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Ancien commercial dans les produits financiers et immobiliers, Laurent Bouvet, esthète un peu rêveur à la quarantaine fringante, semble bien avoir attrapé le virus de l’histoire et du patrimoine. Sont-ce ses promenades dans ce grand parc des bords de Seine où,enfant, sa grand-mère lui racontait les histoires de steaks de rat à cinq francs de la Commune? Depuis dixhuit mois, l’homme caresse un projet un peu fou: reconstruire le château de Saint-Cloud, détruit par un incendie en 1870. projet qu'il a tenu à nous expliquer sur place, sur le site même de l’édifice, aujourd’hui matérialisé, sur la grande terrasse dominant la Seine, par une quinzaine d’ifs, plantés en U. « Un des atouts du projet est que toutes les archives du château sont conservées et que l’on a de nombreuses photos intérieures et extérieures faites avant l’incendie. En outre, c’est un des seuls châteaux disparus d’Île-de-France dont l’emplacement est resté vierge de toute habitation », souligne-t-il d’emblée.

C’est le 13 octobre 1870 que le château de Saint- Cloud, occupé par les troupes adverses lors de la guerre franco-prussienne, fut frappé par un obus.En quelques heures, le feu se propagea,réduisant en cendres ses superbes boiseries, murs et plafonds peints.La célèbre galerie d’Apollon, décorée par Mignard, se consuma dans les flammes. Trois siècles d’histoire de France,la grande comme la petite, partirent en fumée. Trois siècles de fêtes éblouissantes, d’intrigues amoureuses,de régicides et de coups d’État. Deux mois avant le drame, heureusement, la dernière occupante, l’impératrice Eugénie, avait consenti à ce qu’on évacuât les tableaux,meubles et objets d’art qui ornaient les lieux. Tous furent donc sauvés, ils sont conservés aujourd’hui au Louvre, à Versailles, à Fontainebleau ou au Mobilier national – l’Élysée, notamment, regorge de ces objets!

Revenons quelques siècles en arrière. L’histoire de Saint-Cloud commence en 1577, lorsque Catherine de Médicis offrit à son écuyer Jérôme de Gondi un petit domaine dominant la Seine. Au début du XVIIe siècle, c’est une jolie résidence entourée de jardins en terrasses avec grotte, fontaine et cascade. Une si attrayante demeure que Louis XIV, plus tard, l’acheta pour son frère Philippe, duc d’Orléans. La maison et les jardins de Monsieur furent réaménagés et agrandis par les grands noms du temps : Antoine Lepautre, Jules- Hardouin Mansart,André Le Nôtre. Richard Mique, l’architecte favori de Marie- Antoinette qui, elle aussi, succomba au charme de cet endroit,y mit aussi sa patte.

Après la Révolution, le palais, remanié par Percier et Fontaine,devint la résidence d’été et l’un des sièges du pouvoir exécutif de tous les souverains jusqu’à la chute de Napoléon III. Entre ces murs définitivement rasés par la République vingt ans après l’incendie de 1870, Bonaparte conquit le pouvoir par le coup d’État du 18 Brumaire, Charles X signa les ordonnances de 1830, qui provoquèrent sa chute. Une impressionnante liste d’hôtes prestigieux y logèrent – jus- qu’à la girafe de Charles X,qui dormit dans son parc !

Une documentation parfaite, un emplacement libre,des meubles conservés… Peut-être pas si excentrique, le rêve de reconstruire Saint-Cloud? « Nous voudrions restituer le château dans son état final, comme il était à la veille de l’incendie, explique Laurent Bouvet. L’idée étant de prendre pour modèle le château de Guédelon. » Il y a dix ans,en effet,Michel Guyot achetait un terrain forestier dans l’Yonne pour y construire le château de ses rêves,un fort médiéval du XIIIe siècle, créé de toutes pièces, selon des méthodes de construction rigoureuses, à partir des conseils de Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques.Ce chantier,prévu sur vingt-cinq ans, est ouvert aux visiteurs, de plus en plus nombreux à venir en observer la construction et les différents ateliers : tailleurs de pierre, fabrique de tuiles, potier, vannier… De 52 000 en 1998, ils sont passés à 250 000 en 2005, permettant un autofinancement complet du projet. « C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on aura construit un monument gratuitement! s’exclame Laurent Bouvet.Nous pourrions faire la même chose à Saint- Cloud, avec des techniques de construction et de décor plus tardives, bien sûr. Nous voudrions notamment créer de petits ateliers montrant comment on sculpte le bois, la pierre ou le marbre, comment on crée un parquet ou dore des lambris à la feuille d’or. Une sorte de vitrine des métiers d’art à laquelle pourraient s’adjoindre des spectacles mettant en scène l’histoire du château. »

Mais, pour cet intéressant projet,il n’a malheureusement pas les mains libres, car le terrain d’application en appartient à l’État; la reconstruction ne pourra se réaliser sans l’accord des pouvoirs publics.Petite complication ou ascensionde l’Everest? L’avenir le dira.Car la France,relativement peu détruite et déjà très occupée par son patrimoine existant (la moitié des châteaux d’Europe, soit 40000 édifices), a peu reconstruit de monuments.

Et sa doctrine officielle en matière de patrimoine est très tatillonne, distinguant clairement restauration de reconstitution. Pour d’autres pays, en revanche, la reconstruction est entrée dans les moeurs, symbole politique ou identitaire d’une ville. L’Allemagne a ainsi vu la résurrection récente de la Frauenkirche de Dresde, cette immense église détruite avec toute la ville en février 1945. Le même pays s’apprête à ressusciter le château des rois de Prusse à Berlin après la destruction de l’ancien parlement de la RDA (la première pierre sera posée en 2010).

Faut-il rappeler la reconstruction de la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou après la chute du communisme? Celle de l’abbaye du Mont- Cassin, en Italie, victime des bombardements alliés, du château de Varsovie rasé par les SS,de la ville de Mostar à la fin de la guerre civile en ex-Yougoslavie? Il est même des pays où reconstruire, c’est sauvegarder le patrimoine.Tel le Japon,qui rebâtit,depuis plus de mille ans, ses sanctuaires shintoïstes en bois, ou la Norvège,qui déplace et refait en permanence ses petites églises, elles aussi en bois !

La reconstruction du château de Saint-Cloud ne se heurte pour l’instant à aucun obstacle majeur, mais le projet est encore jeune.Après la création de son association, notre aventurier du patrimoine a déjà obtenu quelques articles de presse élogieux, l’enthousiasme de l’association Les Amis du parc de Saint-Cloud, la sympathie ou le soutien de quelques personnalités – comme Gilles Bonnevialle, administrateur du Domaine national de Saint-Cloud, ou encore Alain Boumier,qui,depuis vingt ans, oeuvre pour la reconstruction du château des Tuileries à Paris. Plusieurs mécènes se dessinent déjà, et Laurent Bouvet projette, entre mille choses,de faire une première reconstitution du bâtiment par le biais de grandes toiles peintes.

Pour ce qui est des démarches auprès de l’État, on s’y prépare… Avec, comme objectif préalable, une sensibilisation des populations et des élus locaux à l’approche des élections cantonales et municipales.Mais l’optimisme est ici de mise. Car la France – si elle joue les saintes-nitouches – n’a-t-elle pas déjà reconstruit la cathédrale gothique d’Orléans, en plein XVIIIe siècle ? et plus récemment fait rebâtir la cathédrale de Nevers et le parlement de Rennes? Sans oublier le château de Lunéville, récemment détruit par le feu,qui vient d’entamer sa reconstruction !

Association Reconstruisons Saint-Cloud! 27, rue Saint-Ferdinand, Paris XVIIe. Tél. : 01.45.74.31.08. Email : lbouvet@noos.fr