Palpitant de la première à la dernière
ligne !
La lecture de l’ouvrage du docteur
François PAOLI(1) a la force d’un roman
sans jamais sacrifier à la rigueur scientifique.
Renouveler Arthur Maxime CHUQUET,
Jean Baptiste MARCAGGI, Frédéric MASSON
voire ajouter à l’excellent livre de
Jean DEFRANCESCHI sur la question(2),
lequel avait tordu le cou à bien des
mythes falsificateurs sur les années de
jeunesse de Napoléon, telle est
l’entreprise qui vient d’être réussie
par ce médecin qui confirme ses
talents d’écrivain(3).
Comme l’écrit l’auteur lui-même,
il a fallu à nouveau écarter « les
fables et les légendes et même les
témoignages tardifs, erronés ou
douteux, y compris ceux émanant
du principal intéressé ou des membres
de sa famille… »
Le livre s’ouvre sur le capitaine
d’artillerie Napoléon Bonaparte
quittant définitivement la Corse, le
11 juin 1793, depuis le port de
Calvi pour rejoindre Golfe-Juan(4),
sa famille s’étant trouvée contrainte
de prendre parti contre Pascal
Paoli, U BABBU DI A PATRIA, pour
épouser définitivement la cause
française.
Il s’achève par l’évocation de la
même période où tout s’est joué
pour les BONAPARTE, de Lucien à
Napoléon.
Par le procédé du « flash back »
François Paoli remplit, avec bonheur,
avec son ouvrage l’intervalle
essentiel des années 1769 à 1793.
Campant les vies de Don Luciano
Bonaparte, curé à ses heures mais surtout
pilier véritable du clan familial, puis
de Carlo Maria le géniteur aux mille
facettes et facéties, l’auteur nous éclaire
sur ce Napoléon qui faillit être corse
avant tout et devint, peut-être, français
malgré lui.
Si Machiavel avait vécu au temps de la
Révolution Française, il aurait certainement
rangé Napoléon au premier rang
de la catégorie des « uomini virtuosi »
qui doivent leur salut non à la morale,
mais à cette capacité, rare, de se saisir
de l’occasion propice en violentant la
fortune pour s’approprier l’Histoire.
Le mérite de François Paoli est de tenir
son colossal personnage à distance
entre admiration et réserve.
Génie météore destiné à brûler pour
éclairer les siècles ou parvenu exceptionnel,
Napoléon n’a pas fini de susciter
les controverses passionnées.
Sa famille, qui ne mit jamais tous les
oeufs dans le même panier, constitue le
coeur même de l’incomparable réussite
du futur Empereur qui naquit quand la
Corse périssait après Ponte Novu.
Enfant d’Aiacciu « grosse bourgade
portuaire de trois mille neuf cents habitants
» à l’époque, Napoléon franchit
tous les obstacles de l’école d’AUTUN à
la garnison de VALENCE, avant de commencer
à prendre son envol avec le
siège de TOULON.
François Paoli apporte sa contribution
minutée et minutieuse à l’étude de la
formation politique et militaire de
Napoléon, revisitant les archives et
décortiquant les témoignages.
Révélant une connaissance pertinente
des choses de Corse à l’heure des
tumultes révolutionnaires, analysant la
portée du décret du 30 novembre 1789
rattachant la Corse à l’Empire français,
les Massacres de septembre 1792, le
décret du 2 avril 1793 mettant Pascal
Paoli hors la loi de la sinistre
Convention après la funeste et dérisoire
expédition de Sardaigne, l’ouvrage
parvient toujours à dégager
l’essentiel sans jamais céder à la caricature.
Est-il dès lors étonnant que l’auteur
nous rappelle combien Napoléon s’était
nourri des écrits de l’abbé Raynal
et avait fait sienne la fameuse tirade «
Peuples lâches, vous vous contentez
de gémir, quand vous devriez rugir ».
Ces rugissements entraîneront d’innombrables
gémissements que
François Paoli ne nous a pas contés
car ils dépassent son dessein.
Savourons donc cette « jeunesse
française », entre résistance et collaboration,
d’un personnage hors du
commun qui faillit devenir l’héritier
spirituel de Pascal Paoli(5), jeunesse
pétrie de ruptures et de regrets parce
que les circonstances feront préférer
à Napoléon la gloire à l’amour de sa
patrie et l’ordre martial à la vertu
civique.
Vincent Stagnara
(1) Publié aux Editions Tallandier 2005.
(2) Jean DEFRANCESCHI « La Jeunesse de
Napoléon, les dessous de l’histoire » Editions
Lettrage 2001
(3) On consultera avec intérêt le premier
ouvrage de François Paoli consacré à un pan
de l’histoire de Napoléon : « Le docteur
ANTOMARCHI ou le secret du masque »
PUBLISUD 1994.
(4) Même si l’auteur estime que Napoléon
revint une petite semaine dans l’île à son
retour d’Egypte.
(5) Nous conseillons vivement la lecture
du « Bonaparte et Paoli » de Charles
Napoléon aux Editions Perrin 2000.