EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE RECONCILIATIO
ET PAENITENTIA DE JEAN-PAUL II À L'ÉPISCOPAT AU
CLERGÉ ET AUX FIDÈLES SUR LA RÉCONCILIATION ET LA PÉNITENCE DANS
LA MISSION DE L'ÉGLISE AUJOURD'HUI
PRÉAMBULE
ORIGINE ET SENS DU DOCUMENT
1. Parler de RÉCONCILIATION et de PÉNITENCE, pour les hommes
et les femmes de notre temps, c'est inviter à retrouver, traduites dans
leur langage, les paroles mêmes par lesquelles notre Sauveur et Maître
Jésus Christ a voulu inaugurer sa prédication: «Convertissez-vous
et croyez à l'Evangile»(1), c'est-à-dire accueillez la
joyeuse nouvelle de l'amour, de votre adoption comme fils de Dieu, et donc de la
fraternité.
Pourquoi l'Eglise reprend-elle ce thème et cette invitation?
La soif de mieux connaître et de comprendre l'homme d'aujourd'hui et
le monde contemporain, de déchiffrer leur énigme et de dévoiler
leur mystère, d'y discerner la fermentation du bien et du mal, entraîne
bien des gens, et depuis longtemps, à porter sur cet homme et sur ce
monde un regard interrogateur: regard de l'historien et du sociologue, du
philosophe et du théologien, du psychologue et de l'humaniste, du poète
et du mystique, et surtout regard soucieux, mais chargé d'espérance,
du pasteur.
Ce regard se révèle de manière exemplaire dans chaque
page de l'importante constitution pastorale du deuxième Concile du
Vatican Gaudium et spes sur l'Eglise dans le monde de ce temps,
particulièrement dans son ample et pénétrante introduction.
Il se révèle aussi dans certains documents publiés par la
sagesse et la charité pastorale de mes vénérés prédécesseurs,
dont les illustres pontificats ont été marqués par l'événement
historique et prophétique que fut ce Concile cuménique.
Le regard du pasteur, comme les autres, découvre malheureusement,
parmi les caractéristiques du monde et de l'humanité de notre époque,
l'existence de divisions nombreuses, profondes, douloureuses.
Un monde éclaté
2. Ces divisions se manifestent dans les rapports entre les personnes et
entre les groupes, mais aussi au niveau des collectivités les plus
vastes: nations contre nations, blocs de pays opposés et tendus dans la
recherche de l'hégémonie. A la racine des ruptures, il n'est pas
difficile d'identifier des conflits qui, au lieu de se résoudre par le
dialogue, s'exacerbent dans l'affrontement et dans l'opposition.
Un observateur attentif qui part à la découverte des éléments
générateurs de division constate la plus grande variété,
de l'inégalité croissante entre les groupes, les classes sociales
et les pays, aux antagonismes idéologiques qui sont loin d'être éteints;
de l'opposition des intérêts économiques aux polarisations
politiques; des divergences tribales aux discriminations pour des motifs
socio-religieux. Certaines réalités que nous avons tous sous les
yeux font du reste apparaître, en quelque sorte, le visage malheureux de
la division dont elles sont le fruit, et font ressortir sa gravité indéniable
dans la réalité. Parmi tant d'autres phénomènes
sociaux douloureux de notre temps, on peut rappeler:
- le fait de fouler aux pieds les droits fondamentaux de la personne
humaine, à commencer par le droit à la vie et à une digne
qualité de vie, ce qui est d'autant plus scandaleux que l'on n'a jamais
fait autant de discours sur ces mêmes droits;
- les pièges tendus et les pressions exercées contre la liberté
des individus et des groupes, sans oublier la liberté, plus atteinte même
et plus menacée que d'autres, d'avoir sa propre foi, de la professer et
de la pratiquer;
- les diverses formes de discrimination: raciale, culturelle, religieuse,
etc.;
- la violence et le terrorisme;
- l'usage de la torture et les formes injustes et illégitimes de répression;
- l'accumulation des armes conventionnelles ou atomiques, la course aux
armements entraînant des dépenses de guerre qui pourraient servir à
soulager la misère non méritée de peuples socialement et économiquement
sous-développés;
- la répartition injuste des ressources du monde et des biens de la
civilisation, qui atteint son sommet dans un type d'organisation sociale où
la distance entre les conditions humaines des riches et celles des pauvres
s'accroît toujours davantage(2). La puissance irrésistible de cette
division fait du monde où nous vivons un monde éclaté(3)
jusqu'en ses fondements.
D'autre part, l'Eglise, sans s'identifier au monde ni être
du monde, est insérée dans le monde et est en
dialogue avec lui(4). Il ne faut donc pas s'étonner de voir en son
sein des répercussions et des signes de la division qui atteint la société
humaine. En plus des scissions entre les Communautés chrétiennes
qui l'affligent depuis des siècles, l'Eglise expérimente
aujourd'hui en son sein, ici ou là, des divisions entre les éléments
qui la composent, divisions causées par les divergences de vue et par les
différents choix dans le domaine doctrinal et pastoral(5). Ces divisions
peuvent parfois sembler, elles aussi, inguérissables.
Bien que ces déchirures apparaissent déjà fort
impressionnantes à première vue, seule une observation en
profondeur permet d'identifier leur racine: celle-ci se trouve dans une
blessure au coeur même de l'homme. A la lumière de la foi,
nous l'appelons le péché, à commencer par le péché
originel que chacun porte en soi depuis sa naissance comme un héritage
reçu de nos premiers parents, jusqu'au péché que chacun
commet en usant de sa propre liberté.
Nostalgie de réconciliation
3. Et pourtant, le même regard, s'il conduit ses investigations avec
assez d'acuité, saisit au plus vif de la division un désir
incomparable, ressenti par les hommes de bonne volonté et par les vrais
chrétiens, de réduire les fractures, de cicatriser les déchirures,
d'instaurer à tous les niveaux une unité essentielle. Chez
beaucoup, ce désir comporte une véritable nostalgie de réconciliation,
même si on n'emploie pas ce terme. Pour certains, il s'agit d'une utopie
qui pourrait devenir le levier idéal pour un véritable changement
de la société; pour d'autres, au contraire, c'est l'objet d'une
difficile conquête et donc un objectif à atteindre grâce à
un sérieux effort de réflexion et d'action. Dans tous les cas,
l'aspiration à une réconciliation sincère et profonde est,
sans l'ombre d'un doute, un mobile fondamental de notre société,
et comme le reflet d'une incoercible volonté de paix; en dépit du
paradoxe, elle l'est aussi fortement que sont dangereux les facteurs de
division.
Toutefois, la réconciliation ne peut être moins profonde que la
division. La nostalgie de la réconciliation et la réconciliation
elle-même seront totales et efficaces dans la mesure où elles
atteindront - pour le guérir - le déchirement primordial qui est
la racine de tous les autres, à savoir le péché.
Le regard du Synode
4. Toute institution ou organisation destinée à servir l'homme
et désireuse de le sauver dans ses dimensions fondamentales doit donc
tourner son regard de façon pénétrante vers la réconciliation
afin d'en approfondir la signification et la portée profonde, et d'en
tirer les conséquences nécessaires pour l'action.
L'Eglise de Jésus Christ ne pouvait renoncer à ce regard. Avec
son dévouement de Mère et son intelligence de Maîtresse,
elle s'applique, empressée et attentive, à découvrir dans
la société, en même temps que les signes de la division, les
signes non moins éloquents et pertinents de la recherche d'une réconciliation.
Elle sait en effet qu'il lui a été spécialement donné
la possibilité et confié la mission de faire connaître le
sens véritable, profondément religieux, et les dimensions intégrales
de la réconciliation, contribuant, déjà par ce seul fait, à
éclairer les termes essentiels de la question de l'unité et de la
paix.
Mes prédécesseurs n'ont cessé de prêcher la réconciliation,
d'inviter à la réconciliation l'humanité entière
comme aussi tout groupement et toute portion de la communauté humaine
qu'ils voyaient déchirée et divisée(6). Moi-même, mû
par une impulsion intérieure qui obéissait à la fois - j'en
suis sûr - à l'inspiration d'en haut et aux appels de l'humanité,
de deux façons différentes, toutes deux solennelles et
importantes, j'ai voulu mettre en lumière le thème de la réconciliation:
d'abord en convoquant la VIe Assemblée générale du Synode
des évêques, puis en mettant la réconciliation au centre de
l'Année jubilaire décrétée pour célébrer
le 1950e anniversaire de la Rédemption(7). Devant assigner un thème
au Synode, je me suis trouvé pleinement d'accord avec celui qui était
suggéré par nombre de mes frères dans l'épiscopat,
celui, si fécond, de la réconciliation, étroitement
lié à celui de la pénitence(8).
Le terme de pénitence et le concept lui-même sont assez
complexes. Si nous la relions à la metánoia à
laquelle se réfèrent les Evangiles synoptiques, la pénitence
signifie le changement qui s'opère au plus profond du cur
sous l'influence de la Parole de Dieu et dans la perspective du Royaume(9). Mais
pénitence veut dire aussi changer la vie en même
temps que le cur, et en ce sens l'action de faire pénitence
se complète par celle de produire des fruits qui témoignent de
la pénitence(10): c'est toute l'existence qui devient pénitentielle,
c'est-à-dire tendue dans une progression continuelle vers le mieux.
Cependant, faire pénitence n'est quelque chose d'authentique et
d'efficace que si cela se traduit en actes et en gestes de pénitence.
A ce point de vue, pénitence signifie, dans le vocabulaire chrétien
théologique et spirituel,
l'ascèse, autrement dit l'effort concret et quotidien de
l'homme, soutenu par la grâce de Dieu, en vue de perdre sa vie pour le
Christ, unique moyen de la gagner(11); pour se dépouiller du vieil
homme et revêtir l'homme nouveau(12); pour surmonter en soi ce qui est
charnel afin que prévale ce qui est spirituel(13); pour
s'élever continuellement des réalités d'ici-bas à
celles d'en haut, là où se trouve le Christ(14). La pénitence
est donc la conversion qui passe du cur aux uvres et
par conséquent à toute la vie du chrétien.
En chacune de ces acceptions, la pénitence est étroitement
liée à la réconciliation, car se réconcilier
avec Dieu, avec soi-même et avec les autres suppose que l'on remporte la
victoire sur la rupture radicale qu'est le péché, ce qui se réalise
seulement à travers la transformation intérieure ou conversion,
qui porte des fruits dans la vie grâce aux actes de pénitence.
Le document antépréparatoire du Synode (appelé aussi
Lineamenta), élaboré dans le seul but de présenter
le thème en accentuant certains aspects fondamentaux, a permis aux
communautés ecclésiales, où qu'elles se trouvent dans le
monde, de réfléchir pendant presque deux ans sur ces aspects d'une
question - celle de la conversion et de la réconciliation - qui intéresse
tous et chacun, afin de susciter un élan renouvelé pour la vie chrétienne
et l'apostolat. La réflexion s'est ensuite approfondie lors de la préparation
plus immédiate aux travaux du Synode, grâce au Document de
travail envoyé en temps voulu aux évêques et à
leurs collaborateurs. Enfin, pendant un mois entier, les Pères synodaux,
assistés par tous ceux qui avaient été appelés à
la réunion proprement dite, ont traité, avec un grand sens de la
responsabilité, le thème lui-même et les nombreuses et
diverses questions qui lui étaient liées. Du débat, de l'étude
faite en commun, de la recherche assidue et consciencieuse, est sorti un vaste
et précieux trésor que les Propositions finales résument
de façon substantielle.
Le regard du Synode n'ignore pas les actes de réconciliation (dont
certains passent presque inaperçus dans la vie quotidienne) qui, à
des degrés divers, servent à résoudre les multiples
tensions, à surmonter les nombreux conflits et à vaincre les
petites et les grandes divisions pour refaire l'unité. Mais la préoccupation
principale du Synode était de trouver, au cur de ces actes dispersés,
la racine cachée, une réconciliation première, source de
toutes les autres, pour ainsi dire, celle qui agit dans le cur et la
conscience de l'homme.
Le charisme et en même temps l'originalité de l'Eglise, en ce
qui concerne la réconciliation, résident dans le fait que
celle-ci, à quelque niveau qu'elle doive être réalisée,
remonte toujours à cette réconciliation première. En effet,
en vertu de sa mission essentielle, l'Eglise se sent le devoir d'aller jusqu'aux
racines du déchirement primordial du péché pour y opérer
la guérison et y rétablir, pour ainsi dire, une réconciliation
primordiale elle aussi, qui soit le principe décisif de toute vraie réconciliation.
C'est ce que l'Eglise a eu en vue et a proposé par le moyen du Synode.
Cette réconciliation, la Sainte Ecriture en parle, nous invitant à
faire pour elle tous les efforts possibles(15); mais elle nous dit aussi que
c'est avant tout un don miséricordieux de Dieu à l'homme(16).
L'histoire du salut - celle de l'humanité entière comme celle de
chaque être humain de tous les temps - est l'histoire admirable d'une réconciliation:
Dieu, qui est Père, se réconcilie le monde par le Sang et par la
Croix de son Fils fait homme, et fait naître ainsi une nouvelle famille de
réconciliés.
La réconciliation est devenue nécessaire parce qu'il y a eu la
rupture du péché, d'où ont découlé toutes les
autres formes de rupture au cur de l'homme et autour de lui. La réconciliation,
pour être totale, exige donc nécessairement la libération
par rapport au péché, celui-ci étant refusé jusqu'en
ses racines les plus profondes. C'est pourquoi un lien interne étroit
unit conversion et réconciliation: il est impossible de
separer ces deux réalités, ou de parler de l'une sans l'autre.
Le Synode a parlé à la fois de la réconciliation de
toute la famille humaine et de la conversion du cur de chaque personne, de
son retour à Dieu, voulant ainsi reconnaître et proclamer que
l'union des hommes ne peut se réaliser sans un changement intérieur
de chacun. La conversion personnelle est la voie nécessaire pour
aboutir à la concorde entre les personnes(17). Lorsque l'Eglise
proclame la joyeuse nouvelle de la réconciliation, ou propose de la réaliser
grâce aux sacrements, elle exerce un véritable rôle prophétique:
elle dénonce les maux de l'homme dans leur source contaminée, elle
montre la racine des divisions et elle suscite l'espérance de pouvoir
surmonter les tensions et les conflits pour atteindre la fraternité, la
concorde et la paix a tous les niveaux et dans tous les groupements de la société
humaine. Elle change une situation historique de haine et de violence en une
civilisation d'amour. Elle offre à tous le principe évangélique
et sacramentel de cette réconciliation première d'où découle
tout autre geste ou acte de réconciliation, même sur le plan
social.
C'est d'une telle réconciliation, fruit de la conversion, que traite
la présente exhortation apostolique. Car, comme cela s'était
produit au terme des trois précédentes Assemblées du
Synode, les Pères eux-mêmes ont voulu, cette fois encore, remettre à
l'Evêque de Rome, Pasteur universel de l'Eglise et Chef du Collège épiscopal,
en sa qualité de Président du Synode, les conclusions de leur
travail. J'ai accepté avec gratitude comme un grave devoir de mon ministère
la tâche de puiser dans l'immense richesse du Synode pour présenter
au Peuple de Dieu, comme fruit du Synode lui-même, un message doctrinal et
pastoral sur le thème de la pénitence et de la réconciliation.
Je traiterai donc, dans la première partie, de l'Eglise dans
l'accomplissement de sa mission de réconciliation, dans l'uvre de
conversion des curs en vue de l'étreinte renouvelée entre
l'homme et Dieu, entre l'homme et son frère, entre l'homme et toute la création.
Dans la deuxième partie sera indiquée la cause radicale de toute déchirure
ou division entre les hommes et, avant tout, à l'égard de Dieu: le
péché. Enfin, je voudrais signaler les moyens qui permettent à
l'Eglise de promouvoir et de susciter la pleine réconciliation des hommes
avec Dieu et, par conséquent, des hommes entre eux.
Le document que je livre aux fils de l'Eglise, mais aussi a tous ceux,
croyants ou non, qui se tournent vers elle avec intérêt et avec
sincérité, veut être la réponse que je dois à
ce que le Synode m'a demandé. Il veut être également - je
tiens à le déclarer car c'est une dette de vérité et
de justice - une uvre de ce même Synode. Le contenu de ces pages
vient en effet de lui, de sa préparation lointaine ou proche, de l'Instrument
de travail, des interventions dans la salle synodale ou dans les commissions
(circuli minores), et surtout des soixante-trois Propositions.
On trouve ici le fruit du travail d'ensemble des Pères, parmi lesquels ne
manquaient pas les représentants des Eglises orientales, dont le
patrimoine théologique, spirituel et liturgique est si riche et vénérable,
notamment en ce qui touche à la matière qui nous intéresse
ici. De plus, c'est le Conseil du Synode qui, en deux sessions importantes, a évalué
les résultats et les orientations de la réunion synodale à
peine terminée, qui a mis en évidence les points forts des Propositions,
puis tracé les grandes lignes, jugées les plus adaptées,
pour la rédaction du présent document. Je suis reconnaissant à
tous ceux qui ont accompli ce travail et, fidèle à ma mission, ie
veux transmettre ici ce qui, dans le trésor doctrinal et pastoral du
Synode, me paraît providentiel pour la vie de tant de personnes en cette
heure magnifique et difficile de l'histoire.
Il me plaît de le faire - et cela est d'autant plus significatif -
alors qu'est encore vivant le souvenir de l'Année sainte, vécue
entièrement sous le signe de la pénitence, de la conversion et de
la réconciliation. Puisse cette exhortation, confiée à mes
frères dans l'épiscopat et à leurs collaborateurs prêtres
et diacres, aux religieux et religieuses, à tous les fidèles, aux
hommes et aux femmes à la conscience droite, être non seulement un
instrument de purification, d'enrichissement et d'approfondissement de leur foi
personnelle mais aussi un levain capable de faire croître au cur du
monde la paix et la fraternité, l'espérance et la joie, valeurs
qui naissent de l'Evangile accueilli, médité et vécu au
jour le jour à l'exemple de Marie, Mère de notre Seigneur Jésus
Christ par qui il a plu à Dieu de se réconcilier tous les êtres(18).
PREMIÈRE PARTIE
CONVERSION ET RÉCONCILIATION: TÂCHE ET ENGAGEMENT DE L'ÉGLISE
CHAPITRE I
UNE PARABOLE DE LA RÉCONCILIATION
5. Au début de cette exhortation apostolique se présente à
mon esprit la page extraordinaire de saint Luc que j'ai déjà
cherché à mettre en lumière dans un précédent
document(19). Je veux parler de la parabole du fils prodigue(20).
Du frère qui était perdu...
«Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: "Père,
donne-moi la part de fortune qui me revient"», raconte Jésus en
décrivant la dramatique histoire de ce jeune: le départ de la
maison paternelle vers l'aventure, le gaspillage de tous ses biens dans une vie
dissolue et vide, les jours sombres de l'éloignement et de la faim, mais
plus encore de la dignité perdue, de l'humiliation et de la honte, et
enfin la nostalgie de sa maison, le courage d'y revenir, l'accueil du père.
Celui-ci n'avait certes pas oublié son fils, il lui avait même
conservé intactes son affection et son estime. Aussi l'avait-il toujours
attendu, et maintenant il l'embrasse, tout en donnant le signal de la grande fête
du retour de «celui qui était mort et qui est revenu à la
vie, qui était perdu et qui a été retrouvé».
L'homme - tout homme - est ce fils prodigue: séduit par la tentation
de se séparer de son Père pour vivre dans l'indépendance sa
propre existence; tombé dans la tentation; déçu par le vide
qui, comme un mirage, l'avait fasciné; seul, déshonoré,
exploité alors qu'il cherche à se bâtir un monde entièrement
à soi; travaillé, même au fond de sa misère, par le désir
de revenir à la communion avec son Père. Comme le père de
la parabole, Dieu guette le retour du fils, l'embrasse à son arrivée
et prépare la table pour le banquet des retrouvailles où le Père
et les frères célèbrent a reconciliation.
Ce qui frappe le plus dans la parabole, c'est l'accueil de fête et
d'amour du père à son fils qui revient, signe de la miséricorde
de Dieu, toujours prêt à pardonner. Disons-le tout de suite: la réconciliation
est principalement un don du Père céleste.
... au frère resté à la maison
6. Mais la parabole met aussi en scène le frère aîné
qui refuse de prendre sa place au banquet. Il reproche à son jeune frère
ses égarements, et à son père l'accueil qu'il lui a réservé
alors qu'à lui-même, sobre et travailleur, fidèle à
son père et à sa maison, jamais il n'a été accordé
- dit-il - de festoyer avec ses amis. C'est là un signe qu'il ne comprend
pas la bonté de son père. Tant que ce frère, trop sûr
de lui-même et de ses mérites, jaloux et méprisant, rempli
d'amertume et de colère, ne s'est pas converti et réconcilié
avec son père et son frère, le banquet n'est pas encore pleinement
la fête de la rencontre et des retrouvailles.
L'homme - tout homme - est aussi ce frère aîné. L'égoïsme
le rend jaloux, endurcit son cur, l'aveugle et le ferme aux autres et à
Dieu. La bonté et la miséricorde du père l'irritent et le
contrarient; le bonheur du frère retrouvé a pour lui un goût
amer(21). C'est aussi de ce point de vue qu'il a besoin de se convertir pour se
réconcilier.
La parabole du fils prodigue est avant tout l'histoire ineffable du grand
amour d'un Père - Dieu - qui offre à son fils, revenu à
lui, le don de la pleine réconciliation. Mais en évoquant, sous la
figure du frère aîné, l'égoïsme qui divise les
frères entre eux, elle devient aussi l'histoire de la famille humaine;
elle décrit notre situation et montre le chemin à parcourir. Le
fils prodigue, dans son ardent désir de conversion, de retour dans les
bras de son père et de pardon, représente ceux qui ressentent au
fond de leur conscience la nostalgie d'une réconciliation à tous
les niveaux et sans réserve, et qui sont intimement persuadés
qu'elle n'est possible que si elle découle d'une réconciliation
première et fondamentale, celle qui, de l'éloignement où il
se trouve, amène l'homme à l'amitié filiale avec Dieu dont
il reconnaît la miséricorde infinie. Mais, lue dans la perspective
de l'autre fils, la parabole peint la situation de la famille humaine divisée
par les égoïsmes, elle met en lumière la difficulté de
satisfaire le désir et la nostalgie d'être d'une même famille
réconciliée et unie, et elle rappelle donc la nécessité
d'une profonde transformation des curs pour redécouvrir la miséricorde
du Père et pour vaincre l'incompréhension et l'hostilité
entre frères.
A la lumière de cette inépuisable parabole de la miséricorde
qui efface le péché, l'Eglise, accueillant l'appel qu'elle
contient, comprend sa mission d'uvrer, à la suite du Seigneur, pour
la conversion des curs et la réconciliation des hommes avec Dieu et
entre eux, ces deux réalités étant intimement liées.
CHAPITRE II
AUX SOURCES DE LA RÉCONCILIATION
Dans la lumière du Christ réconciliateur
7. Comme il résulte de la parabole du fils prodigue, la réconciliation
est un don de Dieu, une initiative de Dieu. Or notre foi nous en
seigne que cette initiative se concrétise dans le mystère du
Christ rédempteur, réconciliateur, du Christ qui libère
l'homme du péché sous toutes ses formes. Le même saint Paul
n'hésite pas à synthétiser dans cette tâche et dans
cette fonction la mission incomparable de Jésus de Nazareth, Verbe et
Fils de Dieu fait homme.
Nous aussi, nous pouvons partir de ce mystère central de l'économie
du salut, point clé de la christologie de l'Apôtre. «Si, étant
ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de
son Fils - écrit-il aux Romains - , combien plus, une fois réconciliés,
serons-nous sauvés par sa vie, et pas seulement cela, mais nous nous
glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à
présent nous avons obtenu la réconciliation»(22). Puisque
donc «Dieu ... nous a réconciliés avec Lui par le Christ»,
Paul se sent poussé à exhorter les chrétiens de Corinthe: «Laissez-vous
réconcilier avec Dieu»(23).
Cette mission de réconciliation par la mort sur la Croix, l'évangéliste
Jean en parlait, en d'autres termes, en observant que le Christ devait mourir «afin
de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés»(24).
Saint Paul encore nous permet d'élargir à des dimensions
cosmiques notre vision de l'uvre du Christ lorsqu'il écrit qu'en
lui le Père s'est réconcilié toutes les créatures,
celles du ciel et celles de la terre(25). On peut vraiment dire du Christ Rédempteur
que, «au temps de la colère, il a été fait réconciliation»(26)
et que, s'il est «notre paix»(27), il est aussi notre réconciliation.
C'est à juste titre que sa passion et sa mort, sacramentellement
renouvelées dans l'Eucharistie, sont appelées par la liturgie «sacrifice
qui réconcilie»(28): qui réconcilie avec Dieu et avec les frères,
puisque Jésus lui-même enseigne que la réconciliation
fraternelle doit s'effectuer avant le sacrifice(29).
Il est, par conséquent, légitime, en partant de ces textes néo-testamentaires
et de bien d'autres encore qui sont significatifs, de centrer sur sa mission de
réconciliateur la réflexion concernant tout le mystère du
Christ. Et il faut proclamer une fois encore la foi de l'Eglise dans l'acte rédempteur
du Christ, dans le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection
comme cause de la réconciliation de l'homme, dans son double aspect de
libération par rapport au péché et de communion de grâce
avec Dieu.
Face au tableau douloureux des divisions et des difficultés de la réconciliation
entre les hommes, j'invite justement à regarder le mystère
de la Croix comme le plus haut drame dans lequel le Christ perçoit
en profondeur - et en éprouve la souffrance - la tragédie même
de l'homme séparé de Dieu, au point de s'écrier avec les
paroles du psalmiste: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?»(30),
et réalise en même temps notre réconciliation. Le regard fixé
sur le mystère du Golgotha doit nous rappeler sans cesse la dimension
«verticale» de la division et de la réconciliation dans le
rapport homme-Dieu qui, dans une vision de foi, l'emporte toujours sur la dimension
«horizontale», c'est-à-dire sur la réalité de
la division et sur la nécessité de la réconciliation entre
les hommes. Nous savons en effet qu'une telle réconciliation entre eux
n'est et ne peut être que le fruit de l'acte rédempteur du Christ,
mort et ressuscité pour vaincre le règne du péché, rétablir
l'alliance avec Dieu et abattre ainsi le «mur de séparation»(31)
que le péché avait élevé entre les hommes.
L'Eglise réconciliatrice
8. Mais - comme le disait saint Léon le Grand en parlant de la
passion du Christ - «tout ce que le Fils de Dieu a fait et enseigné
pour la réconciliation du monde, nous ne le connaissons pas seulement par
l'histoire du passé, mais encore nous en éprouvons l'efficacité
par ses uvres présentes»(32). La réconciliation, réalisée
dans son humanité, nous la sentons dans l'efficacité des mystères
sacrés célébrés par son Eglise, pour laquelle il
s'est livré lui-même et qu'il a établie comme signe et en même
temps instrument de salut.
C'est ce qu'affirme saint Paul quand il écrit que Dieu a fait
participer les Apôtres du Christ à son uvre de réconciliation.
«Dieu - dit-il - nous a confié le ministère de la réconciliation...
et la parole de réconciliation»(33).
Dans les mains et sur la bouche des Apôtres, ses messagers, le Père,
dans sa miséricorde, a placé un ministère de réconciliation,
qu'ils accomplissent d'une manière singulière, en vertu du pouvoir
d'agir au nom du Christ, in persona Christi. Mais c'est aussi à
toute la communauté des croyants, à l'ensemble de l'Eglise qu'est
confiée la parole de réconciliation, c'est-à-dire
la tâche de faire tout ce qui est possible pour témoigner de la réconciliation
et pour la réaliser dans le monde.
On peut dire qu'en définissant l'Eglise comme «le sacrement,
c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec
Dieu et de l'unité de tout le genre humain» et en signalant comme sa
fonction propre celle d'obtenir la «pleine unité dans le Christ»
pour tous les «hommes, désormais plus étroitement unis entre
eux par divers liens ...»(34), le Concile Vatican II reconnaissait lui
aussi que l'Eglise doit surtout tendre à ramener les hommes à la
pleine réconciliation.
En lien étroit avec la mission du Christ, on peut donc synthétiser
la mission, riche et complexe, de l'Eglise dans la tâche, pour elle
centrale, de la réconciliation de l'homme avec Dieu, avec lui-même,
avec ses frères, avec toute la création; et cela, d'une façon
permanente car - comme je l'ai dit ailleurs - «l'Eglise est par nature
toujours réconciliatrice»(35).
L'Eglise est réconciliatrice parce qu'elle proclame le message de la
réconciliation, comme elle l'a toujours fait au cours de son histoire
depuis le Concile apostolique de Jérusalem(36) jusqu'au dernier Synode
des évêques et au récent Jubilé de la Rédemption.
L'originalité de cette proclamation réside dans le fait que, pour
l'Eglise, la réconciliation est étroitement liée à
la conversion du cur: c'est là le chemin nécessaire vers
l'entente entre les êtres humains.
L'Eglise est aussi réconciliatrice parce qu'elle montre à
l'homme les chemins et lui offre les moyens pour atteindre la quadruple réconciliation
susdite. Les chemins sont justement la conversion du cur et la victoire
sur le péché, que ce soit l'égoïsme ou l'injustice, la
domination orgueilleuse ou l'exploitation d'autrui, l'attachement aux biens matériels
ou la recherche effrénée du plaisir. Les moyens sont l'écoute
fidèle et attentive de la Parole de Dieu, la prière personnelle et
communautaire, et surtout les sacrements, véritables signes et
instruments de réconciliation, parmi lesquels se distingue à cet égard
celui qu'à juste titre nous appelons le sacrement de la Réconciliation,
ou de la Pénitence, sur lequel je reviendrai par la suite.
L'Eglise réconciliée
9. Mon vénéré prédécesseur Paul VI a eu
le mérite de faire clairement comprendre que, pour être évangélisatrice,
l'Eglise doit commencer par se montrer elle-même évangélisée,
c'est-à-dire ouverte au message intégral et plénier de la
Bonne Nouvelle de Jésus Christ pour l'écouter et la mettre en
pratique(37). Moi-même, reprenant et ordonnant dans un document les réflexions
de la quatrième Assemblée générale du Synode des évêques,
j'ai parlé d'une Eglise qui se catéchise dans la mesure où
elle fait elle-même la catéchèse(38).
Je n'hésite pas à reprendre ici le parallèle, pour
autant qu'il s'applique à notre sujet, afin d'affirmer que l'Eglise, pour
être réconciliatrice, doit commencer par être une Eglise
réconciliée. Il y a, sous-jacente à cette affirmation
simple et linéaire, la conviction que l'Eglise, pour annoncer la réconciliation
au monde et la lui proposer toujours plus efficacement, doit devenir toujours
davantage une communauté (fût-ce le «petit troupeau» des
premiers temps) de disciples du Christ, unis dans l'effort pour se convertir
continuellement au Seigneur et vivre comme des hommes nouveaux dans l'esprit et
la pratique de la réconciliation.
Face à nos contemporains si sensibles à ce que démontrent
les témoignages concrets de vie, l'Eglise est appelée à
donner l'exemple de la réconciliation d'abord en son sein; et à
cette fin, nous devons tous uvrer pour pacifier les esprits, modérer
les tensions, surmonter les divisions, soigner les blessures éventuellement
provoquées entre frères lorsque s'accentuent les divergences de
choix dans le domaine de la simple opinion, et essayer au contraire d'être
unis dans ce qui est essentiel pour la foi et la vie chrétienne, selon le
vieil adage: In dubiis libertas, in necessariis unitas, in omnibus caritas.
Selon ce critère, l'Eglise doit également rendre réelle
sa dimension cuménique. En effet, pour être entièrement
réconciliée, elle sait qu'il lui faut avancer dans la recherche de
l'unité entre ceux qui s'honorent de s'appeler chrétiens mais sont
séparés entre eux, même au niveau des Eglises ou des
Communions, et séparés de l'Eglise de Rome. Celle-ci recherche une
unité qui, pour être le fruit et l'expression d'une véritable
réconciliation, n'entend se fonder ni sur la dissimulation des points qui
divisent ni sur des compromis d'autant plus faciles qu'ils sont superficiels et
fragiles. L'unité doit être le résultat d'une vraie
conversion de tous, du pardon réciproque, du dialogue théologique
et des relations fraternelles, de la prière, de la pleine docilité
à l'action de l'Esprit Saint, qui est aussi Esprit de réconciliation.
Enfin, l'Eglise, pour se dire pleinement réconciliée, sent
qu'elle doit s'efforcer toujours davantage de porter l'Evangile à tous
les peuples, suscitant le «dialogue du salut»(39), aux vastes secteurs
de l'humanité contemporaine qui ne partagent pas sa foi et qui même,
en raison d'un sécularisme croissant, prennent leurs distances avec elle
et lui opposent une froide indifférence, quand ils ne vont pas jusqu'à
lui faire obstacle ou la persécuter. A tous, l'Eglise se sent le devoir
de répéter avec saint Paul: «Laissez-vous réconcilier
avec Dieu»(40).
Dans tous les cas, l'Eglise promeut une réconciliation dans la vérité,
sachant bien qu'il n'y a pas de réconciliation ni d'unité
possibles en dehors de la vérité ou contre elle.
CHAPITRE III
L'INITIATIVE DE DIEU ET LE MINISTÈRE DE L'ÉGLISE
10. Communauté réconciliée et réconciliatrice,
l'Eglise ne peut oublier qu'à l'origine de son don et de sa mission se
trouve l'initiative, remplie d'amour compatissant et de miséricorde, du
Dieu qui est Amour(41) et qui par amour a créé les hommes(42): il
les a créés pour qu'ils vivent dans son amitié et en
communion entre eux.
La réconciliation vient de Dieu
Dieu est fidèle à son dessein éternel même quand
l'homme, poussé par le Mauvais(43) et entraîné par son
orgueil, abuse de la liberté qui lui a été donnée
pour aimer et rechercher généreusement le bien, refusant ainsi
d'obéir à son Seigneur et Père; et aussi quand l'homme, au
lieu de répondre par l'amour à l'amour de Dieu, s'oppose à
lui comme à un rival, se leurrant lui-même et présumant de
ses forces, pour en arriver à la rupture des rapports avec celui qui l'a
créé. Malgré cette prévarication de l'homme, Dieu
reste fidèle dans l'amour. Certes, le récit du paradis
terrestre nous fait méditer sur les funestes conséquences du rejet
du Père, qui se traduit par le désordre interne de l'homme et par
la rupture de l'harmonie entre l'homme et la femme, entre un frère et
l'autre(44). La parabole évangélique des deux fils qui, d'une manière
différente, s'éloignent de leur père, creusant un abîme
entre eux, est elle aussi significative. Le refus de l'amour paternel de Dieu et
de ses dons d'amour est toujours à la racine des divisions de l'humanité.
Mais nous savons que Dieu, «riche en miséricorde»(45),
telle père de la parabole, ne ferme son cur à aucun de ses
enfants. Il les attend, les cherche, les rejoint là où le refus de
la communion les enferme dans l'isolement et la division, les appelle à
se regrouper autour de sa table, dans la joie de la fête du pardon et de
la réconciliation.
Cette initiative de Dieu se concrétise et se manifeste dans l'acte rédempteur
du Christ, qui rayonne dans le monde grâce au ministère de
l'Eglise.
En eflet, selon notre foi, le Verbe de Dieu s'est fait chair et est venu
habiter la terre des hommes: il est entré dans l'histoire du monde,
l'assumant et la récapitulant en lui-même(46). Il nous a révélé
que Dieu est amour et il nous a donné le «commandement nouveau»(47)
de l'amour, nous communiquant en même temps la certitude que le chemin de
l'amour s'ouvre à tous les hommes, que n'est donc pas vain l'effort
tendant à instaurer la fraternité universelle(48). Ayant vaincu,
par sa mort sur la croix, le mal et la puissance du péché, par son
obéissance pleine d'amour il a apporté le salut à tous et
il est devenu pour tous «réconciliation». En lui, Dieu s'est réconcilié
l'homme.
L'Eglise, poursuivant l'annonce de la réconciliation proclamée
par le Christ dans les villages de Galilée et de toute la Palestine(49),
ne cesse d'inviter l'humanité entière à se convertir et à
croire à la Bonne Nouvelle. Elle parle au nom du Christ, faisant sien
l'appel de l'Apôtre Paul que nous avons déjà rappelé:
«Nous sommes ... en ambassade pour le Christ; c'est comme si Dieu exhortait
par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier
avec Dieu»(50).
Celui qui accepte cet appel entre dans l'économie de la réconciliation
et fait l'expérience de la vérité contenue dans cette autre
annonce de saint Paul selon laquelle le Christ «est notre paix, lui qui des
deux peuples n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait,
la haine .... pour faire la paix et les réconcilier tous les deux avec
Dieu»(51). Si ce texte concerne directement le dépassement de la
division religieuse entre Israël, en tant que peuple élu de l'Ancien
Testament, et les autres peuples, tous appelés à faire partie de
la Nouvelle Alliance, il contient néanmoins l'affirmation de la nouvelle
universalité spirituelle, voulue par Dieu et réalisée par
lui grâce au sacrifice de son Fils, le Verbe fait homme, sans limite ni
exclusion d'aucune sorte, pour tous ceux qui se convertissent et croient au
Christ. Nous sommes donc tous appelés à bénéficier
des fruits de cette réconciliation voulue par Dieu: tous les hommes, tous
les peuples.
L'Eglise, grand sacrement de réconciliation
11. L'Eglise a la mission d'annoncer cette réconciliation et d'en être
le sacrement dans le monde. Sacrement, c'est-à-dire signe et
instrument de réconciliation, l'Eglise l'est à divers titres, qui
n'ont pas tous la même valeur mais qui, tous, convergent vers l'obtention
de ce que l'initiative divine de miséricorde veut accorder aux hommes.
Elle l'est avant tout par son existence même de communauté réconciliée,
qui témoigne dans le monde de l'uvre du Christ et la représente.
Elle l'est par son service de gardienne et d'interprète de la Sainte
Ecriture, qui est la joyeuse nouvelle de la réconciliation car elle fait
connaître de génération en génération le
dessein d'amour de Dieu et elle indique à chacun les voies de la réconciliation
universelle dans le Christ.
Elle l'est enfin par les sept sacrements qui, chacun à sa manière,
«font l'Eglise»(52). Puisqu'ils commémorent, en effet, et
renouvellent le mystère de la Pâque du Christ, tous les sacrements
sont sources de vie pour l'Eglise et, entre ses mains, instruments de conversion
à Dieu et de réconciliation des hommes.
Autres chemins de réconciliation
12. La mission réconciliatrice est propre à toute l'Eglise, y
compris et surtout celle qui est déjà admise à participer
pleinement de la gloire divine avec la Vierge Marie, avec les anges et les
saints qui contemplent et adorent le Dieu trois fois saint. L'Eglise du ciel,
l'Eglise de la terre, l'Eglise du purgatoire sont mystérieusement unies
dans cette coopération avec le Christ pour réconcilier le monde
avec Dieu.
Le premier chemin de cette action salvatrice est celui de la prière.
Il n'y a pas de doute que la Vierge, Mère du Christ et de l'Eglise(53),
et les saints, arrivés au bout de leur cheminement terrestre et en
possession de la gloire de Dieu, soutiennent de leur intercession leurs frères
pèlerins en ce monde, dans leurs efforts de conversion, de foi, de
reprise après chaque chute, d'action pour faire croître la
communion et la paix dans l'Eglise et dans le monde. Dans le mystère de
la communion des saints, la réconciliation universelle se réalise
dans sa forme la plus profonde et la plus fructueuse pour le salut de tous.
Il y a aussi un autre chemin, celui de la prédication. Disciple de
l'unique Maître Jésus Christ, l'Eglise, à son tour, comme mère
et maîtresse, ne se lasse pas de proposer aux hommes la réconciliation,
et elle n'hésite pas à dénoncer la malice du péché,
à proclamer la nécessité de la conversion, à inviter
les hommes à «se laisser réconcilier» et à le
leur demander. En réalité, c'est bien là sa mission prophétique
dans le monde d'aujourd'hui comme dans celui d'hier: c'est la mission même
de son Maître et Chef, Jésus. Comme lui, l'Eglise accomplira
toujours cette mission avec des sentiments d'amour miséricordieux, et
elle portera à tous les paroles du pardon et l'invitation à l'espérance,
qui viennent de la Croix.
Il y a encore le chemin souvent si difficile et ardu de l'action pastorale
pour ramener chaque homme - quel qu'il soit et où qu'il se trouve - sur
la route, parfois longue, du retour vers le Père dans la communion avec
tous les frères.
Il y a enfin le chemin du témoignage, presque toujours silencieux,
qui naît d'une double conscience de l'Eglise: la conscience d'être
en elle-même «indéfectiblement sainte»(54), mais aussi
d'avoir besoin de «se purifier ... de jour en jour, jusqu'à ce que
le Christ se la présente à lui-même, glorieuse, sans tache
ni ride», étant donné que parfois, à cause de nos péchés,
son visage «resplendit moins» aux yeux de ceux qui la regardent(55).
Ce témoignage ne peut pas ne pas revêtir deux aspects fondamentaux:
être le signe de la charité universelle que Jésus Christ a
laissée en héritage à ses disciples comme preuve de
l'appartenance à son règne; se traduire en actes toujours nouveaux
de conversion et de réconciliation à l'intérieur et à
l'extérieur de l'Eglise, par le dépassement des tensions, le
pardon réciproque, la croissance dans l'esprit de fraternité et de
paix à étendre au monde entier. Au long de ce chemin, l'Eglise
pourra agir utilement pour faire naître ce que mon prédécesseur
Paul VI appelait la «civilisation de l'amour».
DEUXIÈME PARTIE
L'AMOUR PLUS GRAND QUE LE PÉCHÉ
Le drame de l'homme
13. Comme l'écrit l'Apôtre saint Jean, «si nous disons: "Nous
n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité
n'est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle
et juste, pardonnera nos péchés»(56). Ces paroles inspirées,
écrites à l'aube de la vie de l'Eglise, introduisent mieux que
toute autre expression humaine cet exposé sur le péché, qui
est étroitement lié à celui sur la réconciliation.
Elles saisissent le problème du péché dans sa perspective
anthropologique, en tant que partie intégrante de la vérité
sur l'homme, mais elles l'inscrivent aussitôt dans la perspective divine où
le péché est confronté avec la vérité de
l'amour divin, juste, généreux et fidèle, qui se manifeste
surtout par le pardon et la rédemption. Aussi le même saint Jean écrit-il
un peu plus loin que, «si notre cur nous accuse, Dieu est plus grand
que notre cur»(57).
Reconnaître son péché, et même - en
approfondissant la réflexion sur sa propre personnalité - se
reconnaître pécheur, capable de péché et porté
au péché, est le principe indispensable du retour à Dieu.
C'est l'expérience exemplaire de David qui, «après avoir fait
ce qui est mal aux yeux du Seigneur», réprimandé par le prophète
Nathan(58), s'écrie: «Oui, je connais mon péché, ma
faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait»(59). Du reste, Jésus
met sur les lèvres et dans le cur du fils prodigue ces paroles
significatives: «Père, j'ai péché contre le Ciel et
envers toi»(60).
En réalité, se réconcilier avec Dieu suppose et inclut
que l'on se détache avec lucidité et détermination du péché
où l'on est tombé. Cela suppose donc et inclut que l'on fait pénitence
au sens le plus complet du terme: se repentir, manifester son regret, prendre
l'attitude concrète du repenti, celle de quiconque se met sur le chemin
du retour au Père. C'est là une loi générale que
chacun doit suivre dans la situation particulière où il se trouve.
On ne peut en effet parler seulement en termes abstraits du péché
et de la conversion.
Dans la situation concrète de l'homme pécheur, où il ne
peut y avoir de conversion sans reconnaissance de son péché, le
ministère de réconciliation de l'Eglise intervient en toute hypothèse
avec une finalité ouvertement pénitentielle, c'est-à-dire
visant à ramener l'homme à la «connaissance de soi» dont
parle sainte Catherine de Sienne(61), au renoncement au mal, au rétablissement
de l'amitié avec Dieu, à la remise en ordre intérieure, à
la nouvelle conversion ecclésiale. Ajoutons qu'au-delà du cadre de
l'Eglise et des croyants, le message et le ministère de la pénitence
sont adressés à tous les hommes, car tous ont besoin de conversion
et de réconciliation(62).
Pour accomplir comme il convient ce ministère pénitentiel, il
faut aussi évaluer, avec les «yeux illuminés»(63) de la
foi, les conséquences du péché, qui sont cause de division
et de rupture non seulement à l'intérieur de chaque homme mais
aussi dans les différentes sphères de son existence: famille,
milieu, profession, société, comme on peut si souvent le constater
par l'expérience, en confirmation de la page biblique concernant la ville
de Babel et sa tour(64). Visant à construire ce qui devait être à
la fois un symbole et un foyer d'unité, ces hommes se retrouvèrent
plus dispersés qu'avant, en pleine confusion des langues, divisés
entre eux, incapables d'accord ou de convergence.
Pourquoi l'ambitieux projet a-t-il échoué? Pourquoi «les
bâtisseurs ont-ils peiné en vain»?(65) Parce que les hommes s'étaient
fondés seulement sur une uvre de leurs mains pour signifier et
garantir l'unité qu'ils voulaient oubliant l'action du Seigneur. Ils
avaient misé sur la seule dimension horizontale du travail et de la vie
sociale, sans se préoccuper de la dimension verticale, grâce à
laquelle ils se seraient trouvés enracinés en Dieu, leur Créateur
et Seigneur, et ils auraient tendu vers lui comme but ultime de leur chemin.
On peut dire que le drame de l'homme d'aujourd'hui, comme celui de l'homme
de tous les temps, consiste précisément dans son caractère «babélique».
CHAPITRE I
LE MYSTÈRE DU PÉCHÉ
14. Si nous lisons dans la Bible la page sur la ville et la tour de Babel à
la lumière nouvelle de l'Evangile, et si nous la confrontons avec le récit
de la chute des premiers parents, nous pouvons y trouver des éléments
précieux pour prendre conscience du mystère du péché.
Cette expression, qui fait écho à ce qu'écrivait saint Paul
sur le mystère d'iniquité(66), tend à nous
faire percevoir ce qui se cache d'obscur et d'insaisissable dans le péché.
Sans aucun doute, le péché est l'uvre de l'homme; mais dans
la densité même de cette expérience humaine, interviennent
des facteurs qui le situent au-delà de l'humain, dans cette zone limite où
la conscience, la volonté et la sensibilité de l'homme sont au
contact des forces obscures qui, selon saint Paul, agissent dans le monde au
point de parvenir presque à s'en rendre maîtres(67).
La désobéissance à Dieu
Dans le récit biblique sur la construction de la tour de Babel
ressort un premier élément qui nous aide à comprendre le péché:
les hommes ont prétendu bâtir une cité, former une société,
être forts et puissants sans Dieu, même si ce n'était
pas à proprement parler contre Dieu(68). Dans ce sens, le récit
du premier péché dans le paradis terrestre et le récit de
Babel, malgré les différences notables de leurs contenus et de
leurs formes, présentent une convergence sur un point: dans l'un et
l'autre, nous nous trouvons en face d'une exclusion de Dieu, par le
refus explicite de l'un de ses commandements, par un geste qui manifeste une
rivalité face à lui, par la prétention illusoire d'être
«comme lui»(69). Dans le récit de Babel, l'exclusion de
Dieu n'apparaît pas tellement sur le mode d'une confrontation avec
lui, mais comme l'oubli et l'indifférence à son égard,
comme si Dieu ne présentait aucun intérêt dans le cadre du
projet humain de bâtir et de s'unir. Mais, dans les deux cas, c'est avec
violence que se trouve rompu le rapport avec Dieu. Dans la scène
du paradis terrestre apparaît toute la gravité dramatique de ce qui
constitue l'essence la plus intime et la plus obscure du péché:
la désobéissance à Dieu, à sa loi, à
la norme morale qu'il a donnée à l'homme et inscrite dans son cur,
la confirmant et l'achevant par la révélation.
Exclusion de Dieu, rupture avec Dieu, désobéissance à
Dieu: c'est ce qu'a été et ce qu'est le péché
tout au long de l'histoire humaine, sous des formes diverses qui peuvent aller
jusqu'à la négation de Dieu et de son existence: c'est le
phénomène de l'athéisme.
La désobéissance de l'homme qui - par un acte de sa
liberté - ne reconnaît pas la prédominance de Dieu dans sa
vie, au moins au moment précis où il viole sa loi.
La division entre les frères
15. Dans les récits bibliques rappelés plus haut, la rupture
avec Dieu aboutit d'une manière dramatique à la division entre les
frères.
Dans la description du «premier péché», la rupture
avec Yahvé tranche en même temps le lien d'amitié qui
unissait la famille humaine, à tel point que les pages suivantes de la
Genèse nous montrent l'homme et la femme qui, pour ainsi dire,
tendent l'un vers l'autre un doigt accusateur(70); puis un frère qui,
hostile à son frère, finit par lui enlever la vie(71).
Suivant le récit des événements de Babel, la conséquence
du péché est l'éclatement de la famille humaine, déjà
commencé lors du premier péché, désormais arrivé
au pire en prenant une dimension sociale.
Pour qui veut chercher à pénétrer le mystère du
péché, il est impossible de ne pas prendre en compte cet enchaînement
de cause à effet. En tant que rupture avec Dieu, le péché
est l'acte de désobéissance d'une créature qui rejette, au
moins implicitement, celui qui est à son origine et qui la maintient en
vie; c'est donc un acte suicidaire. Du fait que par le péché
l'homme refuse de se soumettre à Dieu, son équilibre intérieur
est détruit et c'est au fond même de son être qu'éclatent
les contradictions et les conflits. Ainsi déchiré, l'homme
provoque de manière presque inévitable un déchirement dans
la trame de ses rapports avec les autres hommes et le monde créé.
C'est là une loi et un fait objectif, vérifiés par de
multiples expériences de la psychologie humaine et de la vie spirituelle,
et aussi dans la réalité de la vie sociale: il est facile d'y
observer les répercussions et les signes du désordre intérieur.
Le mystère du péché comprend cette double blessure que
le pécheur ouvre en lui-même et aussi dans ses rapports avec son
prochain. C'est pourquoi on peut parler de péché personnel
et social: tout péché est personnel d'un certain
point de vue, et d'un autre point de vue, tout péché est social
en ce que, et parce que, il a aussi des consequences sociales.
Péché personnel et péché social
16. Le péché, au sens propre et précis du terme, est
toujours un acte de la personne, car il est l'acte de liberté
d'un homme particulier et non pas, à proprement parler, celui d'un groupe
ou d'une communauté. Cet homme peut se trouver conditionné, opprimé,
poussé par des facteurs externes nombreux et puissants; il peut aussi être
sujet à des tendances, à une hérédité, à
des habitudes liées à sa condition personnelle. Dans bien des cas,
de tels facteurs externes et internes peuvent, dans une mesure plus ou moins
grande, atténuer sa liberté et, par là, sa responsabilité
et sa culpabilité. Mais c'est une vérité de foi, confirmée
également par notre expérience et notre raison, que la personne
humaine est libre. On ne peut ignorer cette vérité en imputant le
péché des individus à des réalités extérieures:
les structures, les systèmes, les autres. Ce serait surtout nier la
dignité et la liberté de la personne qui s'expriment - même
de manière négative et malheureuse - jusque dans cette
responsabilité de commettre le péché. C'est pourquoi, en
tout homme il n'y a rien d'aussi personnel et incommunicable que le mérite
de la vertu ou la responsabilité de la faute.
Les conséquences premières, et les plus importantes, du péché,
acte de la personne, portent sur le pécheur lui-même:
c'est-à-dire sur sa relation avec Dieu, fondement même de la vie
humaine; sur son esprit, affaiblissant sa volonté et obscurcissant son
intelligence.
Parvenus à ce stade de la réflexion, il faut nous demander à
quelle réalité se référaient ceux qui ont mentionné
fréquemment le péché social, au cours de la préparation
et des travaux du Synode. L'expression et le concept sous-jacent ont à
vrai dire plusieurs sens différents.
Parler de péché social veut dire, avant tout, reconnaître
que, en vertu d'une solidarité humaine aussi mystérieuse et
imperceptible que réelle et concrète, le péché de
chacun se répercute d'une certaine manière sur les autres. C'est là
le revers de cette solidarité qui, du point de vue religieux, se développe
dans le mystère profond et admirable de la communion des saints,
grâce à laquelle on a pu dire que «toute âme qui s'élève,
élève le monde»(72). A cette loi de l'élévation
correspond, malheureusement, la loi de la chute, à tel point
qu'on peut parler d'une communion dans le péché, par
laquelle une âme qui s'abaisse par le péché abaisse avec
elle l'Eglise et, d'une certaine façon, le monde entier. En d'autres
termes, il n'y a pas de péché, même le plus intime et le
plus secret, le plus strictement individuel, qui concerne exclusivement celui
qui le commet. Tout péché a une répercussion, plus ou moins
forte, plus ou moins dommageable, sur toute la communauté ecclésiale
et sur toute la famille humaine. Selon ce premier sens, on peut attribuer
indiscutablement à tout péché le caractère de péché
social.
Certains péchés, cependant, constituent, par leur objet même,
une agression directe envers le prochain et - plus exactement, si l'on recourt
au langage évangélique - envers les frères. Ces péchés
offensent Dieu, parce qu'ils offensent le prochain. On désigne
habituellement de tels péchés par l'épithète «sociaux»
et c'est là la seconde signification du terme. En ce sens, est social
le péché contre l'amour du prochain; selon la loi du Christ, il
est d'autant plus grave qu'il met en cause le second commandement qui est «semblable
au premier»(73). Est également social tout péché
commis contre la justice dans les rapports soit de personne à personne,
soit de la personne avec la communauté, soit encore de la communauté
avec la personne. Est social tout péché contre les droits
de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie, sans
exclure le droit de naître, ou contre l'intégrité physique
de quelqu'un; tout péché contre la liberté d'autrui, spécialement
contre la liberté suprême de croire en Dieu et de l'adorer; tout péché
contre la dignité et l'honneur du prochain. Est social tout péché
contre le bien commun et ses exigences, dans tout l'ample domaine des droits et
des devoirs des citoyens. Peut être social le péché
par action ou par omission, de la part de dirigeants politiques, économiques
et syndicaux qui, bien que disposant de l'autorité nécessaire, ne
se consacrent pas avec sagesse à l'amélioration ou à la
transformation de la société suivant les exigences et les
possibilités qu'offre ce moment de l'histoire; de même, de la part
des travailleurs qui manqueraient au devoir de présence et de
collaboration qui est le leur pour que les entreprises puissent continuer à
assurer leur bien-être, celui de leurs familles et de la société
entière.
Le troisième sens du péché social concerne les
rapports entre les diverses communautés humaines. Ces rapports ne sont
pas toujours en harmonie avec le dessein de Dieu qui veut dans le monde la
justice, la liberté et la paix entre les individus, les groupes, les
peuples. Ainsi la lutte des classes, quel qu'en soit le responsable et parfois
celui qui l'érige en système, est un mal social. Ainsi les
oppositions tenaces entre des blocs de nations, d'une nation contre une autre,
de groupes contre d'autres groupes au sein de la même nation, constituent
en vérité un mal social. Dans tous ces cas, il faudrait se
demander si l'on peut attribuer à quelqu'un la responsabilité
morale de tels maux et, par conséquent, le péché. On doit
bien reconnaître que les réalités et les situations comme
celles qu'on vient d'indiquer, dans la mesure où elles se généralisent
et se développent énormément comme faits de société,
deviennent presque toujours anonymes, leurs causes étant par ailleurs
complexes et pas toujours identifiables. C'est pourquoi, si l'on parle de péché
social, l'expression prend ici une signification évidemment
analogique. Quoi qu'il en soit, parler de péché social, même
au sens analogique, ne doit amener personne à sous-estimer la
responsabilité des individus, mais cela revient à adresser un
appel à la conscience de tous, afin que chacun assume sa propre
responsabilité pour changer sérieusement et avec courage ces réalités
néfastes et ces situations intolérables.
Cela dit de la manière la plus claire et sans équivoque, il
convient d'ajouter aussitôt qu'il est une conception du péché
social qui n'est ni légitime ni admissible, bien qu'elle revienne
souvent à notre époque dans certains milieux(74): cette
conception, en opposant, non sans ambiguïté, le péché
social au péché personnel, conduit, de façon
plus ou moins inconsciente, à atténuer et presque à effacer
ce qui est
personnel pour ne reconnaître que les fautes et les responsabilités
sociales. Selon une telle conception, qui manifeste assez clairement sa
dépendance d'idéologies et de systèmes non chrétiens
- parfois abandonnés aujourd'hui par ceux-là mêmes qui en
ont été les promoteurs officiels dans le passé - ,
pratiquement tout péché serait social, au sens où il serait
imputable moins à la conscience morale d'une personne qu'à une
vague entité ou collectivité anonyme telle que la situation, le
système, la société, les structures, l'institution, etc.
Or, quand elle parle de situations de péché ou quand
elle dénonce comme péchés sociaux certaines
situations ou certains comportements collectifs de groupes sociaux plus ou moins
étendus, ou même l'attitude de nations entières et de blocs
de nations, l'Eglise sait et proclame que ces cas de péché
social sont le fruit, l'accumulation et la concentration de nombreux péchés
personnels. Il s'agit de péchés tout à fait personnels
de la part de ceux qui suscitent ou favorisent l'iniquité, voire
l'exploitent; de la part de ceux qui, bien que disposant du pouvoir de faire
quelque chose pour éviter, éliminer ou au moins limiter certains
maux sociaux, omettent de le faire par incurie, par peur et complaisance devant
la loi du silence, par complicité masquée ou par indifférence;
de la part de ceux qui cherchent refuge dans la prétendue impossibilité
de changer le monde; et aussi de la part de ceux qui veulent s'épargner
l'effort ou le sacrifice en prenant prétexte de motifs d'ordre supérieur.
Les vraies responsabilités sont donc celles des personnes.
Une situation - et de même une institution, une structure, une société
- n'est pas, par elle-même, sujet d'actes moraux; c'est pourquoi elle ne
peut être, par elle-même, bonne ou mauvaise.
A l'origine de toute situation de péché se trouvent
toujours des hommes pécheurs. C'est si vrai que, si une telle situation
peut être modifiée dans ses aspects structurels et institutionnels
par la force de la loi ou, comme il arrive malheureusement trop souvent, par la
loi de la force, en réalité le changement se révèle
incomplet, peu durable et, en définitive, vain et inefficace - pour ne
pas dire qu'il produit un effet contraire - si les personnes directement ou
indirectement responsables d'une telle situation ne se convertissent pas.
Péché mortel, péché véniel
17. Mais voici, dans le mystère du péché, une autre
dimension sur laquelle l'intelligence de l'homme n'a jamais cessé de méditer:
celle de sa gravité. C'est une question inévitable, à
laquelle la conscience chrétienne n'a jamais renoncé à répondre:
pourquoi et dans quelle mesure le péché est-il
grave en tant qu'offense faite à Dieu et en raison de sa répercussion
sur l'homme? L'Eglise a une doctrine propre à ce sujet, et elle la réaffirme
en ses éléments essentiels tout en sachant qu'il n'est pas
toujours facile, dans les situations concrètes, de délimiter
nettement les frontières.
Déjà dans l'Ancien Testament il était dit, à
propos de nombreux péchés - ceux qui étaient commis délibérément(75),
les diverses formes de luxure(76), d'idolâtrie(77), de culte des faux
dieux(78) - que le coupable devait être «éliminé de son
peuple», ce qui pouvait aussi signifier condamné à mort(79).
Par contre d'autres péchés, surtout ceux commis par ignorance,
pouvaient être pardonnés grâce à un sacrifice(80).
C'est aussi en se référant à ces textes que l'Eglise
parle constamment, depuis des siècles, de péché mortel
et de péché véniel. Mais cette distinction et ces
termes s'éclairent surtout dans le Nouveau Testament, où se
trouvent des textes nombreux qui énumèrent et réprouvent en
des termes vigoureux les péchés qui méritent particulièrement
d'être condamnés(81), sans parler de la confirmation du décalogue
que Jésus donne lui-même(82). Ici, je voudrais me reporter
particulièrement à deux pages significatives et impressionnantes.
Dans un passage de sa première Lettre, saint Jean parle d'un
péché qui conduit à la mort (prós thánaton)
et l'oppose à un péché qui ne conduit pas à la
mort (mè prós thánaton)(83). Il est évident que
le concept de mort est ici spirituel: il s'agit de perdre la vie véritable
ou «vie éternelle» qui, pour Jean, est la connaissance du Père
et du Fils(84), la communion et l'intimité avec eux. Le péché
qui conduit à la mort semble, dans le passage cité de la
première Lettre de saint Jean, être le rejet du Fils(85),
ou le culte des faux dieux(86). Quoi qu'il en soit, par cette distinction des
concepts, Jean semble vouloir souligner la gravité incalculable de ce qui
est l'essence du péché, le refus de Dieu, accompli surtout dans
l'apostasie et l'idolâtrie, c'est-à-dire l'acte de
rejeter la foi en la vérité révélée, de
mettre au même rang que Dieu certaines réalités créées
et d'en faire des idoles ou de faux dieux(87). Mais l'Apôtre, dans cette
page, entend aussi mettre en lumière la certitude donnée au chrétien
du fait qu'il est «né de Dieu» grâce à la «venue
du Fils»: il y a en lui une force qui le préserve de la chute dans
le péché; Dieu le garde, et «le Mauvais n'a pas de prise sur
lui». Car s'il pèche par faiblesse ou par ignorance, il a en lui
l'espérance de la rémission, étant d'ailleurs soutenu par
la prière commune de ses frères.
Dans une autre page du Nouveau Testament, plus précisément
dans l'Evangile de Matthieu(88), Jésus lui-même parle d'un «blasphème
contre l'Esprit Saint» qui «ne sera pas remis», parce qu'il
consiste, dans ses diverses manifestations, à refuser avec obstination la
conversion à l'amour du Père des miséricordes.
Il s'agit, bien entendu, d'expressions extrêmes et radicales: le refus
de Dieu, le refus de sa grâce et, par conséquent, l'opposition au
principe même du salut(89); par là l'homme semble volontairement
s'interdire la voie de la rémission. Il faut espérer que très
peu d'hommes aient la volonté de s'obstiner jusqu'à la fin dans
cette attitude de révolte ou de défi ouvert contre Dieu, lequel,
par ailleurs, comme nous l'enseigne encore saint Jean(90), «est plus grand
que notre cur» dans son amour miséricordieux et peut vaincre
toutes nos résistances psychologiques et spirituelles, si bien que, comme
l'écrit saint Thomas d'Aquin, «il ne faut désespérer
du salut de personne en cette vie, en raison de la toute-puissance et de la miséricorde
de Dieu»(91).
Mais, face à ce problème de la rencontre d'une volonté
rebelle avec Dieu infiniment juste, on ne peut pas ne pas nourrir des sentiments
de «crainte et tremblement» salutaires, comme le suggère saint
Paul(92); tandis que l'avertissement de Jésus à propos du péché
«qui ne peut être remis» confirme l'existence de fautes qui
peuvent attirer sur le pécheur la peine de la «mort éternelle».
A la lumière de ces textes de la sainte Ecriture et d'autres, les
docteurs et les théologiens les maîtres spirituels et les pasteurs
ont distingué entre les péchés mortels et les péchés
véniels. Saint Augustin, notamment, parlait de letalia ou
de mortifera crimina, les opposant à venialia, levia ou
quotidiana(93). Le sens qu'il a donné à ces qualificatifs
influencera ultérieurement le Magistère de l'Eglise. Après
lui, saint Thomas d'Aquin formulera dans les termes les plus clairs possible la
doctrine devenue constante dans l'Eglise.
En établissant cette distinction entre les péchés
mortels et les péchés véniels, et en les définissant,
la théologie du péché de saint Thomas et de ceux qui la
continuent ne pouvait ignorer la référence biblique et, par conséquent,
le concept de mort spirituelle. Selon le Docteur angélique, pour vivre
selon l'Esprit, l'homme doit rester en communion avec le principe suprême
de la vie, Dieu même, en tant que fin ultime de tout son être et de
tout son agir. Or le péché est un désordre provoqué
par l'homme contre ce principe vital. Et quand, «par le péché,
l'âme provoque un désordre qui va jusqu'à la séparation
d'avec la fin ultime - Dieu - à laquelle elle est liée par la
charité, il y a alors un péché mortel; au contraire, toutes
les fois que le désordre reste en-deçà de la séparation
d'avec Dieu, le péché est véniel»(94). Pour cette
raison, le péché véniel ne prive pas de la grâce
sanctifiante, de l'amitié avec Dieu, de la charité, ni par conséquent
de la béatitude éternelle, tandis qu'une telle privation est précisément
la conséquence du péché mortel.
En outre, considérant le péché sous l'aspect de la
peine qu'il entraîne, saint Thomas avec d'autres docteurs appelle mortel
le péché qui, s'il n'est pas remis, fait contracter une peine éternelle;
véniel, le péché qui mérite une peine
simplement temporelle (c'est-à-dire partielle et qui peut être expiée
sur terre ou au purgatoire).
Si l'on considère ensuite la matière du péché,
les idées de mort, de rupture radicale avec Dieu, bien suprême, de
déviation par rapport à la route qui conduit à Dieu ou
d'interruption du cheminement vers lui (toutes manières de définir
le péché mortel), se conjuguent avec l'idée de gravité
impliquée dans le contenu objectif: c'est pourquoi le péché
grave s'identifie pratiquement, dans la doctrine et l'action pastorale
de l'Eglise, avec le péché mortel.
Nous recueillons ici le noyau de l'enseignement traditionnel de l'Eglise,
repris souvent et avec force au cours du récent Synode. Celui-ci, en
effet, a non seulement réaffirmé ce qui avait été
proclamé par le Concile de Trente sur l'existence et la nature des péchés
mortels et véniels(95), mais il a voulu rappeler qu'est
péché mortel tout péché qui a pour objet une
matière grave et qui, de plus, est commis en pleine conscience et de
consentement délibéré. On doit ajouter, comme cela a été
fait également au Synode, que certains péchés sont intrinsèquement
graves et mortels quant à leur matière. C'est-à-dire qu'il
y a des actes qui, par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment
des circonstances, sont toujours gravement illicites, en raison de leur objet.
Ces actes, s'ils sont accomplis avec une conscience claire et une liberté
suffisante, sont toujours des fautes graves(96).
Cette doctrine, fondée sur le Décalogue et sur la prédication
de l'Ancien Testament, reprise dans le kérygme des Apôtres,
appartenant à l'enseignement le plus ancien de l'Eglise qui la répete
jusqu'à aujourd'hui, trouve dans l'expérience humaine de tous les
temps une exacte vérification. L'homme sait bien, par expérience,
que, sur le chemin de la foi et de la justice qui le conduit à la
connaissance et à l'amour de Dieu dans cette vie et à l'union
parfaite avec lui dans l'éternité, il peut s'arrêter ou s'écarter,
sans pour autant abandonner la voie de Dieu: dans ce cas il y a péché
véniel; toutefois celui-ci ne devra pas être vidé de son
sens, comme s'il était automatiquement chose négligeable, ou un «péché
qui compte peu». A vrai dire l'homme sait aussi, par sa douloureuse expérience,
qu'il peut inverser sa marche par un acte conscient et libre de sa volonté,
et cheminer dans le sens opposé à la volonté de Dieu, et
ainsi s'éloigner de lui (aversio a Deo), refusant la communion
d'amour avec lui, se détachant du principe de vie qu'est Dieu,
choisissant ainsi la mort.
Avec toute la tradition de l'Eglise, nous appelons péché
mortel l'acte par lequel un homme, librement et consciemment, refuse Dieu,
sa loi, l'alliance d'amour que Dieu lui propose, préférant se
tourner vers lui-même, vers quelque réalité créée
et finie, vers quelque chose de contraire à la volonté de Dieu (conversio
ad creaturam). Cela peut se produire d'une manière directe et
formelle, comme dans les péchés d'idolâtrie, d'apostasie,
d'athéisme; ou d'une manière qui revient au même comme dans
toutes les désobéissances aux commandements de Dieu en matière
grave. L'homme sent bien que cette désobéissance à Dieu
brise ses liens avec son principe vital: c'est un péché mortel,
c'est-à-dire un acte qui offense Dieu gravement et finalement se retourne
contre l'homme lui-même avec une force puissante et obscure de
destruction.
Au cours de l'assemblée synodale, certains Pères ont proposé
une distinction tripartite des péchés: il conviendrait de les
classer en péchés véniels, graves et mortels.
Cette distinction tripartite pourrait mettre en lumière le fait que,
parmi les péchés graves, il existe une gradation. Mais il reste
toujours vrai que la distinction essentielle et décisive est celle entre
le péché qui détruit la charité et le péché
qui ne tue pas la vie surnaturelle: entre la vie et la mort il n'y a pas de
place pour un moyen terme.
De même on devra éviter de réduire le péché
mortel à l'acte qui exprime une «option fondamentale»
contre Dieu, suivant l'expression courante actuellement, en entendant par là
un mépris formel et explicite de Dieu ou du prochain. Il y a, en fait, péché
mortel également quand l'homme choisit, consciemment et volontairement,
pour quelque raison que ce soit, quelque chose de gravement désordonné.
En effet, un tel choix comprend par lui-même un mépris de la loi
divine, un refus de l'amour de Dieu pour l'humanité et toute la création:
l'homme s'éloigne de Dieu et perd la charité. L'orientation
fondamentale peut donc être radicalement modifiée par des actes
particuliers. Sans aucun doute il peut y avoir des situations très
complexes et obscures sur le plan psychologique, qui ont une incidence sur la
responsabilité subjective du pécheur. Mais de considérations
d'ordre psychologique, on ne peut passer à la constitution d'une nouvelle
catégorie théologique, comme le serait précisément
l'«option fondamentale», entendue de telle manière que, sur le
plan objectif, elle changerait ou mettrait en doute la conception traditionnelle
du péché mortel.
S'il convient d'apprécier toute tentative sincère et prudente
de clarifier le mystère psychologique et théologique du péché,
l'Eglise a cependant le devoir de rappeler à tous ceux qui étudient
ces matières la nécessité d'une part d'être fidèles
à la Parole de Dieu qui nous instruit aussi sur le péché,
et d'autre part le risque que l'on court de contribuer à atténuer
encore plus dans le monde contemporain le sens du péché.
Perte du sens du péché
18. Par la lecture de l'Evangile faite dans la communion ecclésiale,
la conscience chrétienne a acquis au long des générations
une fine sensibilité et une capacité aiguë de percevoir lesferments
de mort que contient le péché. Une sensibilité et une
capacité de perception qui permettent aussi de déceler ces
ferments dans les mille formes que revêt le péché, dans les
mille visages sous lesquels il se présente. Et c'est ce qu'on a coutume
d'appeler le sens du péché.
Ce sens du péché a sa racine dans la conscience de l'homme et
en est comme l'instrument de mesure. Il est lié au sens de Dieu,
puisqu'il provient du rapport conscient de l'homme avec Dieu comme son Créateur,
son Seigneur et Père. C'est pourquoi, de même que l'on ne peut
effacer complètement le sens de Dieu ni éteindre la conscience, de
même le sens du péché n'est jamais complètement effacé.
Pourtant, il n'est pas rare dans l'histoire, en des périodes plus ou
moins longues et sous l'influence de facteurs multiples, que la conscience
morale se trouve gravement obscurcie en beaucoup d'hommes. «Avons-nous une
idée juste de la conscience?», demandais-je il a deux ans au cours
d'un entretien avec les fidèles: «L'homme contemporain ne vit-il pas
sous la menace d'une éclipse de la conscience, d'une déformation
de la conscience, d'un engourdissement ou d'une "anesthésie"
des consciences?»(97). Trop de signes indiquent qu'à notre époque
se produit une telle éclipse, ce qui est d'autant plus inquiétant
que cette conscience, définie par le Concile comme «le centre le
plus secret et le sanctuaire de l'homme»(98), est «étroitement
liée à la liberté de l'homme... C'est pour cela que
la conscience constitue un élément essentiel qui fonde la dignité
intérieure de l'homme et, en même temps, son rapport avec Dieu»(99).
Il est donc inévitable dans cette situation que le sens du péché
soit lui aussi obnubilé, car il est étroitement lié à
la conscience morale, à la recherche de la vérité, à
la volonté de faire un usage responsable de sa liberté. Avec la
conscience, le sens de Dieu lui aussi se trouve obscurci, et alors, si
cette référence intérieure décisive est perdue, le
sens du péché disparaît. Voilà pourquoi mon prédécesseur
Pie XII a pu déclarer un jour, dans une expression devenue presque
proverbiale, que «le péché de ce siècle est la perte
du sens du péché»(100).
Pourquoi ce phénomène en notre temps? Un regard sur certaines
composantes de la culture contemporaine peut nous aider à comprendre
l'atténuation progressive du sens du péché, précisément
à cause de la crise de la conscience et du sens de Dieu déjà
soulignée ci-dessus.
Le «sécularisme» est en soi et par définition un
mouvement d'idées et de murs qui impose un humanisme qui fait
totalement abstraction de Dieu, concentré uniquement sur le culte de
l'agir et de la production, emporté par l'ivresse de la consommation et
du plaisir, sans se préoccuper du danger de «perdre son âme»;
il ne peut qu'amoindrir le sens du péché. Ce dernier se réduit,
tout au plus, à ce qui offense l'homme. Mais précisément
ici s'impose l'amère expérience à laquelle j'ai déjà
fait allusion dans ma première encyclique: l'homme peut construire un
monde sans Dieu, mais ce monde finira par se retourner contre l'homme(101). En réalité,
Dieu est l'origine et la fin suprême de l'homme, et celui-ci porte en lui
un germe divin(102). C'est pourquoi, c'est le mystère de Dieu qui dévoile
et éclaire le mystère de l'homme. Il est donc vain d'espérer
qu'un sens du péché puisse prendre consistance par rapport à
l'homme et aux valeurs humaines si fait défaut le sens de l'offense
commise contre Dieu, c'est-à-dire le véritable sens du péché.
Ce sens du péché disparaît également dans la société
contemporaine à cause des équivoques ou l'on tombe en accueillant
certains résultats des sciences humaines. Ainsi, en partant de
quelques-unes des affirmations de la psychologie, la préoccupation de ne
pas culpabiliser ou de ne pas mettre un frein à la liberté porte à
ne jamais reconnaître aucun manquement. A cause d'une extrapolation indue
des critères de la science sociologique, on en vient, comme j'y ai déjà
fait allusion, à reporter sur la société toutes les fautes
dont l'individu est déclaré innocent. Egalement, une certaine
anthropologie culturelle, à son tour, a force de grossir les
conditionnements indéniables et l'influence du milieu et des conditions
historiques sur l'homme, limite sa responsabilité au point de ne pas lui
reconnaître la capacité d'accomplir de véritables actes
humains et, par conséquent, la possibilité de pécher.
Le sens du péché disparaît facilement aussi sous
l'influence d'une éthique dérivée d'un certain relativisme
historique. Il peut s'agir de l'éthique qui relativise la norme morale,
niant sa valeur absolue et inconditionnelle, et niant par conséquent
qu'il puisse exister des actes intrinsèquement illicites, indépendamment
des circonstances où ils sont posés par le sujet. Il s'agit d'un véritable
«ébranlement et (d'une) baisse des valeurs morales», et le
problème, «ce n'est pas tellement l'ignorance de l'éthique
chrétienne», mais «plutôt celui du sens, des fondements
et des critères de l'attitude morale»(103). L'effet de cet ébranlement
éthique est toujours aussi d'étouffer à ce point la notion
du péché qu'on finit presque par affirmer que le péché
existe mais qu'on ne sait pas qui le commet.
Enfin le sens du péché disparaît quand - comme cela peut
se produire dans l'enseignement donné aux jeunes, dans les médias,
dans l'éducation familiale elle-même - il se trouve identifié
par erreur avec le sentiment morbide de la culpabilité ou avec la simple
transgression des normes et des préceptes de la loi.
La perte du sens du péché est donc une forme ou un résultat
de la négation de Dieu: non seulement celle de l'athéisme,
mais aussi celle de la sécularisation. Si le péché est la
rupture du rapport filial avec Dieu pour mener sa vie en dehors de l'obéissance
qu'on lui doit, alors pécher ce n'est pas seulement nier Dieu; pécher,
c'est aussi vivre comme s'il n'existait pas, c'est l'effacer de sa vie
quotidienne. Un modèle de société mutilé ou déséquilibré
dans l'un ou l'autre sens, souvent présenté par les moyens de
communication sociale, favorise considérablement la perte progressive du
sens du péché. Dans une telle situation, l'obscurcissement ou
l'affaiblissement du sens du péché découle du refus de
toute référence à la transcendance, au nom de l'aspiration à
l'autonomie personnelle; de l'assujettissement à des modèles éthiques
imposés par un consensus et une attitude générale, même
si la conscience individuelle les condamne; des conditions socio-économiques
dramatiques qui oppriment une très grande part de l'humanité,
faisant naître la tendance à ne voir les erreurs et les fautes que
dans le domaine social; enfin et surtout de l'effacement de l'idée de la
paternité de Dieu et de sa seigneurie sur l'homme.
Et même dans le domaine de la pensée et de la vie ecclésiales,
il y a des tendances qui favorisent inévitablement le déclin du
sens du péché. Certains, par exemple, tendent à remplacer
des attitudes excessives du passé par d'autres excès: au lieu de
voir le péché partout, on ne le distingue plus nulle part; au lieu
de trop mettre l'accent sur la peur des peines éternelles, on prêche
un amour de Dieu qui excluerait toute peine méritée par le péché;
au lieu de la sévérité avec laquelle on s'efforce de
corriger les consciences erronées, on prône un tel respect de la
conscience qu'il supprime le devoir de dire la vérité. Et pourquoi
ne pas ajouter que la confusion créée dans la conscience
de nombreux fidèles par les divergences d'opinions et d'enseignements
dans la théologie, dans la prédication, dans la catéchèse,
dans la direction spirituelle au sujet de questions graves et délicates
de la morale chrétienne, finit par amoindrir, presque au point de
l'effacer, le véritable sens du péché? Et il ne faut pas
taire certains défauts dans la pratique de la Pénitence
sacramentelle: ainsi la tendance à obscurcir le sens ecclésial du
péché et de la conversion, en les réduisant à des réalités
seulement individuelles, ou, inversement, la tendance à supprimer la
valeur personnelle du bien et du mal pour en considérer exclusivement la
dimension communautaire; ou encore le danger, pas encore entièrement
conjuré, du ritualisme routinier qui enlève au sacrement son plein
sens et son efficacité éducative.
Rétablir un juste sens du péché, c'est la première
façon d'affronter la grave crise spirituelle qui pèse sur l'homme
de notre temps. Mais le sens du péché ne se rétablira que
par un recours clair aux principes inaliénables de la raison et de la
foi que la doctrine morale de l'Eglise a toujours soutenus.
Il est permis d'espérer que sera ravivé, surtout dans le monde
chrétien et ecclésial, un sens salutaire du péché. A
cela contribueront une bonne catéchèse, éclairée par
la théologie biblique de l'Alliance, une écoute attentive et un
accueil confiant du Magistère de l'Eglise qui ne cesse d'éclairer
les consciences, et une pratique toujours plus sérieuse du sacrement de
la Pénitence.
CHAPITRE II
«MYSTERIUM PIETATIS»
19. Pour connaître le péché, il était nécessaire
de regarder attentivement sa nature, telle que la révélation du
dessein du salut nous l'a fait connaître: il s'agit du mysterium
iniquitatis. Mais dans ce plan du salut, le péché n'est pas
agent principal, et encore moins vainqueur. Il est en opposition avec un autre
principe agissant que nous pouvons appeler le mysterium, ou le sacramentum
pietatis, selon une expression de saint Paul, belle et suggestive. Le péché
de l'homme aurait le dessus et finalement il serait destructeur, le dessein
salvifique de Dieu demeurerait sans accomplissement ou même se terminerait
en défaite, si ce mysterium pietatis n'était pas inséré
dans le dynamisme de l'histoire pour vaincre le péché de l'homme.
Nous trouvons cette expression dans une des Lettres pastorales de
saint Paul, la première à Timothée. Elle surgit à
l'improviste comme par une inspiration jaillissante. En effet l'Apôtre,
qui, auparavant, a consacré de longs paragraphes de son message au
disciple bien-aimé pour expliquer le sens de l'organisation de la
communauté (la vie liturgique, et, en lien avec elle, la structure hiérarchique),
a ensuite parlé du rôle des chefs de la communauté, pour évoquer
finalement le comportement de Timothée lui-même dans «l'Eglise
du Dieu vivant, colonne et support de la vérité». A la fin il
évoque donc soudain, non sans une intention profonde, ce qui donne son
sens à tout ce qu'il a écrit: «C'est incontestablement un
grand mystère que celui de la piété...»(104).
Sans trahir le moins du monde le sens littéral du texte, nous pouvons
élargir cette magnifique intuition théologique de l'Apôtre à
une vision plus complète du rôle que tient dans l'économie
du salut la vérité qu'il annonce. «Il est vraiment grand, répétons-le
avec lui, le mystère de la piété», parce qu'il est
vainqueur du péché.
Mais cette «piété», qu'est-elle au juste dans la
conception paulinienne?
Il s'agit du Christ lui-même
20. Il est profondément significatif que, pour présenter ce
mysterium pietatis, Paul transcrit simplement, sans établir
un lien grammatical avec le texte précédent(105), trois lignes
d'une hymne christologique qui, de l'avis de plusieurs spécialistes
autorisés, était en usage dans les communautés chrétiennes
hellénistiques.
Par les paroles de cette hymne, denses de contenu théologique et d'un
style noble et beau, ces croyants du premier siècle professaient leur foi
dans le mystère du Christ, à savoir que:
- il s'est manifesté dans la réalité de la chair
humaine et il a été constitué le Juste par l'Esprit Saint,
lui qui s'offre pour les injustes;
- il est apparu aux anges, devenu plus grand qu'eux, et il a été
proclamé chez les païens, comme porteur de salut;
- il a été accueilli dans le monde par la foi, comme envoyé
du Père, et élevé au ciel par le même Père,
comme Seigneur(106).
Le mystère ou le sacrement de la piété est donc le mystère
même du Christ. Il est, dans une synthèse très expressive,
le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption, de la Pâque
plénière de Jésus, Fils de Dieu et Fils de Marie: mystère
de sa passion et de sa mort, de sa résurrection et de sa glorification.
Saint Paul, en reprenant les phrases de l'hymne, a voulu rappeler que ce
mystère est le principe vital secret faisant de l'Eglise la maison de
Dieu, la colonne et le support de la vérité. Dans le sillage de
l'enseignement de Paul, nous pouvons affirmer que ce mystère de
l'infinie piété de Dieu envers nous est capable de pénétrer
jusqu'aux racines cachées de notre iniquité, pour susciter dans l'âme
un mouvement de conversion, pour la racheter et déployer ses voiles vers
la réconciliation.
En se référant sans aucun doute à ce mystère,
saint Jean lui aussi, dans son langage caractéristique, différent
de celui de saint Paul, pouvait écrire que «quiconque est né
de Dieu ne pèche pas»: le Fils de Dieu le garde, «et le Mauvais
n'a pas prise sur lui»(107). Dans cette affirmation de saint Jean, il y a
une indication d'espérance, fondée sur les promesses divines: le
chrétien a été assuré de recevoir les forces nécessaires
pour ne pas pécher. Il ne s'agit donc pas d'une impeccabilité
acquise par sa propre vertu ou, à plus forte raison, innée dans
l'homme, comme le pensaient les Gnostiques. C'est un résultat de l'action
de Dieu. Pour ne pas pécher, le chrétien dispose de la
connaissance de Dieu, comme saint Jean le rappelle dans le même passage.
Mais un peu auparavant, il avait écrit: «Quiconque est né de
Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence divine demeure
en lui»(108). Si, par «semence de Dieu» nous entendons, comme le
proposent certains commentateurs, Jésus, le Fils de Dieu, alors nous
pouvons dire que, pour ne pas pécher - ou pour se libérer du péché
- le chrétien dispose de la présence en soi du Christ lui-même
et du mystère du Christ, qui est le mystère de piété.
L'effort du chrétlen
21. Mais dans le mysterium pietatis, il y a une autre face: à
la piété de Dieu envers le chrétien doit correspondre la
piété du chrétien envers Dieu. Dans cette seconde
acception, la piété (eusébeia) signifie précisément
le comportement du chrétien qui répond à la piété
paternelle de Dieu par sa piété filiale.
En ce sens encore nous pouvons affirmer avec saint Paul qu' «il est
grand le mystère de la piété». Dans ce sens aussi, la
piété, comme force de conversion et de réconciliation,
affronte l'iniquité et le péché. Dans ce cas également
les aspects essentiels du mystère du Christ sont objets de la piété,
c'est-à-dire que le chrétien accueille le mystère, le
contemple, en tire la force spirituelle nécessaire pour mener sa vie
selon l'Evangile. Ici encore, on doit dire que «celui qui est né de
Dieu ne commet pas le péché»; mais l'expression a un sens impératif:
soutenu par le mystère et par les mystères du Christ, comme par
une source intérieure d'énergie spirituelle, le chrétien
est mis en garde contre le péché et, plus encore, il reçoit
le commandement de ne pas pécher en se comportant dignement «dans la
maison de Dieu, c'est-à-dire dans l'Eglise du Dieu vivant»(109), étant
un fils de Dieu.
Vers une vie réconciliée
22. Ainsi la Parole de l'Ecriture, en nous révélant le mystère
de la piété, ouvre l'intelligence humaine à la
conversion et à la réconciliation, entendues non comme de hautes
abstractions, mais comme des valeurs chrétiennes concrètes à
acquérir dans la vie quotidienne.
Les hommes d'aujourd'hui, comme pris au piège par la perte du sens du
péché, tentés parfois par quelque illusion bien peu chrétienne
d'impeccabilité, ont besoin eux aussi de réentendre, comme adressé
à chacun d'eux personnellement, l'avertissement de saint Jean: «Si
nous disons: "Nous n'avons pas de péché", nous nous
abusons, la vérité n'est pas en nous» (110). Et encore: «Le
monde entier gît au pouvoir du Mauvais»(111). Chacun est donc invité
par la voix de la Vérité divine à lire dans sa conscience
avec réalisme et à confesser qu'il a été engendré
dans l'iniquité, comme nous le disons dans le psaume Miserere(112).
Cependant, menacés par la peur et par le désespoir, les
hommes d'aujourd'hui peuvent se sentir réconfortés par la promesse
divine qui les ouvre à l'espérance de la pleine réconciliation.
Le mystère de la piété, de la part de Dieu, est la miséricorde
dont le Seigneur notre Père - je le répète encore - est
infiniment riche(113). Comme je l'ai dit dans l'encyclique consacrée au
thème de la miséricorde divine(114), celle-ci est un amour
plus puissant que le péché, plus fort que la mort. Quand nous
nous apercevons que l'amour que Dieu a pour nous ne se laisse pas arrêter
par notre péché, ne recule pas devant nos offenses, mais se fait
encore plus pressant et plus généreux; quand nous nous rendons
compte que cet amour est allé jusqu'à causer la passion et la mort
du Verbe fait chair, qui a accepté de nous racheter en payant de son
Sang, alors nous débordons de reconnaissance: «Oui, le Seigneur est
riche en miséricorde», et nous allons jusqu'à dire: «Le
Seigneur est miséricorde».
Le mystère de la piété est la voie ouverte par la miséricorde
divine à la vie réconciliée.
TROISIÈME PARTIE
LA PASTORALE DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION
Promotion de la pénitence et de la réconciliation
23. Susciter dans le cur de l'homme la conversion et la pénitence,
et lui offrir le don de la réconciliation, constitue la mission naturelle
de l'Eglise qui continue ainsi l'uvre rédemptrice de son divin
Fondateur. Cette mission ne se limite pas à quelques affirmations théoriques
ni à proposer un idéal éthique sans l'accompagner des
forces nécessaires à sa réalisation; elle tend à
s'exprimer dans des fonctions précises du ministère, ordonnées
à une pratique concrète de la pénitence et de la réconciliation.
Ce ministère, fondé et éclairé par les principes
de foi exposés ci-dessus, orienté vers des objectifs précis
et soutenu par des moyens adéquats, nous pouvons l'appeler pastorale
de la pénitence et de la réconciliation. Son point de départ
est la conviction de l'Eglise que l'homme auquel s'adresse toute forme de
pastorale, mais surtout la pastorale de la pénitence et de la réconciliation,
est l'homme marqué par le péché dont David nous fournit un
exemple significatif. Recevant les reproches du prophète Nathan, il
accepte d'être confronté avec ses propres crimes et il avoue: «J'ai
péché contre le Seigneur»(115). Il proclame: «Oui, je
connais mon péché, ma faute est toujours devant moi»(116).
Mais aussi il prie: «Purifie-moi avec l'hysope, et je serai pur; lave-moi
et je serai blanc, plus que la neige»(117). Et il reçoit la réponse
du Dieu miséricordieux: «Le Seigneur a pardonné ton péché:
tu ne mourras pas»(118).
L'Eglise se trouve donc en face de l'homme - en face de tout un monde humain
- blessé par le péché, atteint par lui au plus intime dans
la profondeur de son être, mais en même temps poussé par le désir
incoercible d'être libéré du péché et, spécialement
s'il est chrétien, conscient que le mystère de piété,
le Christ Seigneur, agit en lui et dans le monde par la force de la Rédemption.
La fonction réconciliatrice de l'Eglise doit ainsi se déployer
en fonction du lien intime qui rattache étroitement le pardon et la rémission
du péché de chaque homme à la réconciliation
fondamentale et plénière de l'humanité, réalisée
par la Rédemption. Ce lien nous fait comprendre que, le péché
étant le principe actif de la division - division entre l'homme et son Créateur,
division dans le cur et dans l'esprit de l'homme, division entre les
individus et entre les groupes humains, division entre l'homme et la nature créée
par Dieu - , seule la conversion qui détourne du péché est
capable de réaliser une réconciliation profonde et durable partout
où la division a pénétré.
Il n'est point besoin de répéter ici ce que j'ai déjà
dit sur l'importance de ce «ministère de la réconciliation»(119)
et de la pastorale correspondante qui le met en uvre dans la conscience et
dans la vie de l'Eglise. Celle-ci faillirait à un aspect de sa nature et
négligerait l'une de ses fonctions indispensables si elle ne proclamait
pas avec clarté et fermeté, à temps et à
contretemps, «la parole de la réconciliation»(120) et si elle
n'offrait pas au monde le don de la réconciliation. Mais, il convient de
le répéter, il importe que ce service ecclésial de réconciliation
s'étende, au-delà des frontières de l'Eglise, au monde
entier.
Parler de pastorale de la pénitence et de la réconciliation
signifie donc que l'on envisage l'ensemble des tâches qui incombent à
l'Eglise, sur tous les plans, pour les promouvoir. Plus concrètement,
parler de cette pastorale veut dire évoquer toutes les activités
par lesquelles l'Eglise, grâce à l'ensemble et à chacun de
ceux qui la composent - Pasteurs et fidèles à tous les niveaux et
dans tous les milieux et avec tous les moyens à sa disposition - en
paroles et en actes, par l'enseignement et par la prière - conduit les
hommes, individuellement ou en groupe, à la vraie pénitence et les
introduit ainsi sur le chemin de la pleine réconciliation.
Les Pères du Synode - en tant que représentants de leurs confrères
évêques, guides du peuple qui leur est confié - ont travaillé
sur cette pastorale dans ses éléments les plus pratiques et les
plus concrets. Et je suis heureux de leur faire écho, en m'associant à
leurs préoccupations et à leurs espérances, en accueillant
les fruits de leurs recherches et de leurs expériences, en les
encourageant dans leurs projets et leurs réalisations. Puissent-ils
retrouver dans cette partie de l'exhortation apostolique ce qu'ils ont apporté
eux-mêmes au Synode, apport dont je voudrais faire bénéficier
aussi, dans les pages qui suivent, l'Eglise entière.
Je juge donc opportun de mettre en lumière l'essentiel de la pastorale
de la pénitence et de la réconciliation, en exposant les deux
points suivants:
- Les moyens utilisés et les voies suivies par l'Eglise pour
promouvoir la pénitence et la réconciliation;
- Le sacrement par excellence de la Pénitence et de la Réconciliation.
CHAPITRE I
LA PROMOTION DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION: MOYENS
ET VOIES
24. Pour promouvoir la pénitence et la réconciliation,
l'Eglise a à sa disposition surtout deux moyens qui lui ont été
confiés par son Fondateur même: la catéchèse et les
sacrements. L'Eglise les met en uvre d'une façon qu'elle considère
toujours pleinement adaptée aux exigences de sa mission salvifique et répondant
en même temps aux exigences et aux besoins spirituels des hommes de tous
les temps, et cela sous des formes et des manières anciennes et
nouvelles. Parmi celles-ci, il sera bon de rappeler spécialement ce que
nous pouvons nommer la méthode du dialogue, à la suite de
mon prédécesseur Paul VI.
Le dialogue
25. Le dialogue, pour l'Eglise, est en un sens un moyen et surtout une manière
d'exercer son action dans le monde contemporain.
Le Concile Vatican II, en effet, proclame d'abord que «l'Eglise, en
vertu de la mission qui est la sienne d'éclairer l'univers entier par le
message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les
hommes..., apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend
possible un dialogue loyal et qui le renforce». Puis il ajoute qu'elle doit
être capable «d'établir un dialogue sans cesse plus fécond
entre tous ceux qui constituent l'unique peuple de Dieu»(121), comme aussi
d'«établir un dialogue avec la société humaine»(122).
Mon prédécesseur Paul VI a consacré au dialogue une
partie notable de sa première encyclique Ecclesiam suam, où
il le décrit et le caractérise de façon significative comme
un dialogue du salut(123).
L'Eglise en effet utilise la méthode du dialogue pour mieux amener
les hommes - ceux qui, par le baptême et la profession de foi, se
reconnaissent membres de la communauté chrétienne, et ceux qui lui
sont étrangers - à la conversion et à la pénitence,
sur la voie d'un profond renouveau de leur conscience et de leur vie, à
la lumière du mystère de la rédemption et du salut réalisés
par le Christ et confiés au ministère de son Eglise. L'authentique
dialogue vise donc avant tout la régénération de chacun,
par la conversion intérieure et la pénitence, tout en respectant
profondément les consciences dans les démarches patientes et
progressives que requièrent les conditions des hommes de notre temps.
Le dialogue pastoral en vue de la réconciliation demeure aujourd'hui
un engagement fondamental de l'Eglise en divers domaines et à différents
niveaux.
L'Eglise met en uvre avant tout un dialogue cuménique,
c'est-à-dire avec les Eglises et les Communautés ecclésiales
qui se réclament de la foi dans le Christ, Fils de Dieu et unique
Sauveur, et un dialogue avec les autres communautés d'hommes qui
cherchent Dieu et veulent avoir un rapport de communion avec lui.
A la base d'un tel dialogue avec les autres Eglises et Communautés
ecclésiales, et avec les autres religions - et c'est aussi la condition
de sa crédibilité et de son efficacité - , il doit y avoir
un effort sincère de dialogue permanent et renouvelé à
l'intérieur de l'Eglise catholique elle-même. Cette Eglise a
conscience d'être, par sa nature, sacrement de la communion
universelle de charité(124); mais elle a conscience également
des tensions qui existent en son sein et qui risquent de devenir des facteurs de
division.
L'appel attristé et ferme, déjà adressé par mon
prédécesseur en vue de l'Année sainte 1975(125), est encore
valable actuellement. Pour parvenir à surmonter les conflits et éviter
que les tensions normales ne nuisent à l'unité de l'Eglise, il
faut que nous nous mettions tous en face de la Parole de Dieu et que,
abandonnant nos vues subjectives, nous cherchions la vérité là
où elle se trouve, c'est-à-dire dans la Parole divine et dans
l'interprétation authentique qu'en donne le Magistère de l'Eglise.
Sous cette lumière, l'écoute réciproque, le respect et
l'abstention de tout jugement hâtif, la patience, la capacité d'éviter
que la foi, qui unit, soit subordonnée aux opinions, aux modes et aux
choix idéologiques qui divisent, constituent autant de qualités
d'un dialogue qui, à l'intérieur de l'Eglise, doit être
poursuivi avec assiduité, volonté, sincérité. Il est
clair que le dialogue ne serait pas tout cela et qu'il ne deviendrait pas un
facteur de réconciliation si on ne prêtait pas attention au Magistère
et si on ne l'acceptait pas.
Effectivement engagée dans la recherche de sa propre communion
interne, l'Eglise catholique peut adresser l'appel à la réconciliation,
comme elle l'a déjà fait depuis longtemps, aux autres Eglises avec
lesquelles il n'y a pas une pleine communion, et aussi aux autres religions et même
à tous ceux qui cherchent Dieu d'un cur sincère.
A la lumière du Concile et du magistère de mes prédécesseurs,
dont j'ai reçu le précieux héritage que je m'efforce de
conserver et de mettre en pratique, je puis affirmer que l'Eglise catholique,
dans toutes ses communautés, s'engage avec loyauté dans le
dialogue cuménique, en évitant les optimismes faciles, mais
aussi sans méfiance, sans hésitation ou sans délai. Les règles
fondamentales qu'elle cherche à suivre dans ce dialogue sont, d'une part,
l'assurance que seul un cuménisme spirituel - fondé sur la
prière commune et sur la docilité commune à l'unique
Seigneur - permet de répondre sincèrement et sérieusement
aux autres exigences de l'action cuménique(126); d'autre part, la
conviction qu'un certain irénisme facile en matière doctrinale et
surtout dogmatique pourrait peut-être mener à une forme de «convivialité»
superficielle et passagère, mais non pas à la communion profonde
et stable que nous souhaitons tous. A cette communion on parviendra à
l'heure voulue par la divine Providence, mais pour y arriver, l'Eglise
catholique, en ce qui la concerne, sait qu'elle doit être ouverte et
sensible à toutes «les valeurs réellement chrétiennes
qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères
séparés»(127), mais qu'elle doit pareillement poser à
la base d'un dialogue loyal et constructif la clarté des positions, la
fidélité et la cohérence avec la foi transmise et définie
dans la continuité de la tradition chrétienne par son Magistère.
Par ailleurs, malgré la menace d'un certain défaitisme et malgré
les inévitables lenteurs qui ne sauraient être corrigées par
une manière inconsidérée d'agir, l'Eglise catholique
continue à chercher avec tous les autres frères chrétiens
les voies de l'unité et, avec les disciples des autres religions, un
dialogue sincère. Puisse ce dialogue inter-religieux conduire au dépassement
de toute attitude d'hostilité, de défiance, de condamnation
mutuelle et même de mutuelles invectives ! C'est là une condition
préliminaire pour que nous puissions nous rencontrer au moins dans la foi
en un Dieu unique et dans la certitude de la vie éternelle pour l'âme
immortelle. Et, en particulier, fasse le Seigneur que le dialogue cuménique
mène à une sincère réconciliation dans le cadre de
tout ce que nous pouvons déjà avoir en commun avec les autres
Eglises chrétiennes: la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu fait
homme, Sauveur et Seigneur, l'écoute de la Parole, l'étude de la Révélation,
le sacrement du baptême.
Dans la mesure où l'Eglise est capable de susciter la concorde active
- l'unité dans la diversité - en son propre sein, et de s'offrir
comme témoin et humble agent de réconciliation à l'égard
des autres Eglises et Communautés ecclésiales et des autres
religions, elle devient, selon la définition expressive de saint
Augustin, «monde réconcilié»(128). Alors elle
pourra être un signe de réconciliation dans le monde et pour le
monde.
Ayant conscience de l'immense gravité de la situation créée
par les forces de division et de guerre, situation qui constitue aujourd'hui une
menace pesante non seulement pour l'équilibre et l'harmonie des nations,
mais pour la survie même de l'humanité, l'Eglise ressent le devoir
d'offrir et de proposer sa collaboration spécifique pour surmonter les
conflits et rétablir la concorde.
Il s'agit là d'un dialogue complexe et délicat de réconciliation.
L'Eglise s'y engage avant tout par l'action du Saint-Siège et de
ses divers Organismes. On peut affirmer que le Saint-Siège
s'efforce d'intervenir auprès des Gouvernants des nations et des
responsables des diverses instances internationales, ou de se joindre à
eux, en dialoguant avec eux ou en les stimulant à dialoguer entre eux, au
bénéfice de la réconciliation au cur de nombreux
conflits. L'Eglise le fait, non pour des motifs seconds ou pour des intérêts
occultes, car elle n'en a pas, mais «par préoccupation humanitaire»(129),
mettant sa structure institutionnelle et son autorité morale, tout à
fait singulières, au service de la concorde et de la paix. Elle le fait
dans la conviction que, de même que «dans une guerre, deux parties se
lèvent l'une contre l'autre», de même «dans la question
de la paix, ce sont toujours et nécessairement deux parties qui doivent
savoir s'engager», et c'est ainsi que «l'on trouve le véritable
sens du dialogue pour la paix»(130).
Dans le dialogue pour la réconciliation, l'Eglise s'engage aussi par
les évêques, selon la compétence et la responsabilité
qui leur sont propres, soit individuellement en dirigeant leurs Eglises
particulières, soit réunis dans leurs Conférences épiscopales,
avec la collaboration des prêtres et de tous les membres des communautés
chrétiennes. Ils accomplissent fidèlement leur devoir quand ils
promeuvent cet indispensable dialogue et lorsqu'ils proclament les exigences
humaines et chrétiennes de réconciliation et de paix. En communion
avec leurs Pasteurs, les laïcs, dont le «champ propre de (l')activité
évangélisatrice est le monde vaste et compliqué de la
politique, du social, de l'économie..., de la vie internationale»(131),
sont appelés à s'engager directement dans le dialogue ou en faveur
du dialogue pour la réconciliation. Par leur entremise, c'est encore
l'Eglise qui accomplit son action réconciliatrice.
La régénération des curs par la conversion et la
pénitence est donc le présupposé fondamental et la base sûre
de tout renouveau social durable et de la paix entre les nations.
Il reste à rappeler que, de la part de l'Eglise et de ses membres, le
dialogue, sous quelque forme qu'il se déroule - ces formes sont et
peuvent être très diverses, si bien que le concept de dialogue a
une valeur analogique - , ne pourra jamais partir d'une attitude d'indifférence
envers la vérité, mais il en sera plutôt une présentation
faite sous un mode serein, respectueux de l'intelligence et de la conscience des
autres. Le dialogue de la réconciliation ne pourra jamais remplacer ou
atténuer l'annonce de la vérité évangélique,
qui a comme but précis la conversion du pécheur et la communion
avec le Christ et avec l'Eglise, mais il devra servir à la transmission
de cette vérité et à sa réalisation à travers
les moyens laissés par le Christ à son Eglise pour la pastorale de
la réconciliation: la catéchèse et la pénitence.
La catéchèse
26. Dans le vaste domaine où l'Eglise a la mission d'uvrer
selon la méthode du dialogue, la pastorale de la pénitence et
de la réconciliation s'adresse aux membres du corps de l'Eglise,
avant tout par une catéchèse appropriée concernant
les deux réalités distinctes et complémentaires auxquelles
les Pères du Synode ont donné une particulière importance
et qu'ils ont mises en relief dans plusieurs des Propositions qui
concluaient leur travail, précisément la pénitence et la réconciliation.
La catéchèse est donc le premier moyen à employer.
A la base de la recommandation si opportune du Synode, on trouve un présupposé
fondamental: ce qui est pastoral ne s'oppose pas à doctrinal,
et l'action pastorale ne peut faire abstraction du contenu doctrinal, bien plus,
elle tire de lui sa substance et sa valeur réelle. Or, si l'Eglise est «colonne
et support de la vérité»(132), et si elle est établie
dans le monde comme Mère et Maîtresse, comment pourrait-elle négliger
le devoir d'enseigner la vérité qui constitue un chemin de vie?
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend avant tout une catéchèse
sur la réconciliation. Celle-ci ne peut manquer de se fonder
sur l'enseignement biblique, spécialement sur celui du Nouveau Testament,
touchant la nécessité de reconstituer l'alliance avec Dieu dans le
Christ rédempteur et réconciliateur et, à la lumière
de cette nouvelle communion et de cette nouvelle amitié, et dans leur
prolongement, la nécessité de se réconcilier avec son frère,
quitte à laisser pour un temps l'offrande du sacrifice(133). Jésus
insiste beaucoup sur ce thème de la réconciliation fraternelle:
par exemple lorsqu'il invite à tendre l'autre joue à celui qui
nous a frappés, et à laisser même notre manteau à
celui qui a pris notre tunique(134), ou lorsqu'il enseigne la loi du pardon, un
pardon que chacun reçoit dans la mesure où il sait pardonner(135),
un pardon à offrir même à nos ennemis(136), un pardon à
accorder soixante-dix fois sept fois(137), c'est-à-dire, en pratique,
sans aucune limitation. C'est à ces conditions, réalisables
seulement dans un climat authentiquement évangélique, qu'est
possible une véritable réconciliation entre les individus, entre
les familles, les communautés, les nations et les peuples. De ces données
bibliques sur la réconciliation découlera naturellement une catéchèse
théologique, qui intégrera aussi dans sa synthèse les éléments
de la psychologie, de la sociologie et des autres sciences humaines, celles-ci
pouvant servir à clarifier les situations, bien poser les problèmes,
convaincre les auditeurs ou les lecteurs de prendre des résolutions concrètes.
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend également une catéchèse
sur la pénitence. Là encore la richesse du message
biblique doit en être la source. Ce message souligne avant tout, en ce qui
concerne la pénitence, sa valeur de conversion, terme par lequel
on cherche à traduire le mot du texte grec metánoia(138),
qui signifie littéralement laisser s'opérer un retournement
de l'esprit pour qu'il se tourne vers Dieu. Voici du reste les deux éléments
fondamentaux qui ressortent de la parabole du fils perdu et retrouvé: le
fait de «rentrer en soi-même»(139) et la décision de
retourner vers son père. Il ne saurait y avoir de réconciliation
sans ces attitudes primordiales de la conversion, et la catéchèse
doit les expliquer par des concepts et des termes adaptés aux différents
âges, aux diverses conditions culturelles, morales et sociales.
C'est une première valeur de la pénitence qui se prolonge dans
la deuxième valeur: la pénitence signifie aussi repentir.
Les deux sens de la metánoia apparaissent dans la consigne
significative donnée par Jésus: «Si ton frère se
repent, remets-lui. Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que
sept fois il revienne à toi en disant: "Je me repens", tu lui
remettras»(140). Une bonne catéchèse montrera comment le
repentir, tout comme la conversion, loin d'être un sentiment superficiel,
est un vrai retournement de l'âme.
Une troisième valeur est contenue dans la pénitence: c'est le
mouvement par lequel les attitudes de conversion et de repentir dont on vient de
parler se manifestent à l'extérieur: c'est ce qu'on appelle faire
pénitence. Ce sens est bien perceptible dans le terme metánoia
tel qu'il est employé par le Précurseur selon le texte des
synoptiques(141). Faire pénitence veut dire, finalement,
rétablir l'équilibre et l'harmonie rompus par le péché,
changer de direction même au prix de sacrifices.
En somme, on ne saurait se passer d'une catéchèse sur la pénitence,
la plus complète et la plus adéquate possible, en un temps comme
le nôtre où les attitudes dominantes dans la psychologie et dans
les comportements sociaux sont en opposition avec la triple valeur déjà
exposee: l'homme d'aujourd'hui semble avoir plus de peine que jamais à
reconnaître ses propres erreurs et à décider de revenir sur
ses pas pour reprendre le chemin après avoir rectifié sa marche;
il semble très réticent à dire: «Je me repens» ou
«je regrette»; il semble refuser instinctivement, et souvent de manière
irrésistible, tout ce qui est pénitence au sens du sacrifice
accepté et pratiqué pour se corriger du péché. A cet
égard, je voudrais souligner que, même si elle est adoucie depuis
quelque temps, la discipline pénitentielle de l'Eglise ne peut être
abandonnée sans grave dommage pour la vie intérieure des chrétiens
et de la communauté ecclésiale, comme pour leur capacité de
rayonnement missionnaire. Il n'est pas rare que des non-chrétiens soient
surpris par la rareté du témoignage de vraie pénitence de
la part des disciples du Christ. Il est clair, par ailleurs, que la pénitence
chrétienne sera authentique dans la mesure où elle sera inspirée
par l'amour, et non pas par la seule crainte, où elle consistera en un sérieux
effort pour crucifier le «vieil homme» afin que puisse renaître «l'homme
nouveau», grâce au Christ; où elle suivra comme modèle
le Christ qui, bien qu'innocent, choisit la voie de la pauvreté de la
patience, de l'austérité et, on peut le dire, de la vie pénitente.
Des Pasteurs de l'Eglise, on attend encore, comme l'a rappelé le
Synode, une catéchèse sur la conscience et sur sa formation.
Il y a là encore un thème de grande actualité étant
donné que, dans les soubresauts qui affectent la culture de notre temps,
ce sanctuaire intérieur de l'homme, c'est-à-dire ce moi le plus
intime de l'homme, sa conscience, se trouve trop souvent agressé, mis à
l'épreuve, bouleversé, obscurci. Pour une catéchèse
sérieuse sur la conscience, on peut trouver des indications précieuses
aussi bien chez les Docteurs de l'Eglise que dans la théologie du Concile
Vatican II et spécialement dans ses documents sur l'Eglise dans le monde
contemporain(142) et sur la liberté religieuse(143). C'est dans cette
ligne que le Pape Paul VI intervint souvent pour rappeler la nature et le rôle
de la conscience dans notre vie(144). Pour ma part, en suivant ses traces, je ne
laisse passer aucune occasion de faire la lumière sur ce qui fait partie
au plus haut degré de la grandeur et de la dignité de
l'homme(145), sur cette «sorte de sens moral qui nous amène à
discerner ce qui est bien et ce qui est mal... comme un oeil intérieur,
une faculté visuelle de l'esprit, capable de guider nos pas sur la voie
du bien»; j'ai rappelé également la nécessité
de former de façon chrétienne sa propre conscience afin qu'elle ne
devienne pas «une force destructrice de sa véritable humanité
(de la personne), mais soit le saint lieu où Dieu lui révèle
son vrai bien»(146).
C'est aussi sur d'autres points importants pour la réconciliation que
l'on attend la catéchèse des Pasteurs de l'Eglise:
- Sur le sens du péché qui, comme je l'ai dit, s'est
passablement atténué dans notre monde.
- Sur la tentation et sur les tentations: le Seigneur Jésus
lui-même, le Fils de Dieu, «éprouvé en tout, d'une manière
semblable à nous, a l'exception du péché»(147), voulut
être tenté par le Mauvais(148), pour nous indiquer que, comme lui,
les siens seraient eux aussi soumis à la tentation, et de même pour
nous montrer comment il faut se comporter quand nous sommes tentés. Pour
celui qui supplie le Père de ne pas être tenté au-delà
de ses forces(149) et de ne pas succomber à la tentation(150), pour celui
qui ne s'expose pas aux occasions de péché, le fait d'être
soumis à la tentation ne signifie pas avoir péché, mais
c'est plutôt une occasion de grandir dans la fidélité et
dans la cohérence à travers l'humilité et la vigilance.
- Sur le jeûne: il peut être pratiqué sous des
formes anciennes ou nouvelles, comme signe de conversion, de repentir et de
mortification personnelle et, en même temps, d'union avec le Christ
crucifié et de solidarité avec ceux qui ont faim et ceux qui
souffrent.
- Sur l'aumône: elle est un moyen de concrétiser la
charité, en partageant ce dont on dispose avec celui qui éprouve
les conséquences de la pauvreté.
- Sur le lien étroit qui existe entre le dépassement
des divisions dans le monde et la pleine communion avec Dieu et entre les
hommes, fin eschatologique de l'Eglise.
- Sur les circonstances concrètes dans lesquelles doit se réaliser
la réconciliation (dans la famille, dans la communauté civile,
dans les structures sociales) et, en particulier, sur les quatre réconciliations
qui réparent les quatre ruptures fondamentales: réconciliation de
l'homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création.
- L'Eglise ne peut omettre, sans une grave mutilation de son message
essentiel, particulier et universel, une catéchèse constante sur
ce que le langage chrétien traditionnel désigne comme les quatre
fins dernières de l'homme: la mort, le jugement
(particulier et universel), l'enfer et le paradis; dans un contexte culturel qui
tend à enfermer l'homme dans le cadre de sa vie terrestre plus ou moins réussie,
on demande aux Pasteurs de l'Eglise une catéchèse qui ouvre et éclaire
avec les certitudes de la foi l'au-delà de la vie présente; derrière
les mystérieuses portes de la mort se profile une éternité
de joie dans la communion avec Dieu ou de peine dans l'éloignement de
Dieu. C'est seulement dans cette vision eschatologique que l'on peut avoir la
mesure exacte du péché et se sentir poussé de façon
décisive à la pénitence et à la réconciliation.
Les Pasteurs zélés et inventifs ne manqueront jamais de
trouver les occasions de donner cette catéchèse dans son extension
et sa variété, en tenant compte de la diversité de culture
et de formation religieuse de ceux auxquels ils s'adressent. Les lectures
bibliques et les rites de la messe et des autres sacrements en donnent souvent
la possibilité, ainsi que les circonstances mêmes qui appellent
leur célébration. De multiples initiatives peuvent être
prises dans le même but, telles que les prédications, les conférences,
les débats, les sessions et les cours de culture religieuse, etc., comme
cela se fait en beaucoup d'endroits. Je désire signaler en particulier
l'importance et l'efficacité des anciennes missions populaires,
toujours pour cette même catéchèse. Si elles sont adaptées
aux exigences particulières de notre temps, elles peuvent être,
aujourd'hui comme hier, un instrument valable d'éducation dans la foi,
notamment pour tout ce qui concerne la pénitence et la réconciliation.
Etant donné la grande importance de la réconciliation, fondée
sur la conversion, dans le domaine délicat des rapports humains et de la
vie sociale à tous les niveaux, y compris sur le plan international, la
catéchèse ne peut négliger l'apport précieux de la
doctrine sociale de l'Eglise. L'enseignement circonstancié et précis
de mes prédécesseurs, depuis le Pape Léon XIII, auquel est
venu s'adjoindre l'apport substantiel de la constitution pastorale Gaudium
et spes du Concile Vatican II et celui des divers épiscopats sollicités
d'intervenir en diverses circonstances connues par leurs pays, tout cela a
constitué un corps de doctrine ample et solide touchant les multiples
exigences inhérentes à la vie de la communauté humaine, aux
rapports entre les individus, les familles et les groupes qui la composent, et a
la constitution d'une société qui cherche à être cohérente
avec la loi morale, fondement de la civilisation.
A la base de cet enseignement social de l'Eglise se trouve évidemment
la vision qu'elle tire de la Parole de Dieu sur les droits et les devoirs des
individus, de la famille et de la communauté; sur la valeur de la liberté
et les dimensions de la justice; sur le primat de la charité; sur la
dignité de la personne humaine et les exigences du bien commun que
doivent chercher à réaliser la politique et l'économie
elle-même. C'est sur ces principes fondamentaux du magistere social, qui
confirment et proposent à nouveau les lois universelles de la raison et
de la conscience des peuples, que s'appuie en grande partie l'espérance
d'une solution pacifique de multiples conflits sociaux et, en définitive,
de la reconcfliation universelle.
Les sacrements
27. Le second moyen d'institution divine, que l'Eglise met à la
disposition de la pastorale de la pénitence et de la réconciliation,
est constitué par les sacrements.
Dans le dynamisme mystérieux des sacrements, si riches de symbolismes
et de contenu, il est possible de percevoir un aspect qui n'est pas toujours mis
en lumière: chacun d'eux est signe, non seulement de sa grâce
propre, mais aussi de pénitence et de réconciliation, et il est
donc possible de revivre en chacun d'eux ces dimensions spirituelles.
Il est certain que le baptême est un bain de salut: comme le dit saint
Pierre, il a sa valeur, «non pas (comme) l'enlèvement d'une
souillure charnelle, mais (comme) l'engagement envers Dieu d'une bonne
conscience»(151). Il est à la fois mort, ensevelissement et résurrection
avec le Christ mort, enseveli et ressuscité(152). Il est don de l'Esprit
Saint à travers le Christ(153). Toutefois cet élément
constitutif essentiel et original du baptême chrétien n'élimine
pas, mais au contraire enrichit l'aspect pénitentiel déjà
présent dans le baptême que Jésus lui-même reçut
de Jean «pour accomplir toute justice»(154); autrement dit, il s'agit
d'une conversion et d'une réintégration dans de justes rapports
avec Dieu, de réconciliation avec Dieu, avec l'effacement de la tache
originelle et l'insertion qui s'ensuit dans la grande famille des réconciliés.
De même, la confirmation, en tant d'ailleurs qu'achèvement du
baptême et, avec lui, sacrement de l'initiation, en conférant la plénitude
de l'Esprit Saint et en amenant la vie chrétienne à l'âge
adulte, signifie et réalise par là même une conversion plus
grande du cur et une appartenance plus intime et plus effective à
la même assemblée de réconciliés qu'est l'Eglise du
Christ.
La définition que saint Augustin donne de l'Eucharistie comme «sacrement
de la sanctification, signe d'unité, lien de charité» («sacramentum
pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis»)(155) met clairement en
lumière les effets de sanctification personnelle (pietas) et de réconciliation
communautaire (unitas et caritas) qui découlent de l'essence même
du mystère eucharistique en tant que renouvellement non sanglant du
sacrifice de la croix, source de salut et de réconciliation pour tous les
hommes. Il est cependant nécessaire de rappeler que l'Eglise, guidée
par la foi dans cet auguste sacrement, enseigne qu'aucun chrétien,
conscient d'avoir commis un péché grave, ne peut recevoir
l'Eucharistie avant d'avoir obtenu le pardon de Dieu. Comme on le lit dans
l'instruction Eucharisticum mysterium, qui, dûment approuvée
par Paul VI, confirme pleinement l'enseignement du Concile de Trente: «On
présentera aux fidèles l'Eucharistie comme 'l'antidote qui nous
libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés
mortels', et on leur indiquera la façon convenable d'user des parties pénitentielles
de la liturgie de la messe. 'On doit rappeler à qui veut communier le précepte:
Que l'homme s'éprouve lui-même (1 Co 11, 28). La coutume de
l'Eglise montre que cette épreuve est nécessaire, afin que tout
homme, s'il a conscience d'un péché mortel, si contrit qu'il
s'estime, ne s'approche pas de la sainte Eucharistie sans une confession
sacramentelle préalable'; s'il se trouve en cas de nécessité
et qu'il ne lui est pas possible de se confesser, qu'il fasse d'abord un acte de
contrition parfaite»(156).
Le sacrement de l'Ordre est destiné à donner à l'Eglise
des Pasteurs, qui ne sont pas seulement maîtres et guides, mais sont appelés
à être témoins et artisans d'unité, constructeurs de
la famille de Dieu, défenseurs et gardiens de la communion de cette
famille contre les ferments de division et de dispersion.
Le sacrement du mariage, exaltation de l'amour humain sous l'action de la grâce,
est signe de l'amour du Christ pour l'Eglise, certes, mais aussi de la victoire
qu'il permet aux époux de remporter sur les forces qui déforment
et détruisent l'amour, de telle sorte que la famille, née de ce
sacrement, devienne également signe de l'Eglise réconciliée
et réconciliatrice pour un monde réconcilié dans toutes ses
structures et ses institutions.
L'onction des malades, enfin, dans l'épreuve de la maladie et de la
vieillesse, et spécialement à l'heure finale de la vie du chrétien,
est un signe de la conversion définitive au Seigneur, comme aussi de la
totale acceptation de la douleur et de la mort comme pénitence pour les péchés.
En cela se réalise la suprême réconciliation avec le Père.
Toutefois, parmi les sacrements, il en est un qui, souvent appelé
confession en raison de l'accusation des péchés qu'il
comporte, peut être considéré de façon plus appropriée
comme le sacrement de la Pénitence par antonomase - c'est en
effet ainsi qu'on le désigne - et il est donc le sacrement de la
conversion et de la réconciliation. La récente Assemblée
du Synode a particulièrement traité de ce sacrement, vu
l'importance qu'il revêt pour la réconciliation.
CHAPITRE II
LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION
28. Dans toutes les phases et à tous les niveaux de son déroulement,
le Synode a porté la plus grande attention au signe sacramentel qui représente
et en même temps réalise la pénitence et la réconciliation.
Assurément, ce sacrement n'épuise pas en lui-même les
concepts de conversion et de réconciliation. L'Eglise, en effet, connaît
et valorise depuis ses origines des formes nombreuses et variées de pénitence:
certaines de type liturgique ou paraliturgique, qui vont de l'acte pénitentiel
de la messe aux cérémonies pour implorer le pardon et aux pèlerinages;
d'autres de caractère ascétique, comme le jeûne. Cependant,
parmi tous ces actes, aucun n'est plus significatif, plus divinement efficace,
ni plus élevé et en même temps plus accessible au sein du
rite lui-même que le sacrement de Pénitence.
Dès sa préparation, et ensuite au long des nombreuses
interventions qui eurent lieu pendant son déroulement, dans les travaux
de groupe et dans les Propositions finales, le Synode a tenu compte de
cette affirmation bien des fois répétée, avec des diversités
de ton et de contenu: le sacrement de Pénitence traverse une
crise, et le Synode en a pris acte. Il a recommandé une catéchèse
approfondie, mais également une analyse non moins approfondie de caractère
théologique, historique, psychologique, sociologique et juridique sur la
pénitence en général et sur le sacrement de Pénitence
en particulier. Il a cherché ainsi à éclaircir les causes
de la crise et à ouvrir la voie à une solution positive pour le
plus grand bien de l'humanité. En même temps, du Synode lui-même
l'Eglise a reçu une claire confirmation de sa foi en ce qui concerne le
sacrement qui donne à tout chrétien et à la communauté
entière des croyants la certitude du pardon grâce à la
puissance du sang rédempteur du Christ.
Il est bon de renouveler et de réaffirmer cette foi à
une époque où elle pourrait s'affaiblir, perdre quelque chose de
son intégrité ou entrer dans une zone d'ombre et de silence, menacée
comme elle l'est par la crise déjà mentionnée en ce qu'elle
a de négatif. En effet, le sacrement de la confession est en butte à
de nombreuses menaces: d'un côté, l'obscurcissement de la
conscience morale et religieuse, la diminution du sens du péché,
la déformation de la notion de repentir, l'élan insuffisant vers
une vie authentiquement chrétienne; d'un autre côté, la
mentalité répandue ici ou là selon laquelle on pourrait
obtenir le pardon directement de Dieu, même de façon ordinaire,
sans s'approcher du sacrement de la Réconciliation, et aussi la routine
d'une pratique sacramentelle qui manque parfois de ferveur et de spontanéité
spirituelle, cette routine étant due peut-être à une
conception erronée et détournée de son vrai sens en ce qui
concerne les effets du sacrement.
Il convient donc de rappeler les principaux aspects de ce grand sacrement.
«Ceux à qui vous les remettrez»
29. La première donnée fondamentale nous vient des Livres
saints de l'Ancien et du Nouveau Testament à propos de la miséricorde
du Seigneur et de son pardon. Dans les psaumes et la prédication des
prophètes, le terme miséricordieux est peut-être le
terme le plus souvent attribué au Seigneur, contrairement au cliché
persistant qui présente le Dieu de l'Ancien Testament surtout comme un
Dieu sévère et punisseur. Ainsi, parmi les psaumes, un long exposé
sapientiel, se rapportant à la tradition de l'Exode, rappelle l'action
bienveillante de Dieu au milieu de son peuple. Cette action, même dans sa
représentation anthropomorphique, est peut-être l'une des
proclamations les plus éloquentes de la miséricorde divine dans
l'Ancien Testament. Il suffit de rappeler ici les versets: «Et lui, miséricordieux,
au lieu de détruire, il pardonnait; maintes fois, il retint sa colère
au lieu de réveiller sa violence. Il se rappelait: ils ne sont que chair,
un souffle qui s'en va sans retour»(157).
A la plénitude des temps, le Fils de Dieu, venant comme l'Agneau qui
enlève et porte sur lui le péché du
monde(158), apparaît comme celui qui possède le pouvoir aussi bien
de juger(159) que de pardonner les péchés(160); et il est venu non
pour condamner mais pour pardonner et sauver(161).
Or, ce pouvoir de remettre les péchés, Jésus l'a conféré,
par l'Esprit Saint, à de simples hommes, eux-mêmes sujets aux
assauts du péché, à savoir à ses Apôtres: «Recevez
l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront
retenus»(162). C'est là une des nouveautés évangéliques
les plus formidables! En conférant ce pouvoir aux Apôtres, Jésus
leur donne la faculté de le transmettre, comme l'Eglise l'a compris dès
l'aube de son existence, à leurs successeurs, investis par les Apôtres
eux-mêmes de la mission et de la responsabilité de continuer leur uvre
d'annonciateurs de l'Evangile et de ministres de la Rédemption du Christ.
Ici apparaît dans toute sa grandeur la figure du ministre du sacrement
de Pénitence, appelé confesseur selon une coutume très
ancienne.
Comme à l'autel où il célèbre l'Eucharistie, et
comme en chacun des sacrements, le prêtre, ministre de la Pénitence,
agit «in persona Christi». Le Christ, qui est rendu présent par
le prêtre et qui accomplit par lui le mystère de la rémission
des péchés, apparaît bien comme frère de
l'homme(163), pontife miséricordieux, fidèle et compatissant(164),
pasteur toujours à la recherche de la brebis perdue(165), médecin
qui guérit et réconforte(166), maître unique qui enseigne la
vérité et montre les chemins de Dieu(167), juge des vivants et des
morts(168), qui juge selon la vérité et non d'après les
apparences(169).
Ce ministère du prêtre est sans aucun doute le plus difficile
et le plus délicat, le plus fatigant et le plus exigeant, mais aussi l'un
des plus beaux et des plus consolants; c'est précisément pour cela
que, attentif au rappel très fort du Synode, je ne me lasserai jamais de
rappeler à mes frères évêques et prêtres
l'accomplissement fidèle et assidu de ce ministère(170). Face à
la conscience du fidèle, qui s'ouvre à lui avec un mélange
de crainte et de confiance, le confesseur est appelé à une tâche
élevée qui consiste à servir la pénitence et la réconciliation
humaine, à savoir connaître les faiblesses et les chutes de ce fidèle,
évaluer son désir de se reprendre et les efforts nécessaires
pour y parvenir, discerner l'action de l'Esprit sanctificateur dans son cur,
lui transmettre un pardon que Dieu seul peut accorder, «célébrer»
sa réconciliation avec le Père, telle que la présente la
parabole du fils prodigue, réinsérer ce pécheur libéré
dans la communion ecclésiale avec ses frères, admonester
paternellement ce pénitent en l'encourageant fermement et amicalement: «Va,
désormais ne pèche plus!»(171).
Pour l'accomplissement efficace de ce ministère, le confesseur doit nécessairement
posséder des qualités humaines de prudence, de discrétion,
de discernement, de fermeté tempérée par la douceur et la
bonté. Il doit avoir aussi une préparation sérieuse, non
point fragmentaire mais complète et cohérente dans les divers
secteurs de la théologie, dans les domaines de la pédagogie et de
la psychologie, de la méthodologie du dialogue, et surtout en matière
de connaissance profonde et communicative de la Parole de Dieu. Mais il est
encore plus nécessaire que le confesseur soit animé d'une vie
spirituelle intense et sincère. Pour conduire les autres sur la voie de
la perfection chrétienne, le ministre de la Pénitence doit le
premier parcourir lui-même ce chemin et donner - plus par des actes
que par d'abondants discours - des preuves d'expérience réelle de
l'oraison vécue, de pratique des vertus évangéliques théologales
et morales, d'obéissance fidèle à la volonté de
Dieu, d'amour de l'Eglise et de docilité à son Magistère.
Tout cet ensemble de qualités humaines, de vertus chrétiennes
et de compétences pastorales ne s'improvise pas et ne s'acquiert pas sans
effort. Pour le ministère de la Pénitence sacramentelle, tout prêtre
doit être préparé dès ses années de séminaire,
non seulement par l'étude de la théologie dogmatique, morale,
spirituelle et pastorale (ce qui ne forme qu'une seule théologie), mais
aussi par les sciences de l'homme, la méthodologie du dialogue, et spécialement
de l'entretien pastoral. Il faudra ensuite qu'il se lance et qu'il soit soutenu
dans ses premières expériences. Lui-même devra veiller à
son propre perfectionnement, à la mise à jour de sa formation par
l'étude permanente. Quel trésor de grâce, de vie véritable
et de rayonnement spirituel ne retomberait-il pas sur l'Eglise, si chaque prêtre
veillait à ne jamais manquer, par négligence ou sous divers prétextes,
le rendez-vous avec les fidèles au confessionnal, et veillait avec encore
plus de soin à ne jamais s'y rendre sans préparation, ou démuni
des qualités humaines indispensables et des conditions spirituelles et
pastorales.
A ce propos, je ne puis manquer d'évoquer, avec une respectueuse
admiration, les figures de certains apôtres extraordinaires du
confessionnal, tels que saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie
Vianney, saint Joseph Cafasso et saint Léopold de Castelnuovo, pour ne
parler que des plus connus, inscrits par l'Eglise au nombre des saints. Mais je
désire rendre hommage également à l'innombrable foule de
saints confesseurs, presque toujours anonymes, auxquels est dû le salut de
tant d'âmes qu'ils ont aidées à se convertir, à
lutter contre le péché et les tentations, à progresser
spirituellement et, en définitive, à se sanctifier. Je n'hésite
pas à dire que les grands saints canonisés sont généralement
eux aussi issus de cette pratique de la confession, et, avec eux, le patrimoine
spirituel de l'Eglise et l'épanouissement d'une civilisation imprégnée
d'esprit chrétien. Honneur soit donc rendu à cette cohorte
silencieuse de nos confrères qui ont bien servi et servent chaque jour la
cause de la réconciliation par le ministère de la Pénitence
sacramentelle!
Le sacrement du Pardon
30. La révélation de la valeur de ce ministère, et du
pouvoir de remettre les péchés conféré aux Apôtres
et à leurs successeurs par le Christ, a fait se développer dans
l'Eglise la conscience du signe du pardon donné par le
sacrement de Pénitence. Il s'agit de la certitude que le Seigneur Jésus
lui-même a institué et confié à l'Eglise - comme don
de sa bienveillance et de son «amour pour les hommes »(172) à
proposer à tous - un sacrement spécial pour la rémission
des péchés commis après le baptême.
La pratique de ce sacrement, quant à sa célébration et à
sa forme, a connu un long processus de développement, comme l'attestent
les sacramentaires les plus anciens, les Actes des Conciles et des Synodes épiscopaux,
la prédication des Pères et l'enseignement des Docteurs de
l'Eglise. Mais, en ce qui concerne la substance du sacrement, la certitude
que, par la volonté du Christ, le pardon est offert à chacun au
moyen de l'absolution sacramentelle donnée par les ministres de la Pénitence,
est toujours demeurée solide et inchangée dans la conscience de
l'Eglise; et cette certitude est réaffirmée vigoureusement aussi
bien par le Concile de Trente(173) que par le Concile Vatican II: «Ceux qui
s'approchent du sacrement de Pénitence y reçoivent de la miséricorde
de Dieu le pardon de l'offense qu'ils lui ont faite et du même coup sont réconciliés
avec l'Eglise que leur péché a blessée et qui, par la
charité, l'exemple, les prières, travaille à leur
conversion»(174). On doit réaffirmer comme une donnée
essentielle de la foi sur la valeur et le but de la Pénitence, que
notre Sauveur Jésus Christ institua dans son Eglise le sacrement de Pénitence,
afin que les fidèles tombés dans le péché après
leur baptême puissent recevoir la grâce et se réconcilier
avec Dieu(175).
La foi de l'Eglise dans ce sacrement comporte quelques autres vérités
fondamentales qu'on ne peut éluder. Le rite sacramentel de la Pénitence,
dans son évolution et les variations de ses formes concrètes, a
toujours conservé et mis en lumière ces vérités. Le
Concile Vatican II, en prescrivant la réforme de ce rite, avait en vue
une expression encore améliorée de ces vérités(176)
et cela s'est réalisé grâce au nouveau Rituel de
la Pénitence(177). Celui-ci, en effet, a repris dans son intégrité
la doctrine de la tradition formulée par le Concile de Trente, en la
transférant de son contexte historique (celui d'un effort déterminé
de clarification doctrinale face à de graves déviations par
rapport à l'enseignement authentique de l'Eglise) pour l'exprimer fidèlement
en termes plus adaptés au contexte de notre époque.
Quelques convictions fondamentales
31. Les vérités susdites, rappelées avec force et clarté
par le Synode et incluses dans les Propositions, peuvent se synthétiser
dans les convictions de foi suivantes, auxquelles se rattachent toutes les
autres affirmations de la doctrine catholique sur le sacrement de Pénitence.
I. La première conviction est que, pour un chrétien, le sacrement
de Pénitence est la voie ordinaire pour obtenir le pardon et
la rémission des péchés graves commis après le baptême.
Assurément, le Sauveur et son uvre salvifique ne sont pas liés
à quelque signe sacramentel au point de ne pouvoir, en n'importe quel
moment et domaine de l'histoire du salut, agir en dehors et au-dessus des
sacrements. Mais à l'école de la foi, nous apprenons que le même
Sauveur a voulu et disposé que les humbles et précieux sacrements
de la foi soient ordinairement les moyens efficaces par lesquels passe et agit
sa puissance rédemptrice. Il serait donc insensé et pas seulement
présomptueux de vouloir laisser arbitrairement de côté des
instruments de grâce et de salut que le Seigneur a institués et, en
l'occurrence, de prétendre recevoir le pardon sans recourir au sacrement
institué par le Christ précisément en vue du pardon. Le
renouveau des rites, effectué après le Concile, n'autorise aucune
illusion ni aucune altération dans ce sens. Ce renouveau devait et doit
servir, selon l'intention de l'Eglise, à susciter en chacun de nous un
nouvel élan en vue du renouvellement de notre attitude intérieure,
je veux dire en vue d'une compréhension plus profonde de la nature du
sacrement de Pénitence, de sa réception plus imprégnée
de foi, sans anxiété mais pleine de confiance, d'une fréquentation
plus assidue du sacrement que l'on sait débordant de l'amour miséricordieux
du Seigneur.
II. La seconde conviction concerne la fonction du sacrement de Pénitence
pour celui qui y recourt. Selon la conception la plus ancienne de la Tradition,
ce sacrement est une sorte d'action judiciaire; mais celle-ci se déroule
auprès d'un tribunal de miséricorde, plus que d'étroite et
rigoureuse justice, ce tribunal n'étant donc comparable aux tribunaux
humains que par analogie(178), en ce sens que le pécheur y dévoile
ses péchés et sa situation de créature sujette au péché;
et ce pécheur s'engage à renoncer au péché et à
le combattre, il accepte la peine (pénitence sacramentelle) que
le confesseur lui impose et il reçoit l'absolution de ses fautes.
Mais, en réfléchissant sur la fonction de ce sacrement, la
conscience de l'Eglise y voit, en plus du caractère judiciaire dans le
sens déjà évoqué, un aspect thérapeutique
ou médicinal. Et ceci se rattache au fait de la présentation
du Christ comme médecin(179), fréquente dans l'Evangile, son uvre
rédemptrice étant d'ailleurs souvent appelée, depuis
l'antiquité chrétienne, «remède de salut». «Je
veux soigner et non accuser», disait saint Augustin en se référant
à l'exercice de la pastorale pénitentielle(180), et c'est grâce
au remède de la conversion que l'expérience du péché
ne dégénère pas en désespoir(181). Le Rituel de
la
Pénitence fait allusion à cet aspect médicinal du
sacrement(182), auquel l'homme contemporain est peut-être plus sensible,
en voyant dans le péché ce qu'il comporte d'erreur et plus encore
ce qu'il manifeste sur le plan de la faiblesse et de l'infirmité
humaines.
Tribunal de miséricorde ou lieu de guérison spirituelle, sous
les deux aspects en même temps, le sacrement exige une connaissance de la
vie intime du pécheur, pour pouvoir le juger et l'absoudre, pour le
soigner et le guérir. C'est justement pour cela que le sacrement
implique, de la part du pénitent, l'accusation sincère et complète
des péchés, motivée non seulement par des fins ascétiques
(celles de l'humilité et de la mortification), mais par la nature même
du sacrement.
III. La troisième conviction que je tiens à faire ressortir
concerne les réalités ou les éléments
qui composent le signe sacramentel du pardon et de la réconciliation.
Quelques-unes de ces réalités sont des actes du pénitent,
d'importance diverse, chacun étant toutefois indispensable ou bien à
la validité, ou bien à l'intégrité, ou bien à
la fécondité du signe.
Une condition indispensable est, avant tout, la rectitude et la limpidité
de la conscience du pénitent. On ne s'achemine pas vers une véritable
pénitence tant qu'on ne se rend pas compte que le péché est
contraire à la norme éthique inscrite au plus intime de l'être(183),
tant qu'on n'avoue pas avoir fait l'expérience personnelle et coupable
d'une telle opposition, tant qu'on ne dit pas seulement «c'est un péché»,
mais «j'ai péché», tant qu'on n'admet pas que le péché
a introduit dans la conscience une rupture qui envahit tout l'être et le sépare
de Dieu et du prochain. Le signe sacramentel de cette transparence de la
conscience est l'acte traditionnellement appelé examen de conscience,
acte qui doit toujours être, non point une introspection psychologique
angoissée, mais la confrontation sincère et sereine avec la loi
morale intérieure, avec les normes évangéliques proposées
par l'Eglise, avec le Christ Jésus lui-même, notre Maître et
notre modèle de vie, et avec le Père céleste, qui nous
appelle au bien et à la perfection(184).
Mais l'acte essentiel de la Pénitence, de la part du pénitent,
est la contrition, à savoir un rejet net et ferme du péché
commis, en même temps que la résolution de ne plus le
commettre(185) à cause de l'amour que l'on a pour Dieu et qui renaît
avec le repentir. Ainsi comprise, la contrition est donc le principe et l'âme
de la conversion, de cette metánoia évangélique
qui ramène l'homme à Dieu, à la manière du fils
prodigue revenant vers son père, et qui a dans le sacrement de Pénitence
son signe visible, où l'attrition trouve son accomplissement. C'est
pourquoi, «de cette contrition du cur dépend la vérité
de la pénitence»(186).
En renvoyant à tout ce que l'Eglise, inspirée par la Parole de
Dieu, enseigne sur la contrition, je tiens à souligner ici un
seul aspect de cette doctrine qu'il importe de mieux connaître et d'avoir
présent à l'esprit. On considère souvent la conversion
et la contrition sous l'aspect des exigences incontestables qu'elles
comportent, et de la mortification qu'elles imposent en vue d'un changement
radical de vie. Mais il est bon de rappeler et de souligner que contrition
et conversion sont plus encore que cela: c'est s'approcher de la sainteté
de Dieu, c'est retrouver sa propre vérité intérieure,
troublée et même bouleversée par le péché,
c'est se libérer au plus profond de soi-même, et par suite
recouvrer la joie perdue, la joie d'être sauvé(187), que la majorité
de nos contemporains ne sait plus apprécier.
On comprend donc que, dès les débuts du christianisme, en lien
avec les Apôtres et avec le Christ, l'Eglise ait inclus dans le signe
sacramentel de la Pénitence l'accusation des fautes. Celle-ci
paraît si importante que, depuis des siècles, le nom habituellement
donné au sacrement a été et est toujours celui de confession.
L'accusation des péchés est avant tout exigée par la nécessité
que le pécheur soit connu par celui qui exerce le rôle de juge
dans le sacrement, car il lui revient d'évaluer aussi bien la gravité
des péchés que le repentir du pénitent. Et, exerçant
également le rôle de médecin, il a besoin de connaître
l'état du malade pour le soigner et le guérir. Mais la confession
individuelle a aussi la valeur de signe: signe de la rencontre du pécheur
avec la médiation de l'Eglise dans la personne du ministre; signe qu'il
se reconnaît pécheur devant Dieu et devant l'Eglise, qu'il fait la
clarté sur lui-même sous le regard de Dieu. L'accusation des péchés
ne saurait donc être réduite à une tentative quelconque
d'autolibération psychologique, même si elle répond à
un besoin légitime et naturel de se confier à quelqu'un, besoin
inscrit dans le cur humain. L'accusation est un geste liturgique, solennel
par son aspect quelque peu dramatique, humble et sobre dans la grandeur de sa
signification. C'est vraiment le geste du fils prodigue, qui revient vers son Père
et qui est accueilli par lui avec un baiser de paix; c'est un geste de loyauté
et de courage; c'est un geste de remise de soi-même, au-delà du péché,
à la miséricorde qui pardonne(188). On comprend alors pourquoi
l'accusation des fautes doit être ordinairement individuelle et
non collective, de même que le péché est un fait profondément
personnel. Mais en même temps, cette accusation arrache d'une certaine façon
le péché des secrètes profondeurs du cur et donc du
cercle de la pure individualité, en mettant aussi en relief son caractère
social: en effet, par l'entremise du ministre de la Pénitence, c'est la
Communauté ecclésiale, lésée par le péché,
qui accueille de nouveau le pécheur repenti et pardonné.
L'autre moment essentiel du sacrement de Pénitence est, cette fois,
du ressort du confesseur juge et médecin, image du Dieu-Père qui
accueille et pardonne celui qui revient: c'est l'absolution. Les paroles
qui l'expriment et les gestes qui l'accompagnent dans l'ancien et dans le
nouveau Rituel de la Pénitence revêtent une simplicité
significative dans leur grandeur. La formule sacramentelle: «Je te pardonne
...», et l'imposition de la main suivie du signe de la croix tracé
sur le pénitent, manifestent qu'en cet instant le pécheur
contrit et converti entre en contact avec la puissance et la miséricorde
de Dieu. C'est le moment où la Trinité, en réponse au pénitent,
se rend présente à lui pour effacer son péché et lui
redonner son innocence; et la force salvifique de la Passion, de la Mort et de
la Résurrection de Jésus est communiquée au même pénitent,
en tant que «miséricorde plus forte que la faute et que l'offense»,
comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans l'encyclique Dives
in misericordia. Dieu est toujours le principal offensé par le péché
- «contre Toi seul, j'ai péché» - et Dieu seul peut
pardonner. C'est pourquoi, l'absolution que le prêtre, ministre du pardon,
tout en étant lui-même pécheur, accorde au pénitent,
est le signe efficace de l'intervention du Père dans toute absolution et
de cette «résurrection» de la «mort spirituelle» qui
se renouvelle chaque fois qu'est donné le sacrement de Pénitence.
Seule la foi peut assurer qu'en cet instant tout péché
est remis et effacé par la mystérieuse intervention du Sauveur.
La satisfaction est l'acte final qui couronne le signe sacramentel
de la Pénitence. Dans certains pays, ce que le pénitent pardonné
et absous accepte d'accomplir après avoir reçu l'absolution
s'appelle précisément pénitence. Quel est le sens
de cette satisfaction dont on s'acquitte, ou de cette pénitence
que l'on accomplit? Ce n'est assurément pas le prix que l'on paye pour le
péché absous et pour le pardon acquis: aucun prix humain n'est équivalent
à ce qui est obtenu, fruit du sang très précieux du Christ.
Les actes de la satisfaction - qui, tout en conservant un caractère de
simplicité et d'humilité, devraient mieux exprimer tout ce qu'ils
signifient - sont l'indice de choses importantes: ils sont le signe de l'engagement
personnel que le chrétien a pris devant Dieu, dans le sacrement, de
commencer une existence nouvelle (et c'est pourquoi ils ne devraient pas se réduire
seulement à quelques formules à réciter, mais consister
dans des uvres de culte, de charité, de miséricorde, de réparation);
ces actes de la satisfaction incluent l'idée que le pécheur
pardonné est capable d'unir sa propre mortification corporelle et
spirituelle, voulue ou au moins acceptée, à la Passion de Jésus
qui lui a obtenu le pardon; ils rappellent que, même après
l'absolution, il demeure dans le chrétien une zone d'ombre résultant
des blessures du péché, de l'imperfection de l'amour qui imprègne
le repentir, de l'affaiblissement des facultés spirituelles dans
lesquelles agit encore ce foyer d'infection qu'est le péché, qu'il
faut toujours combattre par la mortification et la pénitence. Telle est
la signification de la satisfaction humble mais sincère(189).
IV. Il reste à faire une brève allusion aux autres
convictions importantes relatives au sacrement de Pénitence.
Avant tout, il importe de redire que rien n'est plus personnel et intime que
ce sacrement, dans lequel le pécheur se trouve seul face à Dieu
avec sa faute, son repentir et sa confiance. Personne ne peut se repentir à
sa place ou demander pardon en son nom. Il y a une certaine solitude du pécheur
dans sa faute, que l'on peut voir comme dramatiquement figurée par Caïn
avec son péché «tapi à sa porte», selon
l'expression si suggestive du Livre de la Genèse, et avec le signe
particulier gravé sur son front(190); figurée également par
David, réprimandé par le prophète Nathan(191); ou encore
par le fils prodigue, lorsqu'il prend conscience de la situation où il
s'est mis en s'éloignant de son père, et qu'il décide de
revenir vers lui(192): tout se déroule seulement entre l'homme et Dieu.
Mais, en même temps, on ne peut nier la dimension sociale de ce sacrement,
dans lequel l'Eglise entière, qu'elle soit militante, souffrante ou dans
la gloire du Ciel, vient au secours du pénitent et l'accueille de nouveau
en son sein, d'autant plus que toute l'Eglise était offensée et
blessée par son péché. Le prêtre, ministre de la Pénitence,
apparaît, en vertu de la charge sacrée qui lui est propre, comme témoin
et représentant de ce caractère ecclésial. Ce sont ces deux
aspects complémentaires du sacrement, individuel et ecclésial, que
la réforme progressive du rite de la Pénitence, spécialement
l'Ordo Paenitentiae promulgué par Paul VI, a cherché à
mettre en relief et à rendre plus significatifs dans la célébration.
V. Il importe de souligner ensuite que le fruit le plus précieux du
pardon obtenu dans le sacrement de Pénitence consiste dans la réconciliation
avec Dieu: celle-ci se produit dans le secret du cur du fils prodigue et
retrouvé qu'est chaque pénitent. Il faut évidemment ajouter
que cette réconciliation avec Dieu a pour ainsi dire comme conséquences
d'autres réconciliations, qui portent remède à autant de
ruptures causées par le péché: le pénitent pardonné
se réconcilie avec lui-même dans les profondeurs de son être,
où il retrouve sa vérité intérieure; il se réconcilie
avec ses frères, agressés et lésés par lui en
quelque sorte; il se réconcilie avec l'Eglise; il se réconcilie
avec toute la création. La prise de conscience de tout cela fait naître
chez le pénitent, au terme de la célébration, un sentiment
de gratitude envers Dieu pour le don de la miséricorde qu'il a reçue.
C'est à cette action de grâce que l'Eglise l'invite.
Tout confessionnal est un lieu privilégié et béni d'où,
une fois les divisions effacées, naît un homme réconcilié,
nouveau et sans tache, un monde réconcilié!
VI. Enfin, une dernière considération me tient à
cur. Elle nous concerne tous, nous prêtres, qui sommes ministres du
sacrement de Pénitence, mais qui sommes aussi - et qui devons être
- ses bénéficiaires. La vie spirituelle et pastorale du prêtre,
comme celle de ses frères laïcs et religieux, dépend, pour sa
qualité et sa ferveur, de la pratique personnelle, assidue et
consciencieuse, du sacrement de Pénitence(193). La célébration
de l'Eucharistie et le ministère des autres sacrements, le zèle
pastoral, les relations avec les fidèles, la communion avec ses frères
prêtres, la collaboration avec l'évêque, la vie de prière,
en un mot toute la vie sacerdotale subit un déclin inévitable si
lui-même, par négligence ou pour tout autre motif, ne recourt pas,
de façon régulière et avec une foi et une piété
authentiques, au sacrement de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se
confesserait plus ou se confesserait mal, son être sacerdotal et
son action sacerdotale s'en ressentiraient vite, et la communauté
elle-même dont il est le pasteur ne manquerait pas de s'en rendre compte.
Mais j'ajoute aussi que, même pour être un bon ministre, un
ministre efficace de la Pénitence, le prêtre a besoin de recourir à
la source de grâce et de sainteté présente dans ce
sacrement. Nous, prêtres, à partir de notre expérience
personnelle, nous pouvons dire en vérité que, dans la mesure où
nous veillons à recourir au sacrement de Pénitence et à
nous en approcher fréquemment et dans de bonnes dispositions, nous
remplissons mieux notre propre ministère de confesseurs et en assurons le
bénéfice aux pénitents. Par contre, ce ministère
perdrait beaucoup de son efficacité si de quelque manière nous négligions
d'être de bons pénitents. Telle est la logique interne de
ce grand sacrement. Ce sacrement nous invite tous, nous, prêtres du
Christ, à prêter une attention renouvelée à notre
confession personnelle.
A son tour, cette expérience personnelle devient et doit devenir aujourd'hui
un stimulant pour l'exercice diligent, régulier, patient et fervent du
ministère sacré de la Pénitence, auquel nous sommes obligés
en vertu de notre sacerdoce, de notre vocation qui fait de nous des pasteurs et
des serviteurs de nos frères. Aussi, par la présente exhortation,
j'adresse un appel insistant à tous les prêtres du monde, spécialement
à mes frères dans l'épiscopat et aux curés, pour
qu'ils favorisent de toutes leurs forces la fréquentation de ce sacrement
par les fidèles, pour qu'ils mettent en uvre tous les moyens
possibles et adéquats et qu'ils essayent tous les chemins susceptibles de
faire parvenir au plus grand nombre de nos frères la grâce qui nous
a été donnée par la Pénitence en vue de la réconciliation
de chaque personne et du monde entier avec Dieu dans le Christ.
Les formes de la célébration
32. Fidèle aux indications du Concile Vatican II, l'Ordo
Paenitentiae a prévu trois rites qui, les éléments
essentiels étant saufs, permettent d'adapter la célébration
du sacrement de Pénitence à des circonstances pastorales déterminées.
La première forme - réconciliation individuelle des pénitents
- constitue l'unique manière normale et ordinaire de célébrer
ce sacrement, et on ne peut ni ne doit la laisser tomber en désuétude
ou la négliger. La deuxième - réconciliation de
plusieurs pénitents avec confession et absolution individuelles - même
si, dans sa préparation, elle permet de souligner davantage les aspects
communautaires du sacrement, rejoint la première forme dans l'acte
culminant du sacrement, à savoir la confession et l'absolution
individuelles des péchés, et par conséquent elle peut être
assimilée à la première forme en ce qui concerne la
normalité du rite. Par contre, la troisième - réconciliation
de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales
- revêt un caractère d'exception; elle n'est donc pas laissée
au libre choix, mais elle est réglementée par une discipline spéciale.
La première forme permet la valorisation des aspects plus personnels
- et essentiels - que comporte l'itinéraire pénitentiel. Le
dialogue entre le pénitent et le confesseur, l'ensemble des éléments
utilisés (les textes bibliques, le choix des formes de la «satisfaction»,
etc.) permettent à la célébration sacramentelle de mieux répondre
à la situation concrète du pénitent. On voit bien la valeur
de ces éléments lorsqu'on pense aux diverses raisons qui poussent
un chrétien à la pénitence sacramentelle: un besoin d'être
personnellement réconcilié et d'être admis à nouveau
dans l'amitié de Dieu, en retrouvant la grâce perdue par suite du péché;
un besoin de vérifier son cheminement spirituel et, parfois, de discerner
de façon plus précise sa vocation; en beaucoup d'autres cas, un
besoin et un désir de sortir d'un état d'apathie spirituelle et de
crise religieuse. Par ailleurs, grâce à son caractère
individuel, la première forme de célébration permet
d'associer le sacrement de Pénitence à une pratique qui s'en
distingue, mais qui peut bien lui être associée: je veux dire la
direction spirituelle. Il est donc certain que cette première
forme permet d'exprimer clairement et de promouvoir la décision et
l'effort personnels.
La deuxième forme de célébration, précisément
par son caractère communautaire et la façon dont elle se déroule,
met en relief quelques aspects de grande importance: la Parole de Dieu, écoutée
en commun, a un autre effet que la lecture faite individuellement, et elle
souligne mieux le caractère ecclésial de la conversion et de la réconciliation.
Elle revêt une signification particulière dans les divers moments
de l'année liturgique et à l'occasion des événements
présentant un intérêt pastoral spécial. Il suffit de
mentionner ici qu'il importe d'avoir un nombre suffisant de confesseurs pour sa
célébration.
Il est donc naturel que les critères permettant de décider à
laquelle des deux formes de célébration on doit recourir soient
dictés, non par des motivations conjoncturelles et subjectives, mais par
la volonté d'obtenir le véritable bien spirituel des fidèles,
en obéissant à la discipline pénitentielle de l'Eglise.
Il sera bon de rappeler également que, pour une orientation
spirituelle et pastorale équilibrée en ce domaine, il est nécessaire,
comme l'attestent une tradition doctrinale et une pratique désormais séculaires,
de continuer à considérer comme très important le recours
au sacrement de Pénitence même pour les seuls péchés
véniels, et à y éduquer les fidèles.
Tout en sachant et en enseignant que les péchés véniels
sont pardonnés aussi par d'autres voies - on peut penser aux actes de
contrition, aux uvres de charité, à la prière, aux
rites pénitentiels - , l'Eglise ne cesse de rappeler à tous la
richesse singulière de l'acte sacramentel, même par rapport à
de tels péchés. Le recours fréquent au sacrement - auquel
sont tenus plusieurs catégories de fidèles - renforce la
conscience que même les péchés moins importants offensent
Dieu et blessent l'Eglise, le corps du Christ, et sa célébration
fournit aux fidèles «une occasion et un stimulant pour se conformer
plus intimement au Christ et pour se faire plus dociles à la voix de
l'Esprit»(194). Surtout, il faut le souligner, la grâce propre de la
célébration sacramentelle a une plus grande vertu thérapeutique
et contribue à enlever les racines mêmes du péché.
Le soin apporté à la célébration(195), avec une
attention particulière à la Parole de Dieu lue, rappelée et
expliquée aux fidèles et avec les fidèles lorsque c'est
possible et opportun, contribuera à vivifier la pratique du sacrement et à
l'empêcher de tomber dans quelque chose de formel et de routinier. Le pénitent
sera plutôt aidé à découvrir qu'il est en train de
vivre un événement du salut capable de susciter en son cur
un nouvel élan de vie et une véritable paix. Ce soin apporté
à la célébration amènera, entre autres, à
fixer dans chacune des Eglises des moments réservés à
la célébration du sacrement, et à éduquer les
chrétiens, en particulier les enfants et les jeunes, à s'y
conformer habituellement, sauf les cas de nécessité pour lesquels
le pasteur d'âmes devra toujours se montrer prêt à accueillir
volontiers ceux qui recourent à lui.
La célébration du sacrement avec absolution générale
33. Dans les nouvelles règles liturgiques et, plus récemment,
dans le nouveau Code de droit canonique(196) se trouvent précisées
les conditions qui légitiment le recours au «rite de la réconciliation
de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales».
Les normes et les dispositions établies sur ce point, fruit d'une réflexion
mûrie et équilibrée, doivent être accueillies et
appliquées en évitant toute interprétation arbitraire.
Il convient de réfléchir de manière plus approfondie
aux motivations qui imposent la célébration de la Pénitence
selon l'une des deux premières formes et qui permettent le recours à
la troisième forme. Il y a, avant tout, une motivation de fidélité
à la volonté du Seigneur Jésus, transmise par l'Eglise dans
sa doctrine et également d'obéissance aux lois de
l'Eglise. Le Synode a rappelé dans l'une de ses Propositions
l'enseignement inchangé que l'Eglise a puisé dans la Tradition la
plus ancienne, et la loi dans laquelle elle a codifié l'ancienne pratique
pénitentielle: la confession individuelle et intégrale des péchés
avec absolution également individuelle constitue l'unique moyen
ordinaire qui permet au fidèle, conscient de péché
grave, d'être réconcilié avec Dieu et avec l'Eglise. De
cette confirmation nouvelle de l'enseignement de l'Eglise il ressort clairement
que tout péché grave doit être toujours avoué,
avec ses circonstances déterminantes, dans une confession
individuelle.
Il y a ensuite une motivation d'ordre pastoral. S'il est vrai que, lorsque
se vérifient les conditions requises par la discipline canonique, on peut
faire usage de la troisième forme de célébration, on ne
saurait pourtant oublier que cette forme ne peut devenir une forme ordinaire
et qu'elle ne peut ni ne doit être employée, comme l'a répété
le Synode, si ce n'est «en cas de grave nécessité»,
restant ferme l'obligation de confesser individuellement les péchés
graves avant de recourir de nouveau à une autre absolution générale.
Par conséquent l'Evêque, auquel seul il appartient, dans le cadre
de son diocèse, de juger si les conditions établies par la loi
canonique pour l'usage de la troisième forme existent concrètement,
donnera ce jugement - sa conscience étant gravement engagée - dans
le plein respect de la loi et de la pratique de l'Eglise et en tenant compte,
par ailleurs, des critères et des orientations sur lesquels les autres
membres de la Conférence épiscopale se seront mis d'accord en se
fondant sur les considérations doctrinales et pastorales exposées
ci-dessus. Pareillement, on devra avoir la préoccupation pastorale
authentique de poser et de garantir les conditions qui permettent à la
pratique de la troisième forme de donner les fruits spirituels pour
lesquels elle a été prévue. Et l'usage exceptionnel de la
troisième forme de célébration ne devra jamais conduire à
une moindre estime des formes ordinaires, encore moins à leur abandon, ni
à considérer cette troisième forme comme une possibilité
équivalente à chacune des deux autres; car la faculté de
choisir parmi les formes de célébration ci-dessus mentionnées
n'est pas laissée à la liberté des Pasteurs et des fidèles.
Les Pasteurs gardent l'obligation de faciliter aux fidèles la pratique de
la confession intégrale et individuelle des péchés: elle
constitue pour les chrétiens non seulement un devoir, mais un droit
inviolable et inaliénable, en plus d'un besoin spirituel. Pour les fidèles,
l'usage de la troisième forme de célébration comporte
l'obligation de s'en tenir à toutes les normes qui en réglementent
l'exercice, y compris celle de ne pas recourir à nouveau à
l'absolution générale avant de faire une confession régulière,
intégrale et individuelle, des péchés, qui doit être
accomplie le plus tôt possible. De cette norme et de l'obligation de
l'observer, les fidèles doivent être avertis et instruits par le prêtre
avant l'absolution.
Par ce rappel de la doctrine et de la loi de l'Eglise, je désire
convaincre tous les esprits du vif sentiment de responsabilité qui doit
nous guider lorsque nous traitons les choses sacrées dont nous ne sommes
pas propriétaires, comme les sacrements, ou qui ont le droit de ne pas être
laissées dans l'incertitude et dans la confusion, comme les consciences.
Oui, je le répète, les sacrements et les consciences sont les uns
et les autres des choses sacrées qui exigent de notre part d'être
servies dans la vérité.
Telle est la raison de la loi de l'Eglise.
Quelques cas plus délicats
34. J'estime devoir mentionner à cet endroit, même très
brièvement, un cas pastoral que le Synode a voulu traiter, autant qu'il
lui était possible de le faire, en l'examinant aussi dans l'une des Propositions.
Je veux parler de certaines situations, qui ne sont pas rares aujourd'hui, où
se trouvent des chrétiens désireux de continuer la pratique
religieuse sacramentelle, mais qui en sont empêchés par leur
condition personnelle en opposition avec les engagements qu'ils ont librement
assumés devant Dieu et devant l'Eglise. Ce sont des situations qui
apparaissent particulièrement délicates et quasi inextricables.
Un certain nombre d'interventions, au cours du Synode, exprimant la pensée
générale des Pères, ont mis en lumière la
coexistence et l'interférence de deux principes, également
importants, au regard de ces cas. Le premier est le principe de la compassion et
de la miséricorde, en vertu duquel l'Eglise - qui prolonge dans
l'histoire la présence et l'uvre du Christ - , ne voulant pas la
mort du pécheur mais qu'il se convertisse et qu 'il vive (197), attentive
à ne pas briser le roseau froissé et à ne pas éteindre
la mèche qui fume encore(198), cherche toujours à offrir, autant
qu'il lui est possible, la voie du retour à Dieu et de la réconciliation
avec lui. L'autre principe est celui de la vérité et de la cohérence,
en vertu duquel l'Eglise n'accepte pas d'appeler bien ce qui est mal et mal ce
qui est bien. En se fondant sur ces deux principes complémentaires,
l'Eglise ne peut qu'inviter ses fils qui se trouvent dans ces situations
douloureuses à s'approcher de la miséricorde divine par d'autres
chemins, sans que ce soit cependant celui des sacrements de la Pénitence
et de l'Eucharistie, tant qu'ils ne remplissent pas les conditions requises.
En ce domaine, qui, il est certain, afflige aussi, et profondément,
nos curs de pasteurs, il m'a semblé qu'il était de mon
strict devoir de dire des paroles claires dans l'exhortation apostolique Familiaris
consortio, en ce qui concerne le cas des divorcés remariés(199),
ou des chrétiens qui cohabitent d'une manière irrégulière.
En même temps, je me sens le devoir d'exhorter, avec le Synode, les
communautés ecclésiales et surtout les évêques à
apporter toute l'aide possible aux prêtres qui, manquant aux graves
obligations assumées à leur ordination, se trouvent dans des
situations irrégulières. Aucun de ces frères ne doit se
sentir abandonné de l'Eglise.
Pour tous ceux qui ne se trouvent pas actuellement dans les conditions
objectives requises par le sacrement de Pénitence, les manifestations de
bonté maternelle de la part de l'Eglise, le soutien des actes de piété
en dehors des actes sacramentels, l'effort sincère de se maintenir en
contact avec le Seigneur, la participation à la Messe, la répétition
fréquente d'actes de foi, d'espérance, de charité, de
contrition les plus parfaits possible, pourront préparer le chemin pour
une pleine réconciliation à l'heure que seule la Providence connaît.
SOUHAIT FINAL
35. Au terme de ce document, je sens résonner en moi et je désire
vous redire à tous l'exhortation que le premier Evêque de Rome, à
un moment critique des commencements de l'Eglise, voulut adresser «aux étrangers
de la Dispersion, élus selon la prescience de Dieu le Père: Vivez
tous en esprit d'union, dans la compassion, l'amour fraternel, la miséricorde,
l'esprit d'humilité»(200). L'Apôtre recommandait de vivre «en
esprit d'union...»; mais aussitôt après, il signalait les péchés
contraires à l'union et à la paix qu'il importe d'éviter: «Ne
rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte. Bénissez, au contraire,
car c'est à cela que vous avez été appelés, afin d'hériter
la bénédiction». Et il concluait par un mot d'encouragement
et d'espérance: «Qui vous ferait du mal, si vous devenez zélés
pour le bien?»(201).
A une époque non moins critique de l'histoire, j'ose rattacher mon
exhortation à celle du Prince des Apôtres, qui fut le premier à
occuper ce Siège de Rome, comme témoin du Christ et pasteur de
l'Eglise, et qui «présida à la charité» au regard
du monde entier. Moi aussi, en union avec les évêques successeurs
des Apôtres et aidé par la réflexion collégiale que
beaucoup d'entre eux, réunis en Synode, ont consacrée aux thèmes
et aux problèmes de la réconciliation, j'ai tenu à vous
communiquer dans l'esprit même du pécheur de Galilée ce
qu'il disait à nos frères dans la foi, loin de nous dans le temps,
mais si proches par le cur: «Vivez tous en esprit d'union... ne
rendez pas mal pour mal... devenez zélés pour le bien»(202).
Et il ajoutait: «Mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si telle était
la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal»(203).
Cette consigne est toute imprégnée des paroles que Pierre
avait entendues de Jésus en personne et d'idées qui faisaient
partie de sa «Bonne Nouvelle»: le commandement nouveau de l'amour
mutuel; le désir ardent de l'unité et l'engagement en sa faveur;
les béatitudes de la miséricorde et de la patience dans la persécution
pour la justice; le bien rendu pour le mal; le pardon des offenses; l'amour des
ennemis. Ces paroles et ces idées constituent la synthèse
originale et transcendante de l'éthique chrétienne, ou, mieux et
plus profondément, de la spiritualité de la Nouvelle Alliance en Jésus
Christ.
Je confie au Père, riche en miséricorde, je confie au Fils de
Dieu, devenu homme pour être notre Rédempteur et Réconciliateur,
je confie à l'Esprit Saint, source d'unité et de paix, mon appel
paternel et pastoral à la pénitence et à la réconciliation.
Que la très sainte et adorable Trinité fasse germer dans l'Eglise
et dans le monde cette petite semence qu'en ce moment je remets à la
terre généreuse de tant de curs humains.
Afin qu'il en résulte sans tarder des fruits abondants, je vous
invite tous à vous tourner avec moi vers le Cur du Christ, signe éloquent
de la miséricorde divine, «propitiation pour nos péchés»,
«notre paix et notre réconciliation»(204), afin d'y puiser la
force intérieure pour nous détourner du péché et
nous convertir à Dieu, et d'y trouver la bienveillance divine comme réponse
aimante au repentir humain.
Je vous invite aussi à vous tourner avec moi vers le Cur
immaculé de Marie, Mère de Jésus, en qui «s'est
effectuée la réconciliation de Dieu avec l'humanité...,
s'est achevée l'uvre de la réconciliation, parce qu'elle a
reçu de Dieu la plénitude de la grâce en vertu du sacrifice
rédempteur du Christ»(205). En vérité, Marie est
devenue, par sa maternité divine, «l'alliée de Dieu»
dans l'uvre de la réconciliation(206).
Son «Fiat» a marqué le commencement de la «plénitude
des temps» qui a vu se réaliser par le Christ la réconciliation
de l'homme avec Dieu. C'est entre les mains de cette Mère, c'est à
son Cur immaculé - auquel nous avons confié plusieurs fois
l'humanité entière perturbée par le péché et
déchirée par tant de tensions et de conflits - que je remets spécialement
cette intention: que par son intercession, l'humanité découvre et
parcoure le chemin de la pénitence, l'unique chemin capable de la
conduire à une totale réconciliation!
A vous tous qui, dans un esprit de communion ecclésiale, dans l'obéissance
et dans la foi(207), voudrez bien accueillir les indications, les suggestions et
les directives contenues dans ce document, en vous efforçant de les
traduire dans une pratique pastorale vivante, j'accorde très volontiers
ma Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 décembre
1984, premier dimanche de l'Avent, en la septième année de mon
pontificat.
1 Mc 1, 15.
2 Cf. JEAN-PAUL II, Discours inaugural de la 3e Conférence générale
de l'épiscopat latino-américain, III, nn. 1-7: AAS 71 (1979), pp.
198-204.
3 La vision d'un monde «éclaté» transparaît
dans l'uvre de nombreux écrivains contemporains, chrétiens
et non chrétiens, témoins de la condition de l'homme en notre époque
tourmentée.
4 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
nn. 43-44; Décret sur le ministère et la vie des prêtres
Presbyterorum ordinis, n. 12; PAUL VI, Encyclique Ecclesiam suam: AAS 56 (1964),
pp. 609-659.
5 Sur la division dans le corps de l'Eglise, I'Apôtre Paul s'est
exprimé avec des paroles de feu, à l'aube de la vie de l'Eglise
dans la fameuse page de 1 Co 1, 10-16 C'est à ces mêmes chrétiens
de Corinthe que s'adressera, des années plus tard, saint Clément
de Rome pour dénoncer les divisions au sein de cette communauté:
cf. Lettre aux Corinthiens, III-VI; LVII: Patres Apostolici, éd. FUNK, I,
103-109; 171-173. Nous savons que, depuis les Pères les plus anciens, la
tunique sans couture du Christ, que les soldats n'ont pas déchirée,
est devenue une image de l'unité de l'Eglise: cf. S. CYPRIEN, De
Ecclesiae catholicae unitate, 7: CCL 3/1, 254-255; S. AUGUSTIN, In Ioannis
Evangelium tractatus, 118, 4: CCL 36, 656-657; S. BÈDE LE VÉNÉRABLE,
In Marci Evangelium expositio, IV, 15: CCL 120, 630; In Lucae Evangelium
expositio, VI, 23: CCL 120, 403; In S. Ioannis Evangelium expositio, 19: PL 92,
911-912.
6 L'encyclique Pacem in terris, testament spirituel de Jean XXIII (cf: AAS
55 [1963], pp. 257-304), est souvent considérée comme un «document
social» et aussi un «message politique», et elle l'est en vérité
si on prend ces expressions dans leur sens le plus large. En effet, plus qu'une
stratégie en vue de la vie collective de peuples et de nations, l'exposé
du Pape-tel qu'il apparaît plus de vingt ans après sa
publication-est un rappel pressant des valeurs suprêmes sans lesquelles la
paix sur terre devient une chimère. L'une de ces valeurs est précisément
la réconciliation entre les hommes, et le Pape Jean XXIII s'est bien des
fois référé à ce thème. Quant à Paul
VI, il suffit de rappeler qu'en invitant toute l'Eglise et le monde entier à
célébrer l'Année sainte de 1975, il a voulu que «renouveau
et réconciliation» constituent l'idée centrale de cet événement
important. On ne peut oublier non plus les catéchèses qu'il a
consacrées à cette idéeforce, notamment pour illustrer le
jubilé lui-même.
7 «En ce temps fort pendant lequel tout chrétien est appelé
à réaliser plus profondément sa vocation de réconciliation
avec le Père dans le Fils-écrivais-je dans la bulle d'indiction de
l'Année sainte extraordinaire de la Rédemption-,il doit être
clairque l'objectif de l'Année ne sera atteint que si tous et chacun
s'engagent vraiment au service de la réconciliation, non seulement entre
tous les disciples du Christ mais également entre tous les hommes»:
bulle Aperite portas Redemptori, n. 3: AAS 75 (1983), p. 93.
8 Le thème du Synode était, plus précisément, Réconciliation
et pénitence dans la mission de l'Eglise.
9 Cf. Mt 4, 17; Mc 1, 14-15.
10 Cf. Lc3,8.
11Cf. Mt 16, 24-26; Mc 8, 34-36; Lc 9, 23-25.
12 Cf. Ep 4, 23-24.
13 Cf. 1 Co 3, 1-20.
14 Cf. Col 3, 1-2.
15 «Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier
avec Dieu»: 2 Co 5, 20.
16 «Nous nous glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ
par qui dès à présent nous avons obtenu la réconciliation»:
Rm 5, 11; cf. Col 1, 20. 17 Le Concile Vatican II a noté à ce
sujet: «En vérité, les déséquilibres qui
travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre
plus fondamental, qui prend racine dans le cur même de l'homme.
C'est en l'homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments
se combattent. D'une part, comme créature, il fait l'expérience de
ses multiples limites; d'autre part, il se sent illimité dans ses désirs
et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de
façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire
faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et
n'accomplit point ce qu'il voudrait (cf. Rm 7, 14 ss.). En somme, c'est en lui-même
qu'il souffre division, et c'est de là que naissent au sein de la société
tant et de si grandes discordes»: Const. past. sur l'Eglise dans le monde
de ce temps Gaudium et spes, n. 10.
18 Cf. Col 1, 19-20
19 Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Dives in misericordia, IV, nn. 5-6: AAS 72
(1980), pp. 1193-1199.
20 Cf. Lc 15, 11-32.
21 Le Livre de Jonas est, dans l'Ancien Testament, une anticipation et une
figure admirables de cet aspect de la parabole. Le péché de lonas
est celui «d`éprouver un grand dépit et de se fâcher»
parce que Dieu est «un Dieu de pitié et de tendresse, lent à
la colère, riche en grâce et se repentant du mal», c'est le péché
«d'avoir de la peine pour une plante de ricin ... qui a poussé en
une nuit et en une nuit a péri», et de ne pas comprendre que le
Seigneur «ait eu pitié de Ninive»: cf. Jon 4.
22 Rm 5, 10-11; cf. Col 1, 20-22
23 Co 5, 18. 20.
24 Jn 11, 52.
25 Cf Col 1, 20.
26 Cf. Si 44, 17.
27 Ep 2, 14.
28 Prière eucharistique III
29 Cf. MT 5, 23-24.
30 Mt 27, 46; Mc 15, 34; PS 22 [21], 2.
31 Cf. Ep 2, 14-16
32 S. LÉON LE GRAND, Tractatus 63 (De passione Domini 12), 6: CCL
138/A, 386.
33 2 Co 5, 18-19.
34 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n. 1.
35 «L'Eglise, de par sa nature, ne cesse de réconcilier,
transmettant aux autres le don qu'elle a elle-même recu, le don d'avoir été
pardonnée et d'être unie à Dieu»: JEAN-PAUL II,
Discours à Liverpool (30 mai 1982), n. 3: Insegnamenti V, 2 (1982), 1992.
36 Cf. Ac 15, 2-33
37 Cf. Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 13: AAS 68 (1976),
38 Cf JEAN-PAUL II, Exhort. ap. Catechesi tradendae, n. 24: AAS 71 (1979),
p. 1297.
39 Cf PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam: AAS 56 (1964),
40 2 Co 5, 20.
41 Cf. 1 Jn 4, 8.
42 Cf. Sg 11, 24-26; Gn 1, 27; Ps 8, 4-8.
43 Cf Sg 2, 24.
44 Cf. Gn 3, 12-13; 4, 1-16.
45 FP 2, 4
46 Cf. Ep 1, 10.
47 Jn 13, 34.
48 Cf. CONC. CUM. VAT. Il, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de
ce temps Gaudium et spes, n. 38.
49 Cf. Mc 1, 15.
50 2 Co 5, 20.
51 Ep 2, 14-16.
52 Cf. S. AUGUSTIN, De Civitate Dei XXII, 17: CCL 48 835-836; S. THOMAS D
AQUIN, Somme thëologigae, III, q. 64, a. 2, ad tertium.
53 Cf. PAUI VI, Discours de clôture de la troisième session du
Concile cuménique Vatican II (21 novembre 1964): AAS 56 (1964), pp.
1015-1018.
54 CONC. CUM. VAT. II, Const. dOgm. sur l'Eglise Lumen gentium, n. 39.
55 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Décret sur l'cuménisme
Unitatis redintegratio, n . 4.
56 1 Jn 1, 8-9.
57 1 Jn 3, 20; cf. mon discours à l'audience générale
du 14 mars 1984, où je me suis référé à ce
passage: Insegnamenti Vll,
58 Cf. 2 S 11-12
59 Ps 51 [50], 5-6
60 Lc 15, 18. 21
61 Lettere, Florence 1970, I, pp. 3-4; ll Dialogo della Divina Prowidenza,
Rome 1980, passim.
62 Cf. Rm 3, 23-26
63 Cf. Ep 1, 18.
64 Cf. Gn 11, 1-9.
65 Cf Ps 127 [126], 1.
66 Cf. 2 Th. 2, 7
67 Cf. Rm 7, 7-25; Ep 2, 2; 6, 12.
68 La terminologie adoptée par la traduction grecque des Septante et
par le Nouveau Testament au sujet du péché est significative à
cet égard. Le plus souvent, il est désigné par hamartìa,
avec les termes formés sur la même racine. Celle ci exprime l'idée
de manquer plus ou moins gravement soit à une norme ou à une loi,
soit à une personne ou même à une divinité. Mais le péché
est appelé aussi adikìa, et l'idée est alors celle de
pratiquer l'injustice. On parlera de paràbasis ou transgression; d'asèbeia,
impiété, et d'autres concepts encore; tous ensemble forment
l'image du péché.
69 Gn 3, 5: «... vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et
le mal»; cf. aussi le v. 22.
70 Cf. Gn 3, 12
71 Cf. Gn 4, 2-16
72 L'expression est due à ELISABETH LESEUR, Journal et pensées
de chaque jour, Paris 1918, p. 31.
73 Cf. Mt 22, 39; Mc 12, 31; Lc 10, 27-28
74 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA Fol, Instruction sur
quelques aspects de la «Théologie de la libération»
Libertatis nuntias (6 août 1984), IV, 14-15: AAS 76 (1984), pp. 885-886.
75 Cf Nb 15, 30.
76 Cf. Lv 18, 26-30.
77 Cf. Lv 19, 4.
78 Cf Lv 20, 1-7.
79 Cf. Ex 21, 17.
80 Cf Lv 4, 2ss., 5, 1 ss., Nb 15, 22-29.
81 Cf Mt 5, 28; 6, 23; 12, 31-32; 15, 19: Mc 3, 28-30; Rm 1, 29-31; 13, 13,
Jc 4.
82 Cf Mt 5, 17; 15, 1-10; Mc 10, 19; Lc 18, 20
83 Cf 1 Jn 5, 16-17.
84 In 17, 3.
85 Cf. 1 Jn 2, 22.
86 Cf. 1 Jn 5, 21.
87 Cf. 1 Jn 5, 16-21.
88 Mt 12, 31-32.
89 Cf. S. THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae, q. 14, aa.
1-3.
90 Cf. 1 Jn 3, 20
91 S THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae q. 14, a. 3, ad
primum.
92 Cf. Ph 2,12.
93 Cf. S. AUGUSTIN, De spiritu et littera, XXVIII: CSEL 60, 202-203;
Enarrat. in ps. 39, 22: CCL 38, 441; Enchiridion ad Laurentium de spe et spe et
caritate, XIX, 71: CCL 46, 88; In loannis Evangelium tractatus, 12, 3, 14: CCL
36, 129.
94 S. THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, Ia-IIae q. 72, a. 5.
95 Cf. CONC. CUM. DE TRENTE, Session VI, De iustificatione, chap. II
et can. 23, 25, 27: Conciliorum cumenicorum Decreta, Bologne 19733, 671.
680-681 (DS 1573, 1575, 1577).
96 Cf. CONC. CUM. DE TRENTE, Session VI, De iustificatione, chap. XV:
Conciliorum cumenicorum Decreta, éd. cit., 677 (DS 1544).
97 JEAN-PAUL. II, Angélus du 14 mars 1982: Insegnamenti V, 1 (1982),
861
98 Const past sur l'Eglise dans le momde de ce temps Gaudium et spes, n. 16
99 JEAN-PAUL II, Angélus du 14 mars 1982: Insegnamenti, V, 1 (1982),
860
100 PIE XII, Radiomessage au Congrès catéchistique national
des Etats-Unis e Boston (26 octobre 1946): Discorsi e Radiomessaggi, VIII
(1946), 288.
101 Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Redemptor hominis, n. 15: AAS 71 (1979), pp.
286-289.
102 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de
ce temps Gaudium et spes, n. 3; cf. 1 Jn 3, 9.
103 JEAN-PAUL II, Discours aux évêques de la région Est
de la France (1er avril 1982), n. 2: Insegnamenti V, 1 (1982), 1081.
104 1 Tm 3, 15-16
105 C'est pourquoi le texte présente une certaine difficulté
de lecture car le pronom relatif qui ouvre la citation litttérale ne
s'accorde pas avec le neutre «mysterion». Quelques manuscrits tardifs
ont retouché le texte pour le corriger du point de vue grammatical; mais
Paul a voulu seulement juxtaposer à son propre texte un texte vénérable
qui, à ses yeux, clarifiait pleinement sa pensée.
106 La communauté chrétienne primitive exprime sa foi dans le
Christ en croix, glorifié, que les anges adorent et qui est le Seigneur.
Mais l'élément frappant de ce message demeure l'expression «manifesté
dans la chair»: que le Fils éternel de Dieu se soit fait homme, volià
le «grand mystère».
107 1 Jn 5, 18-19
108 1 Jn 3, 9
109 1 Tm 3, 15
110 1 Jn 1, 8
111 1 Jn 5, 19
112 Cf. Ps 51 [50], 7
113 Cf. Ep 2, 4
114 CE. JEAN-PAUL II, Encycl. Dives in misericordia, nn. 8, 15: AAS 72
(1980), pp. 1203-1207; 1231.
115 2 S 12, 13
116 Ps 51 [50], 5
117 Ps 51 [50], 9
118 2 S 12, 13
119 Cf. 2 Co 5, 18
120 Cf. 2 Co 5, 19
121 Const past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n.
92.
122 Décr. sur la charge pastorale des évêques Christus
Dominus, n. 13; Cf. Déclar. sur l'éducation chrétienne
Gravissimum educationis, n. 8; Décr. sur l'activité missionnaire
de l'Eglise Ad gentes, nn. 11-12.
123 Cf. PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam, III: AAS 56 (1964),
124 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium,
nn. 1. 9. 13.
125 PAUL VI, Exhort. ap. Paterna cum benevolentia: AAS 67 (1975), pp. 5-23.
126 Cf. CONC. CUM. VAT II, Décr. sur l'cuménisme
Unitatis redintegratio, nn. 7-8.
127 Ibidem, n. 4.
128 S. AUGUSTIN, Sermo 96, 7: PL 38, 588.
129 Cf. JEAN PAUL II, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité
près le Saint-Siège (15 janvier 1983), nn. 4. 6. 11: AAS 75
(1983), pp. 376. 378-379. 381.
130 JEAN PAUL II, Homélie de la messe pour la XVIe Journée
mondiale de la paix (1er janvier 1983), n. 6: Insegnamenti VI, 1 (1983), 7.
131 PAUL VI, Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 70: AAS 68 (1976), PP.
59-60.
132 1 Tm 3, 15.
133 Cf. Mt 5, 23-24
134 Cf. Mt 5, 38-40
135 Cf. Mt 6, 12
136 Cf. Mt 5, 43 ss.
137 Cf. Mt 18, 21-22
138 Cf. Mt 1, 4. 14; Mt 3, 2; 4, 17; Lc 3, 8
139 Cf. Lc 15, 17
140 Lc 17, 3-4
141 Cf. Mt 3, 2; Mc 1, 2-6; Lc 3, 1-6
142 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
nn. 8. 16. 19. 26. 41. 48.
143 Cf. Déclar. sur la liberté religieuse Dignitatis humanae,
nn. 2. 3. 4.
144 Cf., parmi tant d'autres, les discours aux audiences générales
des 28 mars 1973:
Insegnamenti XI (1973), 294 ss.; 8 août 1973: Ibidem, 772 ss.; 7
novembre 1973: Ibidem, 1054 ss.; 13 mars 1974: Insegnamenti XII (1974), 230 ss.;
8 mai 1974: Ibidem, 402 ss.; 12 février 1975: Insegnamenti XIII (1975),
154 ss.; 9 avril 1975: Ibidem, 290 ss.; 13 juillet 1977: Insegnamenti XV (1977),
710 ss.
145 Cf. JEAN-PAUL II, Angélus du 17 mars 1982: Insegnamenti V, 1
(1982), 860-861.
146 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du
17 août 1983, nn. 1-3: Insegnamenti VI, 2 (1983), 256-257.
147 He 4, 15.
148 Cf. Mt 4, 1-11 Mc 1, 12-13; Lc 4, 1-13.
149 Cf. 1 Co 10, 13
150 Cf Mt 6, 13; Lc 11, 4.
151 1 P 3, 21.
152 Cf. Rm 6, 3-4, Col 2, 12.
153 Cf. Mt 3, 11; Lc 3, 16; Jn 1, 33; Ac 1, 5; 11, 16.
154 Cf. Mt 3, 15.
155 S. AUGUSIIN, In loannis Evangelium tractatus, 26, 13: CCL 36, 266.
156 S. CONGRÉGATION DES RITES, Instruction sur le culte du mystère
eucharistique
Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 35: AAS 59 (1967), PP. 560-561.
157 Ps 78 [77], 38-39.
158 Cf. Jn 1, 29; Is 53, 7. 12.
159 Cf. Jn 5, 27.
160 Cf. Mt 9, 2-7; Lc 5, 18-25; 7, 47-49; Mc 2, 3-12.
161 Cf. Jn 3, 17.
162 Jn 20, 22; Mt 18, 18; cf. aussi, en ce qui concerne Pierre, Mt 16, 19.
Le bienheureux Isaac de l'Etoile souligne, dans un de ses discours, la pleine
communion du Christ avec l'Eglise dans la rémission des péchés:
«L'Eglise ne peut rien pardonner sans le Christ; et le Christ ne veut rien
pardonner sans l'Eglise. L'Eglise ne peut rien pardonner sinon à celui
qui se convertit, c'est-à-dire à celui que le Christ a d'abord
touché. Le Christ ne veut pas accorder son pardon à celui qui méprise
l'Eglise»: Sermo 11 (In dominica III post Epiphaniam, I): PL 194, 1729.
163 Cf. Mt 12, 49-50; Mc 3, 33-34; Lc 8, 20-21, Rm 8, 29: «... I'ainé
d'une multitude de frères».
164 Cf He 2, 17; 4, 15
165 Cf. Mt 18, 12-13; Lc 15, 4-6.
166 Cf. Lc 5, 31-32.
167 Cf. Mt 22, 16.
168 Cf. Ac 10, 42
169 Cf Jn 8, 16
170 Cf. mon discours aux pénitenciers des basiliques patriarcales de
Rome et aux prêtres confesseurs, en conclusion du jubilé de la Rédemption
(9 juillet 1984): L'Osservatore Romano, 9-10 juillet 1984.
171 Jn 8, 11.
172 Cf. Tt 3, 4.
173 Cf. CONC. CUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae,
chap. I et can. 1: Conciliorum cumenicorum Decreta, éd. cit.,
703-704, 711 (DS 1668-1670, 1701).
174 Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, n. 11.
175 Cf. CONC. CUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae,
chap. I et can. 1: Conciliorum cumenicorum Decreta, éd. cit.
703-704. 711 (DS 1668-1670. 1701).
176 Cf. Const. sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 72.
177 Cf. Rituale Romanum ex Decreto Sacrosancti Concilii cumenici
Vaticani II instauratum, auctoritate Pauli VI promulgatum. Ordo Paenitentiae,
Imprimerie Polyglotte Vaticane, 1974.
178 Le Concile de Trente emploie l'expression atténuée «ad
instar actus iudicialis» (Session XIV, De sacramento Paenitentiae, chap. 6:
Conciliorum cumenicorum Decreta, éd. cit., 707 [DS 1685]), pour
souligner la différence avec les tribunaux humains. Le nouveau Rituel de
la Pénitence fait allusion à cette fonction aux numéros 6 b
et 10 a.
179 Cf. Lc 5, 31-32: «Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui
ont besoin de médecin, mais les malades», avec la conclusion: «...
je ... suis venu appeler ... les pécheurs à la conversion»;
Lc 9, 2: «Il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons».
L'image du Christ médecin prend des aspects nouveaux et impressionnants
si nous la comparons avec la figure du «Serviteur de Yahvé»
dont le Livre d'Isaie disait, en prophétisant, que «ce sont nos
souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé»
et que «dans ses blessures nous trouvons la guérison» (Is 53,
4-5).
180 S. AUGUSTIN, Sermo 82, 8: PL 3E, 511.
181 Cf. AUGUSTIN, Sermo 352, 3, 8-9: PL 39, 1558-1559.
182 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 6c.
183 Déjà les païens - comme Sophocle (Antigone, vv.
450460) et Aristote (Rhétor., livre I, chap. 15, 1375a-b) -
reconnaissaient l'existence de normes morales «divines» existant «depuis
toujours», profondément inscrites au cur de l'homme.
184 Sur ce rôle de la conscience, voir ce que j'ai dit au cours de
l'audience générale du 14 mars 1984, n. 3: Insegnamenti VII, 1
(1984), 683.
185 Cf. CONC. CUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae,
chap. IV, De contritione: Conciliorum cumenicorum Decreta, éd.
cit., 705 (DS 1676-1677). On sait que pour s'approcher du sacrement de Pénitence,
il suffit d'avoir l'attrition, c'est-à-dire un repentir imparfait, suscité
plus par la crainte que par l'amour; mais dans le cadre du sacrement, sous
l'action de la grâce qu'il recoit, le pénitent «ex attrito fit
contritus», et donc la Pénitence agit véritablement en celui
qui est bien disposé à la conversion dans l'amour; cf. CONC. CUM.
DE TRENTE, ibidem, éd. cit., 705 (DS 1678).
186 Ordo Paenitentiae, n. 6c.
187 Cf. Ps 51 [50], 14
188 J'ai eu l'occasion de parler de ces aspects de la pénitence, qui
sont tous fondamentaux, au cours des audiences générales des 189
mai 1982: Insegnamenti V, 2 (1982), 1758 ss.; 28 février 1979:
Insegnamenti II (1979), 475-478; 21 mars 1984: Insegnamenti VII, 1 (1984),
720-722. Il faut rappeler par ailleurs les normes du Code de Droit canonique
concernant le lieu de l'administration du sacrement et les confessionnaux (can.
964, §§ 2-3).
189 J'ai traité succinctement ce thème au cours de l'audience
générale du 7 mars 1984: Insegnamenti VII, 1 (1984), 631-633.
190 Cf. Gn 4, 7. 15.
191 Cf. 2 S 12.
192 Cf. Lc 15, 17-21.
193 Cf. CONC CUM. VAT. II, Décret sur le ministère et la
vie des prêtres Presbyterorum orainis, n. 18.
194 Ordo Paenitentiae, n. 7 b.
195 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 17.
196 Canons 961-963.
197 Cf. Ez 18, 23.
198 Cf. Is 42, 3, Mt 12 20.
199 Cf. Exhort. ap. Familiaris consortio, n. 84: AAS 74 (1982), pp. 184-186.
200 Cf. 1 P1, 1. 2; 3, 8
201 1 P 3, 9. 13
202 1 P 3, 8. 9. 13.
203 1 P 3, 17.
204 Litanies du Sacré-Cur; cf. 1 Jn 2, 2; Ep 2, 14; Rm 3, 25;
5, 11.
205 JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du 7 décembre
1983, n. 2: Insegnamenti VI, 2 (1983), 1264.
206 Cf JEAN-PAUL II, Discours à l'audience générale du
4 janvier 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 16-18.
207 Cf. Rm 1, 5; 16, 26
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