La Lettre du Groupe E3D n° 2 - avril 1996

EDITORIAL

Dans cet éditorial comme dans le précédent, notre souci est de faire émerger la pertinence de nos thèmes de recherche. On peut noter qu'à travers les divers textes, le questionnement sur la reconversion semble acquérir une légitimité. C'est le thème dominant de cette seconde lettre. Au début du mois de mars, plusieurs membres du groupe E3D ont participé, à Brême, à la quatrième rencontre d'un réseau international sur la reconversion des industries d'armement regroupant syndicalistes, universitaires et représentants de mouvements de la paix, d'Allemagne, de France et du Royaume Uni. La rubrique A l'étranger est totalement consacrée à la présentation et l'analyse de l'expérience brêmoise de reconversion. Le thème de la reconversion est encore au coeur du texte de Thierry Sauvin qui met l'accent sur la nécessité de donner une dimension territoriale au procès de reconversion industrielle. Bien que moins développé cette fois-ci, le thème de la Défense est néanmoins présent dans cette nouvelle lettre, il fait l'objet d'un commentaire critique d'un ouvrage collectif américain sur la stratégie navale de la Chine dans la rubrique A propos. Le thème du développement durable que faute de place nous n'avons pu traiter ici, sera largement abordé dans notre prochaine lettre.
Cyrille MEGDICHE

A L'étranger

La reconversion dans l'Etat de Brême

Le landër de Brême : la troisième région de l'Union Européenne pour sa dépendance vis-à-vis des activités industrielles de défense.
Brême est la capitale du landër de Brême, petit territoire de 404 km² -le quart de la zone d'emploi de Brest- qui, outre la ville elle-même et sa banlieue, englobe Bremerhaven, son avant-port sur la mer du Nord. Cela représente un ensemble essentiellement urbain d'environ 800 000 habitants. Selon une étude communautaire de 19921, l'Etat de Brême est au début des années 90, la troisième région d'Europe -juste devant la Bretagne -par la part de ses emplois industriels de défense (2,74% des emplois totaux de l'Etat de Brême contre 0,55% en moyenne pour l'ensemble de l'Europe communautaire). En fait, en 1989, au moment où débute le processus de reconversion, 16% des emplois industriels de l'Etat de Brême étaient directement ou indirectement dépendants des activités de défense. Si l'Etat de Brême est particulièrement vulnérable quantitativement, du fait de l'impact sur l'emploi et la production des activités de défense, il l'est aussi qualitativement dans la mesure où 50% au moins des dépenses de Recherche-Développement (R-D) sont ici investies dans le domaine de la défense.
Tous les secteurs industriels de la défense se trouvent représentés sur le site brêmois.
* D'abord les chantiers de construction et de réparation navale, avec notamment le premier chantier allemand : Bremer Vulkan. Entre Brême et Bremerhaven, ce chantier emploie directement 6 000 salariés auxquels il faut ajouter 12 000 emplois de sous-traitance. A côté de ce mastodonte, on trouve aussi Lürssen, un chantier de taille plus modeste, spécialisé dans la construction de chasseurs de mines.
* Ensuite, l'électronique de défense avec STN Atlas Electronik et Deutsche Systemtechnik (DST). Rattachée depuis peu de temps au groupe Bremer Vulkan AG, STN Atlas Electronik compte 5000 emplois répartis entre Brême et Hambourg. DST (ex Philips) est une unité industrielle plus petite, elle emploie 800 personnes , 350 environ à Brême et le reste à Kiel2.
* Enfin l'aérospatiale avec à Brême une usine de Dasa-Airbus GmbH, filiale de DASA, de 3 600 salariés.
Au total, onze groupes industriels de défense sont représentés dans l'Etat de Brême, ainsi également qu'un grand institut de recherche militaire. Même si l'on s'écarte là des activités industrielles, il faut noter aussi la présence jusqu'en 1992 à Bremerhaven d'une base militaire américaine, ce qui accentuait encore la dépendance du landër vis-à-vis des activités de défense.
Visites d'entreprises
Lors de notre séjour nous avons pu visiter certaines entreprises et (ou) rencontrer les représentants de leur personnel.
* Le chantier naval Vulkan : le projet de bateau du futur
Contre coup d'une croissance externe sans doute trop rapide (acquisition des chantiers de Rostock et Wismar en ex RDA, prise de participation dans des chantiers russes et indonésiens), les chantiers navals Vulkan connaissent actuellement une situation de quasi-banqueroute qui hypothèque gravement leur avenir. Conséquence de cet avenir incertain, à Brême, au début du mois de mars, la construction de deux navires de passagers était totalement paralysée par l'action de sous-traitants qui refusaient de reprendre le travail tant qu'ils n'auraient pas été payés.
Dans ce contexte difficile, faute de pouvoir visiter le chantier, nous nous sommes faits présenter par les délégués du personnel le projet élaboré par les travailleurs de Vulkan d'un bateau du futur.
Ce projet est l'aboutissement d'une réflexion entamée voilà bientôt dix ans au sein de comités de travailleurs et portant sur la conception d'un bateau alternatif dont les normes de fabrication et de navigation respecteraient tout à la fois l'environnement, la santé et les conditions de travail des personnels intervenants dans ces deux phases.
Toxicité des matériaux utilisés, retraitement des déchets, aménagement paysager des abords de chantier, avantages et inconvénients respectifs des divers modes de propulsions, complémentarité du transport maritime avec les autres modes de transport, accidents de mer et du travail, effets des trépidations sur la santé du personnel navigant sont quelques uns des paramètres pris en compte dans la réalisation de ce projet global. Il s'agit en fait, du point de vue économique, d'un projet de minimisation des coûts sociaux et écologiques engendrés durant les phases de fabrication et d'utilisation des moyens maritimes de transport. Tendant à l'efficacité collective, ce projet reste totalement utopique, du moins tant que le système économique prévalant ne conduira pas les entreprises à prendre en compte la totalité des coûts (marchands et non-marchands) inhérents à leurs activités. Ce dernier constat n'est sans doute pas étranger au fait que ce projet n'a jamais obtenu l'assentiment de la direction des chantiers.
* Deutsche Systemtechnik (DST)
DST, ancienne filiale du groupe Philips, créée en 1925, exerce ses activités à Brême depuis 1962. L'entreprise, spécialisée dans l'optronique, la communication et les systèmes de simulation, a été rachetée par deux cadres dirigeants de Philips en 1990. Un troisième actionnaire est venu l'an dernier compléter l'équipe de direction.
Le capital social est de 36 millions de D.M et le chiffre d'affaires réalisé est de 170 millions de D.M. L'effectif est de 800 personnes, il est réparti sur les deux sites de Brême est de Kiel.
Travaillant presqu'exclusivement pour le militaire avant son rachat, l'entreprise est aujourd'hui présentée comme l'une des plus avancées dans le processus de reconversion vers des activités civiles. Les nouveaux dirigeants, anticipant sur la réduction des budgets militaires ont dès 1990 pris la décision de modifier la structure des activités. Ainsi, aujourd'hui, celle-ci se compose pour 23% d'activités fondées sur une technologie spécifiquement militaire, 23% sur une technologie duale, et 54% sur des productions civiles.
Les produits civils développés par DST sont par exemple: un système de gestion du trafic ferroviaire (localisation des trains), l'information et la sécurité des voyageurs des transports urbains, la gestion de parcs de camions, un instrument permettant d'identifier la provenance des ordures ménagères...
Le résultat de cette stratégie de reconversion est mitigé. Si les produits lancés rencontrent une réussite commerciale indéniable, l'entreprise n'arrive à assurer sa rentabilité que par ses activités militaires. L'entreprise est en effet confrontée à différents problèmes qui freinent sa reconversion: l'insuffisance et l'inadaptation de ses structures commerciales, l'absence de soutien public pour financer les projets civils, la difficulté culturelle de faire intégrer la logique de marché à des salariés principalement soucieux de performances technologiques et surtout le faible degré d'autonomie et de responsabilisation des différents services.
DST est aujourd'hui engagée dans une démarche de profonde modification de ses méthodes de management. L'objectif assigné à tous les membres de l'entreprise est le "service client", la méthode retenue est la gestion par projet. C'est une démarche de longue haleine et pourtant DST est pressée par le temps: l'insuffisance de ses résultats financiers va probablement conduire à des licenciements. Or DST, comme toute organisation en situation de crise aurait besoin de cohésion sociale. Si la direction l'avait obtenue jusqu'alors, l'avenir paraît beaucoup plus incertain.
* Dasa-Airbus GmbH
L'unité de Brême est un exemple d'intégration industrielle entre des fabrications civiles et militaires. Sur le plan civil, l'entreprise est spécialisée dans l'assemblage et l'équipement des ailes des avions Airbus. L'activité militaire porte sur la construction d'éléments de carlingue du Tornado. Cette production arrive actuellement en fin de série, devrait lui succéder la fabrication de l'Eurofighter. Les divers ateliers ont été conçus comme un modèle d'intégration duale; la spécificité militaire étant particulièrement limitée dans ce créneau de l'usinage et de la mise en forme des pièces d'aluminium. L'évolution du plan de charge ne se pose donc pas en terme de choix militaire/civil. Le groupe DASA (49 000 salariés en 1995), auquel est rattaché l'établissement brêmois, rassemble les activités aéronautiques du géant allemand Daimler-Benz, premier groupe industriel d'Europe. Sa création est récente -1989 -, elle résulte de la volonté affichée par Daimler-Benz dans les années 80 de créer un "groupe technologique intégré" et de devenir le premier constructeur aéronautique européen. L'absortion de l'avionneur hollandais Fokker est en partie la cause du déficit de 6 millions de D.M qu'accuse le groupe en 1995. Cette situation a amené le groupe à mettre en place un plan de restructuration -le plan DOLORES- qui devrait conduire d'ici 1998 à 8 800 pertes d'emploi environ (dont 2 000 sur le site brêmois).
En pratiquant en parallèle une réorganisation du travail à la japonaise, avec réduction des lignes hiérarchiques et extension des domaines de compétence des unités de production, Daimler envisage un profit réalisé à 20% dans le militaire et 26% dans le spatial. Le déclin du modèle rhénan n'est donc pas pour demain, même si l'expérience présente démontre que les conglomérats sont parfois fragiles. Le programme brêmois de reconversion des activités de défense
* Historique
L'origine de ce programme, souvent cité aujourd'hui en exemple dans les études sur la reconversion, remonte à 1989, année de création de la Fondation de Brême pour la Recherche sur la Reconversion et la Paix. Cette fondation, qui procède d'un mouvement de la paix particulièrement actif dans la région, va, la première, développer l'idée de la reconversion. Cette idée sera rapidement reprise par les comités de travailleurs qui vont se constituer autour de ce thème au sein des principaux établissements locaux du secteur de la défense, puis par I.G.Metal, le premier syndicat du secteur, qui va s'employer à fédérer ces initiatives dispersées pour réunir sur ce thème une réelle force revendicative.
Cette forte implication du monde du travail et du milieu associatif dans la réflexion sur la reconversion va amener le Parlement de Brême, au terme d'un large débat marqué par la tenue de trois tables rondes réunissant toutes les parties concernées, à adopter en Août 1992 le programme de reconversion de l'Etat de Brême.
* Les principaux aspects du programme3
Il s'agit avant tout d'un programme d'aide au financement de projets de reconversion. Au coeur du dispositif : - un fonds d'aide à la reconversion alimenté par l'Etat de Brême et l'Europe (via Perifra puis Konver) ; - un comité consultatif à la reconversion où sont représentés les directions et comités de travailleurs des entreprises du secteur de la défense, les chambres de commerce, des métiers, du travail, les syndicats, l'université et les mouvements de la paix. Ce comité consultatif tient auprès de l'exécutif brêmois le rôle de conseil en matière d'attribution des fonds de reconversion.
Sont aidés en priorité : - Les projets établis par des acteurs économiques locaux - Les projets tripartites associant un établissement du secteur de la défense un établissement du secteur civil et un centre de recherche. - Les projets de Recherche-Développement, c'est-à-dire sans application civile immédiate, mais riches à terme de potentialités dans des domaines nouveaux (environnement et sécurité notamment) sur lesquels la concurrence des PME civiles très performantes se fera aussi moins sentir.
Le programme de reconversion s'appuie également sur un ensemble de structures légères d'accompagnement réalisées parallèlement à partir d'autres sources de financement. Il s'agit principalement : - D'un centre universitaire de recherche sur les technologies de l'environnement - D'un institut pour le retraitement des eaux usées, véritable champ d'expérimentation et de mise en commun à des fins civiles des technologies de mesure et de simulation, de contrôle de systèmes à l'oeuvre aujourd'hui dans le domaine militaire - D'espaces industriels nouveaux (notamment dans l'ancienne base américaine de Bremerhaven) spécialement aménagés pour favoriser l'émergence de nouveaux coeurs de développement industriel.
* Un programme qui est resté à l'état de prototype
Brême présente peut-être le stade le plus avancé de la démarche en matière de reconversion. Ici, depuis les comités de travailleurs au sein des entreprises - avec parfois même l'adhésion de la direction, comme dans le cas de DST - jusqu'au niveau supérieur de l'Etat où ont été mises en place des structures démocratiques de débat, de réflexion et de participation à la prise de décision, la reconversion est l'affaire de tous, une véritable affaire régionale. Malgré cela le programme de reconversion n'en est toujours qu'à l'état de prototype.
Le programme de reconversion, en trois ans d'application, cela c'est traduit par la mobilisation d'environ cinquante millions de D.M pour créer ou sauver de 200 à 400 emplois. C'est un résultat bien modeste, mais à la mesure des efforts consentis: 50 millions de D.M, c'est dérisoire; cela ne représente pas 1% du C.A annuel du premier groupe industriel brêmois, Bremer Vulkan. Comment dans ces conditions espérer du programme une réelle reconversion?
Pour exister autrement qu'à échelle réduite, qu'à l'état de prototype, le programme brêmois aurait besoin d'une aide significative de l'Etat fédéral, du crédit des groupes financiers allemands, ce qui lui a été jusqu'à présent toujours refusé. Ces refus sont, à notre sens, révélateurs du fait qu'en Allemagne, comme ailleurs, ni les groupes industriels et financiers, ni les pouvoirs publics à aucun niveau que ce soit, n'ont encore renoncé à voir dans l'activité industrielle de défense, l'un des moteurs du développement économique. Ce qui manque en fait à la reconversion, c'est une véritable volonté politique de la faire aboutir.
Roland de Penanros, Marie Noëlle Le Nouail, Thierry Sellin
1-"The economic and social impact of reductions in defence spending and military forces on the regions of the Community" Commission of the european communities, Regional Development Studies,1992.
2-Hambourg et Kiel, respectivement à 100 et 200 kilomètres plus à l'Est, ne font pas partie de l'Etat de Brême.
3- Sur le programme de reconversion de Brême, voir aussi Wolfram Elsner "Instruments and Institutions of industrial policy at the regional level in Germany: the example of industrial defense conversion", Journal of Economic Issues, vol XXIX, june 1995

A propos de ...

John Wilson Lewis, Xue Litai, Stanford University Press. CA. 1994, 393 pages. "China's strategic seapower"
"Tahiti après la bombe : quel avenir pour la Polynésie ?" aux éditions l'Harmattan - 1995 - 190 pages
" Trade Unions and Defense Diversification " de Steve Schofield and Ian Davis DDI Trade Union Liaison Group Lothian Trade Union & Community Resource Centre Basement, 26 Albany Street EDINBURGH EHI 3QH

Vers une stratégie cohérente de conversion des activités militaires

Sous les effets conjugués de la crise de l'endettement international, de la dérive des prix des matériels militaires et de la nouvelle donne géopolitique mondiale, l'industrie de l'armement s'est retrouvée en surcapacité et dans la nécessité de procéder à des ajustements massifs [Smith, p. 10, 1993]. La situation est d'autant plus alarmante que l'ampleur de ces ajustements doit prendre en compte la chute déjà constatée de la demande mais aussi celle qu'il faut anticiper.
En France, les emplois directs dans le secteur industriel de la défense, après avoir culminé à 310 000 en 1982 ont depuis lors fondu de plus d'un quart essentiellement jusqu'en 1990 suite à la décrue des exportations françaises d'armement. De même, cette contraction d'activité est confirmée par la chute du chiffre d'affaires global de l'industrie de l'armement. Même si certains résistent mieux que d'autres, aucun secteur industriel de la défense n'est épargné [de Penanros, 1995].
Le déclin de ces activités et son incidence sur le niveau de l'emploi posent d'emblée la question de la conversion des activités militaires vers le civil qui appelle la définition de nouvelles stratégies d'entreprise mais aussi et surtout la prise en considération au sein de ces stratégies de la dimension locale.
Le processus de conversion des activités militaires vers des activités civiles ne peut être appréhendé sans prendre en considération les contraintes imposées par la "globalisation" de l'économie (incertitude économique, accentuation de l'internationalisation des économies, acuité de la concurrence) [Léon, Sauvin, 1994]. En effet, le processus de conversion des activités expose davantage ces entreprises, qui bénéficiaient de marchés relativement protégés, à la concurrence. Apparaît, dès lors, un impératif de compétitivité. Si l'adaptation de ces entreprises à ce nouvel environnement n'est pas aisée compte tenu de leurs contraintes de sentier c'est-à-dire de leur histoire, il n'en demeure pas moins que ces entreprises s'efforcent de conserver une cohérence stratégique se manifestant par une tendance au recentrage sur le métier de base.
Or, le recentrage correspond souvent à une stratégie défensive, c'est-à-dire de repli, de désengagement de certaines activités engendrant un resserrement de la gamme d'activités du groupe. Confrontées à des besoins de financement, les entreprises sont amenées à concentrer l'affectation de leurs ressources sur des domaines jugés prioritaires. "Le recentrage procède alors d'une réaction de conservation" [Batch, 1993]. Le recentrage est donc, dans ce cas de figure, synonyme de spécialisation. L'abandon d'activité peut être perçue comme étant un moyen de protéger les autres.
Cependant, cette stratégie défensive peut être un préalable à une stratégie offensive impliquant de nouveaux engagements notamment dans des secteurs d'activité civils. En effet, le recentrage constitue un axe de redéploiement pour les entreprises. Grâce aux fonds obtenus par les cessions d'activités, l'entreprise peut, par croissance externe, se positionner sur d'autres secteurs tout en conservant une cohérence avec son métier de base. Le recentrage est donc susceptible d'engendrer une diversification des activités mais cette diversification est cohérente puisqu'il existe un haut degré de proximité des branches d'activité de l'entreprise par rapport au métier. Celui-ci ne se définit pas par rapport à l'activité principale de la firme (une telle considération enlèverait au métier sa signification stratégique) mais comme la capacité de l'entreprise à combiner des savoir-faire afin de répondre à des demandes spécifiques et de les susciter. Non seulement le métier est la capacité de "faire" mais aussi celle de coordonner des activités de l'entreprise [Batch, 1993]. C'est la raison pour laquelle, le métier peut être interprété comme un système d'offre. Le recentrage sur le métier de base ne signifie donc pas un "retour aux sources" (activités originelles), il constitue plutôt un repositionnement sur un ensemble de compétences susceptibles d'être exploitées dans différents domaines d'activités.
Les entreprises de la zone d'emploi de Brest appartenant à l'industrie de l'armement possèdent indéniablement des compétences susceptibles d'être valorisées dans des domaines civils. Mais cette stratégie de valorisation des compétences ne peut être engagée individuellement, c'est-à-dire au seul niveau de l'établissement ou du groupe industriel. Une telle stratégie appelle l'intervention des collectivités locales (communes, département et région) au travers d'une politique industrielle et technologique afin de revitaliser le système productif local (SPL).
L'introduction de la dimension territoriale est nécessaire pour faciliter le processus de conversion industrielle. Il est donc impératif d'analyser les conditions de développement d'un SPL, les établissements industriels renforceraient leurs avantages concurrentiels, avantages liés au réseau d'interdépendances d'entités de statuts différents (diminution des coûts de transaction, économies d'échelle, circulation de l'information, réduction de l'incertitude, formation de la main d'oeuvre, ...). Aussi, il est possible d'établir une certaine cohérence stratégique entre l'appartenance au SPL et le recentrage sur le métier de base. Nous avons souligné précédemment que le recentrage se traduit par un désengagement de l'entreprise vis-à-vis de certaines activités. Or tout désengagement a pour conséquence une perte de compétences qui est, en fait, une contradiction par rapport à l'objectif de valorisation des compétences. Certes, il s'agit de sélectionner les compétences jugées prioritaires mais celles-ci n'existent et ne peuvent se développer sans les autres compétences a priori secondaires. La fonction du SPL serait de faciliter la réinsertion des détenteurs de connaissances. Il n'y aurait donc pas ou peu de fuites de compétences puisque celles-ci seraient captées, orientées vers d'autres entités appartenant au SPL [Le Nouail, de Penanros, Sauvin, p. 190, 1995]. Le fait d'appartenir à un SPL faciliterait le processus d'externalisation de certaines activités (suite au recentrage) dans le sens où ces activité désormais auxiliaires seront prises en charge par des entités du SPL avec lesquelles l'entreprise pourra nouer des relations marchandes et non marchandes (accords de coopération).
En outre, des relations de partenariat pourraient se développer avec d'autres entités appartenant à d'autres SPL faisant partie, par exemple, de l'Union Européenne. Par la constitution d'un réseau de SPL à l'échelle européenne, l'attractivité du territoire s'en trouverait alors renforcée et permettrait l'arrivée de nouvelles compétences constituant les bases d'un développement durable.
T. SAUVIN

Références bibliographiques

Batsch L. (1993), "Influence des structures productives et recentrage sur le métier", Economies et Sociétés, n° 19. Léon A., Sauvin T. (1994), De l'économie mondiale à l'économie globale, Working papers, CERETIM n° 94-03.
Le Nouail M.N., de Penanros R., Sauvin T. (1995), "Activités militaires et expériences de diversification dans la région brestoise", in Reconversion des industries de l'armement sous la direction de R. de Penanros, La Documentation Française.
Pecqueur B. (1989), Le développement local, Syros. de Penanros R. (1995), "Crisis and conversion in the French arms industry national and regional aspects", Conférence donnée à Pitlochry le 12 juillet.

Smith R. (1993), "Réduction des dépenses militaires : quel impact", Problèmes économiques, n° 2318, mars.



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