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BIOGRAPHIE 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une terrible ascendance

 : 

Paris, 26 décembre 1883

, au pied de la Butte Montmartre, 8 rue du Poteau, Marie Clémentine Valadon, 

dite Suzanne Valadon, accouche vers 13 heures d’un garçon qu’elle prénomme Maurice et nomme 

Valadon. Le père est inconnu. C’est un â€˜fruit de l’amour’ comme elle le fut, elle-même, dix-huit années 

plus tôt. L’héritage familial est lourd puisque pour la mère, comme pour le fils, il se fonde sur l’absence 

d’une paternité reconnue, assumée, entière. Il faut donc remonter Ã  la grand-mère de Maurice Utrillo pour 

comprendre le contexte familial et social dans lequel l’artiste naît. 

Magdeleine Célina Valadon, née en 1830 Ã  Bessines-sur-Gartempe, en Limousin, est lingère lorsqu’elle 

épouse Léger Coulaud, un forgeron-mécanicien du village. Ce couple ordinaire, avec deux enfants dont 

l’un meurt en bas Ã¢ge, mène une vie ordinaire jusqu’à ce que Léger se fasse arrêter pour trafic de fausse 

monnaie. La sentence est sans appel. Condamné aux travaux forcés Ã  perpétuité, il meurt au bagne deux 

ans plus tard. Touchée Ã©galement par le scandale de cette affaire, Magdeleine s’éloigne un temps du 

village et trouve un emploi dans une auberge. Là, devenue veuve mais encore jeune, Magdeleine tâche 

de refaire sa vie. Pour son malheur, d’une liaison sans lendemain, lui naît une seconde fille, le 23 

septembre 1865. C’est Marie Clémentine Valadon, déclarée Ã  Bessines-sur-Gartempe de père inconnu. 

Au déshonneur se mêle la honte. 

Une nouvelle fois, sous l’opprobre public, Magdeleine se voit contrainte d’abandonner ses attaches 

familiales et son village. Son exil sera Ã  la hauteur de l’ostracisme d’une province conformiste, c’est-à-dire 

définitif. Elle n’a d’autre alternative que d’aller tenter sa chance dans une grande ville. Elle décide donc de 

‘monter’ Ã  la capitale, emmenant avec elle sa petite Marie Clémentine. 

A Paris, Magdeleine finit par s’établir Ã  Montmartre et reprendre son â€˜commerce’ de blanchisserie. Il suffit 

de voir les représentations contemporaines des blanchisseuses et repasseuse s par Degas pour se faire 

une idée de cette existence faite toute de labeur. Le XIX

è

 siècle déclinant ne sourit guère aux mères-

célibataires. Aux pénibles conditions de vie et de travail d’ajoutent les difficultés d’élever une enfant qui 

très tôt fait montre de caractère. 

La petite Marie Clémentine est ainsi placée dans une institution religieuse. Elle y souffre. De ce séjour 

forcé, elle conservera toujours le plus mauvais souvenir. Elle s’en Ã©chappe dès l’adolescence pour 

travailler comme apprentie couturière dans une maison de haute couture. Mais, instable et audacieuse, 

elle préfère se lancer Ã  la découverte de la vie animée de l’époque. Elle s’essaie au cirque. Une mauvaise 

chute de trapèze la ramène Ã  la réalité. Elle aide alors sa mère Ã  la boutique. Sise impasse Guelma, Ã  

Montmartre, celle-ci compte parmi sa clientèle, outre les bourgeois du quartier et les demi-mondaines de 

la place Pigalle, les rapins des ateliers d’artistes qui logent Ã  proximité. Une fille belle et désireuse de 

croquer la vie de ses jeunes dents avides ne pouvait laisser indifférent ce milieu artiste. Notre jeune 

ambitieuse devait Ãªtre fascinée par cette vie de bohème, apparemment libre, facile et gaie. Toujours est-il 

que de poses en aventures, notre grisette devient modèle. 

Dans son 

Montmartre, hier et aujourd’hui

, Jean-Emile Bayard décrira en 1925 l’étonnante ambiance de ce 

quartier : Â« Vivait Ã  cette Ã©poque Ã  Montmartre une population féminine médiocre et débauchée, sale et 

criarde, beaucoup de faux modèles, entôleuses le soir. A la place Pigalle, se tenait le rendez-vous de tous 

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les modèles ; il y avait des Â« Jésus Â» et des Â« Christ Â», des Â« saint-Jean Â» et des Â« saint-Pierre Â», des 

« Vierge Â» et des anges de tous les sexes, de tous les Ã¢ges et de tous les prix. La grisette de Montmartre 

m’est toujours apparue introuvable, sans doute se réfugiait-elle dans les bars de la rue Lepic, attendant 

les â€˜clients’. Avec elle, vivaient le plus souvent les pseudo-rapins, sans moyens d’existence précis. Â» 

Modèle occasionnel, Marie Clémentine apprend vite Ã  se faire apprécier des peintres. Elle intègre leur 

atelier et progressivement leur impose son charme et sa jeune beauté. Elle se choisit le surnom de 

Suzanne. Convoitée par les hommes, artistes ou pas, elle réussit ainsi Ã  se faire désirer. Elle doit compter 

sur  son caractère bien trempé pour s’assurer leur respect, voire leur aide. 

Notre grisette veut améliorer sa situation matérielle. C’est une femme bien déterminée Ã  se forger une 

position sociale. Paradoxalement, c’est dans cet univers d’artistes et de marginaux qu’elle trouve ses 

repères et se fixe une conduite. A cet Ã©gard, la venue du petit Maurice est malheureuse. 

Une enfance malheureuse, une adolescence tumultueuse

 : 

Fin 1883

, sur l’acte de naissance de Maurice Valadon, Suzanne se déclare encore â€˜couturière’, mais elle 

a déjà réalisé ses premières Ã©tudes dessinées. Un dessin de sa mère Ã  la sanguine et mine de plomb 

atteste de ses débuts prometteurs. La fréquentation des peintres a-t-elle suscité en elle une aspiration, 

pour ne pas dire une vocation, ou bien ne voit-elle en cette pratique qu’un moyen de s’assurer la 

sympathie, l’amitié, voire le soutien des artistes ? Que la démarche soit intéressée ou purement picturale, 

toujours est-il qu’à la naissance de Maurice, notre jeune mère n’a que dix-huit ans, encore un bel avenir 

de modèle et une envie folle d’être admirée, reconnue et aimée. Elle rencontre Puvis de Chavannes, 

peintre officiel, depuis longtemps Ã©tabli et couvert de commandes monumentales. 

Elle pose ainsi pour la préparation du 

Bois sacré, cher aux Arts et aux Muses

, grande décoration que 

celui-ci réalisa entre 1884 et 1891 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Elle racontera par la suite 

au critique d’art Adolphe Tabarant : Â« la journée terminée, souvent nous rentrions Ã  pied de Neuilly 

jusqu’à la Place Pigalle. Une course ! Alors tout au long du chemin, il ne cessait de parler… Il parlait, 

parlait doucement, lentement sans s’arrêter, bavardant de choses et d’autres. Il Ã©tait curieux comme une 

femme. Je l’écoutais marchant auprès de lui sans placer un mot. Â» Modèle attentif, respectueux du maître, 

elle devient sa maîtresse. 

Aussi confie-t-elle son fils aux bons soins de la grand-mère. De santé fragile, le petit Maurice est pris de 

convulsions, se montre irritable, mais souffre avant tout de l’absence de sa mère. La brave â€˜mère 

Coulaud’, femme bonne mais faible, ne saura pas plus Ã©duquer son petit-fils qu’elle ne sut Ã©duquer sa 

fille. Dépourvue de toute autorité, elle craindra même les colères de Maurice. A deux ans, il manifeste des 

crises d’épilepsie dont il conservera toujours quelques séquelles. Il réclame sa mère, et ne vit que dans 

son attente. 

Le temps s’écoule. Le petit Maurice est scolarisé. Il passe d’une Ã©cole communale Ã  l’autre. Cet univers 

nouveau ne convient guère Ã  son tempérament. Il doit apprendre Ã  vivre avec sa frustration d’enfant 

délaissé. Fermement déterminée, sa mère poursuit son chemin dans les ateliers des peintres et 

sculpteurs. Entre autres, Suzanne pose pour Renoir, Toulouse-Lautrec et le sculpteur Bartholomé. Elle 

pratique toujours le dessin. On lui connaît une sanguine sur papier représentant son fils Ã  deux ans… Elle 

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multiplie les croquis de son fils ou de sa mère. C’est de l’époque où elle posait pour Renoir que date 

l’autoportrait au pastel, aujourd’hui au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Cette vie lui réussit donc 

puisqu’elle acquiert les moyens de placer son fils dans une institution privée, l’école de la Flesnelle, rue 

Labat. Puis c’est l’école publique de la rue Becquerel. Mais Maurice ne s’adapte toujours pas. Il présente 

des difficultés d’apprentissage. 

Par la suite, il contera dans son autobiographie : Â« Je m’y conduis médiocrement, en sors ne sachant pas 

encore lire et passe sous  silence certaines gamineries inconséquentes. Â» Il se sent différent. Différent de 

se s camarades qui peuvent décliner le nom de leur père et dire ce qu’il fait. Différent surtout de ceux qui 

reçoivent toute l’attention et l’affection de leur mère. Lui, Ã  l’âge où l’on veut connaître ses origines, vit 

dans l’ignorance et le doute des siennes. Sans père, dépossédé d’une mère qui ne peut lui consacrer tout 

son temps et préfère la griserie d’une vie agitée, Maurice supporte de plus en plus mal cette grand-mère 

dont il doit subir l’ennui, les souvenirs, les histoires ou les remontrances. Par défaut, ou plutôt par 

manque, il sublime sa mère. Il l’imagine aussi idéale qu’elle est absente. En revanche, il hait ses 

fréquentations, tous ces hommes qui l’éloignent de lui et l’empêchent d’être heureux avec elle. Prisonnier 

de sa frustration, Maurice se laisse emporter par toutes les pulsions contradictoires que peut nourrir sa 

sensibilité excessive et quasi maladive. 

Maurice a huit ans. L’instabilité de son caractère et ses comportements psychotiques inquiètent de plus 

en plus Suzanne. Elle l’emmène Ã  l’hôpital consulter un pédiatre. Là, celui-ci déclare Maurice atteint de 

débilité mentale. Il estime qu’il faut l’interner dans un Ã©tablissement spécialisé. Vexée, Suzanne repart 

avec Maurice et le confie de nouveau Ã  sa mère.  

Suzanne Valadon reprend ses activités professionnelles et artistiques. Elle pose continûment, dessine, 

multiplie les aventures. Par l’intermédiaire du sculpteur Bartholomé, elle rencontre Degas. En découvrant 

se s dessins, celui-ci déclare sur le champ : Â« Ma fille, c’est fait, vous Ãªtes des nôtres… Â». Degas lui 

accorde et lui conservera toujours une aide indéfectible. Il lui Ã©crit ainsi : Â« Il faudra bien, malgré la 

maladie de votre fils, que vous vous remettiez Ã  m’apporter des dessins méchants et souples. Â» 

A l’occasion de l’exposition universelle de 1889, un certain Miquel Utrillo y Morlius revient Ã  Paris. Cet 

ingénieur, peintre, illustrateur, journaliste et critique d’art, a connu Suzanne au début des années 1880. 

Par la suite, celle-ci Ã©voquera leur liaison : Â« Avec Michel, j’ai vécu les meilleures années de ma jeunesse. 

A une Ã©poque où presque personne ne s’occupait de moi, lui m’encouragea, m’appuya et me soutint… Il 

fallait le voir déjà, Ã  l’époque, discuter avec les artistes célèbres… Il Ã©tudiait alors Ã  l’Institut Agronomique. 

De plus, il peignait, il dessinait… Nous vivions une vie d’art et de bohème. Â» 

Lorsqu’ils se retrouvent Ã  Montmartre, Suzanne et Miquel tentent de renouer les fils de cet amour déchiré. 

Le 27 janvier 1891, Miquel accepte même de reconnaître officiellement pour son fils l’enfant de Suzanne. 

Maurice s’est enfin trouvé un père. Il s’appellera désormais Maurice Utrillo. Plus tard il signera ses 

peintures de ce nom qu’il fera suivre d’un V., l’initiale originelle, l’abréviation pudique, l’aveu d’un manque. 

Malheureusement pour le garçon, la relation entre Suzanne et Miquel redevient tumultueuse. En janvier 

1893, Suzanne Valadon devient la maîtresse d’Erik Satie dont elle fit la connaissance par l’intermédiaire 

de Miquel. L’amant malheureux se retire définitivement, laissant derrière lui une belle sanguine sur papier 

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de Suzanne avec cette dédicace : Â« Souvenir de la guerre de sept ans Â». Il n’émane plus de ce visage aux 

traits sévères, durcis par les Ã©preuves, cet Ã©clat et ce charme qu’on lui reconnaissait sur la photographie 

de ses seize ans. 

La liaison avec Satie dure quelques mois, juste le temps pour Suzanne de peindre son portrait, 

aujourd’hui conservé au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Depuis quelques temps, en effet, elle 

est passée Ã  l’huile. Sa technique reste encore proche de celle du pastel. 

A partir de la seconde moitié de l’année 1894, Suzanne vit en ménage avec Paul Mousis, au 11, rue 

Girardon. Celui-ci, négociant en tissu, puis attaché Ã  la Banque de France, est un homme riche et bon. 

Outre la respectabilité, il offre Ã  Suzanne le confort et la possibilité de garantir Ã  son fils une meilleure 

éducation. La famille y gagne une stabilité nouvelle. Suzanne renonce aux amours sans lendemain, et se 

consacre davantage Ã  la peinture. En novembre, le couple s’établit au 2-4 rue Cortot, dans une maison 

qui permet Ã  Suzanne d’y aménager un atelier. 

Ses progrès artistiques sont encouragés par Toulouse-Lautrec et Degas, qui la surnomme 

affectueusement Â« cette diablesse de Maria Â». Afin de participer Ã  l’exposition de la Nationale de 1895, 

Degas engage Suzanne Ã  soumettre ses dessins Ã  Puvis de Chavannes. Le verdict du vieux maître est 

méprisant : Â« exposer Ã  la Nationale, vous n’y pensez pas ! D’abord, de qui Ãªtes-vous l’élève ? Vous Ãªtes 

modèle, vous n’êtes pas une artiste. Â» Qu’à cela ne tienne, Suzanne se passera de son soutien et sera 

reçue Ã  l’exposition. 

En 1896

, Maurice est présent au mariage de Suzanne Valadon et Paul Mousis. célébré Ã  la mairie du 

XVIII

è

 arrondissement. Depuis leur rencontre, Suzanne a acquis une certaine maturité et amélioré sa 

situation sociale et Ã©conomique. Grâce Ã  la fortune de Paul, elle peut inscrire Maurice en pension dans 

une Ã©cole primaire privée, l’institution Molin, Ã  Pierrefitte. Dans cette petite ville au Nord de Paris, Paul 

loue une maison, 18 avenue de Saint-Denis. Suzanne et lui viennent chaque dimanche rendre visite Ã  la 

mère de Suzanne et au petit Maurice. Le cordon ombilical semble renoué. A l’école, où son accoutrement 

de citadin le fait distinguer de ses camarades, Maurice se révèle un enfant capable mais sans motivation. 

Il demeure agité, voire insupportable. En 1897, il obtient son certificat d’études primaires Ã  Aubervilliers. 

L’année suivante (1897-1898), il intègre la cinquième du collège Rollin, avenue Trudaine, Ã  Paris. Il réside 

toujours Ã  Pierrefitte chez sa grand-mère. Il réussit une bonne année, reçoit quelques prix et passe en 

4

ème

. Malgré une année 1898-1899 assez médiocre, il décroche une mention de Â« Morale Pratique Â» et un 

prix d’excellence ! Admis dans la classe supérieure, Maurice se fait dès lors remarquer par ses absences, 

son indiscipline, sa négligence en cours, son irrégularité. Il passe en conseil de discipline, le 9 janvier 

1900. On le juge incapable de poursuivre ses Ã©tudes. Il quitte le collège. 

Les tentatives commerciales et l’apprentissage de l’alcool

 : 

Fév rier 1900

, grâce Ã  l’entregent de Paul Mousis, Utrillo entre en qualité de surnuméraire au service d’un 

représentant de commerce. Il n’y reste que quatre mois. Son beau-père devra ainsi le recommander Ã  de 

multiples reprises auprès des banques et des Ã©tablissements commerciaux. A chaque fois, Maurice s’y 

fait remarquer par son mauvais caractère et ses accès de colère. Dans son autobiographie, Utrillo conte 

une version romanesque de ses Â« débuts dans le commerce Â». Il n’y mentionne pas le rôle pourtant 

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bienveillant de Paul Mousis, mais reconnaît qu’il Ã©tait Â« alors un jeune homme terrible, incompatible Ã  la 

carrière commerciale sous quelque forme qu’elle se présente Â». Il Ã©tait d’autant moins disposé Ã  

embrasser la Â« carrière commerciale Â» qu’il découvrait au même moment les mystères de la dive bouteille 

et ses effets secondaires. Sa fragile santé en est immédiatement affectée. Alcoolique, cédant facilement Ã  

la colère, le jeune homme devient un Â« terrible Â» perturbateur. 

En 1901

, la fréquence et la violence accrue des crises de Maurice obligent sa famille Ã  déménager. Elle 

s’installe Ã  Sarcelles, près de Montmagny et Pierrefitte. En 1914, Utrillo décrira cet Ã©pisode : Â« â€¦m’étant 

fait remarquer un peu partout par ma jeune originalité, les braves P. [Pierrefittois] commencèrent Ã  jaser 

sérieusement et Ã  me considérer quelque peu comme déséquilibré. Heureusement, on partit habiter une 

commune distante d’environ deux Ã  trois kilomètres de P. [Pierrefitte]. Â» Là, Utrillo se laisse gagner par 

l’oisiveté et l’alcoolisme. Â« Je commençais au cabaret Ã  prendre la goutte en quelque amitié Â», Ã©crit-il 

dans son autobiographie. Involontairement ou pas, il provoque des Â« algarades Â» ou terrifie sa grand-

mère, qui n’est plus Ã  même de veiller sur lui. Parallèlement, Paul Mousis acquiert une petite vigne sur la 

Butte Pinson Ã  Montmagny. Il y fait construire un pavillon de trois Ã©tages, que la famille aménage en 

1905. 

En 1902

, Utrillo est installé au 2, rue Cortot, sur la Butte Montmartre. Il reste oisif. Il se souviendra plus 

tard que Â« dès cette Ã©poque, ou peu avant mon entrée chez le fabricant d’abat-jour, je m’exerçais déjà Ã  

confectionner quelques aquarelles, mais d’ailleurs fort détestables Â». Empruntant le matériel de Suzanne 

Valadon, il dessine ou peint, sans grande conviction. Peu lui importe, il est proche de sa mère et se 

montre plus calme. Un médecin, ami de la famille, le docteur Ettlinger, invite Suzanne Ã  le laisser faire : 

« Qu’il porte son intérêt sur quelque chose, puisque rien ne l’intéresse ! Â» Ses premiers essais picturaux 

sont maladroits. Maurice ne s’accroche pas. 

Toutefois, Ã  l’occasion des séjours Ã  Montmagny, en compagnie de Suzanne et Paul Mousis, Maurice 

réalise ses premiers paysages. Ils ne constituent encore qu’un dérivatif au même titre que l’alcool. Ce 

dernier, d’ailleurs, se révèle beaucoup plus puissant. Son pouvoir de séduction lui procure des sensations 

de bien-être que le quotidien ne lui offre pas. Il s’y Ã©vade. Il s’y libère autant qu’il se soumet Ã  son 

emprise. Son Ã©tat mental empire. Ses accès de colère sont plus fréquents ; ses cri ses, chaque jour, plus 

violentes. Paul Mousis, dont la bienveillance, la patience et l’indulgence sont mises Ã  rude Ã©preuve, est 

excédé. 

Le premier internement

 : 

Début 1904

, il faut convenir d’une décision et agir. Paul Mousis sollicite l’internement de Maurice. A cet 

effet il convie un médecin de quartier, le docteur Willette, le prie d’examiner son beau-fils et de rédiger le 

rapport d’examen qui doit faciliter son enfermement : Â« Le 9 janvier 1904, je soussigné docteur en 

médecine de la faculté de Paris, demeurant rue Lepic, ai Ã©té appelé rue Cortot, 12, pour examiner 

Monsieur Maurice Utrillo, Ã¢gé de vingt ans, demeurant chez son beau-père, Monsieur Mousis. […] Il est 

mince, de taille moyenne, d’apparence délicate. Le visage est amaigri, le regard mobile, inquiet, l’air 

soupçonneux. La parole est brève, impérieuse, légèrement saccadée. On sent pendant l’examen que je 

lui fais subir, l’impatience et la mauvaise humeur. Comme antécédents de famille, le père est alcoolique, 

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la grand-mère paternelle s’est suicidée. Comme antécédents personnels : Ã©levé au biberon, Monsieur 

Utrillo s’est bien porté jusque vers deux ans, Ã©poque où il a Ã©té atteint d’une gastro-entérite grave. Peu de 

temps après cette affection, il a commencé Ã  avoir des crises de convulsions survenant toutes les 

semaines et ayant duré  jusqu’à l’âge de cinq ans. Depuis, son Ã©tat s’est aggravé ; il est devenu vulgaire 

et grossier dans son langage, négligé dans sa toilette et dédaigneux des soins de propreté. Il y a une 

huitaine de jours, il s’est plaint de vertiges et a eu de fréquents accès de colère et de fureur qui ont Ã©té en 

augmentant au point qu’aujourd’hui, il s’est jeté, un couteau Ã  la main, sur sa mère. Puis, il s’est mis Ã  tout 

briser dans sa chambre et Ã  jeter des débris par la fenêtre. Un de ses accès de colère a Ã©té motivé par le 

fait qu’on lui avait pris un pistolet et de la poudre qu’il s’était procuré. Le jeune Utrillo, en raison de son 

état de santé, des symptômes qu’il présente, constitue un danger permanent pour les personnes qui 

l’entourent et il paraît nécessaire et urgent de le faire admettre dans une maison spécialisée où il pourra 

recevoir les soins que nécessite son Ã©tat et qu’il ne peut recevoir dans sa famille. Â» 

Muni de ce rapport et accompagné de deux témoins, Mousis se rend au commissariat du quartier de 

Clignancourt et obtient du commissaire la rédaction d’un procès-verbal qui déclare que Maurice Â« est 

atteint d’aliénation mentale et que son Ã©tat est de nature Ã  compromettre l’ordre public et la sûreté des 

personnes Â». Mis Ã  l’infirmerie du dépôt, Maurice est peu après mené Ã  l’hôpital Sainte-Anne Ã  Paris, 

dans le servie de psychiatrie du docteur Vallon. Une décennie plus tard, Utrillo inscrira cet Ã©pisode sur le 

compte de l’alcool : Â« A la suite de réitérées et nombreuses ingurgitations d’alcool dues au noir marasme 

où m’avaient plongé les inconsidérations des humains, j’en Ã©tais arrivé Ã  l’état d’alcoolique pur. Bientôt, il 

fut de toute nécessité de me faire admettre dans une clinique payante et ce, Ã  seule cause de calmer mes 

nerfs, 

une maladie nerveuse enfin

. Â» 

Le séjour de Maurice Ã  l’hôpital Sainte-Anne a vraisemblablement Ã©branlé le couple Valadon-Mousis. On 

le voit, Suzanne ne joue aucun rôle dans l’internement de son fils. Elle en est certainement affectée. Nous 

ne savons pas quelle fut son attitude ou sa réaction. Toujours est-il qu’à partir de cette Ã©poque, les Ã©poux 

se séparent, se retrouvent, vivent ensemble. Mais les liens demeurent distants. Quelque chose s’est 

brisé… 

Mi-mai

, le docteur Vallon certifie que Â« son Ã©tat est très amélioré Â» et qu’il Â« peut Ãªtre rendu Ã  sa famille Â». 

Maurice regagne Montmagny. Là, apaisé, il surprend par sa nouvelle attitude. Il se promène, erre dans la 

campagne, ne s’intéresse véritablement Ã  rien. Pour autant, on ne voudrait pour rien au monde troubler 

son Â« calme Â». On le laisse faire, ou plutôt ne rien faire… 

1905-1906. La période de Montmagny ou les débuts prometteurs

 : 

Toutefois, c’est, semble-t-il, dans cette période d’oisiveté, qu’Utrillo va s’orienter vers la peinture. Il peint Ã  

Montmartre, mais plus encore Ã  Montmagny et ses environs. Suzanne Valadon l’encourage de quelques 

conseils. Mais, pour l’essentiel, il découvre la peinture en autodidacte. Il utilise des petits cartons sur 

lesquels il pose ses couleurs par empâtements. Il emprunte sa technique aux impressionnistes â€“ des 

touches en virgules Ã  la manière d’un Pissarro ou d’un Sisley. Mais, il emploie des couleurs sombres, des 

ocres vertes et des ocres bleues. 

‘Il réalise ainsi un 

Paysage de Montmagny

, vers 1905, et 

Les Toits

, en 1906, aujourd’hui conservés 

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respectivement au musée des Beaux-Arts de Lyon et au musée d’Art Moderne du Centre Georges-

Pompidou. 

Les Toits

  représente un paysage de la banlieue Nord de Paris, noyé entre la végétation et les 

cheminées d’usine. Utrillo ne s’occupe guère du dessin. Il n’effectue aucune recherche de composition 

particulière. Le 

Paysage de Montmagny

 est abordé de front et 

Les Toits

 sont vus en plongée.  

C’est alors qu’il se lie d’amitié avec André Utter, tout jeune artiste, de deux ans son cadet. En 1938, celui-

ci rapportera leur rencontre : 

« J’avais vingt ans Ã  peine et j’étais venu me reposer d’une vie montmartroise assez dissolue dans la 

région, Ã  l’époque très champêtre, de Pierrefitte-Montmagny, la banlieue Nord de Paris. C’est là que je 

retrouvais en 1904-1905 un certain Â« Maurice Â», ainsi qu’on l’appelait Ã  Montmartre sur la Butte â€“ celui-là 

même qui devait devenir Maurice Utrillo […] Il avait Ã  l’époque, et garda cet aspect pendant près de trente 

ans, d’un Hamlet de tragi-comédie de tréteaux â€“ figure hâve, cheveux Ã©pars, coiffé d’un feutre bossué ; il 

allait gesticulant, vociférant â€“ on le sentait en proie Ã  une nervosité congénitale précoce que rien ne 

pourrait calmer. Cependant, il peignait… Â» 

1907-1908. La période impressionniste

 : 

Les deux amis s’accordent pour aller peindre ensemble sur la Butte Montmartre. Ils s’accordent 

également parfaitement pour aller boire ensemble. Selon la légende, Ã  la suite d’un après-midi trop bien 

célébré, Utter se serait vu obligé de raccompagner son camarade jusque chez lui. Il aurait ainsi fait la 

connaissance de Suzanne, dont la relation sentimentale avec Paul Mousis se détériorait progressivement. 

A l’avenir, Utter accompagnera toujours plus volontiers son camarade dans le dédale montmartrois, quitte 

à l’abandonner ensuite pour rejoindre Suzanne… Utrillo a-t-il déjà conscience de perdre son unique ami ? 

Par chance, Utrillo apprécie sa nouvelle existence de peintre. Nourri, logé, entretenu, il Ã©chappe aux 

préoccupations et aux contraintes du quotidien. Par la pratique de la peinture, il peut vivre plus 

sereinement sa marginalité. C’est un artiste ! 

Du même coup, il Ã©vite l’enfermement, tant physique â€“ il va peindre dans les rues de Montmartre et dans 

la région de Montmagny â€“ que psychologique â€“ la peinture est une fenêtre ouverte sur le monde. Aussi 

met-il plus d’application Ã  se perfectionner. De recherches en tâtonnements, il sent qu’il conquiert sur la 

toile et sur lui-même un espace dans lequel il parvient Ã  s’exprimer. Demeurant sous l’influence de Sisley 

dont il vient de voir le récente exposition rétrospective, il structure davantage ses compositions. Leur 

profondeur est plus Ã©tudiée. Les lignes gagnent en fermeté. Le dessin est approfondi. La facture reste 

épaisse. Le blanc va devenir la matière Ã  partir de laquelle il déploiera son art. 

Pour l’heure, il ne se préoccupe guère de la vente de ses tableaux. Il n’a pas vraiment de marchand. Il 

dépose ses peintures, Ã  droite ou Ã  gauche, chez qui veut bien les vendre. Sur la Butte Montmartre, 

Anzoli, l’encadreur, Ã©tabli rue de la Vieuville, le père Sérat, l’ancien boucher Jacobi et Clovis Sagot, les 

proposent pour une somme encore très modique. Utrillo ne se fait aucune illusion et se soucie donc peu 

de leur valeur marchande. Il aspire surtout aux encouragements et Ã  la reconnaissance. 

1909-1914. La période blanche

 : 

C’est la grande Ã©poque d’Utrillo. En ces quelques années, il va exprimer la quintessence de son art. 

Pourtant, cette période n’est pas la moins agitée de la vie d’Utrillo. 

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1909

, au printemps, Utrillo se découvre un premier amateur. Il rapporte l’anecdote quelques années plus 

tard : 

« Un certain jour de Prairial 1909, j’eus l’heur de plaire Ã  un certain mécène, en l’époque célèbre 

commissaire-priseur qui eut l’heureuse inspiration de m’acheter quelques paysages. Moyennant quelques 

références que j’avais obtenues par la suite de la complaisance sympathique d’un peintre partisan de mes 

Å“uvres, j’eus l’incommensurable bonheur d’obtenir de deux de mes paysages la somme de deux cents 

francs. Ce fut le premier amateur sérieux et intelligent qui s’intéressa vivement Ã  mes productions d’Art. Â» 

Ce mécène qui deviendra l’année suivante son marchand, c’est Louis Libaude. Visitant la galerie de 

Clovis Sagot, il remarque une représentation de 

Notre-Dame de Paris 

par Utrillo. Aussitôt, il s’enquiert de 

la vente de la peinture auprès de Suzanne Valadon. On conserve cette correspondance : 

« Madame, n’ayant pas de nouvelles de mon ami Emile Bernard, je ne sais s’il vous a fait la commission 

dont je l’avais chargé, avant son départ. Je l’avais prié de vous dire que je serais acquéreur du tableau de 

votre fils, 

Cathédrale N.-D. de Paris

, vu par moi chez Sagot, au prix de cinquante francs. 

Ce prix vous paraîtra peut-être modique, mais les tableaux m’ont déjà Ã©té offerts par un marchand Ã  75 

francs.  

Il serait nécessaire, bien entendu, que je revoie ce tableau pour le reconnaître et Ã©viter toute confusion. 

Ce prix resterait entre nous â€“ je n’achète plus guère d’œuvres de jeunes, mais je fais exception pour 

Monsieur votre fils parce que son talent m’intéresse particulièrement. Â»  

C’est en effet de cette dernière Ã©poque que datent les premières représentations de cathédrales, 

notamment celles de Paris et de Reims. On relève dans le même temps l’attitude de Libaude qui tente de 

négocier directement l’achat de la peinture avec Suzanne plutôt que de reverser une commission Ã  Sagot 

qui avait reçu le tableau en dépôt-vente. 

1909

, c’est Ã©galement la première participation de Maurice Utrillo Ã  une exposition publique. Il présente 

deux peintures au Salon d’Automne, dont un 

Pont Notre-Dame

. Même si les Å“uvres passent inaperçues, 

l’événement est capital dans la vie de Maurice. Il effectue Ã  cette occasion son entrée officielle dans le 

monde des arts. C’est déjà une certaine forme de reconnaissance. En outre, cela signifie qu’Utrillo a 

acquis une maturité certaine dans l’expression picturale. Il n’est donc pas surprenant que 1909 soit une 

année de grande production tant par la quantité que par la qualité. 

1909 

enfin, marque la rupture du couple Valadon-Mousis. Les Ã©poux sont séparés. André Utter qui a 

réussi la conquête de Suzanne, vit Ã  ses côtés en permanence. Les amants occupent l’atelier du 12 rue 

Cortot, juste en face de l’appartement de Paul Mousis ! Blessé, ce dernier entame une procédure de 

divorce. Dans le courant de l’année, Suzanne, André, Maurice et la grand-mère Coulaud, emménagent 

dans le pavillon de la Butte Pinson, Ã  Montmagny. 

1910

, l’année débute assez mal pour Suzanne. Paul Mousis lui reproche ses dépenses. Depuis qu’il se 

sait trompé, il lui refuse tout, attendant que le divorce soit prononcé. A Montmagny, les difficultés 

financières, résultant de cette rupture, s’accumulent. Suzanne et Maurice n’ont guère de ressources. 

André Utter est un jeune peintre sans fortune personnelle. Il semble bien qu’Utrillo soit obligé de travailler 

un temps aux carrières de plâtre de Montmagny. Ce qui ne l’empêche aucunement d’assurer toutes les 

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stations de son chemin de croix Ã©thylique, allant de provocations publiques en postes de police. Utter doit 

souvent intervenir comme camarade et comme père protecteur. Quand il ne travaille, ni ne peint, Utrillo 

essaye de vendre ses peintures. 

Adolphe Tabarant fait remonter Ã  1910 la rencontre anecdotique entre Maurice Utrillo et Francis Jourdain. 

De retour Ã  Paris, un après-midi d’ivresse, Utrillo se rend Ã  la galerie Druet, rue Royale, pour proposer ses 

tableaux. Tabarant rapporte la scène : 

« Utrillo fit une apparition chancelante et complètement avinée portant sous le bras des cartons peints. 

Francis Jourdain se trouvait là. Il voyait devant lui cet individu se raidissant et marchant comme un 

automate qui fit le tour de la salle en présentant Ã  qui voulait les lui acheter ses Å“uvres  sans dire un mot. 

Personne ne prenait le temps de jeter un coup d’œil. 

On s’amusait de son intervention inopinée. L’une de ses peintures, 

Arbres en fleurs Ã  Montmagny

 (un 

carton de 10), attira l’attention de Francis Jourdain qui la fit remarquer Ã  Druet en lui conseillant de 

l’acheter. Mais, c’est Monsieur Chappedelaine, le comptable de la maison, qui offrit quarante francs Ã  

Utrillo qui s’empressa d’accepter. Â» 

Parallèlement, Louis Libaude qui sent s’épanouir le talent d’Utrillo, tente, de son côté, d’acquérir ses 

tableaux. Il fait le tour des dépôts-vente de Montmartre dans lesquels l’artiste a pu laisser quelques 

Å“uvres, et les achète sur le champ. Il s’en procure une bonne demi-douzaine qu’il revend avec succès… 

1911

, la séparation entre Paul Mousis et Suzanne est confirmée par la Cour d’Appel du tribunal de la 

Seine. Le divorce est prononcé aux torts de Suzanne qui parvient néanmoins Ã  conserver le pavillon de la 

Butte Pinson, Ã  Montmagny, ainsi que la maison-atelier du 12, rue Cortot, Ã  Montmartre. Elle a donc 

réussi Ã  sauver plus que les meubles. Et, Ã  l’âge où la beauté perd de son Ã©clat, elle redécouvre le grand 

amour avec André Utter, d’une vingtaine d’années plus jeune qu’elle. Cet Ã©panouissement se ressentira 

jusque dans sa palette qui gagne en intensité et coloris. Elle emploie plus d’une dizaine de couleurs pour 

se s natures mortes. 

1911

, pour Utrillo, c’est la poursuite de ses déambulations alcooliques. Il peint, certes ; mais se grise 

toujours d’alcool Ã  outrance. De l’outrance Ã  l’outrage, il n’y a qu’un verre qu’Utrillo descend allègrement. 

Le 10 mai, la 11

è

 Chambre du tribunal correctionnel de Paris l’accuse d’ivresse et d’outrage Ã  la pudeur 

pour avoir, le 12 avril précédent, place du Tertre, mis Â« Ã  nu ses parties sexuelles sur la voie publique aux 

regards des passants Â». Le jour du jugement, le peintre se rappelait-il avoir commis cet attentat Ã  la 

pudeur ? C’est peu probable. La cour le condamne Â« Ã  cinquante francs d’amende pour le délit et Ã  cinq 

francs d’amende pour la contravention. Â» 

En automne

, Utrillo fait la connaissance d’un personnage singulier, César Gay. Cet ancien gardien de la 

paix tient sur la Butte Montmartre, 1 rue Paul Féval, un débit de boisson, le â€˜Casse-Croûte’. Il est 

également propriétaire d’un restaurant, 33 rue du Mont-Cenis, que lui loue Marie Vizier sous l’enseigne de 

‘La Belle Gabrielle’. Là, Maurice Utrillo trouve gîte, couvert et boisson. Le père Gay et Marie Vizier lui 

permettent de peindre dans l’arrière-salle de leur café. Pour le contraindre Ã  travailler sérieusement, ils le 

‘bouclent’ parfois et le privent de vin. Dans l’impossibilité de s’échapper, il s’applique alors Ã  terminer ses 

peintures. Le père Gay les accroche alors dans la salle de son café. La vente heureuse de ses tableaux 

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permet Ã  Maurice Utrillo de bénéficier de sa protection. Il passe ainsi jour et nuit de l’un Ã  l’autre de ces 

estaminets. Par affection pour Marie Vizier qu’il surnomme la â€˜Belle Gabrielle’, il refait toute la décoration 

picturale de son restaurant. Tabarant nous rapporte qu’il ira jusqu’à peindre une composition sur les murs 

des toilettes ! Utrillo conserva toujours Ã  l’égard de César Gay une sincère amitié, qui Ã©tait réciproque. Il 

lui enseigna un certain temps sa manière de peindre et lui dédicaça, beaucoup plus tard, son 

autobiographie. 

En ces lieux, Utrillo se découvre, en quelque sorte, une seconde famille qui non seulement l’accepte, mais 

lui reconnaît Ã©galement du talent. Sa notoriété d’artiste s’étend sur toute la Butte Montmartre et tend Ã  

égaler celle, non moins importante, d’alcoolique invétéré. A la suite de Clovis Sagot et de Louis Libaude, 

d’autres marchands se disputent ses tableaux. Henri Delloue, marchand Ã©tabli 66 rue de Clignancourt, 

remarque Ã  son tour ses peintures, lors d’une visite au â€˜Casse-Croûte’. Paris s’apprête Ã  accueillir Utrillo. 

1912

 Libaude, qui a parfaitement senti la valeur montante des peintures d’Utrillo, décide de passer Ã  

l’échelle supérieure et traite directement avec le peintre. Utrillo devient une affaire commerciale. Aussi, 

Libaude lui Ã©tablit-il une convention d’exclusivité, par laquelle Utrillo s’engage Ã  lui remettre toute sa 

production en Ã©change de revenus modestes, mais réguliers. Cette rente mensuelle va assurer la stabilité 

financière de la famille. Les prix des peintures de Maurice rivalisent déjà avec ceux que Suzanne obtient 

pour ses toiles. André Utter, quant Ã  lui, ne croit guère en son propre talent, et va progressivement 

abandonner la peinture pour veiller avec Suzanne aux intérêts de Maurice. Mais force est de constater 

que l’accord passé entre le peintre et le marchand ne sera pas respecté, du fait de chamailleries entre 

Valadon et Libaude… 

En av ril

, Maurice Utrillo expose six peintures chez Druet. C’est Jourdain qui, Ã  la suite d’un tirage au sort, 

désigne Utrillo pour participer Ã  la troisième exposition de groupe de la galerie Druet. Les six paysages de 

retiennent guère l’attention des visiteurs. Libaude demeure le marchand qui croit le plus en l’avenir 

d’Utrillo. Adolphe Tabarant rapporte que Â« Francis Jourdain accompagnant le docteur Elie Faure chez 

Libaude Ã  quelques jours de là, fut surpris d’y voir quantité de tableaux en provenance de chez Druet. Il 

en acquit deux pour deux cent cinquante francs. Il fut si content qu’il amena tous ses amis chez Libaude, 

à commencer par Mirbeau qui arrêta son choix sur un Utrillo rappelant, disait-il, les Pissarro de la 

meilleure Ã©poque. Il amena Paul Gallimard, puis les frères Kapferer. Tous achetèrent chez Libaude des 

Utrillo Â». 

Mais Libaude a des prétentions de chef d’entreprise et s’imagine régler la production d’Utrillo en fonction 

de la demande. Le 18 avril 1912, il Ã©crit Ã  l’artiste : 

« Depuis les premiers jours d’avril vous m’apportez un tableau tous les deux jours. Cela est beaucoup 

trop et je crains que cette production hâtive ne nuise Ã  votre peinture. Je crois qu’on ne peut acquérir une 

réputation sérieuse qu’avec un travail assidu. Â» 

De telles recommandations déplaisent Ã  Suzanne qui accepte d’autant plus mal les exigences du 

marchand qu’elle estime son fils mal rétribué. Elle menace Libaude de divulguer ses prix. Et, craignant 

que l’œuvre de Maurice ne soit monopolisée dans les mains d’un seul marchand, elle n’hésite pas Ã  

cacher quelques tableaux afin de les vendre sur la Butte Montmartre, en cas de nécessité. Finalement, 

background image

Suzanne Valadon consent Ã  les céder Ã  Libaude pour une centaine de francs. 

Fin av ril-début mai

, la santé de Maurice se dégrade Ã  vue d’œil. Tabarant fait appel Ã  Libaude pour qu’il 

prenne en charge l’hospitalisation de l’artiste. Le marchand récuse tout engagement Ã  son Ã©gard et tient 

même Ã  préciser par courrier qu’ Â« il n’y a jamais eu de traité régulier entre Utrillo et moi. Il n’y a eu â€“ et il 

n’y aura jamais â€“ qu’une convention morale Â». Envenimées, les relations entre Suzanne et Libaude 

deviennent vite exécrables. Après quelques rencontres houleuses, Libaude accepte de payer 

l’internement de Maurice. Il Ã©crit Ã  Valadon : Â« Le docteur Elie Faure m’indique la Maison du docteur 

Revertégat Ã  Sannois qui consentirait Ã  se charger de votre malade pour 300 francs par mois. Â» Elie 

Faure démentira, plus tard, avoir Ã©té l’intermédiaire entre Libaude et Revertégat. Fin mai, Maurice Utrillo 

intègre docilement sa clinique, sise 17 rue Rozée, Ã  Sannois. Accueilli avec chaleur, traité avec 

bienveillance, Utrillo recouvre vite sérénité et santé. Dans ses mémoires, il ne manque pas de rappeler ce 

séjour dont il conservera toujours l’heureux souvenir : 

« Là-haut, sur les hauteurs de la colline de Sannois, la vue s’étend vaste et profonde dans un cercle 

visuel d’un rayon d’au moins sept lieues terrestres, mais en reportant ses regards sur le village cité plus 

haut, on aperçoit une maison quelque peu bourgeoise que nulle enseigne ou plaque de publicité ne 

dépare.  

C’est là que las des humains, de leurs tracasseries et quelque peu fatigué par les abus de l’alcool, 

réglementaires en ce charmant quartier de Montmartre, c’est dans ce séjour hospitalier, calme et 

silencieux, que je dirigeai mes pas vers le courant de ce printemps fleuri de cette année 1912. Cette 

maison médicale dirigée par un docteur d’élite excluait toutes maladies mentales (voire fous 

inguérissables), Ã©pileptiques, morphinomanes, furieux et autres infirmités qui déparent par suite des 

débauches des hommes, la triste humanité.  

On m’y reçut très bien, nourriture excellente, comme boisson de l’eau pure, aseptisée, chambre très 

confortable, parc conséquent et toutes sortes de distractions. Permission de fumer et café après le 

déjeuner et l’après-midi Ã  quatre heures. Hélas, que n’ai-je profité des conseils humanitaires de cet 

aimable docteur qui me recommandait d’une manière formelle de m’abstenir de toute liqueur alcoolique. 

Je n’aurais Ã©té entraîné par la suite dans le tourbillon des turpitudes humaines. Â» 

En attendant, il lui est permis de sortir de la clinique. Se référant au système de l’‘open-door’, qui traite les 

malades mentaux comme des pensionnaires de passage, le docteur Revertégat essaye, dans les limites 

de l’acceptable, de préserver l’autonomie de ses patients. Puisqu’Utrillo est un artiste, il l’encourage donc 

à aller peindre dans les environs. Ainsi Utrillo en profite-t-il pour se promener et exécuter des peintures 

dans les rues de Sannois, sur la butte du mont Trouillet ou sur la route de Saint-Ouen-l’Aumône. Cette 

liberté encadrée lui est agréable. Qui plus est, la thérapie se révèle efficace. Fin juillet, sur la proposition 

d’un ami de la famille, le médecin accepte qu’Utrillo aille en Bretagne finir sa convalescence. 

Louis Libaude, qui apprend la nouvelle, tient immédiatement Ã  rappeler au peintre ses engagements. Il lui 

adresse la lettre suivante, le 27 juillet 1912 : 

« J’ai appris que vous alliez quitter Sannois pour aller en Bretagne. Je tiens Ã  vous rappeler, avant votre 

départ, que je serai heureux désormais d’avoir exclusivement des toiles de 25. Les tableaux que je vous 

background image

ai achetés, tout récemment, sont déjà piqués, et je serais obligé de vous demander pour ce motif 

quelques petites retouches, lors de votre retour Ã  Paris. Il est entendu que vous voudrez bien me livrer six 

toiles par mois et que vous n’en ferez pas d’autres pour personne. Je pense que nous sommes bien 

d’accord, j’espère que nous le resterons longtemps, ce qui sera profitable Ã  vous comme Ã  moi. Â» 

Richmond Chaudois, l’inspirateur du voyage, Suzanne Valadon et André Utter emmènent ainsi Maurice 

Utrillo se reposer sur l’île d’Ouessant. Les estivants séjourneront plus de deux mois dans l’île. Là, 

respectant la volonté de Libaude â€“ pas plus de six peintures par mois â€“ Utrillo ne semble pas avoir peint 

plus d’une douzaine de paysages ainsi que deux petits cartons. Suzanne Valadon signa ces tableaux du 

nom de son fils conformément au désir du marchand qui trouvait la signature d’Utrillo trop empâtée… 

Fin octobre

, tout le monde est de retour Ã  Paris. Utrillo participe alors au Salon d’Automne. Il y expose 

deux peintures : une 

Rue Ã  Sannois

, et une 

Rue au Conquet

. Nous ne connaissons pas la réaction du 

public, si réaction il y eut. 

Décembre 1912

, la santé d’Utrillo se dégrade. Il faut de nouveau l’admettre dans la clinique de Sannois. 

1913

, excepté un voyage de deux mois en Corse, en automne, Maurice Utrillo passe pratiquement toute 

l’année dans la clinique du docteur Revertégat Ã  Sannois. Pour autant, 1913 n’est pas une année morte 

puisque ses Å“uvres vont Ãªtre exposées, notamment au Salon des Artistes Indépendants. Suzanne 

Valadon et André Utter, qui participent personnellement Ã  l’exposition, se chargent de présenter ses 

tableaux. 

Louis Libaude reconnaît sincèrement la valeur et le talent de son artiste. Pour cette raison et compte tenu 

de leur accord, il n’accepte pas d’être la dupe des manigances d’Utrillo et encore moins de celles de 

Suzanne Valadon. Aussi, début mars 1913, lui adresse-t-il ce courrier : 

« Il y a tableau et tableau comme il y a fagot et fagot. Il est bien entendu que dans le cas où vous 

m’offririez des toiles de la même qualité que celle que je vous ai achetées Ã  vous ou Ã  Madame Valadon, 

les 13 et 14 janvier derniers, et que vous avez mises en réserve (

Une rue Ã  Sannois

, l’

Eglise du Conquet

Villepreux

, etc.), toiles que je considère Ã©videmment comme supérieures, je n’hésiterais pas Ã  vous les 

payer le même prix (50 francs). J’espère que vous voudrez bien me réserver la première vue. Â» 

Afin d’être parfaitement compris, Libaude croit bon d’assurer sa mainmise sur le peintre et l’avertit une fois 

de plus : 

« Vous savez que nous n’avons intérêt ni l’un ni l’autre Ã  laisser tomber les cours que j’étais arrivé Ã  

établir pour vos tableaux. Or, cela se produira forcément si vous vendez des toiles Ã  des marchands qui 

ne peuvent les garder, et qui sont obligés pour vivre, de les réaliser dans un bref délai. Â» 

Puisqu’il bénéficie du quasi monopole de sa production, Libaude décide l’organisation Ã  la Galerie Eugène 

Blot de la première exposition particulière de Maurice Utrillo. Cette galerie est bien située dans le 8

è

 

arrondissement, au 11, rue Richepanse. Qui plus est, c’est un ami de Libaude. Aussi celui-ci n’éprouve-t-il 

guère de difficultés pour le convaincre de l’intérêt d’une exposition Maurice Utrillo. Libaude prend en 

charge la rédaction du catalogue qu’il préface sous le pseudonyme de Louis Lormel. 31 peintures des 

années 1912-1913 sont ainsi exposées du 26 mai au 1

er

 juin 1913.  

Seul Adolphe Tabarant, dans 

L’Action

 du 31 mai 1913, rédige, sous le pseudonyme de â€˜l’amateur avisé’ 

background image

une critique de l’exposition. Deux peintures, seulement, trouvent un acquéreur. Le public ne boude pas 

l’exposition ; il reste indifférent. C’est donc un Ã©chec. Libaude est désemparé. Il estime une nouvelle fois 

qu’Utrillo produit trop et que cette abondance de peintures dessert tout le monde. Aussi adresse-t-il Ã  

Suzanne Valadon le 28 juin 1913 la lettre suivante : 

« Pour vous Ãªtre agréable ainsi qu’à votre fils, je m’étais engagé Ã  lui prendre six tableaux par mois, Ã  la 

condition, bien entendu, que ces tableaux me plaisent et qu’il n’en fasse pas davantage. Or, en avril, j’ai 

eu 8 tableaux ; en mai, j’en ai eu 10 (dont un de 100 francs) ; en juin, j’en ai eu 15 !… C’est vraiment trop. 

La peinture d’Utrillo m’intéresse beaucoup, vous le savez, mais enfin, je ne peux me laisser entraîner Ã  

des achats qui sont, pour moi, exagérés, puisque je n’en vends pas ou si peu ! 

Chez moi, depuis un an, je n’ai vendu qu’un seul tableau : Ã  Monsieur Ducker, envoyé par vous. 

J’ai voulu parler de ces choses ce matin Ã  Utrillo, mais il m’a dit que cette question d’affaire lui Ã©tait 

désagréable. 

Je crois donc devoir m’adresser Ã  vous pour vous rappeler qu’il doit faire six tableaux par mois, et pas 

plus, suivant nos conventions, pendant son séjour de deux mois en Corse, et sans engagement de ma 

part pour l’avenir, bien entendu. Â» 

Le voyage fut retardé. Ce n’est qu’en octobre que Maurice Utrillo, Suzanne Valadon et André Utter partent 

pour la Corse. Ils s’établissent Ã  Belgodère en Haute-Corse. Dans son autobiographie, Utrillo retient de ce 

séjour une carte postale littéraire : 

« La Corse est un pays pittoresque et agréable Ã  parcourir. Rien n’y manque, la Mer, les Montagnes 

principalement et la forêt, le maquis où maints brigands célèbres s’illustrèrent. J’ai souvenance de 

certaines femmes en apparence, et peut-être en réalité, innocentes qui me plaisaient quelque peu. En 

Corse, le vin est bon, la nourriture quoique Ã©picée est potable et supérieure Ã  celle de beaucoup de 

restaurants parisiens. Â» 

Outre le souvenir d’avoir Ã©vité de justesse une chute dans un précipice, Utrillo ramène de ses excursions 

à dos de mulet en Haute-Corse, une vingtaine de toiles parmi lesquelles on relève des représentations de 

l’

Eglise de Murato

, du 

Couvent de Piedicroce

, du 

Couvent au pied du Mont Cinto

, d’une 

Rue Ã  Corte

Peu après son retour, par l’intermédiaire de sa mère, Utrillo fait la rencontre d’un nouveau marchand d’art, 

Monsieur Marseille. Ce propriétaire d’une galerie de la rue de Seine se montre vivement intéressé par 

l’œuvre d’Utrillo et lui propose un généreux contrat. Découvrant le danger de cette concurrence, Libaude 

s’empresse d’écrire Ã  Suzanne Valadon : 

« Je suis en pourparlers pour vendre plusieurs Utrillo. Cela me redonne du courage et je vous demande 

de ne rien conclure avec Monsieur Marseille avant l’expiration de notre convention. Â» 

Mais l’offre de Marseille qui prévoit Ã  Maurice Utrillo un revenu mensuel de 400 francs contre l’ensemble 

de sa production, sans limite d’aucune sorte, ne peut souffrir la comparaison avec les exigences de 

Libaude. L’accord est promptement conclu. Pour son malheur, Utrillo profite de cette entrée d’argent frais 

pour reprendre ses pérégrinations alcooliques sur la Butte Montmartre. On le retrouve au â€˜Casse-Croûte’ 

ou chez la â€˜Belle Gabrielle’. La sanction ne se fait pas attendre. A Noël, Utrillo doit de nouveau subir une 

cure de désintoxication dans la clinique du docteur Revertégat. 

background image

1914

, tout le premier semestre de l’année, Maurice Utrillo est Ã  Sannois. Retrouvant l’atmosphère sereine 

de l’hôpital, Utrillo se remet Ã  peindre avec entrain. Sa production est abondante. Qui plus est, ses 

peintures trouvent des acquéreurs. En effet, le 2 mars 1914, sous la responsabilité du directeur des docks 

de Marseille, plusieurs particuliers mettent aux enchères leurs collections. Divers Utrillo sont ainsi mis en 

vente par Maître Henri Beaudoin, commissaire-priseur, assisté de MM. Josse, Bernheim-Jeune et Druet. 

Sous le curieux titre de Â« La Peau de l’Ours Â», la vente Ã  l’hôtel Drouot Ã  Paris dépassa toutes les 

espérances. 

Louis Libaude croit pouvoir en profiter pour renouer de bonnes relations avec Utrillo et ses proches. Il Ã©crit 

ainsi Ã  André Utter, ce même mois de mars : 

« J’espère que Maurice Utrillo ne me traitera pas moins bien que Monsieur Marseille, Ã  qui il a livré 24 

toiles en trois mois. Â» 

Visiblement, Libaude a changé d’attitude puisqu’il souhaite que Â« le malade ne soit pas remis en liberté Â». 

Il s’en explique dans une lettre datée du 17 avril : Â« Il est Ã©vident, que si Utrillo sortait de sa maison de 

santé et recommençait Ã  inonder Montmartre de productions hâtives, je ne pourrais continuer de 

m’entendre avec lui. Â» Et il exige Â« au moins quatre toiles par mois de 20 ou de 25 Â». 

Fin av ril

 il renouvelle ses inquiétudes Ã  Suzanne Valadon : 

« Je ne peux que vous confirmer ce que je vous ai déjà dit souvent : Maurice Utrillo est un malade, 

probablement inguérissable, plusieurs médecins me l’ont dit, l’on ne peut tabler sur la production régulière 

d’un malade, non plus que sur l’exécution stricte de ses engagements. Voilà pourquoi je suis obligé de 

faire toutes réserve s pour le cas où Maurice Utrillo sortirait de sa maison de santé et ne serait plus sous la 

tutelle bienveillante de sa mère. Vous n’ignorez pas qu’il a Ã©té jusqu’à signer des toiles qui n’étaient pas 

de lui. Â» 

Le 15 j uin 1914

, abusé par le succès de Â« La Peau de l’Ours Â», le marchand Delloue propose quelques 

Utrillo Ã  l’Hôtel Drouot. Cette fois, la vente est un Ã©chec. L’

Eglise de Montmagny 

ne dépasse pas les 60 

francs. Delloue est même contraint de racheter une dizaine d’œuvres. 

Loin de ces spéculations, Utrillo demeure Ã  Sannois. Réitérant sans cesse  ses impératifs, Libaude réussit 

à contrarier définitivement Suzanne Valadon et André Utter qui décident de mettre un terme Ã  leurs 

relations d’affaires. Le marchand en prend acte et leur Ã©crit le 14 juillet 1914 qu’il Â« rend sa liberté Ã  

Utrillo Â». Il est possible que l’échec de la récente ventre Delloue ait influencé cette séparation. 

A divers titres, 1914 marque la fin d’une Ã©poque. L’accord avec Libaude est brisé. Utrillo perd sa rente. 

Peu après, il quitte la clinique du docteur Revertégat pour se présenter aux autorités militaires. Le 29 

août, il est exempté pour raison médicale. Mais la guerre est dans tous les esprits. Dans ses  souvenirs, 

Utrillo note : Â« Que vouliez-vous que je fisse, me croiser les bras Ã  l’heure où tant de braves vont offrir en 

holocauste leur sang pour le sol natal ? Je m’adonnai Ã  mon Art et peignis de nouveau la Cathédrale de 

Reims. Ici, amis lecteurs, la plume m’est d’un secours impuissant pour expliquer le sentiment d’atroce 

amertume qui s’empara de mon Ã¢me et de tout mon Ãªtre Ã  la nouvelle de la destruction de cet admirable 

édifice… Â» Le 1

er

 septembre, Suzanne Valadon et André Utter s’épousent. Maurice perd un ami pour un 

beau-père. A la fin du mois, celui-ci s’engage sous les drapeaux. Suzanne se retrouve seule. Egalement 

background image

seul, Maurice s’en va rejoindre ses amis du â€˜Casse-Croûte’ et de la â€˜Belle-Gabrielle’… 

1914 

enregistre donc la fin de cette période dite Â« blanche Â». Elle aura Ã©té productive : on recense 

plusieurs centaines d’œuvres entre 1909 et 1914.  

1915-1924. La période colorée

 : 

Le 7 décembre 1914

, sous l’emprise de Â« ce démon pernicieux et fauteur de folie Â», ainsi qu’Utrillo l’écrira 

lui-même Ã  sa mère quelques jours plus tard, il frappe une dame François Ã  coups de casserole et brise la 

glace d’un avertisseur d’incendie ! Aussitôt arrêté et mené au commissariat du XVIII

ème

 arrondissement, il 

est peu après placé Ã  l’hôpital Sainte-Anne. Il y reste interné trois semaines. Il est alors transféré Ã  l’asile 

clinique de Villejuif. Sur le bulletin d’admission, le docteur Colin mentionne que Â« M. Maurice Utrillo est 

atteint d’alcoolisme chronique. Ethéromanie. Calme en ce moment, ne paraît pas présenter de délire Â». Le 

18 janvier 1915, il sort officiellement Â« guéri des troubles mentaux qui avaient motivé son entrée Â» ! Il est 

probable qu’Utrillo ait Ã©té remis en liberté pour Ãªtre immédiatement incorporé dans les armées en guerre. 

A peine sorti, Utrillo est en effet convoqué Ã  Argentan par les autorités militaires. Cependant le 20 janvier, 

compte tenu de ses antécédents et Ã  la suite d’un examen médical, il est définitivement exempté, par le 

Conseil de révision qui le déclare inapte au service national en raison de â€˜maladie nerveuse’. 

De retour Ã  Paris, Utrillo regagne son domicile du 12, rue Cortot, et reprend ses fréquentations sur la 

Butte Montmartre… Auprès de César Gay et de la â€˜Belle Gabrielle’, il exécute ses tableaux en recherchant 

de nouveaux accords de couleurs. Son autobiographie témoigne de cette Ã©volution : 

« Parmi les productions ou tentatives d’Art issues de mon cerveau, je retiendrai les productions que je 

confectionnai pour Monsieur Gay. Parmi les nouvelles nuances mauves et roses d’un ciel printanier, au 

contact dur et terne de plâtre rugueux, s’allie un franc caractère montmartrois. Â» 

Le 20 j uin 1915

, Ã  l’âge de 85 ans, la grand-mère Coulaud meurt. 

Tout au long de l’année, Maurice Utrillo Ã©grène ainsi les tableaux, les bistrots et les esclandres. Il n’est 

donc pas surprenant de le retrouver, ce 27 décembre 1915, Ã  l’hôpital de Villejuif. C’est André Utter, alors 

en permission, qui l’y conduit directement. Il est muni d’un certificat du docteur Revertégat qui décrit le 

peintre Â« atteint de dégénérescence mentale avec impulsions dipsomaniaques ayant amené un Ã©tat 

d’alcoolisme chronique avec des accès subaigus, accompagnés d’idées de persécution, d’interprétations 

délirantes, d’illusions sensorielles et d’excitations avec violences contre son entourage et bris d’objets. Il 

prétend que la bande de Montmartre le poursuit partout, envoie des Ã©missaires pour l’injurier ; que les 

femmes se moquent de lui dans la rue ou le provoquent. Il se voit entouré d’esprits malfaisants et le soir 

aperçoit des figures grimaçantes Â»â€¦ Utrillo reste interné plus de dix mois. 

C’est dire que Maurice Utrillo passe pratiquement toute l’année 1916 Ã  l’ombre des murs de l’hôpital de 

Villejuif. On demeure peu informé sur son séjour. On sait qu’il y peint. Une lettre qu’il adresse Ã  César 

Gay, le 28 septembre 1916, nous renseigne sur sa déplorable condition d’interné : 

« Ici, la vie n’est pas drôle du tout. Il faut s’y faire et se raisonner, dans ce milieu maladif… vous qui, 

privilégié, Ãªtes resté sur cette pittoresque butte, qu’y a-t-il de nouveau ? Que se passe-t-il ? Quels sont les 

potins du quartier ? […] Il est regrettable que les tristes faits qui m’ont conduit ici se soient passé s. Je 

serais Ã  mon aise près de vous, installé dans votre chambre, Ã  composer un motif de route aux maisons 

background image

peintes Ã  la chaux, ou tout autre ! Â» 

Le 8 novembre 1916

, le docteur Colin autorise enfin sa sortie. Utrillo Â« ne présente plus les troubles 

mentaux qui avaient motivé son entrée Â» et peut Â« Ãªtre rendu Ã  sa mère qui le réclame et s’engage Ã  le 

surveiller Â». 

Afin de le protéger, il semble bien que Suzanne ait envisagé de le marier Ã  son modèle, Gaby. Elle 

annonce ce mariage Ã  Tabarant. Cet espoir ne connaîtra aucune suite… 

Parallèlement, le milieu artistique parisien s’intéresse de plus en plus Ã  sa peinture. En mai 1917, 

Bernheim-Jeune présente Ã  l’occasion d’une exposition de groupe quelques-unes de se toiles dans sa 

galerie. Le marchand Delloue profite de la rupture entre Utrillo et Libaude pour nouer des liens plus 

solides. Il parvient Ã  devenir son principal marchand et lui loue une chambre d’hôtel, 70 rue des 

Poissonniers. 

En j uin 1917

, Suzanne Valadon part pour Belleville-sur-Saône rejoindre André Utter qui, blessé par un 

éclat d’obus, y séjourne en convalescence. Utrillo se retrouve seul. 

Il regagne sa Butte Montmartre et se fixe auprès de son ami César Gay. Redécouvrant l’alcool et son 

emprise, il se fait arrêter, le 18 août, rue Feurtrier, pour avoir brisé la vitrine d’une boulangère. Une fois de 

plus, Utrillo doit reconnaître son ivresse. Neuf jours plus tard, la 10

è

 Chambre correctionnelle le libère 

après l’avoir condamné Ã  une simple contravention. 

Le 30 j anvier 1918

, Utrillo désespéré s’adresse Ã  Delloue : 

« Très cher Monsieur, je suis dans un Ã©tat maladif d’énervement et de dépression physique, intellectuelle 

et morale, tout ce qu’il y a de plus inquiétant. Il faut absolument me faire soigner. Je ne peux travailler 

vraiment. J’ai Ã©crit Ã  ma mère pour qu’elle vous dise par lettre, elle qui me connaît si bien, l’état de 

déchéance dans lequel je suis. Je ne saurais assez reconnaître vos bontés, mais il me faut faire soigner 

dans une maison de santé. Cela est rigoureux. Â» 

Bien qu’il soit alors mobilisé sur le front, Delloue parvient Ã  le faire admettre dans la clinique du docteur 

Vicq Ã  Aulnay-sous-Bois. Il prend Ã  sa charge les frais d’internement. Utrillo y séjourne six mois Ã  partir du 

1

er

 mars. Malgré des soins attentifs et la liberté surveillée dont il bénéficie, Utrillo s’en Ã©vade, fin août. 

A la fin de l’année, sans argent et endetté vis-à-vis de Delloue qui a payé ses  soins, Utrillo conclut le 

contrat suivant : 

« Paris, le 19 novembre 1918, je soussigné, m’engage Ã  peindre, pour M. Henri Delloue, domicilié 66 rue 

de Clignancourt, Ã  partir de ce jour et jusqu’au 31 décembre de la présente année, 10 tableaux sur carton 

n°20, Ã  raison de 30 francs chacun. En foi de quoi, je signe de sang-froid et de bonne foi. Maurice Utrillo Â» 

Début 1919

, les prix des peintures d’Utrillo sont très bas. Gaston Bolâtre, marchand de la rue des 

Batignolles, les propose pour une trentaine de francs. Mais la guerre est terminée et les affaires 

reprennent. A la Galerie Durand-Ruel, Maître Lair-Dubreuil, commissaire-priseur, assisté de MM. 

Bernheim-Jeune, Durand-Ruel et Vollard, mettent aux enchères la collection Octave Mirbeau. 

La Maison 

rose, rue de l’Abreuvoir

, acheté Ã  Libaude en 1910, est vendu Ã  présent 1000 francs ! 

Peu après, passe en vente Ã  l’Hôtel Drouot, la collection d’Eugène Descaves. Celle-ci comprend cinq 

Utrillo. 

Notre-Dame de Paris 

est adjugé 1580 francs ; 

Carrefour Ternes

, 800 francs ; l’

Eglise d’Eaubonne

background image

950 francs ; un 

Moulin de la Galette

, 650 francs, et une 

Route Ã  Fontainebleau

, 910 francs. Eugène 

Descaves avait acquis ces Utrillo sur le conseil de son ami, le critique d’art Gustave Coquiot. 

Outre Delloue, divers marchand recherchent des Utrillo. Zborowski, le marchand de tableaux de 

Modigliani, entre en relation avec Maurice Utrillo. Il l’héberge dans un hôtel, 10 rue de Vaugirard. C’est 

cette adresse que mentionne Suzanne Valadon, le 9 juillet, lorsqu’elle décide de placer son fils Ã  la 

clinique du docteur Revault d’Allonnes, 10 rue de Picpus. Le 27 septembre, Utrillo en ressort dans un Ã©tat 

« très amélioré Â». 

A peine sorti, un amateur d’art, par ailleurs inventeur du premier moteur d’avion, Pierre Levasseur, 

soumet un contrat Ã  Maurice Utrillo que celui-ci s’empresse de ratifier et de signer le 10 octobre 1919. Ce 

contrat stipule : 

Art. 1 â€“ Monsieur Utrillo s’engage Ã  remettre Ã  Monsieur Levasseur toute sa production de toiles revêtues 

de sa signature, Ã©tant bien spécifié que cette production sera au minimum de sept toiles par mois, toiles 

de 12 Ã  30 (…) 

Art. 2 â€“ Au cas où cette production n’atteindrait pas mensuellement la quantité de toiles ci-dessus 

indiquée, le présent contrat serait résilié de plein droit si bon semble Ã  Monsieur Levasseur, et ce, sur 

simple lettre recommandée sans qu’il soit besoin d’aucune formalité judiciaire et sans qu’aucune 

indemnité soit de ce fait due Ã  Monsieur Utrillo. 

Art. 3 â€“ Monsieur Levasseur versera mensuellement et d’avance Ã  Monsieur Utrillo la somme de deux 

mille francs (…) 

Art. 5 â€“ (…) [la] durée [du présent contrat] sera de six mois au minimum. 

Somme toute, ce contrat est pour le moins Ã©quitable, compte tenu de notre artiste et de ses turpitudes… 

Maurice Utrillo demeure insupportable avec ses proches. Le contrat signé, André Utter se voit contraint de 

ramener son beau-fils Ã  l’asile de Picpus, dès le 12 octobre ! Le certificat d’internement rappelle son 

internement précédent, sa sortie le 27 septembre dernier, et précise : Â« Cette amélioration passagère ne 

s’e st pas maintenue. Â» Cet enfermement est très mal vécu par le peintre. Ces crises régulières inquiètent 

les médecins. L’un d’eux note dans son rapport du 17 octobre que ces Ã©tats de violence Â« survenaient 

brusquement tous les quelques jours Â» ! Frustration, détresse, révolte, Utrillo connaît toutes les Ã©preuves 

et les souffrances du prisonnier. Il semble Ã©galement que des infirmiers lui aient volé des peintures 

réalisées dans la clinique… Aussi s’évade-t-il, dès le 28 octobre, pour regagner le domicile maternel après 

une belle escapade. 

Les frasques de l’artiste n’affectent guère les marchands. Son talent est Ã  présent reconnu. Ses tableaux 

atteignent des prix Ã©levés comme en témoignent les récentes ventes aux enchères. C’est dans ce 

contexte que le marchand Lepoutre, qui a rencontré Utrillo dès 1910 et vu ses tableaux au â€˜Casse-

Croûte’, organise la deuxième exposition particulière du peintre. Pour une somme importante, il achète 

quelques tableaux du maître Ã  son confrère Libaude, rédige un catalogue qu’il fait préfacer par l’écrivain 

Albert Flament. Le 5 décembre 1919, il présente quarante-six peintures des années 1910-1915, dans sa 

galerie du 23, rue de la Boétie. L’exposition qui se tient jusqu’au 24 décembre remporte un vif succès 

auprès du public. L’harmonie et la luminosité des blancs fascinent les visiteurs. Le 8 décembre, Adolphe 

background image

Tabarant rend compte de la manifestation par un article enthousiaste publié dans 

l’Oeuvre.

  

Maurice Utrillo Ã©tait-il présent au vernissage ? S’est-il inquiété de l’accueil du public ou de la critique ? 

Nous ne le savons pas. Ayant franchi le dernier cercle de la dipsomanie, il semble alors ne pouvoir que 

partager son enfer avec son entourage. Il y réussit fort bien puisque le 2 avril 1920, André Utter le conduit 

une nouvelle fois aux portes de l’asile de Picpus. Nous sommes loin de Sannois. Du vin Ã  coulé dans les 

verres. L’accueil n’est guère chaleureux. L’établissement â€“ il est vrai â€“ retrouve son Ã©vadé ! Il est alors 

traité comme un fou et dangereux récidiviste. Qui plus est, compte tenu des précédents, le préfet de 

police décide de remplacer son internement volontaire en placement d’office ! Cette nouvelle situation 

inquiète ses proches. Pour obtenir l’abrogation de cet arrêté, Suzanne Valadon et Utter interviennent 

auprès de leurs amis. Francis Carco nous rapporte une de ses démarches : 

« J’habitais alors quai du Louvre où Suzanne Valadon vint m’exposer avec Utter la misérable situation 

dans laquelle se trouvait Utrillo. Fou ! clamait-elle, en tirant d’un carton plusieurs gouaches de son fils et 

les Ã©talant par terre pour me les montrer. Est-ce qu’un garçon capable de produire de tels chefs-d’œuvre 

est fou ? Protestons ! Alertez la presse ! On vous croira puisque vous connaissez Maurice. Il faut agir. Â» 

Le 27 avril

, déterminée, animée par cette terrible volonté et vraisemblablement aussi par un sentiment de 

culpabilité, Suzanne réclame directement au préfet de police qu’une enquête soit ordonnée, Â« enquête au 

cours de laquelle seront entendues les personnes qui vivent depuis longtemps dans l’entourage d’Utrillo 

et qui vous diront combien il est peu dangereux Â». Cette démarche aboutit. Des rapports sont exigés. 

Celui que signe le docteur Marcel Briand, médecin traitant, est accablant. Il estime qu’ Â« il y a d’autant 

plus lieu de le maintenir en traitement dans les mêmes conditions qu’il a fait récemment une tentative de 

suicide Â» ! Le docteur Revault d’Allonnes, directeur de l’hôpital psychiatrique explique : Â« Actuellement, 

depuis plusieurs jours, il est dans un Ã©tat d’obnubilation, il a des impulsions violentes, il a fait une tentative 

de suicide, en cherchant Ã  s’ouvrir les veines Ã  l’aide d’un Ã©clat de verre. Il a fait autrefois une tentative 

analogue, Ã©tant Ã  l’asile de Villejuif. Peut Ãªtre transféré. Â» Suzanne s’enquiert immédiatement d’une 

clinique privée et découvre celle du docteur Blanche, 12 rue Berton, dans le XVI

è

 arrondissement. Le 15 

mai, le préfet de police autorise son transfert. Mais la famille abandonne subitement sa démarche. La 

clinique Paris-Passy est trop coûteuse. Un mois plus tard, le 23 juin, Suzanne demande son transfert Ã  

l’hôpital Sainte-Anne, asile public et gratuit. 

Le 5 j uillet

, Maurice Utrillo retrouve l’hôpital psychiatrique du docteur Vallon. Peu après, Suzanne 

réclame sa sortie. Celle-ci est conditionnée par la prise en charge formelle et constante du malade par sa 

mère. Le 3 août 1920 André Utter certifie au préfet de police : Â« Nous déclarons ma femme et moi 

qu’aussitôt la sortie de Monsieur Maurice Utrillo effectuée, nous sommes Ã  même de l’héberger et de le 

garder sous notre surveillance et sous celle d’un tiers, infirmier de profession, en notre domicile, 12 rue 

Cortot Ã  Paris, dans lequel une pièce lui est réservée. Notre intention est aussi d’aller faire avec lui un 

séjour Ã  Saint-Martin-en-Vercors (Drôme) toujours dans les mêmes conditions précitées […] Nous nous 

engageons aussi qu’à la moindre velléité qu’il aurait de boire, nous userions de toute notre influence pour 

le faire entrer Ã  nouveau dans une maison de sant酠» Le 10 août, Utrillo quitte Sainte-Anne. Le 12, il 

intègre Picpus… Nous ne connaissons pas les raisons de ce nouvel internement. Le 29 août, il sort de 

background image

Picpus.  

Pendant neuf mois, Maurice Utrillo â€˜jouit’ d’une liberté surveillée. En abuse-t-il ? Toujours est-il qu’André 

Utter est obligé de le rappeler Ã  l’ordre, le 27 mai 1921 : 

« Je me suis engagé formellement par Ã©crit, envers Monsieur le Préfet de Police Ã  te garder en mon 

domicile avec un tiers Ã  tes soins, moyennant quel engagement tu fus extrait des maisons de santé et 

rendu Ã  la vie familiale. En conséquence, je ne puis favoriser tes désirs de boire, ni les faciliter en t’en 

donnant les moyens, par exemple en te donnant une de tes toiles ou de l’argent. S’il te plaît de vendre 

une peinture Ã  X. plutôt qu’à Y., Ã©cris Ã  cette personne et fais-la venir ici, et avec cet argent si tu as besoin 

de faire un achat quelconque nous le ferons ensemble. Conséquemment je ne puis te laisser partir 

librement car tu ne dois sortir qu’accompagné ou d’ici pour une maison de santé. Voilà la situation sans 

ambages. Â» 

Afin de responsabiliser son beau-fils, Utter lui demande de dater et de signer le texte. Ce Ã  quoi Utrillo se 

soumet en paraphant : Â« Le matin du 27 mai 1921, Paris, 12, rue Cortot. Je reconnais avoir vu et lu. â€¦ 

Mais non point approuv酠» 

Comme par provocation, Maurice Utrillo se fait prendre le lendemain, Place de la Bourse. Selon le rapport 

du docteur Clérambault, il urinait Â« contre la paroi extérieure d’un urinoir […] Emmené au poste, il a frappé 

ou s’est rebellé et, d’un coup porté Ã  la tête de l’agent qui le conduisait, il a fait tomber son képi. […] De 

plus, quelques minutes auparavant, il a Ã©té vu s’approchant d’une femme assi se sur un banc et, sans la 

moindre provocation de la part de cette dernière, essayant de l’embrasser. A ce moment, d’après les dires 

mêmes de l’agent, le prévenu semblait en Ã©tat d’ivresse Â». Il est placé au dépôt. Le 30 mai, le tribunal le 

déclare Â« irresponsable Â». Néanmoins, il est maintenu en détention Ã  la Santé. Le 29 juin, il est mené Ã  

Sainte-Anne. Le lendemain, Utter engage une procédure de transfert vers la clinique psychiatrique d’Ivry. 

Le 7 juillet, Utrillo y est admis. 

Le 2 août

, Suzanne et André Utter engagent une nouvelle procédure de remise en liberté. Un médecin-

inspecteur rend alors un avis bienveillant : Â« Malgré que [sic], dans un rapport d’une précision et d’une 

netteté lumineuse, M. le docteur de Clérambault fasse remarquer que la durée des intervalles de calme 

relatif tende Ã  diminuer, j’estime que Monsieur Utrillo est aussi près que possible de l’état normal et qu’il 

peut Ãªtre remis en liberté, Ã  la condition stricte que ses parents prennent toutes les mesures de prudence 

(éloignement de Paris surtout) que commandent les circonstances. Â» Le 25 août, Utrillo est remis en 

liberté. 

Ses déboires, inconnus du public, n’ont aucune répercussion sur le marché de l’art. Les galeries se 

disputent ses Å“uvre s. Les expositions se succèdent. Alors qu’il est Ã  l’hôpital Sainte-Anne, Berthe Weill 

organise en juin une exposition de ses Å“uvres. Utrillo s’y montre sensible et lui adresse la lettre suivante : 

« Je suis content que vous ayez eu du succès Ã  mon exposition et que vous ayez vendu un certain 

nombre de tableaux qui y figuraient. Je regrette vivement de ne pas avoir pu la visiter car il y avait des 

toiles de ma mère et c’est toujours pour moi un immense plaisir de voir ou de revoir les admirables 

Å“uvres qu’elle peint avec tant de génie, car c’est une artiste de tout premier ordre et qui peint 

merveilleusement bien. Â» 

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Rien ne peut lui procurer un plaisir plus grand que d’exposer en compagnie de sa mère. Mais, pour le 

public et les marchands, la valeur de ses Å“uvres dépasse celle de Suzanne Valadon. Celle-ci n’en prend 

aucunement ombrage. Au contraire, elle s’attache avec son Ã©poux André Utter, qui lui, en revanche, a 

définitivement abandonné la peinture, Ã  gérer au mieux les intérêts de Maurice. Vers la fin de l’année 

1921, ils décident, pour sa santé et son bien, de l’installer chez des amis, dans la région lyonnaise. Alors 

que son talent est définitivement reconnu, ses peintures recherchées, Utrillo est donc Ã©loigné de la scène 

artistique parisienne, et de la Butte Montmartre. Il en sera ainsi pratiquement jusqu’à la fin de sa vie. Loin 

des scandales, des prisons et des asiles. Les légendes se façonnent mieux autour de la disparition des 

êtres. La Renommée n’aime guère s’encombrer de la présence de ses Ã©lus. Maurice absent, on se met Ã  

écrire. Au terme de cette année 1921, paraît ainsi la première Ã©tude critique de l’œuvre de Maurice Utrillo. 

Publiée Ã  la Nouvelle Revue Française, elle est signée par Francis Carco. Elle est par ailleurs 

accompagnée de vingt-sept productions. 

L’année suivante

, pas moins de sept expositions présentent des peintures de Maurice Utrillo ! Le succès 

est tel que le peintre commence Ã  se méfier des faussaires. De fait, il insère dans ses compositions des 

affiches, des enseignes de boutiques, toutes sortes de plaques sur lesquelles il mentionne des 

avertissements qui ne manquent pas d’un certain humour… Sur un 

Moulin de la Galette

 de 1922, on peut 

ainsi lire sur un Ã©criteau cloué sur la palissade : Â« Fabrique de Tableaux Artistiques. Spécialité de 

paysages. Couleurs fines. Chez Maurice Utrillo V. 12, rue Cortot. Paris 18

è

. Se méfier des contrefaçons. Â» 

En 1923

, six galeries et deux Salons se disputent ses toiles. On s’arrache les Utrillo. Avec le produit des 

ventes, André Utter acquiert le château de Saint-Bernard au bord de la Saône. L’année suivante, la vente 

du 

Village de Maixe

 (toile Ã©galement dénommée la 

Mairie au drapeau

) assure définitivement le paiement 

du château. Par ailleurs, il est bon de relever, dès Ã  présent, la dédicace de cette peinture : Â« Vendu avec 

joie cette toile Ã  Monsieur et Madame Robert Pauwels, mes fervents admirateurs. Paris, le 13 février 

1924. Maurice Utrillo V. Â» Nous retrouverons bientôt le Â« fervente admiratrice Â». Elle va jouer un rôle 

essentiel dans la vie de l’artiste. 

Mai 1924

, alors que la galerie Bernheim-Jeune organise une nouvelle exposition de ses Å“uvres, Maurice 

Utrillo tente de se suicider. Enfermé dans un réduit, il se fracasse la tête contre les murs. La police doit 

intervenir et l’arrêter. Libéré, il est alors  soigné, puis envoyé en convalescence au château de Saint-

Bernard. 

Pendant cette décennie, la peinture de Maurice Utrillo suit une orientation nouvelle. On qualifie cette 

période de Â« colorée Â». Au cours de Â« l’époque blanche Â», le peintre assurait l’unité de ses compositions 

par l’utilisation subtile de la lumière et l’harmonisation des tons. A présent, il Ã©quilibre ses représentations 

par la géométrisation des formes. Des lignes noires, dures et sèches structurent ainsi tout l’espace 

pictural. Enserrées dans cette architecture, les couleurs gagnent en intensité. Leur vivacité est 

proportionnelle Ã  la rigidité de la composition. On est tenté d’établir un parallèle entre les quatre années 

d’internement de l’artiste et sa peinture. Dans l’orthogonale rigueur de l’univers carcéral, c’est en ayant 

recours aux crises, aux Ã©vasions et aux tentatives de suicide, qu’Utrillo manifestait sa volonté de sortir, 

son besoin de liberté, sa soif de vie. Dans la stricte délimitation des plans, l’exacerbation des couleurs 

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n’exprime-t-elle pas une semblable aspiration ? Par la suite, une certaine lassitude se fait sentir. La 

facture est moins soignée.  La touche se relâche. Utrillo n’a plus rien Ã  conquérir. 

1925-1955. Des premiers séj ours au château de Saint-Bernard Ã  sa mort

 : 

1925

. La gloire de Maurice Utrillo traverse les frontières. Des expositions se tiennent Ã  Bruxelles, Berlin, 

Düsseldorf et Hambourg. Utrillo est une véritable affaire commerciale. Les ventes des tableaux dégagent 

une fortune. Au début de l’année, le marchand Josse Bernheim, qui veut préserver les intérêts de l’artiste, 

aide Suzanne Valadon Ã  acquérir un pavillon, avenue Junot. Parallèlement, les Ã©tudes critiques se 

multiplient. Adolphe Basler publie une 

Lettre sur Maurice Utrillo

. Robert Rey présente un 

Maurice Utrillo, 

Peintre et Lithographe

, qui rend compte des premières lithographies de l’artiste. Enfin, le critique d’art 

Gustave Coquiot, consacre un ouvrage sur le peintre. Il possèdera, par ailleurs, jusqu’à cent quatre-vingts 

toiles d’Utrillo. 

Pour autant, Utrillo reste Ã  l’écart de cette agitation artistique. Il réside au château de Saint-Bernard. Il y 

demeurera jusqu’à son mariage en 1935. Nous sommes assez bien informés sur sa nouvelle existence : 

Annette Jacquinot, employée par les Utter pour veiller sur la santé et les activités du peintre, a noté tous 

se s souvenirs. En voici quelques extraits : 

« Je rentre donc au château de ces grands peintres. Voilà que Madame et Monsieur Utter partent pour 

l’avenue Junot et me laissent seule avec le maître en me faisant un tas de recommandations : ni courrier, 

ni colis. Tout ce qui pouvait venir, le mettre de côté et ne recevoir personne. 

[…] Il m’a fait plusieurs escapades mais il s’en est toujours bien tiré. 

Une autre fois, il passe par une lucarne, trébuche au-dessus d’une porte, va dans le cabinet de toilette de 

Valadon, boit du marc, Dubonnet. Il Ã©tait dans un Ã©tat… 

[…] On avait des hiboux et des chouettes pour nous tenir compagnie et, tous les jours, il Ã©crivait Ã  sa 

mère, Madame Utter, et lui disait les tableaux et les gouaches qu’il Ã©tait après lui faire [sic]. Tous les 

quinze jours, j’envoyais se s peintures Ã  Valadon. Il travaillait beaucoup pour lui faire plaisir. Il ne s’est 

jamais couché sans faire sa prière Ã  genoux, devant sa Vierge. Quand je repense Ã  Saint-Bernard où il y 

avait : ménage, infirmier, des enfants, je comprends la grande nervosité du Maître. Madame Utter aimait 

sa maison pleine de domestiques, chauffeurs. M. Utter et Suzanne Valadon avaient tous les jours des 

scènes formidables. […] Enfin, Utter flanquait tout le monde dehors. Je restais seule avec mon grand 

maître qui ne demandait que la tranquillité pour bien travailler pour sa mère ! ! ! Â» 

Outre les relations picturales entre Maurice et sa mère, et la dégradation des relations affectives entre 

celle-ci et son mari, ce que nous révèle ce dernier passage, c’est la quête religieuse dans laquelle 

s’engage notre peintre. Son mysticisme ira croissant avec les années. Il se fera même baptiser en juin 

1933. 

Une lettre, adressée Ã  André Utter en date du 21 octobre 1925, nous apprend que Diaghilev souhaite 

rencontrer Utrillo afin de lui commander le décor du ballet 

Barabau

, que le célèbre chorégraphe doit 

monter l’année suivante Ã  Paris. Une telle démarche témoigne de la notoriété internationale que l’artiste a 

acquise Ã  cette Ã©poque. En 1926, Utrillo vient donc Ã  Paris, avenue Junot, peindre les décors et les 

costumes de 

Barabau

. Cette même année, Adolphe Tabarant publie, chez Bernheim-Jeune, une ample et 

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sérieuse monographie sur la vie et l’œuvre du peintre. 

Utrillo réside le plus souvent au château de Saint-Bernard où il exerce son art, suivant son humeur, et 

s’intéresse aussi peu que possible Ã  ses affaires artistiques et commerciales. Dans une lettre qu’il 

adresse Ã  sa mère, le 12 octobre 1927, il Ã©crit ainsi : Â« J’ai reçu ou plutôt adressé Ã  André Utter un 

télégramme venant de Paris et signé Ponchon où il me félicite de mon exposition picturale. Je ne sais pas 

où elle se trouve ne m’occupant nullement de ces choses. Â» Il s’agit pourtant d’une exposition organisée 

par la galerie Bernheim-Jeune qui, ainsi que nous l’avons vu, gère sa peinture et ses intérêts ! 

En 1928

, Maurice Utrillo est décoré de la Légion d’Honneur dans la cour du château de Saint-Bernard. 

L’année suivante, Bernheim-Jeune, pour des raisons que nous ignorons, abandonne Utrillo. 

Au début des années 30, un 

modus vivendi 

régit les relations du couple Valadon-Utter. Tandis qu’André 

Utter fréquente quelques maîtresse s, Suzanne se répand dans les expositions et reçoit les honneurs du 

milieu artistique. 

En mars 1933

, Madame Lucie Pauwels-Valore perd son Ã©poux. Maurice Utrillo, très respectueusement, 

lui adresse se s condoléances. Il semble que dès leur première rencontre, Utrillo se soit pris d’affection 

pour celle qui allait devenir Madame Utrillo. Celle-ci contera, plus tard, qu’à l’issue de cette entrevue, 

Maurice aurait supplié sa mère : Â« Trouve-moi, trouve-moi une femme comme Madame Pauwels ! Â» Après 

deux années de rapprochements et de tergiversations mêlés, l’ancienne sociétaire de la Comédie 

française veuve d’un riche financier belge acceptait de prendre pour Ã©poux le peintre de Montmartre. Le 

mariage civil se déroule le 3 avril 1935 Ã  la mairie du XVIII

è

 arrondissement. La cérémonie religieuse est 

célébrée en l’Eglise Saint-Ausonne d’Angoulême, le 5 mai 1935. Malheureusement, les relations entre la 

mère et la bru s’enveniment immédiatement. Suzanne Valadon qui vient de perdre l’amour d’André Utter, 

doit Ã  présent se séparer de son fils. 

En effet, une nouvelle vie commence pour Maurice Utrillo. Dans un premier temps, le couple s’installe Ã  

Angoulême. Maurice peint. Lucie s’occupe du reste. Dans une lettre Ã  Lucie Valore-Utrillo, du 8 octobre 

1936, André Utter lui assène diverses recommandations : Â« La cohabitation Suzanne-Maurice, avec vous 

au milieu, est pratiquement impossible. Montmartre, en outre, pour un séjour excédant deux jours est 

interdit Ã  Maurice. Croyez-moi et ne tentez pas l’expérience. Ce qu’il faut Ã  Maurice et ce jusqu’à la fin de 

se s jours, c’est l’isolement. Ne l’avez-vous pas encore compris ? ? ? ! Si depuis quelques temps vous 

avez une satisfaction avec un semblant de calme dans la vie de Maurice, c’est dû Ã  l’isolement dans 

lequel vous le tenez et Ã  une vie régulière et organisée. Â» La crise mystique, que manifeste l’artiste depuis 

quelques années, entre pour une bonne part dans l’organisation de cette vie régulière. 

Suzanne, de son côté, s’enferme progressivement dans une solitude orgueilleuse. Dans la lettre que nous 

venons de citer, André Utter s’en montre surpris : Â« Suzanne reste de plus en plus incompréhensible et 

traverse une crise d’orgueil et de prétention incommensurable, la modestie lui seyait si bien â€“ mais je 

crois que cette modestie n’était qu’apparente et que seule une timidité maladive cachait un orgueil 

insensé. Tant pis. Â» Elle vit, recluse, dans son atelier de l’avenue Junot. C’est donc Ã©loignée des siens 

que meurt Suzanne Valadon, le 7 avril 1938. Ne pouvant supporter la disparition de sa mère, Maurice 

refuse d’assister Ã  son enterrement au cimetière parisien de Saint-Ouen. Il s’enferme dans son oratoire et 

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prie toute la journée… 

En 1937

, un marchand de tableaux vient Ã  Angoulême rendre visite Ã  Maurice Utrillo. Une heureuse 

entente s’établit aussitôt entre le peintre, le marchand et Lucie Valore. Ce collectionneur et marchand, 

c’est Paul Pétridès. Il décide d’acheter toute la production de l’artiste Ã  partir de cette date, et s’engage Ã  

veiller sur la diffusion mondiale de son Å“uvre. Dès cette Ã©poque, il multiplie donc les expositions 

nationales et internationales, avant de s’attacher Ã  la rédaction du premier catalogue raisonné de l’œuvre 

peint de Maurice Utrillo. 

Peu avant la guerre, Lucie Valore acquiert une maison au Vésinet, rue des Bouleaux. Maurice la baptise : 

‘A la bonne Lucie’. Le peintre s’installe dans le confort d’une vie bourgeoise sans contrainte, ni souci. 

Quelques critiques s’en Ã©tonnent, et Francis Carco s’écrira : Â« Lucie Utrillo-Valore avait soustrait Utrillo Ã  

Montmartre pour le confiner au Vésinet ! Â» 

En 1947

, Ã  l’occasion d’une exposition Ã  la Galerie Pétridès, Maurice Utrillo exécute vingt-deux gouaches 

qui sont lithographiées en couleur pour le livre de Francis Carco, 

Montmartre vécu

. La même année, il fait 

l’objet d’un documentaire, 

La vie dramatique de Maurice Utrillo

. Réalisé par Pierre-Gaspar-Huit, le film 

bénéficie des commentaires de Roland Dorgelès. 

En 1948

, meurt André Utter. La même année, Utrillo est de nouveau invité Ã  réaliser les décors d’un 

opéra. Cette fois, il peint les décors de 

Louise 

de Gustave Charpentier. La première est jouée Ã  l’Opéra-

Comique, le 2 février 1950. 

Peu avant sa mort, Maurice Utrillo participe au tournage de 

Si Paris nous Ã©tait conté

, de Sacha Guitry. 

Toujours sensible aux honneurs, c’est avec joie qu’il reçoit, le 17 octobre 1955, la Médaille d’Or de la Ville 

de Paris. En cure annuelle Ã  Dax, il décède le 5 novembre 1955 au Grand Hôtel, Ã  l’âge de 72 ans. 

Quatre jours plus tard, 50 000 personnes suivent le cortège funèbre jusqu’au cimetière Saint-Vincent de 

Montmartre. 

Cette dernière période qui s’étend sur les trente dernières années de la vie du peintre, se caractérise par 

une production abondante reprenant indéfiniment les mêmes thèmes. Maintenu constamment sous 

surveillance au château de Saint-Bernard, puis Ã  Angoulême et au Vésinet, Maurice Utrillo recourt aux 

cartes postales pour réaliser ses compositions. Ce fait vaudra, en 1939, aux organisateurs de l’exposition 

Maurice Utrillo Ã  New-York une surprenante déconvenue. A l’arrivée des Å“uvres en douane, 

l’administration américaine considéra ces peintures comme des reproductions puisqu’elles s’inspiraient de 

photographies, et décida de les taxer comme telles ! Leur facture, quant Ã  elle, trahit une certaine 

inconstance qui parfois confine au relâchement. De manière générale, Utrillo abandonne les noirs 

contours qui délimitaient chaque Ã©lément de ses compositions. 

Les lignes s’affinent lorsque le peintre s’applique. Il Ã©mane de l’ensemble de cette production une certaine 

sécheresse qu’un choix réduit de couleurs vives n’anime que trop rarement. Somme toute, il faut convenir 

qu’il est difficile d’être le peintre de paysages que l’on ne voit plus qu’en reproduction. 

Ce relatif appauvrissement de la dernière période ne saurait en aucun cas faire oublier cette Â« Ã¢me Â» des 

paysages urbains que Maurice Utrillo parvint Ã  exprimer avec tant de bonheur au cours de sa Â« période 

blanche Â». 

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