EDITORIAL
Dans cet éditorial comme dans le précédent, notre
souci est de faire émerger la pertinence de nos thèmes de
recherche. On peut noter qu'à travers les divers textes, le questionnement
sur la reconversion semble acquérir une légitimité.
C'est le thème dominant de cette seconde lettre. Au début
du mois de mars, plusieurs membres du groupe E3D ont participé,
à Brême, à la quatrième rencontre d'un réseau
international sur la reconversion des industries d'armement regroupant
syndicalistes, universitaires et représentants de mouvements de
la paix, d'Allemagne, de France et du Royaume Uni. La rubrique A l'étranger
est totalement consacrée à la présentation et l'analyse
de l'expérience brêmoise de reconversion. Le thème
de la reconversion est encore au coeur du texte de Thierry Sauvin qui met
l'accent sur la nécessité de donner une dimension territoriale
au procès de reconversion industrielle. Bien que moins développé
cette fois-ci, le thème de la Défense est néanmoins
présent dans cette nouvelle lettre, il fait l'objet d'un commentaire
critique d'un ouvrage collectif américain sur la stratégie
navale de la Chine dans la rubrique A propos. Le thème du développement
durable que faute de place nous n'avons pu traiter ici, sera largement
abordé dans notre prochaine lettre.
Cyrille MEGDICHE
A L'étranger
La reconversion dans l'Etat de Brême
Le landër de Brême : la troisième région de
l'Union Européenne pour sa dépendance vis-à-vis des
activités industrielles de défense.
Brême est la capitale du landër de Brême, petit territoire
de 404 km² -le quart de la zone d'emploi de Brest- qui, outre la ville
elle-même et sa banlieue, englobe Bremerhaven, son avant-port sur
la mer du Nord. Cela représente un ensemble essentiellement urbain
d'environ 800 000 habitants. Selon une étude communautaire de 19921,
l'Etat de Brême est au début des années 90, la troisième
région d'Europe -juste devant la Bretagne -par la part de ses emplois
industriels de défense (2,74% des emplois totaux de l'Etat de Brême
contre 0,55% en moyenne pour l'ensemble de l'Europe communautaire). En
fait, en 1989, au moment où débute le processus de reconversion,
16% des emplois industriels de l'Etat de Brême étaient directement
ou indirectement dépendants des activités de défense.
Si l'Etat de Brême est particulièrement vulnérable
quantitativement, du fait de l'impact sur l'emploi et la production des
activités de défense, il l'est aussi qualitativement dans
la mesure où 50% au moins des dépenses de Recherche-Développement
(R-D) sont ici investies dans le domaine de la défense.
Tous les secteurs industriels de la défense se trouvent représentés
sur le site brêmois.
* D'abord les chantiers de construction et de réparation navale,
avec notamment le premier chantier allemand : Bremer Vulkan. Entre Brême
et Bremerhaven, ce chantier emploie directement 6 000 salariés auxquels
il faut ajouter 12 000 emplois de sous-traitance. A côté de
ce mastodonte, on trouve aussi Lürssen, un chantier de taille plus
modeste, spécialisé dans la construction de chasseurs de
mines.
* Ensuite, l'électronique de défense avec STN Atlas Electronik
et Deutsche Systemtechnik (DST). Rattachée depuis peu de temps au
groupe Bremer Vulkan AG, STN Atlas Electronik compte 5000 emplois répartis
entre Brême et Hambourg. DST (ex Philips) est une unité industrielle
plus petite, elle emploie 800 personnes , 350 environ à Brême
et le reste à Kiel2.
* Enfin l'aérospatiale avec à Brême une usine de
Dasa-Airbus GmbH, filiale de DASA, de 3 600 salariés.
Au total, onze groupes industriels de défense sont représentés
dans l'Etat de Brême, ainsi également qu'un grand institut
de recherche militaire. Même si l'on s'écarte là des
activités industrielles, il faut noter aussi la présence
jusqu'en 1992 à Bremerhaven d'une base militaire américaine,
ce qui accentuait encore la dépendance du landër vis-à-vis
des activités de défense.
Visites d'entreprises
Lors de notre séjour nous avons pu visiter certaines entreprises
et (ou) rencontrer les représentants de leur personnel.
* Le chantier naval Vulkan : le projet de bateau du futur
Contre coup d'une croissance externe sans doute trop rapide (acquisition
des chantiers de Rostock et Wismar en ex RDA, prise de participation dans
des chantiers russes et indonésiens), les chantiers navals Vulkan
connaissent actuellement une situation de quasi-banqueroute qui hypothèque
gravement leur avenir. Conséquence de cet avenir incertain, à
Brême, au début du mois de mars, la construction de deux navires
de passagers était totalement paralysée par l'action de sous-traitants
qui refusaient de reprendre le travail tant qu'ils n'auraient pas été
payés.
Dans ce contexte difficile, faute de pouvoir visiter le chantier, nous
nous sommes faits présenter par les délégués
du personnel le projet élaboré par les travailleurs de Vulkan
d'un bateau du futur.
Ce projet est l'aboutissement d'une réflexion entamée
voilà bientôt dix ans au sein de comités de travailleurs
et portant sur la conception d'un bateau alternatif dont les normes de
fabrication et de navigation respecteraient tout à la fois l'environnement,
la santé et les conditions de travail des personnels intervenants
dans ces deux phases.
Toxicité des matériaux utilisés, retraitement
des déchets, aménagement paysager des abords de chantier,
avantages et inconvénients respectifs des divers modes de propulsions,
complémentarité du transport maritime avec les autres modes
de transport, accidents de mer et du travail, effets des trépidations
sur la santé du personnel navigant sont quelques uns des paramètres
pris en compte dans la réalisation de ce projet global. Il s'agit
en fait, du point de vue économique, d'un projet de minimisation
des coûts sociaux et écologiques engendrés durant les
phases de fabrication et d'utilisation des moyens maritimes de transport.
Tendant à l'efficacité collective, ce projet reste totalement
utopique, du moins tant que le système économique prévalant
ne conduira pas les entreprises à prendre en compte la totalité
des coûts (marchands et non-marchands) inhérents à
leurs activités. Ce dernier constat n'est sans doute pas étranger
au fait que ce projet n'a jamais obtenu l'assentiment de la direction des
chantiers.
* Deutsche Systemtechnik (DST)
DST, ancienne filiale du groupe Philips, créée en 1925,
exerce ses activités à Brême depuis 1962. L'entreprise,
spécialisée dans l'optronique, la communication et les systèmes
de simulation, a été rachetée par deux cadres dirigeants
de Philips en 1990. Un troisième actionnaire est venu l'an dernier
compléter l'équipe de direction.
Le capital social est de 36 millions de D.M et le chiffre d'affaires
réalisé est de 170 millions de D.M. L'effectif est de 800
personnes, il est réparti sur les deux sites de Brême est
de Kiel.
Travaillant presqu'exclusivement pour le militaire avant son rachat,
l'entreprise est aujourd'hui présentée comme l'une des plus
avancées dans le processus de reconversion vers des activités
civiles. Les nouveaux dirigeants, anticipant sur la réduction des
budgets militaires ont dès 1990 pris la décision de modifier
la structure des activités. Ainsi, aujourd'hui, celle-ci se compose
pour 23% d'activités fondées sur une technologie spécifiquement
militaire, 23% sur une technologie duale, et 54% sur des productions civiles.
Les produits civils développés par DST sont par exemple:
un système de gestion du trafic ferroviaire (localisation des trains),
l'information et la sécurité des voyageurs des transports
urbains, la gestion de parcs de camions, un instrument permettant d'identifier
la provenance des ordures ménagères...
Le résultat de cette stratégie de reconversion est mitigé.
Si les produits lancés rencontrent une réussite commerciale
indéniable, l'entreprise n'arrive à assurer sa rentabilité
que par ses activités militaires. L'entreprise est en effet confrontée
à différents problèmes qui freinent sa reconversion:
l'insuffisance et l'inadaptation de ses structures commerciales, l'absence
de soutien public pour financer les projets civils, la difficulté
culturelle de faire intégrer la logique de marché à
des salariés principalement soucieux de performances technologiques
et surtout le faible degré d'autonomie et de responsabilisation
des différents services.
DST est aujourd'hui engagée dans une démarche de profonde
modification de ses méthodes de management. L'objectif assigné
à tous les membres de l'entreprise est le "service client",
la méthode retenue est la gestion par projet. C'est une démarche
de longue haleine et pourtant DST est pressée par le temps: l'insuffisance
de ses résultats financiers va probablement conduire à des
licenciements. Or DST, comme toute organisation en situation de crise aurait
besoin de cohésion sociale. Si la direction l'avait obtenue jusqu'alors,
l'avenir paraît beaucoup plus incertain.
* Dasa-Airbus GmbH
L'unité de Brême est un exemple d'intégration industrielle
entre des fabrications civiles et militaires. Sur le plan civil, l'entreprise
est spécialisée dans l'assemblage et l'équipement
des ailes des avions Airbus. L'activité militaire porte sur la construction
d'éléments de carlingue du Tornado. Cette production arrive
actuellement en fin de série, devrait lui succéder la fabrication
de l'Eurofighter. Les divers ateliers ont été conçus
comme un modèle d'intégration duale; la spécificité
militaire étant particulièrement limitée dans ce créneau
de l'usinage et de la mise en forme des pièces d'aluminium. L'évolution
du plan de charge ne se pose donc pas en terme de choix militaire/civil.
Le groupe DASA (49 000 salariés en 1995), auquel est rattaché
l'établissement brêmois, rassemble les activités aéronautiques
du géant allemand Daimler-Benz, premier groupe industriel d'Europe.
Sa création est récente -1989 -, elle résulte de la
volonté affichée par Daimler-Benz dans les années
80 de créer un "groupe technologique intégré"
et de devenir le premier constructeur aéronautique européen.
L'absortion de l'avionneur hollandais Fokker est en partie la cause du
déficit de 6 millions de D.M qu'accuse le groupe en 1995. Cette
situation a amené le groupe à mettre en place un plan de
restructuration -le plan DOLORES- qui devrait conduire d'ici 1998 à
8 800 pertes d'emploi environ (dont 2 000 sur le site brêmois).
En pratiquant en parallèle une réorganisation du travail
à la japonaise, avec réduction des lignes hiérarchiques
et extension des domaines de compétence des unités de production,
Daimler envisage un profit réalisé à 20% dans le militaire
et 26% dans le spatial. Le déclin du modèle rhénan
n'est donc pas pour demain, même si l'expérience présente
démontre que les conglomérats sont parfois fragiles. Le programme
brêmois de reconversion des activités de défense
* Historique
L'origine de ce programme, souvent cité aujourd'hui en exemple
dans les études sur la reconversion, remonte à 1989, année
de création de la Fondation de Brême pour la Recherche sur
la Reconversion et la Paix. Cette fondation, qui procède d'un mouvement
de la paix particulièrement actif dans la région, va, la
première, développer l'idée de la reconversion. Cette
idée sera rapidement reprise par les comités de travailleurs
qui vont se constituer autour de ce thème au sein des principaux
établissements locaux du secteur de la défense, puis par
I.G.Metal, le premier syndicat du secteur, qui va s'employer à fédérer
ces initiatives dispersées pour réunir sur ce thème
une réelle force revendicative.
Cette forte implication du monde du travail et du milieu associatif
dans la réflexion sur la reconversion va amener le Parlement de
Brême, au terme d'un large débat marqué par la tenue
de trois tables rondes réunissant toutes les parties concernées,
à adopter en Août 1992 le programme de reconversion de l'Etat
de Brême.
* Les principaux aspects du programme3
Il s'agit avant tout d'un programme d'aide au financement de projets
de reconversion. Au coeur du dispositif : - un fonds d'aide à la
reconversion alimenté par l'Etat de Brême et l'Europe (via
Perifra puis Konver) ; - un comité consultatif à la reconversion
où sont représentés les directions et comités
de travailleurs des entreprises du secteur de la défense, les chambres
de commerce, des métiers, du travail, les syndicats, l'université
et les mouvements de la paix. Ce comité consultatif tient auprès
de l'exécutif brêmois le rôle de conseil en matière
d'attribution des fonds de reconversion.
Sont aidés en priorité : - Les projets établis
par des acteurs économiques locaux - Les projets tripartites associant
un établissement du secteur de la défense un établissement
du secteur civil et un centre de recherche. - Les projets de Recherche-Développement,
c'est-à-dire sans application civile immédiate, mais riches
à terme de potentialités dans des domaines nouveaux (environnement
et sécurité notamment) sur lesquels la concurrence des PME
civiles très performantes se fera aussi moins sentir.
Le programme de reconversion s'appuie également sur un ensemble
de structures légères d'accompagnement réalisées
parallèlement à partir d'autres sources de financement. Il
s'agit principalement : - D'un centre universitaire de recherche sur les
technologies de l'environnement - D'un institut pour le retraitement des
eaux usées, véritable champ d'expérimentation et de
mise en commun à des fins civiles des technologies de mesure et
de simulation, de contrôle de systèmes à l'oeuvre aujourd'hui
dans le domaine militaire - D'espaces industriels nouveaux (notamment dans
l'ancienne base américaine de Bremerhaven) spécialement aménagés
pour favoriser l'émergence de nouveaux coeurs de développement
industriel.
* Un programme qui est resté à l'état de prototype
Brême présente peut-être le stade le plus avancé
de la démarche en matière de reconversion. Ici, depuis les
comités de travailleurs au sein des entreprises - avec parfois même
l'adhésion de la direction, comme dans le cas de DST - jusqu'au
niveau supérieur de l'Etat où ont été mises
en place des structures démocratiques de débat, de réflexion
et de participation à la prise de décision, la reconversion
est l'affaire de tous, une véritable affaire régionale. Malgré
cela le programme de reconversion n'en est toujours qu'à l'état
de prototype.
Le programme de reconversion, en trois ans d'application, cela c'est
traduit par la mobilisation d'environ cinquante millions de D.M pour créer
ou sauver de 200 à 400 emplois. C'est un résultat bien modeste,
mais à la mesure des efforts consentis: 50 millions de D.M, c'est
dérisoire; cela ne représente pas 1% du C.A annuel du premier
groupe industriel brêmois, Bremer Vulkan. Comment dans ces conditions
espérer du programme une réelle reconversion?
Pour exister autrement qu'à échelle réduite, qu'à
l'état de prototype, le programme brêmois aurait besoin d'une
aide significative de l'Etat fédéral, du crédit des
groupes financiers allemands, ce qui lui a été jusqu'à
présent toujours refusé. Ces refus sont, à notre sens,
révélateurs du fait qu'en Allemagne, comme ailleurs, ni les
groupes industriels et financiers, ni les pouvoirs publics à aucun
niveau que ce soit, n'ont encore renoncé à voir dans l'activité
industrielle de défense, l'un des moteurs du développement
économique. Ce qui manque en fait à la reconversion, c'est
une véritable volonté politique de la faire aboutir.
Roland de Penanros, Marie Noëlle Le Nouail,
Thierry Sellin
1-"The economic and social impact of reductions in defence
spending and military forces on the regions of the Community"
Commission of the european communities, Regional Development Studies,1992.
2-Hambourg et Kiel, respectivement à 100 et 200 kilomètres
plus à l'Est, ne font pas partie de l'Etat de Brême.
3- Sur le programme de reconversion de Brême, voir aussi Wolfram
Elsner "Instruments and Institutions of industrial policy at the regional
level in Germany: the example of industrial defense conversion", Journal
of Economic Issues, vol XXIX, june 1995
A propos de ...
John Wilson Lewis, Xue Litai, Stanford University Press. CA. 1994,
393 pages. "China's strategic seapower"
- Cet ouvrage est le deuxième volet d'une analyse déjà
entamée en 1988 avec "China builds the bomb" qui s'est
avéré devenir un classique en ce qui concerne la perception
d'un processus décisionnel dans un système politique autoritaire.
Substantiellement ce premier travail s'avère plus complet et plus
novateur que pourra apparaître au lecteur ce second livre. Cependant
l'originalité de l'ouvrage s'impose dans l'analyse fouillée
faite sur la manière dont la Chine Populaire s'est dotée,
dans une période relativement récente, d'une marine performante
dont le fleuron est constitué de sous-marins nucléaires fournis
par les soviétiques (Type kilo). Leurs performances constituent
une réelle menace pour la marine américaine qui reste dominante
en mer de Chine. La récente crise du détroit de Formose n'est
en rien faite pour calmer les inquiétudes des experts de Washington
qui estiment cependant que Pékin devrait mettre au moins deux décennies
pour se doter d'une véritable force navale efficiente et projetable
à distance.
- Les auteurs de l'ouvrage semblent confirmer cette façon de voir.
En détaillant les technologies utilisées, dont les soviétiques
sont les principaux, voire uniques pourvoyeurs, en faisant état
des voltes-faces politiques qui pèsent sur un personnel qui comme
dans toute armée a besoin d'une ligne stratégique destinée
à renforcer sa cohésion plutôt qu'à entretenir
le doute, ils relativisent par là même l'urgence de la menace.
D'un autre côté, l'amoncellement de détails et précisions
concernant les systèmes d'armes font que la question est posée
de savoir si les autorités chinoises ne tentent pas à travers
les divulgations de sources, naguère confidentielles, de mettre
en garde ses voisins immédiats contre une attitude négatrice
d'une super-puissance en devenir. Les réclamations concernant une
souveraineté effective sur les Iles Spratley pourraient aisément
passer pour un autre volet de cette politique.
- Ces réflexions permettent de mettre l'accent sur le point faible
de l'ouvrage : l'absence remarquable de questionnement sur l'évolution
de la pensée stratégique chinoise concernant l'espace maritime.
Dans le premier volume les auteurs suggéraient que derrière
la mise en place de cette stratégie nucléaire n'existait
aucunement une cohérence conceptuelle, ce second volume semble s'éloigner
de cette interprétation chimérique des choses, il n'en demeure
pas moins qu'ils suggèrent une représentation stratégique
a minima. Ce faisant on ne peut s'empêcher de penser que la vision
pacifiée de la Blue Water Navy chinoise est surtout destinée
à empêcher les auteurs de s'enfoncer dans les "hot waters"
des questions embarassantes. Seules les ultimes pages sont consacrées
à cette analyse stratégique, sans que l'on puisse clairement
identifier une proximité plus ou moins rapprochée avec la
doctrine officielle.
- Il reste que l'évolution récente des positions du gouvernement
chinois conduit à mettre en doute l'analyse privilégiant,
suivant la thèse officielle, l'aspect défensif de la stratégie
navale chinoise. La Pax americana est capable à moyen terme de protéger
l'espace régional pacifique, il n'en demeure pas moins que l'inquiétude
est de mise face à l'attitude chinoise et au rythme où les
crises navales semblent se propager, nul doute que nos auteurs trouveront
là matière à un futur et proche troisième tome.
- Thierry Sellin
"Tahiti après la bombe : quel avenir pour la Polynésie
?" aux éditions l'Harmattan - 1995 - 190 pages
- Cet ouvrage présenté par Jean Chesneaux professeur émérite
d'histoire est le résultat de plusieurs contributions. Parmi les
principales : - celle de Jean Jo SCEMLA journaliste à la Dépêche
de Tahiti et correspondant du Monde qui dans le chapitre I décrit
la Polynésie Française : l'identité maorie, la situation
générale du territoire, son histoire, ... - celles de Gilles
BLANCHET, chercheur à l'ORSTOM à Brest, docteur en Sciences
Economiques et en Sociologie et de Bruno BARILLOT, chercheur au Centre
de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits (CDRPC à
Lyon) qui dans les chapitres II à V évaluent l'impact du
CEP (Centre d'Expérimentation du Pacifique) sur la société,
l'économie, la culture politique du Territoire. Ensuite, ils analysent
la situation créée par la suspension des essais en 1992 et
ses conséquences. Ce qui conduit à examiner les principes,
les grands axes à partir desquels pourrait être engagée
une reconversion d'ensemble de la société polynésienne
après l'arrêt des essais. Enfin, ils esquissent un inventaire
des nouveaux acteurs sociaux qui seraient susceptibles de contribuer à
cette reconversion, d'être porteurs de projets nouveaux de société.
La lecture de cet ouvrage collectif riche, bien fait pourra inspirer différents
acteurs qui comme à Brest, Lorient, ... sont confrontés aux
problèmes de la (re)conversion des activités liées
à l'armement et à la Défense et qui veulent les aborder
dans une perspective de développement durable.
- Roger Abiven
" Trade Unions and Defense Diversification " de Steve
Schofield and Ian Davis DDI Trade Union Liaison Group Lothian Trade Union
& Community Resource Centre Basement, 26 Albany Street EDINBURGH EHI
3QH
- Ce rapport tente de définir le rôle des syndicats dans
un processus de diversification des industries de défense. Il a
été élaboré par Steve Schofield, cofondateur
du Projet sur la Démilitarisation (ProDem) et chercheur à
l'Université de Bradford, et par Ian Davis qui est actuellement
responsable du projet ProDem. Traitant d'abord du sujet au Royaume-Uni
puis du point de vue international avec les avancées diverses de
quelques pays (USA, Canada, France, Allemagne, Suède...), Schofield
et Davis abordent le problème en se plaçant à différents
niveaux de l'analyse économique. Ils montrent l'importance des budgets
civils de Recherche et Développement dans les tentatives ou projets
de reconversion. La crise que rencontre ce secteur doit faire réfléchir
et évoluer les mentalités. Pour les auteurs, les dirigeants,
profondément ancrés dans une culture de défense, ne
répondent que par l'indifférence ou l'hostilité face
au thème de la diversification. Les changements radicaux à
mettre en place ne peuvent s'effectuer que par la définition d'une
nouvelle orientation politique au niveau national mais aussi supranational.
La diversification doit être le résultat de la coopération
entre les entreprises, les universités, les instituts de recherche...
Cependant, les syndicats par leur connaissance des secteurs doivent être
à la base de ce défi, en étant de plus les intermédiaires
entre les entreprises et les collectivités régionales ou
locales. Il est primordial que les différents syndicats internationaux
sensibles à ce sujet puissent se communiquer les différentes
avancées qu'ils connaissent dans ce domaine. Ce rapport devrait
intéresser toutes les personnes se sentant concernées par
le devenir des industries de défense.
- Laurent Bourles
Vers une stratégie cohérente de conversion
des activités militaires
Sous les effets conjugués de la crise de l'endettement international,
de la dérive des prix des matériels militaires et de la nouvelle
donne géopolitique mondiale, l'industrie de l'armement s'est retrouvée
en surcapacité et dans la nécessité de procéder
à des ajustements massifs [Smith, p. 10, 1993]. La situation est
d'autant plus alarmante que l'ampleur de ces ajustements doit prendre en
compte la chute déjà constatée de la demande mais
aussi celle qu'il faut anticiper.
En France, les emplois directs dans le secteur industriel de la défense,
après avoir culminé à 310 000 en 1982 ont depuis lors
fondu de plus d'un quart essentiellement jusqu'en 1990 suite à la
décrue des exportations françaises d'armement. De même,
cette contraction d'activité est confirmée par la chute du
chiffre d'affaires global de l'industrie de l'armement. Même si certains
résistent mieux que d'autres, aucun secteur industriel de la défense
n'est épargné [de Penanros, 1995].
Le déclin de ces activités et son incidence sur le niveau
de l'emploi posent d'emblée la question de la conversion des activités
militaires vers le civil qui appelle la définition de nouvelles
stratégies d'entreprise mais aussi et surtout la prise en considération
au sein de ces stratégies de la dimension locale.
Le processus de conversion des activités militaires vers des
activités civiles ne peut être appréhendé sans
prendre en considération les contraintes imposées par la
"globalisation" de l'économie (incertitude économique,
accentuation de l'internationalisation des économies, acuité
de la concurrence) [Léon, Sauvin, 1994]. En effet, le processus
de conversion des activités expose davantage ces entreprises, qui
bénéficiaient de marchés relativement protégés,
à la concurrence. Apparaît, dès lors, un impératif
de compétitivité. Si l'adaptation de ces entreprises à
ce nouvel environnement n'est pas aisée compte tenu de leurs contraintes
de sentier c'est-à-dire de leur histoire, il n'en demeure pas moins
que ces entreprises s'efforcent de conserver une cohérence stratégique
se manifestant par une tendance au recentrage sur le métier de base.
Or, le recentrage correspond souvent à une stratégie
défensive, c'est-à-dire de repli, de désengagement
de certaines activités engendrant un resserrement de la gamme d'activités
du groupe. Confrontées à des besoins de financement, les
entreprises sont amenées à concentrer l'affectation de leurs
ressources sur des domaines jugés prioritaires. "Le recentrage
procède alors d'une réaction de conservation" [Batch,
1993]. Le recentrage est donc, dans ce cas de figure, synonyme de spécialisation.
L'abandon d'activité peut être perçue comme étant
un moyen de protéger les autres.
Cependant, cette stratégie défensive peut être
un préalable à une stratégie offensive impliquant
de nouveaux engagements notamment dans des secteurs d'activité civils.
En effet, le recentrage constitue un axe de redéploiement pour les
entreprises. Grâce aux fonds obtenus par les cessions d'activités,
l'entreprise peut, par croissance externe, se positionner sur d'autres
secteurs tout en conservant une cohérence avec son métier
de base. Le recentrage est donc susceptible d'engendrer une diversification
des activités mais cette diversification est cohérente puisqu'il
existe un haut degré de proximité des branches d'activité
de l'entreprise par rapport au métier. Celui-ci ne se définit
pas par rapport à l'activité principale de la firme (une
telle considération enlèverait au métier sa signification
stratégique) mais comme la capacité de l'entreprise à
combiner des savoir-faire afin de répondre à des demandes
spécifiques et de les susciter. Non seulement le métier est
la capacité de "faire" mais aussi celle de coordonner
des activités de l'entreprise [Batch, 1993]. C'est la raison pour
laquelle, le métier peut être interprété comme
un système d'offre. Le recentrage sur le métier de base ne
signifie donc pas un "retour aux sources" (activités originelles),
il constitue plutôt un repositionnement sur un ensemble de compétences
susceptibles d'être exploitées dans différents domaines
d'activités.
Les entreprises de la zone d'emploi de Brest appartenant à l'industrie
de l'armement possèdent indéniablement des compétences
susceptibles d'être valorisées dans des domaines civils. Mais
cette stratégie de valorisation des compétences ne peut être
engagée individuellement, c'est-à-dire au seul niveau de
l'établissement ou du groupe industriel. Une telle stratégie
appelle l'intervention des collectivités locales (communes, département
et région) au travers d'une politique industrielle et technologique
afin de revitaliser le système productif local (SPL).
L'introduction de la dimension territoriale est nécessaire pour
faciliter le processus de conversion industrielle. Il est donc impératif
d'analyser les conditions de développement d'un SPL, les établissements
industriels renforceraient leurs avantages concurrentiels, avantages liés
au réseau d'interdépendances d'entités de statuts
différents (diminution des coûts de transaction, économies
d'échelle, circulation de l'information, réduction de l'incertitude,
formation de la main d'oeuvre, ...). Aussi, il est possible d'établir
une certaine cohérence stratégique entre l'appartenance au
SPL et le recentrage sur le métier de base. Nous avons souligné
précédemment que le recentrage se traduit par un désengagement
de l'entreprise vis-à-vis de certaines activités. Or tout
désengagement a pour conséquence une perte de compétences
qui est, en fait, une contradiction par rapport à l'objectif de
valorisation des compétences. Certes, il s'agit de sélectionner
les compétences jugées prioritaires mais celles-ci n'existent
et ne peuvent se développer sans les autres compétences a
priori secondaires. La fonction du SPL serait de faciliter la réinsertion
des détenteurs de connaissances. Il n'y aurait donc pas ou peu de
fuites de compétences puisque celles-ci seraient captées,
orientées vers d'autres entités appartenant au SPL [Le Nouail,
de Penanros, Sauvin, p. 190, 1995]. Le fait d'appartenir à un SPL
faciliterait le processus d'externalisation de certaines activités
(suite au recentrage) dans le sens où ces activité désormais
auxiliaires seront prises en charge par des entités du SPL avec
lesquelles l'entreprise pourra nouer des relations marchandes et non marchandes
(accords de coopération).
En outre, des relations de partenariat pourraient se développer
avec d'autres entités appartenant à d'autres SPL faisant
partie, par exemple, de l'Union Européenne. Par la constitution
d'un réseau de SPL à l'échelle européenne,
l'attractivité du territoire s'en trouverait alors renforcée
et permettrait l'arrivée de nouvelles compétences constituant
les bases d'un développement durable.
T. SAUVIN
Références bibliographiques
Batsch L. (1993), "Influence des structures productives et
recentrage sur le métier", Economies et Sociétés,
n° 19. Léon A., Sauvin T. (1994), De l'économie mondiale
à l'économie globale, Working papers, CERETIM n° 94-03.
Le Nouail M.N., de Penanros R., Sauvin T. (1995), "Activités
militaires et expériences de diversification dans la région
brestoise", in Reconversion des industries de l'armement sous
la direction de R. de Penanros, La Documentation Française.
Pecqueur B. (1989), Le développement local, Syros. de
Penanros R. (1995), "Crisis and conversion in the French arms industry
national and regional aspects", Conférence donnée
à Pitlochry le 12 juillet.
Smith R. (1993), "Réduction des dépenses militaires
: quel impact", Problèmes économiques, n° 2318,
mars.