Distr.
GENERALE

E/CN.4/1996/95/Add.2
9 février 1996


Original:FRANCAIS



COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-deuxième session
Point 18 de l'ordre du jour provisoire



APPLICATION DE LA DECLARATION SUR L'ELIMINATION DE TOUTES LES FORMES D'INTOLERANCE ET DE DISCRIMINATION FONDEES SUR LA RELIGION OU LA CONVICTION


Rapport présenté par M. Abdelfattah Amor, rapporteur spécial, conformément à la résolution 1995/23 de la Commission des droits de l'homme

Additif

Visite du Rapporteur spécial en République islamique d'Iran

TABLE DES MATIERES
Paragraphes


Introduction 1 - 4

I. LEGISLATION DANS LE DOMAINE DE LA TOLERANCE ET DE LA NON-DISCRIMINATION FONDEES SUR LA RELIGION OU LA CONVICTION 5 - 22

A. Dispositions constitutionnelles et préoccupations du Rapporteur spécial 5 - 20

1. Critères islamiques prévus par la Constitution iranienne 5 - 6
2. Religion officielle 7 - 9
3. Situation des minorités 10 - 20

B. Autres dispositions juridiques et préoccupations du Rapporteur spécial - Conversion 21 - 22

II. APPLICATION DE LA LEGISLATION ET POLITIQUE DANS LE DOMAINE DE LA TOLERANCE ET DE LA NON-DISCRIMINATIONFONDEES SUR LA RELIGION OU LA CONVICTION 23 - 85

A. Situation des minorités religieuses reconnues 23 - 53

1. Minorités non musulmanes 25 - 46
2. Minorité musulmane sunnite 47 - 53

B. Situation des autres minorités non musulmanes 54 - 85

1. Situation des baha'is 55 - 70
2. Situation des protestants 71 - 85

III. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS 86 - 118




Introduction

1. Du 15 au 22 décembre 1995, le Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse a effectué une visite en République islamique d'Iran dans le cadre de son mandat et sur invitation du Gouvernement iranien.

2. Il s'est rendu à Téhéran (15-18 décembre et 20 décembre), à Tabriz (19 décembre) et à Ispahan (21 décembre). Il a eu des consultations avec des représentants des autorités et des représentants des minorités, ainsi qu'avec un certain nombre de personnes privées. C'est ainsi qu'il s'est entretenu avec le Ministre des affaires étrangères, le Ministre de la justice, le Vice-Ministre des affaires juridiques et internationales du Ministère des affaires étrangères, le Vice-Ministre de l'éducation, le Vice-ministre des affaires culturelles au Ministère de la culture et de l'orientation islamique, le Directeur du Bureau des affaires des minorités au Ministère de la culture et de l'orientation islamique, le Président des Tribunaux révolutionnaires du Ministère de la justice et le Conseiller du Président pour les affaires religieuses des sunnites. Il s'est également entretenu avec des représentants religieux, sociaux et politiques des minorités chrétienne Minorités arménienne et assyro-chaldéenne en particulier; orthodoxes, catholiques et protestants., juive, zoroastrienne et sunnite ainsi qu'avec des représentants des baha'is. Il a par ailleurs rencontré le Président du Comité des droits de l'homme du Parlement et de la Commission islamique des droits de l'homme. Enfin, le Rapporteur spécial s'est entretenu, en privé, avec Mmes Batoul Vaferi, Maryam Shabazpour et Farahnaz Anami, condamnées pour l'assassinat de pasteurs et incarcérées à la prison d'Evin. Il a également visité de nombreux lieux de culte, des centres communautaires et des écoles des minorités.

3. Le Rapporteur spécial souhaite remercier les autorités iraniennes de l'avoir invité et attache une importance symbolique à cette toute première visite en Iran en sa qualité de Rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse. Il tient, à ce sujet, à saluer les efforts déployés et la volonté de coopération qui a été manifestée par le Gouvernement iranien lors de sa mission. Il est aussi très reconnaissant aux différents interlocuteurs rencontrés au cours de la préparation de cette visite et lors de son déroulement.

4. La situation actuelle dans le domaine de la liberté religieuse en République islamique d'Iran - au regard de la législation dans le domaine de la tolérance et de la non-discrimination fondées sur la religion ou la conviction, de son application et de la politique en vigueur - a fait l'objet d'une étude attentive du Rapporteur spécial.


I. LEGISLATION DANS LE DOMAINE DE LA TOLERANCE ET DE LA NON-DISCRIMINATION FONDEES SUR LA RELIGION OU LA CONVICTION


A. Dispositions constitutionnelles et préoccupations du Rapporteur spécial

1.Critères islamiques prévus par la Constitution iranienne


5. Conformément à l'article 4 de la Constitution, "l'ensemble des lois et règlements civils, pénaux, financiers, économiques, administratifs, culturels, militaires, politiques et autres doit être basé sur les préceptes islamiques. Ce principe s'applique d'une manière générale à tous les articles de la Constitution, aux autres lois et règlements. La détermination de ce point est de la compétence des docteurs du dogme membres du Conseil de surveillance".

6. Le Rapporteur spécial a fait part de sa préoccupation quant à l'absence, d'une part, de définition des critères islamiques et, d'autre part, de critères religieux non musulmans. A cet égard, les autorités ont indiqué que cette référence était liée à l'instauration d'un régime islamique conformément à la volonté du peuple. Elles ont, par ailleurs, fait remarquer que tout système juridique reflétait, même sous une forme implicite, les principes religieux de la majorité de la population. Au sujet des religions non musulmanes, les interlocuteurs gouvernementaux ont déclaré que l'Etat avait pour devoir de garantir les droits des minorités, lesquels étaient protégés par la Constitution ainsi que par la reconnaissance du droit de chaque minorité d'appliquer le droit religieux pour les affaires personnelles et celles liées à la communauté. Il a été souligné que l'islam était une religion de tolérance. Concernant l'absence de définition constitutionnelle des critères islamiques, il a été précisé que la Constitution établissait un cadre et que les lois en définissaient les principes. Les autorités ont reconnu qu'il était souhaitable de parvenir à plus de précision par le biais de la législation.


2. Religion officielle

7. Conformément à l'article 12 de la Constitution, "la religion officielle de l'Iran est l'islam et le dogme celui de la secte djaffarite duodécimaine immuable pour l'éternité. Les autres dogmes islamiques aussi bien hanéfite, chaféïte, malékite, hanbalite et zeydite bénéficient d'un respect total. Les disciples de ces dogmes sont libres d'accomplir leurs rites religieux selon leur enseignement religieux. Leur enseignement et leur éducation religieux, ainsi que leur statut personnel (mariage, divorce, succession et testament) et les actions en justice y relatives devant les tribunaux sont officiellement reconnus. Dans chaque région où les disciples de l'un de ces dogmes sont en majorité, les règlements locaux, dans les limites des pouvoirs des conseils, seront conformes à ces dogmes tout en sauvegardant les droits des disciples des autres dogmes".

8. Tout en soulignant que la religion d'Etat ou de l'Etat n'est pas de nature en soi à être en contradiction avec les droits de l'homme, le Rapporteur spécial a précisé que cette donnée ne devait pas être exploitée aux dépens des droits des autres religions. Il a noté l'absence de référence aux chiites ismaéliens et à la communauté musulmane des Ahl-e-Hagh implantée dans l'ouest de l'Iran.

9. Les autorités ont indiqué que la Constitution n'était pas un catalogue de religions et que la reconnaissance d'un statut particulier à certaines religions et communautés religieuses ne devait pas être interprétée comme étant une discrimination à l'égard des autres.


3. Situation des minorités

10. Conformément à l'article 13 de la Constitution, "les Iraniens zoroastriens, juifs et chrétiens sont les seules minorités religieuses reconnues qui, dans les limites de la loi, sont libres d'accomplir leurs rites religieux et d'agir, en ce qui concerne leur statut personnel et leur enseignement religieux, selon leur liturgie".

11. Selon l'article 14 de la Constitution, "le Gouvernement de la République islamique d'Iran et les musulmans doivent agir à l'égard des non-musulmans dans l'esprit de saine morale, de justice et d'équité islamique et respecter leurs droits humains. Ce principe est valable au droit de ceux qui n'agissent pas et ne complotent pas contre l'islam et la République islamique d'Iran.

12. L'article 26 de la Constitution dispose que "les partis, associations et sociétés politiques et professionnels, les associations islamiques et des minorités religieuses reconnues sont autorisés, à condition qu'ils ne violent pas les principes de l'indépendance, de la liberté, de l'unité nationale, les préceptes islamiques et les fondements de la République islamique. Personne ne peut être empêché de participer à ces groupes ou d'être obligé d'y participer".

13. Selon l'article 64 de la Constitution, "le nombre des représentants à la Chambre des Députés est de 270. Après chaque décennie et s'il y a accroissement de la population, un représentant sera ajouté dans chaque circonscription pour chaque accroissement de 150 000 habitants. Les zoroastriens et les israélites éliront chacun un représentant. Les chrétiens assyriens et chaldéens auront ensemble un représentant et les chrétiens arméniens du sud et du nord éliront chacun un représentant. En cas d'accroissement de la population dans chacune des minorités, après une décennie, un représentant sera ajouté pour chaque 150 000 personnes supplémentaires. Les dispositions concernant les élections seront fixées par la loi".

14. L'article 67 de la Constitution relatif au serment que les membres de l'Assemblée consultative islamique doivent prononcer, dispose que "les représentants des minorités religieuses prêteront ce serment en mentionnant leur propre Livre saint".

15. Selon l'article 144 de la Constitution, "l'armée de la République islamique d'Iran doit être une armée islamique, une armée idéologique et populaire. Elle doit accepter au service militaire des éléments dignes ayant foi dans les objectifs de la Révolution islamique et prêts au sacrifice dans leur réalisation". L'article 163 de la Constitution dispose également que "les qualités et conditions nécessaires à l'accession aux fonctions de juge sont déterminées par la loi en observant les préceptes coraniques".

16. Aux demandes d'informations du Rapporteur spécial quant aux droits des minorités, les autorités ont souligné les droits des minorités reconnues tels que prévus à l'article 13 de la Constitution, en particulier le droit de pratiquer leur culte, leur enseignement religieux et leurs traditions familiales, de même que leur représentation au Parlement (art. 64 et 67 de la Constitution) et le libre exercice de leurs activités culturelles, sociales et religieuses à l'intérieur du cadre défini par l'Etat. Le terme de "privilège" a souvent été utilisé par les autorités à l'égard des minorités, notamment au sujet de leur représentation parlementaire malgré leur nombre inférieur à celui requis par la Constitution. Aux demandes de précision du Rapporteur spécial quant à l'emploi du terme "privilège", les autorités ont répondu qu'il s'agissait plutôt de droits reconnus aux minorités.

17. Concernant l'accès des membres des minorités reconnues à l'armée et à la justice, le Ministre des affaires étrangères a déclaré que tout pays appliquait un traitement particulier concernant l'accès à des postes dans l'armée et les services de renseignements pour des considérations politiques et nationales et pour s'assurer la fidélité de ses fonctionnaires. D'autres interlocuteurs officiels ont souligné l'absence de discrimination à l'égard des minorités pour leur accès à la fonction publique.

18. Aux préoccupations du Rapporteur spécial quant à la reconnaissance de manière limitative des trois minorités citées à l'article 13 de la Constitution et à l'absence de reconnaissance officielle des baha'is en particulier, il a été répondu que les privilèges accordés aux minorités reconnues ne pouvaient être étendus à tous. Il a été par ailleurs rappelé que l'absence de reconnaissance ne signifiait pas l'absence de droits ou l'application d'une interdiction ou d'une discrimination.

19. Il a été précisé qu'en tant que citoyens iraniens, les non-musulmans n'appartenant pas à des minorités reconnues jouissaient des mêmes droits que tout autre citoyen tel qu'en particulier stipulés aux articles 14, 22 ("La dignité, la vie, les biens, les droits, le domicile et la profession des individus sont inviolables, sauf dans les cas autorisés par la loi") et 23 de la Constitution ("Le contrôle des opinions est interdit et personne ne peut être attaqué et réprimandé pour ses opinions").

20. Au sujet des baha'is, il a été souligné qu'il ne s'agissait pas d'une minorité religieuse, mais d'une organisation politique associée au régime du Shah, contre la révolution iranienne et se livrant à des activités d'espionnage. Il a néanmoins été précisé que tout baha'i en tant qu'individu avait droit à sa croyance.


B. Autres dispositions juridiques et préoccupations du Rapporteur spécial

Conversion

21. En ce qui concerne la reconnaissance du droit à changer de religion, les interlocuteurs officiels ont précisé que l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme reconnaissait expressément la conversion, que les pays islamiques avaient exprimé des réserves à ce sujet et que l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne faisait pas référence à la conversion. Il a été précisé que, conformément au Code civil, la conversion n'était pas un crime et que personne n'avait été châtié en raison de sa conversion, tel qu'illustré par le cas du pasteur Dibaj, musulman converti et condamné à mort pour apostasie, mais dont le procès fut révisé.

22. A propos de la conversion, le Rapporteur spécial tient à rappeler l'observation No 22 (48) formulée par le Comité des droits de l'homme le 20 juillet 1993 concernant "la liberté 'd'avoir ou d'adopter' une religion ou une conviction". Il renvoie le lecteur au texte intégral de l'observation qui figure au chapitre III "Conclusions et recommandations" (par. 92).


II. APPLICATION DE LA LEGISLATION ET POLITIQUE DANS LE DOMAINE DE LA TOLERANCE ET DE LA NON-DISCRIMINATION FONDEES SUR LA RELIGION OU LA CONVICTION


A. Situation des minorités religieuses reconnues

23. Le Rapporteur spécial a porté son attention d'une part sur la situation des minorités non musulmanes reconnues à l'article 13 de la Constitution, à savoir les zoroastriens, les juifs et les chrétiens, et d'autre part sur celle de la minorité musulmane sunnite.

24. Au sujet des chrétiens, le Rapporteur spécial a souhaité donner un traitement particulier aux protestants - minorité reconnue - à la section B du présent chapitre intitulée "Situation des autres minorités non musulmanes" (voir par. 71 à 85) dans la mesure où cette communauté semble connaître une situation particulière essentiellement distincte de celle des autres minorités reconnues.


1. Minorités non musulmanes

25. Le Rapporteur spécial a regroupé, dans le cadre de son analyse, les informations sur les minorités zoroastrienne, juive, assyro-chaldéenne et arménienne, tout en prenant soin de faire part de préoccupations spécifiques à chaque minorité. Au cours de sa visite, il a tenté de rassembler des données chiffrées sur ces minorités auprès de leurs représentants et auprès des autorités, en particulier le Bureau des affaires des minorités au Ministère de la culture et de l'orientation islamique.

Minorités
Informations des représentants des minorités
Informations du Bureau des affaires des minorités
Zoroastriensenviron 60 000 33 à 34 000
Juifs30 à 40 000 (avant la révolution, 70 000) 20 à 25 000
Assyro-chaldéens40 à 50 000environ 17 000
Arméniensenviron 200 000

(il y a 15 ans)

environ 100 000

26. Les chiffres fournis par les représentants des minorités et par les autorités diffèrent sensiblement sans doute parce que les minorités se fondent sur des données établies avant la révolution, tandis que les autorités semblent se référer à la représentation numérique officielle actuelle. Cette évolution traduit en fait un départ important de membres des minorités pour l'étranger. Les représentants des minorités associent cette émigration, entre autres, à la guerre Iran-Iraq et à une situation économique difficile. Concernant les départs liés à la révolution iranienne et à l'instauration d'un Etat islamique, tout en ne les niant pas, de nombreux représentants ont tenu à souligner qu'aucune pression n'avait été exercée directement par le régime, mais plutôt par l'étranger qui, ayant perçu négativement la révolution en particulier à l'égard des minorités, incitait les minorités à quitter l'Iran.

27. Les autorités ont reconnu l'importance des départs des membres des minorités ainsi que des musulmans. Il a été précisé que cette situation n'était pas le résultat de pressions étatiques, mais correspondait à des départs volontaires de toute personne estimant que son éducation et ses valeurs ne pouvaient se conformer aux principes de la révolution telle l'instauration d'un code vestimentaire pour les femmes. Il s'agissait donc d'une situation qui n'était pas spécifique aux minorités.

28. D'après des informations non officielles, les minorités et communautés non musulmanes (y compris les baha'is) représenteraient environ 1 % sur une population majoritairement musulmane (environ 89 % de chiites; environ 10 % de sunnites).

a) Domaine religieux

i) Pratique religieuse et conduite des affaires religieuses

29. Les représentants religieux, politiques et sociaux des minorités ont déclaré ne pas faire l'objet d'interférences des autorités dans le cadre de leurs activités religieuses internes, lesquelles pouvaient s'exercer librement, notamment pour la pratique des cultes et des traditions religieuses, et la gestion des affaires propres à chaque institution religieuse.

30. Concernant l'utilisation de la langue persane lors du prêche, hormis les zoroastriens regroupant ethniquement des Perses utilisant le persan, les représentants des minorités ont précisé que cette option ne pouvait être envisagée à leur égard dans la mesure où, conformément à leur tradition religieuse, la langue utilisée pour le prêche devait être celle propre à leur communauté (hébreu, araméen, arménien) ou plus largement à leur ethnie d'origine. A ce sujet, le Vice-Ministre des affaires culturelles au Ministère de la culture et de l'orientation islamique a précisé que ces minorités avaient souhaité utiliser leur propre langue pour leur prêche, que ce droit leur avait été reconnu par les autorités, lesquelles ne verraient pas d'obstacle à l'utilisation du persan si ces minorités en faisaient la demande.

31. Au sujet du prosélytisme et de la conversion, les représentants des minorités ont expliqué, d'une part, que l'islam tel qu'interprété par l'Etat iranien ne permettait pas le prosélytisme et la conversion d'un musulman à une autre religion et, d'autre part, qu'elles-mêmes (minorités juive, assyro-chaldéenne et arménienne) ne les pratiquaient pas et ne les souhaitaient pas dans la mesure où leur communauté constituait des minorités religieuses et ethniques spécifiques et que leur institution religieuse propre oeuvrait pour la préservation de leur identité culturelle et religieuse et donc pour leur maintien en tant que communauté juive, assyro-chaldéenne et arménienne. Les minorités ont également ajouté ne pas faire l'objet de prosélytisme et de tentatives de conversion à l'islam.

ii) Enseignement religieux

32. Les représentants des minorités ont déclaré que l'enseignement de leur religion était assuré et respecté tant dans les écoles publiques (ou en dehors des heures de cours lorsque le nombre d'enfants d'une minorité est insuffisant pour permettre l'établissement d'une classe d'instruction religieuse) que dans les écoles propres aux minorités. Il a été souligné qu'aucun enseignement religieux musulman ne leur était imposé et que leur éducation religieuse propre était obligatoire et sanctionnée par une note dans le carnet scolaire. Cet enseignement religieux est dispensé par des enseignants des minorités (des professeurs de l'éducation nationale ou des personnes rémunérées par les minorités) à partir de manuels élaborés et financés par le Ministère de l'éducation en collaboration avec les minorités. Ces manuels portent sur l'enseignement de la religion de la minorité en question; des informations sur les autres religions et leurs principes communs y figurent aussi. Les assyro-chaldéens ont exprimé le souhait d'être davantage associés à l'élaboration des manuels donnant des informations communes sur toutes les religions.

iii) Publications religieuses

33. Les représentants des minorités ont expliqué que toute publication quel qu'en soit l'auteur était soumise aux autorités pour contrôle et demande d'autorisation de publication. Tout en reconnaissant que cette procédure ne leur était pas spécifique, ils ont regretté, d'une part, son coût financier, lié à la nécessité de traduire en persan les publications rédigées originellement dans la langue de leur minorité et, d'autre part, les délais assez longs pour obtenir l'accord officiel. Les représentants gouvernementaux ont précisé que cette procédure applicable à tout citoyen iranien avait notamment pour objet de veiller au respect des religions et de censurer si nécessaire toute atteinte aux valeurs religieuses. Les autorités ont rappelé par ailleurs que l'Etat pouvait contribuer financièrement à la publication de livres religieux.

iv) Lieux de culte

34. Les représentants des minorités ont dit qu'ils avaient suffisamment de lieux de culte et qu'ils pouvaient les rénover ou en construire de nouveaux. Le financement des lieux de culte est assuré par les communautés. Néanmoins, lorsque ces lieux de culte étaient classés monuments historiques, l'Etat apportait son aide financière pour leur entretien ou leur rénovation : cela a notamment été le cas pour l'Eglise arménienne de Vank à Ispahan, et les temples du feu zoroastriens à Yazd.

35. Concernant des fermetures de lieux de culte, les minorités ont déclaré que celles-ci ne résultaient pas de pressions des autorités mais de l'absence d'un nombre suffisant de fidèles dans certains villages ou certaines régions due au départ des minorités. Au sujet de l'accès aux lieux de culte de musulmans convertis, les minorités ont réaffirmé leur position au sujet du prosélytisme et de la conversion (voir "Pratique religieuse et conduite des affaires religieuses", par. 29 à 31 ci-dessus).

b) Domaine politique

36. Les représentants des minorités ont confirmé que, conformément à l'article 64 de la Constitution, elles disposaient de représentant(s) au Parlement. Le Ministre des affaires étrangères a fait remarquer que ces minorités disposaient de représentant(s) alors même que chacune ne remplissait pas la condition établie par la Constitution à savoir un représentant pour 150 000 personnes. A ce sujet, les autorités estiment que les droits des non-musulmans en Iran étaient supérieurs à ceux des musulmans d'autres pays, en particulier les pays européens. La minorité arménienne a ajouté pouvoir conduire des activités politiques propres à sa communauté telles que la commémoration du génocide arménien de 1915 célébrée tous les 24 avril de l'an par des manifestations de rue autorisées regroupant au moins 50 000 personnes.

c) Domaine socioculturel

37. Les représentants des minorités ont expliqué que, conformément à la Constitution, l'Etat leur reconnaissait le droit d'appliquer leur droit religieux pour leurs affaires personnelles (mariage, succession, etc.) et celles de la communauté. Il a été précisé que dans certains cas ou pour certaines situations s'était posé le problème de l'opportunité voire de la légitimité de l'application de la charia aux non-musulmans par exemple des sentences rendues par des tribunaux publics en conflit avec le droit religieux des minorités. Dans certains cas, le "Conseil de la compétence" ("Guardian Council") saisi par les minorités avait tranché en leur faveur.

38. Au sujet des principes islamiques instaurés par l'Etat iranien ayant trait notamment au code vestimentaire islamique, à la non-mixité pour les activités sportives et à l'interdiction de la consommation d'alcool, ceux-ci s'appliquent aux minorités dans le domaine public. Cependant, conformément à leurs traditions et à leurs valeurs, les minorités sont libres à l'égard de ces principes dans le domaine privé, notamment au domicile, ou dans les centres communautaires. Cela explique notamment l'interdiction par les autorités d'autoriser l'accès des centres communautaires aux musulmans (tenus de respecter les principes ci-dessus mentionnés) sauf événements particuliers tels que les rencontres sportives.

39. Concernant les activités socioculturelles, les minorités disposent de centres communautaires et d'associations à vocation culturelle (journaux, par exemple), sociale, sportive, de bienfaisance (maisons de retraite, hôpitaux), etc., dont le financement est assuré par les minorités. Le Vice-Ministre des affaires culturelles au Ministère de la culture et l'orientation islamique a déclaré que ces activités s'exerçaient sans limitations à l'intérieur du cadre défini par l'Etat. Ont été soulignées la participation active des minorités dans le domaine culturel (peinture, cinéma, musique, théâtre) et leur contribution essentielle au patrimoine iranien (lieux de culte classés monuments historiques). Les autorités encouragent également les publications, les films, les programmes télévisés et radiophoniques sur les minorités, leur culture et leur religion, dans le cadre d'un travail effectué par des musulmans et des non-musulmans.

40. Les observations formulées par les autorités et les minorités à propos des publications religieuses (par. 33), valent aussi pour les publications générales. Les minorités rencontrent parfois des difficultés lorsque le contenu de leurs publications, notamment à caractère historique, a trait à des sujets sensibles tels que la conversion de musulmans à une autre religion.

d) Domaine éducatif

41. Les enfants des minorités ont la possibilité de choisir les écoles publiques ou les écoles propres aux minorités. Ces dernières sont sous la tutelle du Ministère de l'éducation qui établit les programmes scolaires, qui finance le personnel relevant de l'Education nationale, ainsi que les manuels scolaires, y compris les manuels d'instruction religieuse. Les minorités, qui toutes sont juridiquement propriétaires des bâtiments, financent, par des dons privés, des parents ou des institutions religieuses, l'entretien des locaux et contribuent à l'acquisition et à l'entretien du matériel scolaire.

42. Les principes islamiques relatifs au code vestimentaire et à la non-mixité doivent être appliqués : or cela pose un problème sérieux aux minorités dans la mesure où ces écoles leur sont propres en principe. La minorité juive a souhaité que le Sabbat soit respecté au sein de ses écoles conformément à l'approbation du Parlement, malgré les résistances des experts du Ministère de l'éducation. Par ailleurs, à l'exception de certains cas constatés au cours de la visite, les directeurs de ces écoles doivent être des musulmans, ce qui est inapproprié aux souhaits des minorités qui, cependant, ne contestent pas la présence de professeurs non issus des minorités. L'ensemble de ces problèmes font l'objet d'un débat entre les minorités et les autorités et soulèvent la question du caractère privé (souhaité par les minorités) ou public de ces établissements scolaires.

43. Quant aux établissements universitaires, aucune information n'a fait état de difficultés d'accès pour les étudiants de ces minorités ainsi que pour les professeurs. Les candidats à l'entrée des universités subissent en particulier un examen de connaissances religieuses. Notons qu'à la faculté d'Ispahan il y a une chaire d'arménologie.

e) Domaine professionnel

44. Outre le non-accès aux postes gouvernementaux, il apparaît que les minorités ne peuvent accéder professionnellement à l'armée et à la justice (administration) Voir, au chapitre premier, section A, sous-section 3, le paragraphe 17 qui résume la réponse du Ministre des affaires étrangères. et seraient limitées dans leur plan de carrière dans le reste de l'administration, sauf cas exceptionnels. Dans le secteur privé, les minorités ne semblent pas rencontrer de difficultés, sauf cas particuliers et personnels non liés aux autorités. Cependant, les propriétaires non musulmans de magasins d'alimentation sont tenus d'indiquer sur leurs établissements leur appartenance religieuse.

f) Autres domaines

45. Dans le domaine de la justice, et notamment aux niveaux inférieurs des tribunaux publics, il apparaît que les minorités font l'objet, en général, d'un traitement discriminatoire de la part des juges qui, considérant les plaignants comme des membres d'une minorité et non comme des citoyens iraniens, appliquent leur conception de l'islam et prennent des décisions très souvent favorables aux musulmans.

46. Sur l'ensemble du sujet, des minorités non musulmanes, les représentants des minorités ont insisté sur le fait suivant : elles souhaitent que leur situation ne soit pas utilisée et manipulée à l'extérieur à leurs dépens pour des motifs qui leur sont étrangers, tels que des stratégies politiques à l'encontre de l'Iran. Ils ont souligné l'utilité et la valeur du dialogue qui existe entre minorités et autorités, source de recherche d'accords, de compromis et de solutions à court, à moyen et à long terme; ils ont aussi demandé que leur situation soit traitée de manière objective à l'échelon international.


2. Minorité musulmane sunnite

47. Le Rapporteur spécial n'a pu obtenir de chiffres officiels sur l'importance numérique des sunnites. Les représentants sunnites estiment représenter environ 10 % de la population iranienne.

a) Domaine religieux

48. Les représentants sunnites ont déclaré ne pas faire l'objet d'interférence sous forme de limitations de la part des autorités dans leurs activités religieuses. Ils ont rappelé leur statut de minorité légalement reconnue et les droits liés à cette reconnaissance tels que consacrés par la Constitution en son article 13, en particulier la liberté d'organiser les cultes selon leur jurisprudence, leur enseignement religieux et leurs coutumes.

49. A propos de l'enseignement religieux, les interlocuteurs sunnites ont souligné qu'ils disposaient d'un enseignement spécifique propre à leur croyance et que des informations étaient également diffusées quant aux autres religions. Le Vice-Ministre de l'éducation a précisé que des enseignants sunnites participaient à l'élaboration des manuels d'enseignement religieux.

50. Concernant les lieux de culte, le Rapporteur spécial a été informé de l'absence de mosquée sunnite à Téhéran malgré le souhait de la communauté sunnite de financer elle-même la construction de leur propre lieu de culte. Cette situation conduit actuellement des fidèles sunnites à prier dans une école pakistanaise et un club saoudien à Téhéran. Le Vice-Ministre de la justice a rappelé que, conformément à l'islam, tout musulman pouvait prier dans tout lieu de culte musulman quelle que soit sa dénomination, chiite, sunnite ou autre. Le Vice-Ministre des affaires juridiques et internationales a précisé qu'aucune interdiction juridique n'existait au regard de la construction de lieux de culte sunnite, que la communauté sunnite était numériquement faible à Téhéran et qu'elle ne rencontrait aucune difficulté à prier dans les mosquées chiites.

51. Au sujet d'informations selon lesquelles un lieu de culte sunnite aurait été détruit à Mashad dans le cadre d'un plan d'urbanisation de la ville, les représentants sunnites et les autorités ont indiqué qu'un débat avait eu lieu afin de déterminer s'il s'agissait d'une mosquée ou d'un caravansérail. Finalement, il s'est révélé qu'il n'y avait pas de mosquée, mais qu'il était prévu d'en construire une. De plus, les autorités auraient proposé un terrain pour la construction d'une mosquée sunnite. Les interlocuteurs gouvernementaux ont rappelé les destructions de mosquées chiites et sunnites en Iran dans le cadre de plans d'urbanisation pour le bien de la population et ont déclaré que la communauté sunnite disposait de nombreuses mosquées en Iran.

52. Le Conseiller du Président pour les questions sunnites a souligné l'absence de conflit religieux entre chiites et sunnites et a ajouté que des problèmes de contrebande ou de terrorisme se posaient parfois aux frontières de l'Iran. Il a constaté la présence d'ultra-fanatiques sunnites, phénomène propre à toute religion. Finalement, il a déclaré qu'aucune suspicion ne frappait les sunnites, notamment en raison de leur fidélité au régime. Les interlocuteurs officiels ont souhaité que la question des sunnites ne soit pas utilisée à des fins politiques contre l'Iran.

b) Autres domaines

53. Les représentants sunnites ont déclaré ne rencontrer aucun obstacle de la part des autorités dans les domaines politique, socio-culturel, éducatif, professionnel ou autres.

B. Situation des autres minorités non musulmanes

54. Le Rapporteur spécial a porté son attention d'une part sur la situation des baha'is et d'autre part sur celle des protestants.


1. Situation des baha'is

55. Le Rapporteur spécial ne dispose pas de chiffres officiels sur l'importance numérique des baha'is. Les représentants baha'is et autres interlocuteurs non gouvernementaux estiment le nombre des baha'is en Iran à 300 000 ce qui représenterait numériquement la première minorité en Iran.

a) Domaine religieux

i) Reconnaissance du statut de minorité religieuse

56. Les autorités ont déclaré ne pas reconnaître les baha'is en tant que minorité religieuse. L'organisation baha'ie a été définie comme une secte politique historiquement liée au régime du Shah, contre-révolutionnaire et caractérisée par ses activités d'espionnage au profit de l'étranger, en particulier Israël. Au cours de ses divers entretiens, le Rapporteur spécial a constaté un rejet presque instinctif à l'égard de la communauté baha'ie.

57. Les autorités ont indiqué que seuls les dignitaires religieux pouvaient décider de la possibilité d'accorder ou non le statut de minorité religieuse aux baha'is. Par ailleurs, les privilèges accordés aux minorités religieuses reconnues ne pouvaient être étendus à tous. Cependant, l'absence de reconnaissance de ce statut ne signifiait pas l'absence de droits. A cet égard, en dehors de l'organisation baha'ie telle que ci-dessus définie, les autorités ont rappelé que tout baha'i bénéficiait de tous les droits reconnus aux citoyens iraniens et en particulier du droit à la liberté de croyance, et que conformément à la Constitution nul ne pouvait être attaqué ou réprimandé pour ses opinions et les droits des citoyens devaient être protégés quelles que fussent leurs idées et convictions. Les représentants baha'is ont réfuté les accusations portées sur leur organisation. Ils ont rappelé que, conformément aux principes fondamentaux de leur religion, les baha'is devaient faire preuve de loyauté et d'obéissance envers leur gouvernement et devaient s'abstenir de toute implication politique. Concernant les accusations d'espionnage en faveur du sionisme, les baha'is ont indiqué qu'elles reposaient exclusivement sur le fait que le Centre mondial baha'i se trouvait en Israël. Il a été rappelé que ce centre avait été établi sur le Mont Carmel au siècle dernier, avant la fondation de l'Etat d'Israël et ce, conformément aux instructions explicites de Baha'ú'llah, fondateur de la foi baha'ie, y ayant vécu en exil après avoir été banni de Perse. Les représentants baha'is ont souligné leur strict rattachement à une croyance religieuse - la foi baha'ie - et leur constitution en tant que minorité religieuse.

ii) Activités religieuses

58. Eu égard aux informations de source gouvernementale relatives au respect des droits des citoyens baha'is et notamment de la liberté de croyance, les représentants baha'is, et autres interlocuteurs non gouvernementaux ont fait état de l'application d'une politique de répression à l'encontre de la communauté baha'ie : ils ont notamment communiqué un document officiel émanant du Conseil culturel révolutionnaire suprême, daté du 25 février 1991, qui énonce les directives concernant la question baha'ïe, entre autres que "les mesures prises par le gouvernement à l'encontre [des baha'is] devront être de nature à faire obstacle à leur évolution et à leur développement".

59. Dans le domaine religieux, les représentants baha'is et autres non officiels ont constaté la négation du droit de professer et de pratiquer la foi baha'ie. Depuis 1983, l'organisation baha'ie serait interdite par le gouvernement entraînant le refus du droit de se réunir et d'élire les institutions administratives et de les maintenir en activité. La foi baha'ie n'ayant, de par ses principes fondamentaux, pas de clergé, l'existence même des baha'is en tant que communauté religieuse viable se trouverait menacée sans ces institutions. Selon les mêmes sources, les autorités auraient également procédé à la confiscation des biens communautaires baha'is essentiellement depuis 1979. Les lieux saints baha'is auraient été profanés et dans de nombreux cas détruits.

60. Selon les mêmes sources, les cimetières baha'is auraient été rasés au bulldozer et les tombes saccagées. A ce sujet, le Président de la Commission islamique des droits de l'homme a déclaré qu'il s'agissait d'informations fausses et erronées. Il a précisé que dans certains cas, la destruction de cimetières était intervenue pour des raisons d'hygiène et aurait concerné des sépultures baha'ies et musulmanes. Il a considéré qu'il s'agissait de rumeurs politiques. La communauté baha'ïe aurait également des difficultés à enterrer ses défunts et à identifier l'emplacement des tombes. Seules des zones de terrains vagues leur seraient autorisées, mais il serait interdit de graver les stèles. Enfin, les représentants baha'is ont déclaré faire l'objet de pressions pour leur conversion à l'islam en particulier les baha'is privés de liberté, de moyens de subsistance, de leurs biens personnels ou de la possibilité d'accéder aux études universitaires.

b) Domaine socio-culturel

61. Etant dépourvu du statut de minorité religieuse reconnue, les baha'is ne peuvent disposer des droits liés à cette reconnaissance c'est-à-dire notamment la représentation politique et l'application de leur droit religieux pour leurs affaires personnelles et celles de leur communauté. Répondant aux autorités à propos des droits des baha'is, en tant que citoyens iraniens (voir ci-dessus les paragraphes 10 à 20 "Situation des minorités"; et les paragraphes 28 à 32 "Domaine religieux"), les représentants baha'is ont rappelé la politique de répression à leur encontre dont l'interdiction frappant leur organisation et la confiscation de leurs biens : Tous les biens de la communauté auraient été transférés à l'Etat sans consultation et compensation, notamment les biens des organismes sociaux baha'is qui fournissaient des prestations aux membres de toutes les religions.

62. La communauté baha'ie serait également victime de la confiscation des biens personnels dont les maisons d'habitation. Enfin, les mariages et divorce baha'is, ne seraient pas légalement reconnus et leur droit d'héritage ne serait pas respecté. Eu égard à la liberté de circulation dont la sortie du pays et l'obtention de passeports ou de visas de sortie, sauf exceptions, de sérieux obstacles affecteraient les baha'is. Précisons que le formulaire d'obtention des passeports exigerait le mention de l'appartenance religieuse.

c) Domaine éducatif

63. Le Vice-Ministre de l'éducation a déclaré que les conditions suffisantes d'accès à l'université étaient notamment le respect des lois et la conduite d'activités saines. Il a précisé que l'accès des bahaïs à l'enseignement supérieur ne devait pas poser de problème dans la mesure où les baha'is n'y faisaient pas publicité de leur croyance. Les représentants bahaïs ont souligné que depuis 1980, les jeunes baha'is auraient été systématiquement exclus des établissements d'enseignement supérieur. L'érosion du niveau d'instruction affecterait gravement la communauté baha'ie. Les directives du Conseil culturel révolutionnaire suprême au sujet du degré d'instruction ont été citées : "Ils pourront s'inscrire dans les écoles, à condition qu'ils n'établissent pas leur identité baha'ie. Ils devront s'inscrire de préférence dans des écoles qui ont une forte et imposante idéologie religieuse. Ils devront être renvoyés des universités, soit au moment de la procédure d'admission, soit en cours d'études, dès l'instant où il apparaît qu'ils sont baha'is". Les représentants baha'is ont précisé que conformément aux principes fondamentaux de leur foi, ils ne faisaient pas de prosélytisme, mais qu'en réponse à toute demande, ils indiquaient leur appartenance religieuse et pouvaient donner des explications sur leur croyance.

d) Domaine professionnel

64. Les interlocuteurs baha'is ont déclaré être victimes d'une forte discrimination dans le domaine de l'emploi. Concernant l'administration, les baha'is ne pourraient y accéder sauf en cas de conversion à l'islam. Leur candidature serait rejetée notamment à partir d'un questionnaire demandant l'appartenance religieuse. De plus, au début des années 80, environ 10 000 baha'is auraient été renvoyés de leur poste dans l'administration et l'enseignement en raison de leur croyance religieuse. Beaucoup seraient restés sans emploi et indemnités de chômage. Les retraites des baha'is renvoyés pour motifs religieux ne seraient plus versées. Certains démis de leurs fonctions auraient été sommés de rembourser les traitements ou les retraites perçus. Une circulaire du Ministère du travail et des affaires sociales (datée du 16/9/1360 sous le numéro 20361) stipulerait que "la peine encourue par ceux qui appartiennent à une des sectes égarées reconnues par tous les musulmans comme hérétiques de l'islam ou à des organisations dont la doctrine et la constitution sont fondées sur le rejet des religions divines, est le licenciement définitif de la fonction publique... ainsi que des organisations que l'on peut assimiler à des associations ou bureaux gouvernementaux...".

65. Dans le secteur privé, les baha'is seraient également sérieusement affectés. Au début des années 80, les patentes des commerçants baha'is auraient été retirées et les avoirs des entreprises gérées par des baha'is confisqués. La confiscation des biens personnels auraient concerné non seulement les commerces et entreprises, mais également les propriétés agricoles. Des pressions seraient également exercées dans le domaine privé afin d'aboutir au renvoi des employés baha'is, ainsi qu'à l'encontre des paysans baha'is. La communauté baha'ie serait donc dans une situation d'insécurité économique et matérielle.

66. Les autorités ont indiqué qu'aucune entrave n'était appliquée aux baha'is dans le domaine professionnel et que toute sanction était motivée par des activités illégales, notamment d'espionnage. De plus, tout accès à la fonction publique est soumis à des critères notamment de fidélité au régime.

e) Domaine de la justice

67. Les représentants baha'is ont fait part de l'attitude très négative des organes judiciaires à l'égard des baha'is. Dans les faits, sauf cas exceptionnels, aucune réponse positive de la justice ne serait donnée aux plaintes déposées par des baha'is. Les tribunaux préjugeant un lien des baha'is à des activités d'espionnage, en déduiraient l'absence de droits reconnus aux baha'is. Le code pénal ne reconnaîtrait également aucun droit aux baha'is. Depuis 3 ans, les baha'is auraient néanmoins droit à recourir au service d'un avocat. Cependant, selon les baha'is, dans la pratique, des pressions dont des menaces s'exerceraient sur les avocats afin qu'ils refusent tout client baha'i. Enfin dans le cas de prisonniers baha'is, en général, les demandes des dossiers pour la défense seraient rejetées et les textes des sentences ne seraient pas communiqués.

68. Le Ministre de la justice a déclaré qu'aucun comportement discriminatoire n'était à déplorer dans le domaine de la justice. Il a précisé qu'aucun juge n'avait le droit de rejeter une plainte et que le déroulement de la justice s'effectuait conformément aux règles de droit (notamment respect des droits de la défense et possibilité de faire appel et de bénéficier d'une grâce).

f) Protection de la personne

69. Les représentants baha'is ont déclaré que depuis 1979, 201 baha'is avaient été assassinés et que 15 autres portés disparus seraient présumés morts. De janvier 1990 à juin 1993, 43 baha'is auraient été arrêtés et emprisonnés en raison de leur croyance, pour des durées variées. Sept baha'is seraient actuellement détenus, dont deux seraient condamnés à mort (cas mentionnés dans la communication du Rapporteur spécial du 18 août 1994, E/CN.4/1995/91, par. 64), M. Kayvan Khalajabadi et M. Bihnam Mithaqi. Au cours de sa visite, le Rapporteur spécial a demandé à rencontrer ces deux personnes. Cette demande n'a pu être satisfaite. Les représentants baha'is ont souligné que depuis 6 ans, le nombre d'arrestations des baha'is en raison de leur croyance religieuse avait diminué et qu'apparemment les exécutions avaient été arrêtées.

70. Le Ministre de la justice a expliqué qu'aucune personne n'était condamnée et détenue en raison de sa croyance mais pour des délits (activités criminelles d'espionnage, etc.). Il a précisé que la liberté de croyance était reconnue dont la liberté d'adopter la religion de son choix en privé et que toute atteinte au nom de la religion à d'autres croyances n'était pas autorisée. Les autorités ont rappelé que le fait d'appartenir à la communauté baha'ie ne signifiait pas la perte des droits de tout citoyen iranien. Elles ont également ajouté qu'elles avaient dû lutter contre des petits groupes extrémistes existant déjà avant la Révolution et souhaitent la disparition des baha'is.


2. Situation des protestants

a) Domaine religieux

i) Reconnaissance des associations religieuses protestantes

71. Selon des informations recueillies, la situation des associations religieuses protestantes au regard de leur reconnaissance officielle est variée. Certaines associations - en particulier celles ayant une composante et une dénomination ethniques (arménienne ou assyrienne) - sont reconnues légalement, tandis que celles dépassant toute distinction ethnique - regroupant des fidèles arméniens, assyro-chaldéens, juifs et baha'is et des musulmans convertis - connaissent parfois des difficultés quant à leur existence légale, par exemple l'Eglise universelle non reconnue depuis la Révolution. Il semble que ces obstacles soient liés au fait que ces églises ont un caractère international et ne sont pas restreintes en général à une ethnie spécifique dont elles devraient préserver l'identité. Au contraire, ces associations protestantes dépassent le cadre ethnique afin de s'adresser à toutes les composantes de la société, y compris les musulmans pouvant se convertir et adhérer à ces associations. Les représentants de ces églises ont souhaité que les autorités réhabilitent leurs associations.

ii) Activités religieuses et lieux de culte

72. La situation des protestants a été évoquée par les autorités à propos de la situation des chrétiens en tant que minorité reconnue disposant de droits, voire de privilèges liés à ce statut et ne faisant pas l'objet de limitations en dehors de celles prévues par le droit.

73. Les représentants protestants ont dit qu'il existait des limitations à leurs activités religieuses. Eu égard aux publications religieuses dont la Bible, ils ont rappelé la fermeture depuis février 1990 de la Société de bible iranienne, de même que celle du Jardin de l'évangélisme depuis juillet 1989. Ont été soulignées l'insuffisance du nombre de bibles disponibles pour tout fidèle et les restrictions à toute publication religieuse. La vente de la Bible serait interdite et 20 000 exemplaires du Nouveau Testament en persan confisqués en septembre 1991 n'auraient pas été rendus. Concernant les lieux de culte, on a aussi rappelé les fermetures des temples de Mashad (1988), de Sari (1988), de Kermanshah, d'Ahwaz (1988) de Kerman (1992) et de Gorgan (1992). Par ailleurs, au temple d'Orumiyeh, une seule cérémonie religieuse hebdomadaire serait autorisée.

74. Des pressions et une surveillance étroite seraient exercées sur les fidèles essentiellement les musulmans convertis afin qu'ils renoncent à leurs activités religieuses dont la simple pratique religieuse au sein de leurs temples. De plus, les religieux protestants auraient subi des pressions des autorités afin que la messe ne soit plus célébrée en persan et les musulmans convertis ne soient plus autorisés à y participer. Cependant, des représentants protestants auraient expliqué aux autorités, par le biais du dialogue, les raisons de leur désaccord. Finalement "the St. Peter Qauom-ol-Saltaneh Church in Teheran", "the Central Assembly of God Church in Teheran" et "the Assembly of God Church in Rasht" auraient la possibilité de célébrer leur prêche en persan. Les églises à dénomination et composante ethniques - arménienne et assyrienne - officieraient dans la langue de la communauté concernée. Les autres églises, en dehors de Téhéran, subiraient des pressions, afin de ne pas utiliser la langue persane et de ne pas accepter des musulmans convertis.

75. Selon des sources non gouvernementales, la proportion des musulmans convertis, au nombre de 15 000 personnes au moins, au sein des communautés protestantes, tout en correspondant à un phénomène ancien, serait en croissance, mais ce développement se manifesterait de manière clandestine. D'une manière globale, les autorités, à partir de leur interprétation de l'islam, interdiraient tout prosélytisme et toute conversion d'un musulman à une autre religion, ce qui expliquerait les limitations apportées aux activités religieuses des églises protestantes et les fermetures ou restrictions de certains lieux de culte.

76. Au sujet des biens des églises, dans certains cas, tel celui de l'Eglise universelle, les autorités auraient procédé depuis la révolution à la confiscation des propriétés (appartements, hôpitaux, institutions d'aveugles, écoles, maisons d'étudiants) et au gel des avoirs bancaires.

77. Les représentants protestants ont cependant souligné l'amorce d'une amélioration de la part des autorités, en particulier depuis les assassinats des pasteurs protestants Dibaj, Hovsepian et Michaelian, amélioration limitée néanmoins à certains domaines. En particulier, les restrictions à la liberté de circulation en dehors de l'Iran auraient été levées à l'égard de plusieurs pasteurs protestants.

b) Autres domaines

78. Outre les situations spécifiques aux protestants évoquées dans le domaine religieux, ceux-ci connaîtraient également les situations rapportées dans le cadre des minorités religieuses reconnues notamment dans les domaines éducatif, professionnel et judiciaire.

c) Protection de la personne

79. Lors de sa visite, le Rapporteur spécial a pu constater le traumatisme causé aux communautés chrétienne et protestante par les assassinats des trois pasteurs protestants en 1994 : le révérend Tatavous Michaelian, président par intérim du Conseil des églises protestantes d'Iran; le révérend Mehdi Dibaj, pasteur de l'Eglise des assemblées de Dieu et le révérend Haik Hovsepian Mehr, président du Conseil des pasteurs évangéliques d'Iran et secrétaire général de l'Eglise des assemblées de Dieu (voir l'appel urgent du 3 août 1994 et la communication du 18 août 1994 adressés aux autorités iraniennes, par le Rapporteur spécial dans son rapport précédent E/CN.4/1995/91, par. 63 à 65).

80. Le Rapporteur spécial a pu librement s'entretenir durant près de 5 heures à la prison d'Evin avec les trois personnes inculpées d'assassinat ou de complicité d'assassinat, Farahnaz Anami, Batoul Vaferi Kalateh, Maryam Shahbazpoor. Rencontrées individuellement, elles ont notamment déclaré appartenir à l'Organisation des moudjahidin et être responsables de l'assassinat du pasteur Michaelian, commandité par l'organisation afin de porter atteinte à leur Etat iranien lequel serait condamné par la communauté internationale l'estimant responsable de ces meurtres. Elles ont également précisé que les assassinats des pasteurs Dibaj et Hovsepian avaient été commis par une autre équipe de l'Organisation des moudjahidin.

81. Les autorités souscrivant au constat de traumatisme profond causé par les assassinats des ministres protestants ont déclaré être désolées et ont fait part de mesures de protection prises en faveur des religieux chrétiens. Elles ont rappelé l'enquête entreprise sur les assassinats, puis l'arrestation, le jugement et la condamnation à des peines de prison des responsables. Elles ont souligné la responsabilité de l'Organisation des moudjahidin entre autres dans les assassinats de pasteurs, ainsi que dans l'attentat à la bombe dans la mosquée de Mashhad. Elles ont estimé qu'il s'agissait d'un complot calculé contre l'Etat iranien et d'une tentative de division conflictuelle entre les communautés ethniques et religieuses.

82. Le Ministre des affaires étrangères a insisté sur le fait que la communauté internationale ne devrait pas attribuer sans preuve la responsabilité des assassinats à l'Iran et encore moins le condamner pour cela. Il a fait part de son étonnement quant à l'importance de la réaction internationale à l'égard des meurtres des trois pasteurs contrairement à l'attitude adoptée lors des assassinats beaucoup plus nombreux de religieux musulmans après la Révolution.

83. Des interlocuteurs non gouvernementaux ont estimé que l'Etat iranien, par l'intermédiaire d'un certain nombre de groupes ou de personnes, avait commandité les assassinats des pasteurs protestants. Ils ont rappelé que le révérend Dibaj avait été emprisonné depuis 1986; que le 21 décembre 1993, un tribunal révolutionnaire islamique de Sari l'avait condamné à mort pour apostasie à la suite de sa conversion au christianisme intervenue pourtant en 1949; que le tribunal avait accordé un délai de 20 jours pour en appeler de sa décision; et que le révérend Dibaj avait été libéré, grâce aux pressions de la communauté internationale sensibilisée par le révérend Hovsepian, le 13 janvier 1994 bien que les accusations le frappant n'aient pas été levées. Au sujet du révérend Hovsepian, il a été indiqué que ce dernier avait été enlevé 6 jours après la libération du révérend Dibaj et qu'il avait exprimé publiquement son opposition à la peine de mort infligée à ce dernier. Par la suite, le révérend Michaelian avait assuré la présidence par intérim du Conseil des églises protestantes d'Iran, organe responsable d'une communauté constituée en partie de musulmans convertis dont le nombre augmenterait.

84. Selon les informations recueillies, le Gouvernement iranien aurait décidé l'exécution de ces responsables protestants, afin de porter atteinte à l'Organisation des Moudjahidin, d'une part, à l'extérieur du pays en lui imputant ces crimes et, d'autre part, sur le plan intérieur afin de décapiter en partie la communauté protestante et la contraindre à arrêter le mouvement de conversions de musulmans jugées comme étant une apostasie et donc étant interdite d'après l'interprétation faite de l'islam. Ces conversions seraient ressenties comme un affaiblissement porté à l'islam et donc à la République islamique d'Iran ce qui expliquerait les limitations apportées dans le domaine religieux ainsi que les exécutions des dirigeants de la communauté protestante. En particulier, le pasteur Dibaj aurait été exécuté ainsi que ses collègues pasteurs afin que la communauté protestante ne soit pas encouragée, par la libération du pasteur Dibaj, à poursuivre ses activités notamment de conversion.

85. Des interlocuteurs non gouvernementaux considèrent également le procès des trois femmes accusées des assassinats comme s'inscrivant dans une justice d'apparat, et précisent que ces femmes sont des repenties de l'Organisation des moudjahidin, certains ajoutant qu'elles sont en outre des agents de l'Etat se sacrifiant pour la raison d'Etat ou à l'égard desquelles la peine prononcée ne serait pas appliquée dans les faits ou ne serait pas de longue durée.


III. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

86. Le Rapporteur spécial a porté son attention d'une part sur la législation dans le domaine de la tolérance et de la non-discrimination fondées sur la religion ou la conviction (c'est-à-dire le chapitre I du présent rapport) et, d'autre part, sur l'application de cette législation et la politique en vigueur (soit le chapitre II). Son analyse a concerné à la fois la situation des minorités religieuses reconnues - non musulmanes et sunnite - (section A) et celle des autres minorités non musulmanes, à savoir les bahaïs et les protestants.

87. Avant que de présenter dans ce dernier chapitre les conclusions et recommandations concernant ces minorités, le Rapporteur spécial tient à signaler qu'au cours de sa visite il a fait part de sa préoccupation quant à la situation du grand ayatollah Rouhani et de son fils Javad Rouhani à Qom sous la forme d'une communication; il attend à ce jour une réponse des autorités.

88. Au sujet de la législation, le Rapporteur spécial a rappelé que la religion d'Etat ou de l'Etat n'est pas en soi en contradiction avec les droits de l'homme. Cependant, cette donnée - consacrée en l'occurrence par la constitution iranienne - ne doit pas être exploitée aux dépens des droits des minorités et des droits liés à la citoyenneté et qui impliquent la non-discrimination entre les citoyens fondée entre autres sur des considérations de croyance ou de conviction. Dans cette optique, la notion de critères islamiques telle qu'inscrite à l'article 4 de la Constitution devrait faire l'objet d'une définition précise dans le cadre de règlements ou de textes de lois sans toutefois être à l'origine de discriminations entre citoyens.

89. Concernant la situation des minorités reconnues telle qu'appréhendée à l'article 13 de la Constitution, le Rapporteur spécial tient à souligner qu'il doit être clairement entendu qu'il s'agit de droits propres aux minorités et non de privilèges consentis. Au sujet de l'accès professionnel de membres des minorités à l'armée et à la justice (articles 104 et 163 de la Constitution), le Rapporteur spécial recommande qu'une législation portant sur l'administration en général consacre la non-discrimination pour tout citoyen iranien quelles que soient, entre autres, sa croyance et son appartenance communautaire.

90. Eu égard à la situation des autres minorités ou communautés non reconnues, telles les baha'ies, bien qu'appréhendée à travers les articles 14, 22 et 23 de la Constitution où sont notamment utilisées les notions de citoyen, d'individus ou de personnes, le Rapporteur spécial recommande qu'une législation précise plus clairement la reconnaissance de ces droits à tout citoyen, individu ou personne quelles que soient, entre autres, sa croyance et son appartenance communautaire.

91. Au sujet de la conversion, le Rapporteur spécial tient à rappeler la reconnaissance du droit à changer de religion dans le cadre des normes internationalement établies dans le domaine des droits de l'homme, dont la Déclaration de 1981 sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, ainsi que conformément à l'interprétation du Comité des droits de l'homme.

92. En effet, dans son observation No 22 (48) du 20 juillet 1993, le Comité des droits de l'homme "fait observer que la liberté 'd'avoir ou d'adopter' une religion ou une conviction implique nécessairement la liberté de choisir une religion ou une conviction, y compris le droit de substituer à sa religion ou sa conviction actuelle une autre religion ou conviction ou d'adopter une position athée, ainsi que le droit de conserver sa religion ou sa conviction. Le paragraphe 2 de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit la contrainte pouvant porter atteinte au droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction, y compris le recours ou la menace de recours à la force physique ou à des sanctions pénales pour obliger des croyants ou des non-croyants à adhérer à des convictions et à des congrégations religieuses, à abjurer leur conviction ou leur religion ou à se convertir." (HRI/GEN/1/Rev.1, par. 5)

93. Au sujet de l'application de la législation et de la politique en vigueur, en raison de la complexité des situations, le Rapporteur spécial a porté son analyse d'une part sur les minorités reconnues et d'autre part sur les autres minorités non musulmanes.

94. En ce qui concerne les minorités religieuses non musulmanes reconnues, à savoir les minorités zoroastrienne, juive, assyro-chaldéenne et arménienne, tout en s'inquiétant des départs de nombreux membres de ces minorités pour l'étranger qui affectent la richesse et la diversité culturelle et ethnique de l'Iran, le Rapporteur spécial estime, toutes choses égales par ailleurs, leur situation en tant que minorité apparemment satisfaisante à l'exception de problèmes spécifiques pour lesquels les recommandations suivantes ont été formulées.

95. Dans le domaine religieux, plus particulièrement celui de l'enseignement, l'élaboration des manuels d'enseignement religieux devrait comprendre la collaboration systématique et plus étroite des représentants de minorités compétents dans ce domaine afin de garantir la transcription correcte de chaque croyance et de leur respect.

96. Concernant les publications religieuses et, en général, toutes les publications des minorités, le Rapporteur spécial s'associe aux recommandations du Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d'expression, M. Abid Hussin, quand il écrit : "Le Rapporteur spécial estime que toute restriction préalable de la liberté d'expression emporte une forte présomption d'invalidité au regard du droit international relatif aux droits de l'homme. Lorsque cette restriction est institutionnalisée, la présomption est encre plus forte. Le Rapporteur spécial est d'avis que le droit à la liberté d'opinion et d'expression et le droit de rechercher, d'obtenir et de communiquer des informations seraient mieux protégés si, au lieu de soumettre systématiquement tel ou tel type d'expression à un contrôle préalable comme [cela se] fait actuellement, [on] agissait, si besoin est, après la publication de l'oeuvre." (E/CN.4/1996/39/Add.1, par. 40).

97. Dans le domaine socio-culturel, le Rapporteur spécial recommande de veiller dans les faits au strict respect de l'application du droit religieux pour les affaires personnelles et celles de la communauté et donc à la non-application de la charia à des non-musulmans. Concernant la question vestimentaire, le Rapporteur spécial, tout en soulignant que les traditions et comportements vestimentaires de quelque bord que ce soit sont également dignes de respect, appelle à la non-instrumentalisation politique du vêtement et à des attitudes souples et tolérantes en matière vestimentaire de manière à permettre à la variété et à la richesse iraniennes en ce domaine de se manifester sans contrainte. En particulier, dans le domaine éducatif, et spécialement pour les écoles des minorités, le Rapporteur spécial recommande la liberté vestimentaire, étant évidemment entendu que celle-ci ne doit pas être détournée des buts qui sont les siens.

98. Concernant les postes de direction des établissements scolaires des minorités, le Rapporteur spécial insiste sur la nécessité de tenir compte du caractère particulier des écoles des minorités et de répercuter ce caractère au niveau de leur direction.

99. Enfin, il est nécessaire que l'élaboration des programmes scolaires intègre la contribution des minorités sous forme d'une collaboration étroite.

100. Dans le domaine professionnel, outre les recommandations ci-dessus formulées quant à l'administration, le Rapporteur spécial, conformément aux normes internationalement établies, rappelle l'article 4 de la Déclaration de 1981 sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction : "Tous les Etats prendront des mesures efficaces pour prévenir et éliminer toute discrimination fondée sur la religion ou la conviction, dans la reconnaissance, l'exercice et la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans tous les domaines de la vie civile, économique, politique, sociale et culturelle"; en conséquence, il recommande la suppression de l'obligation faite aux propriétaires de magasins d'alimentation d'indiquer leur appartenance religieuse sur leurs établissements.

101. Dans le domaine de la justice, le Rapporteur spécial demeure préoccupé par les informations recueillies relatives à des traitements discriminatoires de la part des juges rendant parfois des décisions iniques à l'égard des membres des minorités. A cet égard, le Rapporteur spécial estime approprié l'application du programme des services consultatifs du Centre pour les droits de l'homme (voir le rapport précédent E/CN.4/1995/91, par. 226). Une formation adéquate des personnels de la justice et de l'administration en général aux droits de l'homme, notamment dans le domaine de la tolérance et de la non-discrimination fondées sur la religion ou la conviction, serait des plus appropriée.

102. Quant à la minorité musulmane sunnite, sa situation ne semble pas poser des problèmes de nature religieuse, à l'exception des lieux de culte. A cet égard, le Rapporteur spécial recommande que soit respectée la liberté de disposer de lieux de culte et qu'en l'occurrence les sunnites de Téhéran puissent disposer, conformément à leurs voeux, d'une mosquée sunnite. A propos de la destruction de lieux de culte, il est nécessaire que la communauté qui les gère soit obligatoirement consultée avant toute prise de décision, de sorte que des mesures de compensation soient automatiquement prévues et appliquées.

103. Finalement, hormis quelques problèmes sérieux dans des domaines circonscrits à l'égard desquels le Rapporteur spécial a formulé des recommandations, la situation des minorités reconnues - non musulmanes et musulmanes - apparaît plutôt satisfaisante.

104. Tout en rappelant le souhait de ces minorités d'être mises à l'abri de toute utilisation notamment politique allant à l'encontre des intérêts de l'Iran, le Rapporteur spécial, en tant qu'expert indépendant, soutient leur souhait de dialogue avec les autorités et en tant que Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, conformément à son mandat, restera vigilant quant à l'évolution de leur situation dans le domaine de la tolérance et de la non-discrimination fondées sur la religion ou la conviction.

105. En ce qui concerne les autres minorités non musulmanes, baha'ie et protestante, le Rapporteur spécial tient à faire part de sa préoccupation, tout en reconnaissant et saluant l'amorce d'une amélioration depuis peu de temps dans certains domaines.

106. Au sujet des baha'is, le Rapporteur spécial souhaite que soient clairement distinguées les questions de croyance et autres questions à caractère notamment politique au cas où celles-ci existeraient ou se poseraient. A cet égard, il est nécessaire de ne pas présumer pour l'ensemble d'une communauté un caractère politique ou l'exercice d'activités politiques, voire d'activités d'espionnage. Considérant les principes religieux de la communauté baha'ie, le Rapporteur spécial estime qu'il ne doit pas y avoir de contrôle susceptible de porter atteinte - par le biais notamment d'interdiction, de restriction et de discrimination - au droit à la liberté de croyance et à celui de manifester sa croyance. Il tient également à rappeler que le paragraphe 3 de l'article premier de la Déclaration de 1981 dispose que "la liberté de manifester sa religion ou sa conviction ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité publique, de l'ordre public, de la santé ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui".

107. C'est pourquoi le Rapporteur spécial recommande que l'interdiction frappant l'organisation baha'ie soit levée afin que cette dernière puisse librement s'organiser par le biais de ses institutions administratives, vitales en raison de l'absence de clergé, afin de pouvoir exercer pleinement ses activités religieuses. De même, tous les biens communautaires et personnels confisqués doivent être restitués et les lieux saints détruits si possible rétablis ou faire au moins l'objet de mesures de compensation en faveur de la communauté baha'ie. Les baha'is doivent également être libres d'enterrer et d'honorer leurs morts. Concernant la liberté de circulation, dont la sortie du territoire iranien, le Rapporteur spécial estime nécessaire de supprimer la mention de la religion sur les formulaires d'obtention des passeports et qu'aucune entrave ne soit appliquée.

108, Enfin, tout en reconnaissant la liberté de changer de religion, le Rapporteur spécial estime qu'il est indispensable que toute conversion soit le résultat du libre choix et non de contraintes.

109. Le Rapporteur spécial insiste afin qu'aucune discrimination n'empêche l'accès des baha'is à l'enseignement dans des établissements d'enseignement supérieur, ainsi qu'à l'emploi dans l'administration et dans le secteur privé.

110. Concernant la justice, le Rapporteur spécial réitère les recommandations formulées à l'égard des minorités reconnues.

111. Enfin, au sujet de la protection de la personne, le Rapporteur spécial note avec satisfaction une amélioration de la situation au regard des arrestations et apparemment des exécutions. Il tient à rappeler que l'intégrité physique de toute personne ne peut faire l'objet d'atteinte, notamment en raison de sa croyance ou de sa conviction.

112. Enfin, le Rapporteur spécial tient à demander aux autorités iraniennes la révision ou l'annulation des condamnations à mort des baha'is et la promulgation de mesures d'amnistie ou de toutes autres mesures appropriées afin de mettre fin aux peines infligées.

113. Au sujet des protestants, le Rapporteur spécial recommande que soit clarifiée la situation légale de certaines associations religieuses dont l'Eglise universelle dans le sens d'une réhabilitation.

114. Les activités religieuses des communautés protestantes doivent pouvoir s'exercer en toute liberté, sauf restrictions prévues par les normes internationalement établies. A cet effet, le Rapporteur spécial recommande la levée de l'interdiction affectant la Société de bible iranienne et le Jardin de l'évangélisme, ainsi que le plein respect de la liberté d'écrire, d'imprimer et de diffuser des publications religieuses dont la Bible.

115. Sur la question particulière des lieux de culte et de leur accès, le Rapporteur spécial recommande vivement que toutes les interdictions et limitations soient supprimées. La célébration de la messe et la langue utilisée à cet effet doivent également strictement relever des responsables religieux exerçant leurs activités religieuses et leur mode d'expression à l'abri de toute pression.

116. De même, au sujet du prosélytisme, de la conversion et de l'apostasie, le Rapporteur spécial tient à souligner à nouveau la nécessité du respect des normes internationalement établies dans le domaine des droits de l'homme, dont la liberté de changer de religion et la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, sauf restrictions nécessaires prévues par la loi. En l'occurrence, la conversion de musulmans à une autre religion ne doit aucunement donner lieu à des pressions, à des interdictions et à des restrictions à l'encontre des fidèles convertis et des responsables religieux de la communauté protestante.

117. Le Rapporteur spécial constate le profond traumatisme suscité à la suite des assassinats des pasteurs protestants dirigeants de leur communauté et fervents défenseurs de la tolérance et de la non-discrimination fondées sur la religion ou la conviction; il s'associe à la vive émotion que ces assassinats ont provoquée. Quels que soient les motifs de ces actes criminels, le Rapporteur spécial les condamne vigoureusement et souhaite vivement la disparition de tels crimes afin que la communauté protestante, ainsi que toutes les autres communautés, puissent pleinement vivre sans crainte, ni contrainte, ni autocensure.

118. Le Rapporteur spécial salue enfin l'amorce d'une amélioration constatée dans certains domaines et certains cas, dont la liberté de circulation, et encourage son extension à tous les droits reconnus dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.



__________________

*/ Veuillez trouver ci-après un rectificatif à ce document paru le 29 février 1996 sous la cote E/CN.4/1996/95/Add.2/Corr.1


Paragraphe 70



A la dernière phrase, remplacer les deux dernières lignes par le texte suivant :

"groupes extrémistes qui existaient déjà avant la Révolution et qui souhaitent la disparition des baha'is."



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