la modernité européenne. L'antijudéo-maçonnisme sera d'abord essentiellement théologique puis, avec l'encyclique papale Humanum genus (1884), qui en lancera le mot d'ordre, se fera politique.

C'est en effet avec l'encyclique de Léon XIII, qui se donnait pour objectif de mettre bas les masques, que le discours antijudéo-maçonnique sera popularisé, jusqu'à la caricature. Il nous a semblé utile d'interroger ici les figures de ce discours sur le complot, là où Juifs et maçons sont associés pour incarner la coalition diabolique chargée de mettre à mal la civilisation chrétienne : la Synagogue de Satan, métaphore du lieu du secret des maçons et du lieu du pouvoir des Juifs, sert de fil rouge à un discours où Juifs et francs-maçons sont visés comme vecteurs d'une oeuvre diabolique de trahison de l'ordre social.

L'expression Synagogue de Satan, qui est appliquée à la franc-maçonnerie avec l'encyclique Etsi Multa de Pie IX (1873), sert ainsi ce discours sur le secret, l'obscur, le souterrain, le démoniaque, cette vision crépusculaire du monde : c'est le combat du monde visible contre le monde invisible. Le dévoilement du complot se fait en sondant les ténèbres : Mgr. Meurin en fera le titre d'un de ses ouvrages (La Franc-Maçonnerie, Synagogue de Satan - 1893), qui connut une grande diffusion. Il popularisera l'expression en la fixant dans l'imaginaire catholique, servant une mobilisation politique et théologique qui visait à faire du Juif l'incarnation du maçon, celui que le secret ne permettait pas d'identifier.

On voit là se cristalliser tous les fantasmes sociaux d'un christianisme refoulé et désemparé devant le dilemme de l'acceptation du monde moderne. Ainsi, la réactivation des peurs médiévales à l'égard des Juifs (peurs biologiques, souillures, assimilation à la sorcellerie et au diable), l'interprétation fausée des rites - qui se joue de l'apparente parenté symbolique entre le judaïsme et la franc-maçonnerie -, le lexique dévoyé (sabbat, synagogue…) sont mobilisés pour amalgamer judaïsme et maçonnerie. L'analogie n'aura que plus d'efficacité si l'on brouille les représentations des Juifs et des maçons en les asssimilant les uns aux autres. A l'image du Diable, la franc-maçonnerie et les Juifs sont partout, sont polymorphes, apparaissent sous différents masques.

D'aucuns, comme Norman Cohn, ont tenté de démontrer comment l'antisémitisme démonologique chrétien médiéval fut ranimé et modernisé au XIXe siècle : soit l'idée que le judaïsme serait une organisation conspiratrice, mise au service du Mal, cherchant à déjouer le plan divin. La subversion est ramenée à son essence : elle serait en effet, pour les antimaçons, l'héritière d'une longue lignée (hérésies antiques, gnoses, socinianisme… jusqu'à la franc-maçonnerie), le changement des formes masquant en réalité l'unité du but. Ce but, c'est le rétablissement de la Nation juive - ce qu'expliquerait la symbolique autour du Temple du Jérusalem dans les rites maçonniques. Gougenot des Mousseaux fera de la restauration temporelle de Sion le but final, le secret bien gardé d'une franc-maçonnerie asservie au judaïsme en vue de la judaïsation du monde. Son équation : la franc-maçonnerie est la forme moderne de l'occultisme ; le Juif est le prince de l'occultisme, parce qu'il fut de tous temps le principe et le grand-maître de la Kabbale ; le Juif est donc l'âme, le grand-maître de la franc-maçonnerie. Celle-ci est en réalité une association juive qui, sous couvert chrétien, tente de pénétrer la société en vue de travailler à l'instauration d'une République juive universelle. Ce thème du marranisme politique et conspirateur aura ainsi de nombreux avatars, dont on voudrait tenter d'illustrer quelques aspects idéologiques et anthropologiques.

2. Objectif

Nous avons depuis 1992 consacré une série de recherches à la thématique du mythe du complot judéo-maçonnique. Partant de l'exemple de l'Affaire Imianitoff (1939) qui défraya la chronique en Belgique à la fin des années trente, nous avons entrepris de sonder les sources de la littérature antijudéo-maçonnique, qui fut pour beaucoup dans le développement de l'antisémitisme durant l'entre-deux-guerres.

Lors de plusieurs colloques et à travers quelques publications (voir infra), nous avons étudié les origines intellectuelles de la construction de ce mythe, le contexte dans lequel il s'est développé, ainsi que les formes du discours produit. En outre, nous avons tenté de cerner à quel moment particulier, par quelles voix et avec quel type d'aval des autorités ecclésiastiques s'est construite la conjonction entre antimaçonnisme et antisémitisme dans le catholicisme réactionnaire.

Il nous a semblé utile de clore ces recherches par la publication d'une étude d'ensemble qui, partant du cas Imianitoff et des fantasmes suscités à cette occasion dans l'opinion catholique, remonterait aux sources de cette théorie du complot. L'on ferait ainsi une sorte d'archéologie du mythe, nourrie par les pamphlets politiques comme par les écrits de théologiens.

Les colloques auxquels nous avons présenté le premiers résultats de nos recherches sont :

- Les courants antimaçonniques hier et aujourd'hui à l'Université Libre de Bruxelles (Bruxelles, 18.5.1993).

- La Peur du Rouge à l'Université Libre de Bruxelles (Bruxelles, 5.11.1994).

- L'intelligentsia européenne en mutation (1850-1875). Darwin, le Syllabus et leurs conséquences à l'Université Libre de Bruxelles (Institut d'Etude des Religions et de la Laïcité et Groupe de sociologie des religions et de la laïcité - CNRS/EPHE) (Bruxelles, 14.3.1998).

- L'importanza della Massoneria nella formazione della cultura nel Belgio del XIX secolo à l'Université de Bologne (Bologne, 23.10.1998).

- Secret et transparence maçonniques, Université Libre de Bruxelles (Bruxelles, 23.3.2002).

- Images et représentations des Juifs (1848-1939), Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines (en collaboration avec l'Institut d'Etudes politiques et l'Ecole française de Rome) (Paris, 21.11.2002).

Quant aux publications :

- Antisémitisme et antimaçonnisme : l'affaire Imianitoff dans "Problèmes d'Histoire des Religions", 4/1993, Bruxelles (pp. 57-75).

- La diabolisation du judaïsme dans l'antimaçonnisme belge dans Massoneria et cultura. Il contributo della Massoneria alla formazione della cultura nel Belgio francofono (1830-1914), éd. par Licia Reggiani, Centro Studi sulla Letteratura Belga di Lingua Francese, Bologne, Cooperativa Libraria Universitaria Editrice Bologna, 2000 (pp. 69-115).

- La question du secret dans le discours antimaçonnique au XIXe siècle dans Le pavé Mosaïque. Revue d'études maçonniques n° 1-2003, Paris (pp. 117-144).

- (à paraître) : L'image des Juifs et du judaïsme dans le discours antimaçonnique au XIXe siècle, Actes du colloque de Paris.

Enfin, nous avons consacré un chapitre à ces questions dans l'ouvrage que nous avons publié avec Luc Nefontaine : Judaïsme et franc-maçonnerie. Histoire d'une fraternité, Editions Albin Michel, Paris, 2000 (289 pages) - réédité par Le Grand Livre du Mois, Paris, 2000.