POZ n°36 PDF Imprimer Envoyer
Écrit par Florent MARTIN   
Vendredi, 13 Juin 2008 13:13


SOMMAIRE

  • Les nouvelles de l’OZ
    Le Paranormal en éprouvette
    FAQ en ligne
  • Actualités
    L'origine des faux souvenirs
    La révolte des psychanalystes
  • Enquête
    Petite histoire fraternelle, blanche et universelle
  • Billet
    De Mesmer, du magnétisme animal et de la psychanalyse
  • PsychOZ : « C’était mieux avant… »
  • Agenda
    5 juillet 2008 : L'astrologie face à la science, par Henri Broch
  • Divertissement : Pop-corn et téléphone portable


ÉDITO

Mes biens chers frères, mes bien chères soeurs, amis lecteurs.

Aujourd'hui est un grand jour qu'il faut frapper de solennité. Un jour qui restera longtemps dans les mémoires, en tout cas tant que le poids des ans le permettra. Aujourd'hui aura lieu (en tous cas à l'heure où j'écris ces lignes, cela n'a pas encore eu lieu ; peut-être que c'est déjà passé à l'heure où tu les lis), ami lecteur, mon bien cher frère, ma bien chère soeur, la première cérémonie de mariage zététique de l'histoire de la zététique. Aujourd'hui, une union zététique suivra l'union à la mairie. Aujourd'hui seront célébrées les épousailles de l'indispensable Géraldine Fabre, rédactrice infatigable de cette Newsletter que tu t'apprêtes à lire, mon bien cher frère, ma bien chère soeur, ami lecteur, avec le sémillant Florent Martin, que tu lis également souvent ici ; deux très-éminents (comme on écrivait au XIXe siècle) membres de l'Observatoire zététique, incontounables et hyperactifs.

Bon, très bien, te dis-tu, ils se marient, c'est chouette pour eux, encore que bon, moi, leur mariage, hein, m'en fiche un peu, font ben ce qu'ils veulent dans leur coin, après tout je les connais pas, moi. Et pis, ajoutes-tu dans ton for intérieur, c'est bizarre, quand même, une cérémonie zététique ; ils veulent faire de la zététique une nouvelle religion, avec ses rites et ses traditions, à l'OZ ? Si c'est ça, je me désabonne tout de suite de leur bulletin louche, non mais sans blague.

Reste, ami lecteur, mon bien cher frère, ma bien chère soeur. Que tu n'aies rien à faire du mariage de deux personnes que tu ne connais pas, je le comprends volontiers. Mais pour le reste, je te rassure : la zététique n'est pas une religion, l'Observatoire zététique n'a pas de vocation sectaire ou dogmatique. Il ne s'agit pas de remplacer un cérémonial religieux par un autre, ni même de s'en moquer outrancièrement.

Florent et Géraldine n'étant pas croyants, il n'était pas question pour eux d'un mariage dans une quelconque église. Leur action dans la zététique est plus qu'un engagement associatif : c'est presque un mode de vie commun. Désireux d'ajouter, à l'engagement à la mairie, un engagement un peu plus symbolique, ils ont conçu une « cérémonie zététique », certes parodiant quelque peu une cérémonie de type religieux, mais surtout visant à dire, à leurs amis et proches, quel sens ils mettent dans le fait de se marier.

Ce sera l'occasion, ami lecteur, mon bien cher frère, ma bien chère soeur, de réfléchir du point de vue critique à ce qu'est un engagement symbolique tel que le mariage, dissoluble uniquement par la mort ou le divorce (ou autres cas d'annulation) ; un engagement, d'accord, mais devant qui exactement ? Ce sera l'occasion d'envisager lucidement les moyens de pallier les dissonances cognitives et les spirales d'engagement. De se demander quel changement (a priori nul) peut produire une telle union dans la vie de deux personnes qui vivent ensemble depuis longtemps. Et aussi, et avant tout, de bien faire la fête ensemble et de bien rigoler.

Ma bien chère soeur, mon bien cher frère, ami lecteur, je t'invite à présent à te recueillir quelques instants, de ta manière habituelle de recueillement (va aux toilettes, fume un cigare, écoute une chanson de Didier Super, va au supermarché acheter des petites punaises à têtes plates, bref, recueille-toi). Médite sur le sens de cette union zétético-symbolique. Et à présent, le doute soit avec toi (et avec ton esprit critique).

Stanislas Antczak
éditorialiste de mariage

P.-S. : tu as vu, ami lecteur, mon bien cher frère, ma bien chère soeur, je n'ai pas parlé du vendredi 13 !


LES NOUVELLES DE L’OZ

Le paranormal en éprouvette
Le mardi 27 Mai 2008, Florent Martin et Géraldine Fabre se sont rendus à Montbéliard sur l'invitation de Pascal Rémond, pour participer au bar des sciences « Le paranormal en éprouvette » organisé par le Pavillon des sciences de Franche-Comté.
Dans le salon d’un hôtel, en plein centre-ville de Montbéliard, une soixantaine de personnes sont venues assister à cette soirée, intriguées par la « zététique » ou attirées par le « paranormal ». En introduction du débat, les deux zététiciens ont pris le temps de présenter l’Observatoire zététique, sa démarche et ses activités. Ils ont ensuite répondu pendant près de deux heures à un flot incessant de questions.
Ce genre de cafés-sciences est habituellement l’occasion de discussions-débats autour de la radiesthésie et de la sourcellerie. Mais, malgré leurs révisions intensives des expériences historiques dans ce domaine (les expériences d’Eugène Chevreul, d’Yves Rocard ou encore l’expérience de Münich), Florent et Géraldine n’ont pas été interrogés sur ce sujet. Les Montbéliardais présents semblaient en effet plus curieux d’ufologie, voulant tout savoir sur les crop circles, Roswell et les OVNI, et plus intéressés par les médecines traditionnelles pratiquées par les rebouteux ou les passeurs de feu.
Le but n’étant pas d’asséner des « vérités » ni même d’apporter des « réponses », mais plutôt de susciter la curiosité et d’inciter à la recherche, Géraldine a explicité quelques principes de base du scepticisme, que Florent s’est empressé d'illustrer. Est-il possible de tenir à l’horizontal entre deux tréteaux sans être hypnotisé ? Oui, il suffit d’en faire l’expérience. Peut-on faire confiance à nos sens ? Non, les illusions d’optique nous prouvent qu’ils peuvent nous tromper. Comment savoir si une personne à un don extraordinaire ? En réalisant une expérience scientifique, dans des conditions contrôlées, en double aveugle, avec randomisation et analyse statistique des résultats…
La soirée a été très animée et le public, repartant peut-être avec plus de questions que de réponses, semble avoir compris toute la difficulté et malgré tout l’importance de la démarche zététique qui s’applique à bien d’autres domaines que le « paranormal ».


Juin froid et pluvieux, tout l'an sera grincheux.
Le 4 juin 2008, Pierre Bienvenu a remplacé au pied levé Richard Monvoisin lors de la conférence prévue au Muséum d’histoire naturelle de Grenoble sur le thème « Animaux, plantes, dictons et prédictions : un regard zététique ». Organisée dans le cadre de l’exposition temporaire « Vol d'hirondelles et pelures d'oignons », cette conférence a attiré une quarantaine de personnes.
Sans passer au crible de la science tous les proverbes et dictons météorologiques, les prédictions utilisant les animaux et les plantes, Pierre a rendu hommage à la sagesse populaire empirique dont la plupart d’entre eux se font l’écho à travers les âges. Il a en même temps souligné leurs imprécisions courantes, leurs contradictions éventuelles, leur justesse logique ou parfois simplement hasardeuse.
N'en déplaise à Phil la marmotte de Punxsutawney (Pennsylvanie), honoré le 2 février (Jour de la Marmotte), sa sortie et la vision de son ombre ne sont pas corrélées à la précocité du printemps. Les prédictions des marmottes sont d'ailleurs le plus souvent contradictoires et même rarement justes, bien qu'en toute rigueur, il faudrait définir ce que l’on entend précisément par « printemps précoce » pour l'affirmer.
Se fier aux dictons météorologiques ou au comportement des animaux pour prédire le temps qu’il fera s’avére pour le moins hasardeux : des fois, ça marche, et des fois… ça marche pas. Finalement, quoi qu’il arrive Il fera beau, sauf s’il pleut.
Pour son exposé, Pierre a pioché dictons et proverbes dans l'étude régionale de la Beauce réalisée par Guy Bataille, Acoute que j'te cause (1988, Société Dunoise).


Pour tout savoir sur la zététique et l’OZ
Qu’est-ce que la zététique ? Quelle est la différence avec le scepticisme ? Qu’est-ce que l’Observatoire zététique ? Que font ses membres ? Comment adhérer à cette association ? Quels sont vos liens avec Henri Broch ? … Toutes ces questions nous sont systématiquement posées dans nos interventions publiques. Mise à jour récemment, notre FAQ y apporte aujourd’hui des réponses détaillées qui renseigneront tous les curieux de « zététique ». En trois parties, cette Foire aux questions présente la zététique, les spécificités de l’OZ et le fonctionnement de notre association.
Pour plus d’informations, il est toujours possible d’écrire directement au conseil d’administration de l’OZ à Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. .


La troisième édition d'Ultimate Z
L’été approche mais l’Observatoire zététique ne prend pas pour autant de vacances. D’ailleurs, pour la troisième fois, il organise son université d’été, le week-end du 4 au 6 Juillet, sous le soleil de la Drôme provençale. Pendant trois jours, la plupart des membres de l’OZ s’y retrouveront pour discuter méthodologie scientifique et paranormal. Exposés critiques, expérimentations scientifiques, tours de magie, débats, concours de « mauvaise foi » et jeux de rôles auront lieu autour du barbecue et de la piscine. Cette année encore, l’Ultimate Z accueillera quelques invités de marque hors OZ pour faire de ce rendez-vous annuel un moment privilégié de rencontres et d’échanges sur des thématiques qui nous intéressent tous, le tout dans un cadre très agréable.




ACTUALITÉS
Les actus du « paranormal »


Les origines du syndrome des faux souvenirs
Il y a quelques temps, Brigitte Axelrad nous a envoyé un article sur les origines du syndrome des faux souvenirs. Après avoir participé à notre conférence sur les techniques de manipulation mentale, elle a en effet souhaité apporter sa contribution sur ce trouble fréquent dans certaines psychothérapies fouillant le passé et la mémoire de leurs patients. Une connaissance approfondie de la psychanalyse, qu’elle a enseignée, lui a permis de retrouver les origines historiques du syndrome des faux souvenirs dans la théorie freudienne de la séduction et aussi dans son abandon ultérieur pour la théorie du Complexe d’Œdipe.
Aujourd’hui, nombre de psychothérapies, s’appuyant sur un pseudo-freudisme simpliste, prétendent faire ressurgir à la mémoire des patients des « souvenirs refoulés » de traumatismes enfantins, généralement d’ordre sexuel. Ils ne sont pourtant, trop souvent, que de faux souvenirs sans réalité qui détruisent des familles entières où les enfants accusent leurs parents, grands-parents, de viol, d’inceste...
En replaçant l'émergence du syndrome des faux souvenirs dans son contexte historique et psychanalytique, Brigitte Axelrad nous éclaire sur l’expansion de ce trouble. Elle montre en particulier l’influence qu’ont jouée dans sa propagation le mouvement féministe qui s’est développé dans les années 80 aux États-Unis et des livres tels que The Courage to Heal (Le Courage de Guérir).
Pour diffuser plus largement ce texte, nous l’avons publié sur le blog de l’Observatoire zététique, où il est possible de laisser des commentaires.

Le syndrome des faux souvenirs a été étudié par la psychologue américaine, Elizabeth Loftus, qui a publié avec Katherine Ketcham Le syndrome des faux souvenirs : ces psys qui manipulent la mémoire (Éditions Exergue, 1997), un ouvrage qui fait toujours référence.


Presse : Science et Inexpliqué
Depuis le début de l’année 2008, la presse spécialisée dans les sujets « paranormaux » s’est enrichie d’un nouveau titre : Science et inexpliqué. À l’origine de cette initiative, le journaliste et écrivain Nicolas Montigiani, co-auteur de deux ouvrages avec l’ancien ufologue « officiel » du CNES Jean-Jacques Velasco (Ovnis, l’évidence en 2004 et Troubles dans le ciel en 2007), et qui a également rédigé un livre consacré aux crop circles, ces figures qui apparaissent chaque été dans nos champs (Crop Circles : Manoeuvres dans le ciel en 2003).
L’ambition de ce bimestriel ? Informer ses lecteurs. Quoi de plus logique, me direz-vous. Hélas, sur ces sujets, l’information critique manque souvent à l’appel et hormis les efforts de l’AFIS (Association française d’information scientifique), dont la revue Science et pseudo-sciences est diffusée en kiosque depuis bientôt un an, la plupart des titres occupant ce « secteur de marché » offrent généralement un discours à sens unique et peu soucieux de vérifications factuelles.
Dans ce cadre, l’originalité de Science et inexpliqué est d’ouvrir ses colonnes aussi bien aux « tenants » d’explications exotiques ou « paranormales », qu’aux sceptiques. Les arguments de ces derniers y sont toujours développés – sur plusieurs pages et non dans de simples encadrés – et exposés sans caricature ni parti pris, afin de permettre au lecteur de se forger lui-même une opinion, plutôt que de se voir imposer, plus ou moins subrepticement, celle du journaliste.
On pourrait certes objecter que la neutralité et l’objectivité sont deux choses distinctes : en fonction des faits considérés, toutes les approches et les affirmations ne se valent pas forcément. Ou encore, que le titre n’est pas nécessairement approprié : bien des choses réputées « inexpliquées » ne le sont en fait que parce que l’information sceptique existant à leur sujet circule peu et mal.
Il n’en reste pas moins que Science et inexpliqué a le mérite de vouloir outrepasser les clivages entre « tenants » et sceptiques, non pas en tranchant pour imposer sa propre vision des choses, mais en exposant de façon neutre et détachée les points de vue des uns et des autres. Ajouté à la possibilité offerte à une approche zététique de s’exprimer, cet effort de neutralité et d’ouverture est suffisamment rare et original, dans la presse du « paranormal », pour être signalé.

Éric Déguillaume

Cours de langues extraterrestres
Comment parler aux extraterrestres ? La réponse est loin d’être évidente, puisque l’on ne sait rien d’eux, pas même s’ils existent. Malgré tout, pour anticiper le problème, dans l’éventualité où l’humanité entrerait en contact avec eux, la NASA participe au financement du premier atelier d’écriture « extraterrestre » organisé à l’Université américaine du Wyoming. Intitulé « Interstellar Message Composition », ce cours est suivi par une dizaine d’étudiants qui réfléchissent à notre communication avec des extraterrestres : que leur dire et comment le faire ? Comment décrire l’Humanité en dix mots ou une image ?
Cette réflexion n’est pas nouvelle : depuis bien longtemps, les astronomes envoient des messages dans l’espace à destination d’autres éventuels habitants. Ainsi, en 1969, avant de rentrer sur Terre, les premiers hommes qui marchèrent sur la Lune y laissèrent une plaque commémorative en aluminium contenant une représentation de la Terre et un message de paix du Président Nixon. En 1986, Pioneer 10, la première sonde qui allait quitter le système solaire, emportait à son bord, une plaque d’or gravée représentant un homme et une femme nus, le système solaire, la trajectoire approximative de la sonde et la structure d’un atome d’hydrogène. Ce message explicitement destiné à une éventuelle intelligence extra-terrestre avait été élaboré par les astronomes Carl Sagan et Frank Drake.
Bien d’autres messages furent lancés depuis la Terre ou à bord de sondes spatiales. Le plus connu est peut-être le message radioélectrique Arecibo émis vers l’amas globulaire M13 en 1974. Censé contenir une représentation de la structure de l’ADN, son décodage est loin d’être trivial, même pour des humains ! Le message fut d’ailleurs jugé trop anthropocentrique et trop compliqué à comprendre : la plupart des scientifiques humains auxquels il fut présenté ne purent le décoder entièrement.
Inversement, le programme SETI, (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) continue de rechercher des signaux qu'une intelligence extraterrestre pourrait émettre, volontairement ou non, depuis sa planète d'origine. Pour le moment sans grand succès.

Géraldine Fabre


La révolte des psychanalystes
Le 7 juin 2008, les psychanalystes ont tenu dans les principales villes françaises des meetings régionaux dans le but d’attirer l’attention de l’opinion publique sur les « attaques » dont ils se sentent les victimes depuis quelques temps. En effet, avec la publication en 2004 du rapport de l’INSERM (l'Institut national de la santé et de la recherche médicale) très critique envers la psychanalyse, l’amendement Accoyer qui veut limiter l’exercice de la psychothérapie aux diplômés de médecine et psychologie (en excluant donc les psychanalystes), la publication en 2005 du Livre noir de la psychanalyse, et la possible suppression des formations universitaires en psychologie clinique fondées sur la psychanalyse, c’est pour eux « la conception de l’humain qui est remise en question ».
Ces faits ne sont pourtant que les conséquences d’une évaluation (légitime) de l’efficacité de la psychanalyse dans le traitement des problèmes psychologiques et maladies mentales. Faute de parvenir à prouver sa valeur thérapeutique, la psychanalyse autrefois dominante perd peu à peu de sa suprématie au profit notamment des thérapies cognitivo-comportementales qui obtiennent de bien meilleurs résultats. Se sentant menacés, les psychanalystes se défendent en remettant en questions les principes même de l’évaluation scientifique. Le problème se trouve ainsi subtilement déplacé hors du domaine de la science et même de la médecine. Le plaidoyer de Jacques Borie, organisateur du meeting de Lyon en est une bonne illustration (propos retranscrits par Laurent Burlet, sur lyoncapitale.fr) : « Nous voulons alerter les citoyens. L'époque actuelle montre des dérives importantes dans tous les domaines. On tend à réduire la singularité du sujet au profit de raisonnements statistiques. Le stress au travail, par exemple, est la marque du fait que les gens ne sont plus dans leur travail qu'à travers le chiffre qu'ils produisent, avec une logique de « toujours plus » sans que le travail n'ait un autre sens que celui-là »
L’analyse statistique de résultats expérimentaux dans le cadre d’une étude scientifique est donc ici assimilée à une mesure de « rentabilité » économique que chacun s’accordera à dénoncer. Les psychanalystes nous rallieraient presque à leur cause sur cet argument rhétorique. Il est décidément bien difficile de critiquer la psychanalyse sur un plan scientifique, sans que cela ne soit interprété aussi comme un choix de société !



ENQUÊTE
Petite histoire fraternelle, blanche et universelle
Ou comment un mouvement répertorié comme sectaire parvient à faire condamner une détractrice.


Fin novembre 2005, un membre de l’Observatoire zététique (OZ), flânant sur le salon Naturissima, tombe sur un stand qui retient son attention : celui d’une maison d’édition appelée Prosveta. Sur les présentoirs, des titres comme « Les mystères de la lumière », « Boire l’élixir de la vie immortelle » ou encore « Nouvelles lumières sur les Évangiles » s’amoncèlent. Après un brin de recherches, l’édition Prosveta, présente depuis dix-neuf ans dans ce Salon finalement peu regardant, se révèle être une excroissance d’un mouvement appelé FBU, ou Fraternité Blanche Universelle.

Un brin d’histoire

La FBU est un mouvement spiritualiste fondé par Peter Konstantinov Deunov en 1922, à Itzev, désormais faubourg de Sofia, en Bulgarie. Celui que ses héritiers appelleront Maître Beinsa Douno revendique l’héritage bogomile, mouvement ésotérico-chrétien d’origine bulgare et considéré par la Chrétienté comme hérétique. Deunov annonce que depuis 1914, l’Humanité est entrée dans l’ère du Verseau, et que la transformation du monde est imminente.
En 1937, un certain Omraam Mikhaïl Aïvanhov arrive en France, se présente comme l’héritier de Deunov, et se dit détenteur d’un savoir sacré et secret. Il lance en 1947 la branche française de la Fraternité Blanche Universelle, montée en association dont le siège, appelé Izgrev, est Sèvres, dans les Hauts-de-Seine. Elle prend d’abord le nom d’École divine, puis de Fraternité Blanche Universelle, en 1960.

La FBU, école initiatique, propose un ésotérisme syncrétique centré sur deux notions : d’abord, une croyance dans la réincarnation et dans le Karma ; un héliocentrisme christique ensuite, le soleil représentant un idéal de perfection où vit le Christ et dans lequel ceux qui suivent l’enseignement d’Aïvanhov peuvent puiser leurs forces. Car Aïvanhov prétend non seulement, comme Deunov, être l’héritier des bogomiles, mais aussi tenir un savoir sacré d'un maître tibétain, ainsi que des connaissances venant de livres « absolument inconnus du commun des mortels, et conservés dans les quatre bibliothèques de l'Univers ». Il aspire à une église ésotérique et mystique inspirée de Saint Jean (et non de Saint Pierre, comme l’Église chrétienne) et se donne pour mission, de préparer la nouvelle civilisation, grâce à la 6ème race qui doit entièrement transformer le monde d'ici la fin du XXe siècle — bien qu’il semble qu’un peu de retard ait été pris [1].
Il n’y aura par contre pas à attendre la fin du XXe pour voir la FBU classée comme mouvement sectaire dans les rapports de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale de 1995 d’abord, de 2006 ensuite [2].


Un « style » politique

Pas question de condamner les croyances des gens, quelles qu’elles soient… sauf lorsque leur caractère est susceptible d’être coercitif et totalitaire, liberticide ou lorsqu’il y a mise en danger d’autrui ou délit d’abus de faiblesse.
Ceux qui, comme nous, ont une attention particulière pour les croyances qui essayent de se légitimer au moyen de notions pseudoscientifiques seront spécialement servis par la FBU. On apprend par exemple que Deunov, dans sa prophétie, annonçait que le grand renouveau se ferait par la « sixième race », la plus évoluée [3]. Pour y parvenir : culte collectif au soleil, jeûne, régime végétarien et frugal, méfiance vis-à-vis de la médecine, amour comme principe guérisseur et pureté des comportements [4].


La galvanoplastie spirituelle

La doctrine de la FBU repose essentiellement sur la notion de « galvanoplastie spirituelle » : sorte d’électrolyse (sic) par laquelle la mère, au moyen des éléments de son corps et de ceux émanant de son esprit, constitue le corps et l’esprit de son enfant. La pureté des actes physiques et mentaux de la mère pendant sa grossesse détermine la qualité de l’organisme et du psychisme du fœtus.
En clair, comme prévient le rapport parlementaire de 1999 sur « Sectes et enfance », le processus de formation physique et intellectuelle du foetus peut être consciemment maîtrisé et orienté vers une finalité idéale : « améliorer l’humanité » [5]. Les bébés ainsi traités se transformeront en êtres de grande qualité, ce qui réduira les coûts médicaux, les besoins en tribunaux et en prisons.
Aïvanhov en vient à écrire, sous couvert de psychologie facile, cette page de pseudoscience sexiste et démiurgique, truffée de concepts scientifiques dévoyés :
« Pendant tout le temps de la gestation, la mère doit veiller à préserver son enfant en créant consciemment autour de lui une atmosphère harmonieuse, car la véritable éducation d’un enfant est celle qui agit sur son subconscient. Les mères ne se rendent pas compte de l’importance de leur mission d’éducatrices. Si l’on veut améliorer l’humanité, il faut commencer par le commencement : instruire les mères des lois de la galvanoplastie et leur donner les meilleures conditions pendant qu’elles portent leur enfant. Une éducation qui commence avant la naissance... Oui, parce que la véritable éducation de l’enfant est d’abord subconscient.. » [6]

En gros, l'imagination de la mère modèlerait l'enfant dans sa forme, car les cellules enregistrent les qualités vibratoires des pensées maternelles. Comment ?
« Le pôle positif, l'anode, c'est l'ensemble des pensées et des sentiments de la mère; le pôle négatif, la cathode, c'est le foetus; dans la cuve galvanoplastique du corps maternel, un mécanisme A (le foetus) présente une affinité sélective pour le mécanisme B (le rôle négatif); les deux, A et B, vont donc coïncider. » [7].

Métaphore sans validité qui aura pourtant un certain succès dans les sphères scolaires, en particulier par le truchement de l’OMAEP [8], l’Organisation Mondiale des Associations pour l’Éducation Prénatale. Mouvement philosophico-religieux très influent dans les domaines de la naissance et de la périnatalité, l’OMAEP englobe l'ANEP, Association nationale d'éducation prénatale, elle-même vitrine de la FBU [9] . Elle est parvenue à distiller son discours au grand public à plusieurs reprises [10] : on pourra ainsi lire en juillet 1990 dans la revue Enfants d’abord le rapport d’une bénévole de l’ANEP :
« Notre organisation intervient dans les lycées sur l’importance de la vie fœtale pour préparer les futurs parents. Et puis, il faut signaler aux jeunes filles que chaque rapport sexuel laisse une empreinte. La femme qui va se faire monter - excusez l'expression - par cinq ou six bonshommes d'affilée à quatorze ans en est tachée. On le comprend pour les chiens. Si un chien de race est monté par un chien de race différente, même s'il n'est pas fécond, il n'est plus de pure race. Il y a une imprégnation. Chez l'homme, c'est la même chose.. » [11] .

Il y a proximité de discours et d’enjeu entre l’OMAEP et les mouvements anti-avortement, comme en témoignent les soutiens et les relais de conférences dans les organes Pro-Vie . Mais une grande part du succès de ces thèses new-ago-ultra-conservatrices revient à Marie-Andrée Bertin, fondatrice de l'ANEP, qui selon Charlie Hebdo [13] utilise son ancien titre de l'Association générale des instituteurs d'écoles maternelles pour présenter l’ « éducation prénatale » sauce galvanoplastique dans des conférences organisées dans les milieux scolaires, en plus de ses présentations dans les cours de yoga tenus par des membres FBU.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’OMAEP est depuis 2005 recensée dans la liste des organisations non gouvernementales consultatives de l’ECOSOC, le Conseil économique et social des Nations Unies [14]. L’OMAEP a par ailleurs tenu tribune et stands au Forum Social Européen à Ivry-sur-Seine [15], le 13 novembre 2003, ainsi qu’à Bobigny — ce qui avait valu à l’Alliance Francophone pour l'Accouchement Respecté (AFAR) [16] cet appel déchirant :
« Nous appelons toutes les associations et individus libres et responsables à se mobiliser contre cette infiltration du courant altermondialiste par un discours visant à endormir tout esprit critique pour perpétuer des idéologies rétrogrades sur le rôle social des femmes, la maternité et la sexualité en général. » [17]

Certes, un nouveau monde est possible. Mais souhaitons-nous vraiment le même monde que la FBU ?


Média

La tâche de l’Observatoire zététique étant notamment d’informer sur les contenus pseudo-scientifiques des théories de ce type et des aliénations qui peuvent en découler, l’association grenobloise contacte le salon Naturissima, et l’informe de la présence dans ses stands de la FBU dont le caractère problématique est largement référencé [18]. Puis l’OZ communique l’information à la presse locale. Les choses s’enchaînent alors très vite.

30 novembre 2005, l’édition Alpes du 19-20 de France 3 titre « À Grenoble, un stand du salon Naturissima montré du doigt avec suspicion de dérive sectaire ». Le journaliste présente le stand, puis précise qu’effectivement, ces ouvrages sont tous signés Mikhaïl Aïvanhov, fondateur et maître de la FBU. À la question de savoir s’il s’agit d’une secte ou non, le micro est tendu à Isabelle F., salariée de l’ADFI2SI (Association de Défense de la Famille et de l’Individu Deux Savoie – Isère), principale association d’aide aux victimes des dérives sectaires. Isabelle précise alors que les livres sont bien ceux du « Gourou Aïvanhov », et que la FBU est effectivement épinglée dans divers rapports parlementaires [2].


La technique de la roucoulette

Le procès en diffamation est une technique classique dans le milieu du combat anti-secte. Une grosse machine financière comme la FBU n’ayant aucune crainte à porter l’extrait vidéo de France 3 devant la justice puis à porter plainte. Objectif double : intimider les journalistes, et asphyxier les associations de victimes, au budget réduit, et peu soutenues par un gouvernement qui, de toute façon, multiplie les déclarations sur une laïcité « assouplie ».

Alors ? La FBU porte plainte. Contre la Société France Télévision, contre Patrick de Carolis, son président, et contre Isabelle F. pour complicité. L’école initiatique se dote d’un avocat brillant, Jean-François Jésus, qui n’est pas un débutant – il a été avocat de la société Microsoft – et a déjà défendu la FBU en 2005 (face au mensuel Lolie [19]). En face Isabelle F. ferraille comme elle peut, forte de ses années d’aide aux victimes des sectes. Mais ce sera insuffisant. Isabelle, De Carolis et France 3 sont condamnés. Appel. Rendu de justice mai 2008. Confirmation de la condamnation. Isabelle, soutenue par son association ADFI2SI au petit budget, va devoir verser 1000 € d’amende, 1000 € de dommages et intérêts et 1500 € à la FBU, en plus des frais de défense — coût total : 6 600 €.

Quelle que soit la maladresse du reportage en question, une telle condamnation plombe sévèrement le moral, l’assise et les finances des associations soutenant les victimes de dérives sectaires. Elle peut également dissuader les médias de traiter sans complaisance la question des sectes. Il nous est difficile de rester stoïques face à ce rendu de justice.

Nous en appelons à la création d’un front de soutien à Isabelle d’abord, mais aussi à tous ceux qui, comme elle, veillent à ce que les spiritualités proposées soient non aliénantes, non coûteuses, non létales et non mensongères.


APPEL À SOUTIEN

L’Observatoire zététique (OZ),
L’Association de Défense de la Famille et de l’Individu Deux Savoie – Isère (ADFI2SI),
Le Groupe d'Étude des Mouvements de Pensée en vue de la Prévention de l'Individu (GEMPPI),
appellent :

- à un soutien moral à Isabelle F. par un message sur le Blog zététique ;
- à une prise en charge collective des frais subis par l’ADFI2SI, même symbolique.
Chèques (montant libre) à envoyer à :

« Soutien Procès FBU »
ADFI – Deux Savoie - Isère
Maison des Associations
67 Rue St François de Sales
73000 Chambéry

(Tout surplus sera conservé comme fond de secours et sera octroyé à toute association anti-sectarisme soumise au prochain procès du même type).


Notes :
[1] : Extrait de conférence de O. M. Aïvanhov.
[2] : Les rapports sont accessibles ici :
www.fbu.org/omreal.ram et www.assemblee-nationale.fr/dossiers/sectes/sommaire.asp
[3] : "La Sixième Race", dixit Deunov, Deunov P., La sixième race, éd. Grain de blé, 1968. La notion de sixième « race-racine » provient de l’ouvrage de Helena Blavatsky « La doctrine secrète », pierre angulaire des débuts de la Société théosophique. Racisme ou racialisme ? Selon Marhic et KerLidou, Omraam Aïvanhov, le continuateur en France aurait frayé avec la Gestapo. In Marhic R., Kerlidou A., Sectes et mouvements initiatiques en Bretagne, Terre de brume, 1996.
[4] : D’autres témoignages sont disponibles sur : « Fraternité glauque universelle ».
La Chambre des Députés Belge rapporte que l’une des portes d’entrée de la FBU seraient les élixirs Floraux de Bach. In Commission d'enquête parlementaire belge sur les pratiques illégales des sectes – Éléments d'information fournis lors des auditions à huis clos : Fraternité Blanche Universelle, 28 mars 1997.
[5] : Fenech G., Vuilque P., Rapport n°3507 sur Commission d’enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs, novembre 2006.
[6] : Aïvanhov O.M., Une éducation qui commence avant la naissance, Prosveta, 2003.
[7] : Et Mme Bertin d’invoquer le mécanisme « profond » : les images mentales se transmettraient au fœtus par l’eau selon la théorie de l’eau-cristal de Masaru Emoto — président du Project of Love and Thanks to Water. In Bertin M-A., La prévention la plus fondamentale, l’éducation prénatale créatrice, journée " Pédiatrie " du Centre d'Études Homéopathiques de France, Paris, 12 janvier 2002. On lira avec profit www.anti-scientologie.ch/huckel-new-age.htm
[8] : Les associations membres sont recensées sur le site de l'OMAEP.
[9] : La FBU a ou a eu d’autres vitrines. Pensons à la société Nature and Life, née en 1998 de la fusion des laboratoires Aqualab, qui fabrique et commercialise du « plasma marin isotonique », et Phytosun’s Aroms, spécialisé dans la recherche, l’élaboration et la commercialisation d’huiles essentielles et de dérivés d’extraits de végétaux. In Rapport parlementaire N°1687, 2006, p 123. Autre exemple de la même source : « Danièle Kieffer, une des responsables de la secte, a fondé l’association Cenatho (Collège Européen de NAturopathie Traditionnelle Holistique) immatriculée comme organisme de formation depuis 1990 » (ibid., p150).
[10] : Voir le dossier Infiltration de mouvements religieux dans le milieu naissance - périnatalité.
[11] : Enfants d'abord, nº 143, juillet-août 1990, cité par Mahric & Besnier, Le New Age, son histoire, ses pratiques, ses arnaques, Castor Astral, 1999.
[12] : Exemple de TransVie-mag, n°107, 10 sept. 1997, p. 8.
[13] : Pasquini X., Objectif Fœtus, Charlie Hebdo, 1er avril 1998, résumé
[14] : La liste des associations consultatives de l’ECOSOC est consultable en ligne (la FBU est p. 54).
[15] : Voir http://www.fse-esf.org/spip.php?page=memoireart&id;_article=441
[16] : Le site de l'AFAR
[17] :Sectes contre citoyenneté : 2 à 0 au FSE !, tract diffusé lors du Forum Social Européen, 2003.
[18] : Pour un aperçu, http://prevensectes.com/fbu2.htm
[19] : AFP, 8 février 2005. Voir le site Prevensectes.


BILLET
De Mesmer, du magnétisme animal et de la psychanalyse


Franz Anton Mesmer (1734-1815) fut un médecin allemand célèbre pour son invention du magnétisme animal, et qualifié par des psychanalystes comme l’ancêtre de l’hypnose [1]. Après s’être intéressé aux effets curatifs de l’application d’aimants, Mesmer, tirant argument de l’effet de la lune et des planètes sur les mouvements des marées, proposa de définir ainsi le magnétisme animal : « Je nommais la propriété du corps animal qui le rend susceptible de l’action des corps célestes et de la terre, magnétisme animal ; j’expliquais par ce magnétisme, les révolutions périodiques que nous remarquons dans le sexe, et généralement celles que les médecins de tous les temps et de tous les pays ont observé dans les maladies » [2].
Mesmer se plaçait, à l’évidence, dans un cadre métaphysique holiste et finaliste. Ainsi, il écrit : « La nature a parfaitement pourvu à tout pour l’existence de l’individu ; la génération se fait sans système comme sans artifice. Comment la conservation serait-elle privée du même avantage ? Celle des bêtes est une preuve du contraire ». Il reconnaît d’ailleurs l’existence d’un « agent général », qui exerce des effets analogues à ceux de l’aimantation minérale, et dont il précise : « lui seul peut rétablir cette harmonie dans l’état naturel ».
Et, s’agissant des différents systèmes de soins médicaux de son époque, il en conteste l’efficacité, à l’instar de son contemporain Samuel Hahnemann (1755-1843), l’inventeur de l’homéopathie. Il précise : « Aussi a-t-on vu de tous les temps, les maladies s’aggraver et se guérir avec et sans le secours de la médecine, d’après différents systèmes et les méthodes les plus opposées. Ces considérations ne m’ont pas permis de douter qu’il n’existe dans la nature un principe universellement agissant, et qui, indépendamment de nous, opère ce que nous attribuons vaguement à l’art et à la nature ». De la même manière que Hahnemann, il se fonde non pas sur une expérimentation rigoureuse, conduite rationnellement, mais sur de nombreux témoignages de patients prétendument guéris, et surtout sur une théorie ayant l’apparence de la scientificité, dont nous détaillons quelques aspects.

Ainsi, puisque le magnétisme animal se fonde sur des effets des astres, la théorie de Mesmer ne dépend pas de façon exclusive de l’utilisation d’aimants ni de l’électricité artificielle (proposition 22, p. 51, op. cit.), mais il présente cette propriété des corps animés comme « communicable à d’autres corps animés et inanimés », mais « les uns et les autres en sont cependant plus ou moins susceptibles », tandis que « cette action et cette vertu peuvent être renforcées et propagées par ces mêmes corps » (Proposition 11 et 12, pp. 49-50). De plus, « on observe à l’expérience l’écoulement d’une matière dont la subtilité pénètre tous les corps, sans perdre notablement de son activité » (Proposition 14). En outre, elle agit « à une distance éloignée sans le secours d’aucun corps intermédiaire », « elle est augmentée et réfléchie par les glaces comme la lumière » ; « elle est communiquée, propagée et augmentée par le son », et aussi, « cette vertu magnétique peut être accumulée, concentrée et transportée » (Propositions 14, 15, 16). Enfin, et surtout : « Proposition 23 : On reconnaîtra par les faits, d’après les règles pratiques que j’établirai, que ce principe peut guérir immédiatement les maladies des nerfs, et médiatement les autres ».
À la lecture de telles caractéristiques invraisemblables, on peut aisément en déduire, même sans connaissances physiques poussées, que Mesmer est l’inventeur d’un système imaginaire, en partie dérivé des propriétés des aimants et de l’électricité, ainsi que de celles de la lumière, mais dépourvu de bases rigoureuses, comme le constatèrent, en France, où il exerça ses talents prétendus, les deux commissions royales d’experts qui jugèrent que l’action du magnétisme était elle-même imaginaire.
Il est d’autant plus surprenant d’apprendre d’après le commentateur anonyme du livre de Mesmer (op.cit., p. 69), que Méheust, dans son livre sur la voyance, considère le « magnétisme animal » comme le « pouvoir qu’auraient certains êtres humains d’émettre une énergie impalpable et de la diriger sur des malades, au moyen de passes ou du regard, à des fins thérapeutiques ou expérimentales ». Cette définition contemporaine ne vient pas dissiper le mystère, mais le consolide, et on ne peut que s’étonner de ce que les « recherches » correspondantes, au mieux historiques et non reproductibles, soient effectuées dans un cadre universitaire.

Autre assertion, plus ancienne mais tout aussi dépourvue de preuves, Stephan Zweig, dans sa biographie de Mesmer, intitulée La guérison par l’esprit, prête à celui-ci le mérite de la démonstration du « rôle joué par la propre volonté du malade dans la réussite du traitement » (Mesmer, op. cit., p.69). À part le mystérieux effet placebo, par nature insuffisant comme explication, ce rôle de la volonté semble dépourvu de toute approche rationnelle, et, de ce fait, sujet à caution.
La réflexion plus subtile de Hegel pose le problème de « l’écart de l’animé et de la conscience objective » : il indique utilement que« précisément, l’état que l’on a nommé magnétisme animal, doit être ici étudié, aussi bien dans la mesure où il se développe de lui-même dans un individu que dans la mesure où il est produit dans ce dernier par un autre individu d’une manière particulière » (op. cit., pp. 63-64) ; ainsi se trouve posé le problème de la suggestion. Hegel examine ensuite le don de voyance et le « savoir immédiat des sourciers », qui comme « le sentir et la forme subjective du savoir se passent, totalement, ou du moins en partie, des médiations et des conditions indispensables au savoir objectif », le philosophe précisant même : « il peut y avoir beaucoup de charlatanerie dans les récits faits à ce sujet ». Mais, paradoxalement, pour son commentateur, le psychanalyste François Roustang de tels risques ne semblent pourtant pas invalider l’expérience hypnotique, bien qu’elle soit « une construction à deux ou plusieurs, cela ne fait aucun doute ». On peut craindre ici que l’expérience imaginaire ne se fasse paradoxalement passer, à tort, pour une expérimentation.

Pour rester dans le domaine de la psychanalyse et conclure, il nous semble utile de signaler l’interprétation novatrice du neurologue Lionel Naccache [3], selon lequel, pour Freud, passées les premières années de sa pratique, « le réel n’est plus pertinent, seule la réalité psychique prime ». Mais les connaissances expérimentales, maintenant accumulées en matière de cognition, en particulier celles que décrit Naccache, permettent de bien cerner les illusions auxquelles s’exposait ainsi le premier psychanalyste, se coupant du réel tangible, de même, d’ailleurs que l’avait fait son ancêtre sur le plan intellectuel, Mesmer, inventeur du magnétisme animal, concept illusoire, physiquement incohérent.

Pierre Bienvenu

[1] : Hegel - Le magnétisme animal (1817), traduction et introduction par François Roustang, Paris, PUF, 2005.
[2] Mesmer F. A. Mémoire sur la découverte du magnétisme animal (1779) ; Notice anonyme in fine, Paris, Allia, 2006.
[3] : Naccache L. Le nouvel inconscient Freud Christophe Colomb des neurosciences, Paris, Odile Jacob, 2006.



PSYCHOZ
L’éclairage de la psychologie dans la démarche zététique


« C’était mieux avant… »
Le traditionnel est un aspects souvent mis en avant dans l’argumentaire de la pratique de nombreuses pseudo-médecines, de thérapies douteuses ou d’activité New age. Ainsi parle-on :
- de l’utilisation séculaire de l’acupuncture par la médecine chinoise ;
- de la nécessité du retour au tout cru dans l’instinctothérapie ;
- de la sagesse des anciens dans l’utilisation des plantes, de la lune, des lignes telluriques, etc. ;
- de l’influence des astres sur l’homme connue depuis longtemps ;
- des fabuleuses connaissances techniques des civilisations antiques disparues ;
- des bases ancestrales des énergies guérisseuses chez Hamer, la kinésiologie, le Reiki ;
- des liens pathogènes avec nos ancêtres dans la psychogénéalogie.
On peut continuer encore longtemps cette liste avant de pouvoir être exhaustif.
Bref, avant c’était mieux, on sentait mieux les choses, on était plus à l’écoute de notre corps, on vivait en harmonie avec la nature, etc.
C’est moins ces affirmations en elles-mêmes qui sont dérangeantes que leurs poids dans la justification de méthodes pseudo-scientifiques par un argument d’historicité, l’éloge de l’ancienneté.
« L’argument d’historicité joue sur l’idée que l’âge d’une théorie ou d’une assertion étaye sa véracité. Cet argument est fallacieux au sens où de nombreuses théories anciennes se sont révélées fausses, au même titre que de nombreuses annonces de nouveautés sont restées lettre morte. [Cet argument] recoupe une sorte d’éloge de l’ancienneté, couplée dans la plupart des représentations sociales à une certaine sagesse ancestrale, et entraîne des formes de tradition. De cette manière, il peut être perçu comme un [argument d’autorité] à part entière, l’autorité émanant d’un concept diffus mélangeant vieux sages et savants anciens anté-scientifiques. » (R.M., 2007, p. 239) [1].
Après tout ce genre d’affirmations en lien avec un argument d’historicité n’est pas l’apanage des pseudo-sciences. N’était-ce pas mieux avant ? Les enfants n’étaient-ils pas mieux éduqués ? Les gens n’étaient-ils pas plus polis, moins individuels ? La baguette moins chère ? Qu’en est-il de l’enchantement des descriptions de la grande école républicaine de Marcel Pagnol ? Il suffit de commencer une phrase par « de mon temps » ou « quand j’était petit » pour s’en convaincre.

Ces assertions sont d’ailleurs sont souvent inexactes, simplistes ou tellement décontextualisées qu’elles deviennent difficiles à évaluer objectivement. Avant quoi d’ailleurs ? Cependant, elles posent la question de savoir ce qui nous pousse à penser que c’était mieux avant. On peut trouver une explication au travers de la psychologie sociale, et notamment par le biais de « l’effet de rappel positif » et de « l’effet de simple exposition »

L’effet de rappel positif
Ce mécanisme psychologique n’est pas en lien avec un vaccin qui se passe bien, mais bien la tendance chez l’individu à ce rappeler principalement des événements passés heureux plutôt que des évènements négatifs (Walker R., 2003). Cette disposition peut s’expliquer d’abord simplement par le fait que nous vivons généralement plus d’expériences positives que négatives dans notre vie. Il faut mettre à part les pathologies dépressives et évidement les parcours de vie chaotiques.
Ensuite, des chercheurs ont constaté une disposition de l’individu à oublier les aspects négatifs au cours de sa vie au profit de souvenirs positifs (Charles S.T, 2003). Cet « effet d’effacement » a été observé par tests et par imagerie cérébrale et suggère que plus une personne est âgée, plus elle est sensible et attentive aux images positives. La théorie de la Sélectivité socio-émotive renforce le fait qu’un individu en fin de vie - quelque soit son âge - dirige plus généralement son attention vers des pensées ou souvenir positifs (Carstensen, Fredrickson, 1998).

L’effet de simple exposition
L'effet de simple exposition se caractérise par une augmentation de la probabilité d'avoir un sentiment positif envers quelqu'un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet. C’est le psychologue Robert Zajonc qui a mis en lumière cette caractéristique dans les années 60 avec un protocole intéressant [2]. Il postulait qu’une exposition répétée à un stimulus est suffisante pour influer de façon favorable sur l’évaluation de ce stimulus. C’est un facteur d’attraction : la familiarité [3].En d'autres termes, plus nous sommes exposés à quelque chose et plus il est probable que nous l'aimions. Ce mécanisme est bien connu entre autres dans les domaines du marketing et de la publicité.
On pourrait modéliser l’effet de simple exposition comme suit pour comprendre pourquoi naît le sentiment que c’était mieux avant :

Comme l’objet de critique du c’était mieux avant est toujours un nouvel objet ou situation actuelle, il ne bénéficie pas (encore) de l’effet de simple exposition et suscite donc la crainte de ce qui n’est pas encore connu. La référence antérieure familière est donc renforcée : c’était mieux avant !
L'allégation c’était mieux avant résulte donc généralement d’un biais cognitif, c’est-à-dire d’une erreur dans la perception d’une situation donnée, successive d'une faille ou d'une faiblesse dans le traitement des informations disponibles face à cette situation. C’est notre perception positif « d’avant » fortement influencée par les biais cognitif comme l’effet du rappel positif et celui de simple exposition qui vient gommer les aspects négatifs.
D’où la nécessité dans la démarche visée par la zététique d’avoir une idée du contexte dans laquelle s’inscrit une affirmation et tenter de s’approcher d’une perception la plus objective possible. La psychologie sociale met en lumière les mécanismes en dehors du champ de conscience qui peuvent nous tromper et entraver dans cette démarche.

Pour en revenir à l’enchantement des descriptions de la grande école républicaine de Marcel Pagnol, je discutais récemment avec mon père de sa scolarité dans les années cinquante. C’est bien sûr l’image idyllique : la place du « respect » pour l’adulte, les petits déjeuners et les goûters, les blouses, l’absence de discrimination, le souci d’égalité, les jeux de récréation, le poêle à bois qu’il fallait remplir, mais surtout l’école buissonnière et la découverte des premiers émois amoureux.
Mais ses souvenirs sont finalement d’avantage ancrés dans la réalité d’un contexte qui apparaît moins rigolo : une exigence constante de travail, pas le droit d’être avec les filles, les punitions le soir, le retour dans la neige, les quatre kilomètres quatre fois par jour, les pleurs lors des interrogations d’histoire, les leçons de morale, les craies dans la figure, voire les gifles quand il était dissipé, les bagarres dans la cour, les brimades parce qu’il était rouquin. Mais surtout l’odeur insupportable de l’encre et du kraft bleu, qui lui rappelle à jamais la rentrée des classes : un moment très difficile. Des souvenir plutôt tristes et peu agréables. Rappelons alors que ce n’était pas forcement mieux avant, c’était simplement avant !

Je propose souvent cette citation de Socrate afin de relativiser ce fameux c’était mieux avant notamment dans l’éducation : « Notre jeunesse est mal élevée. Elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce. Ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais. ». S’ils étaient déjà jugés comme tel il y a 2400 ans alors soyons heureux que cela ne soit pas pire maintenant.

Nicolas Gaillard

Notes :
[1] : Je conseille vivement de lire la suite de l’extrait sur l’argument d’historicité.
[2] : En 1968, Zajonc a établi un protocole où il soumet à un échantillon de personnes une série de mots soi-disant turcs, dont ils ne connaissaient pas la signification. On leur demande ensuite pour chaque mot s’ils y voient plutôt quelque chose de négatif ou de positif. Les mots présentés 25 fois étaient estimés porteur d'une dimension positive, alors que ceux présentés qu'une ou deux fois étaient jugés particulièrement peu sympathiques.
[3] : C’est vrai jusqu'à un certain point, car les répétitions incessantes d’un même stimulus finissent à terme par avoir des effets négatifs.

References :
Serge Ciccotti (2007), 150 petites expériences de psychologie pour mieux comprendre nos semblables, Dunod, p121-126.
Jean-Léon Beauvois et al (1995), Relation humaine, groupe et influence sociale, PUF, p62-64.
Richard Walker (2003), in Collin Allen (2008), How memory is biased toward positive emotional memories, except for those with mild depression, Psychology Today.



AGENDA

Conférences
Le jeudi 26 juin à 15h30, le professeur Henri Broch donnera une conférence à l’IUFM de Nice. Principalement destinée aux enseignants en formation, cette intervention est tout de même ouverte au public.

Conférence d’Henri Broch
Jeudi 26 juin à 15h30
Centre IUFM Stephen Liégeard
43 avenue Stephen Liégeard 06000 Nice


L’association PARSEC organise un samedi par mois pour le grand public un « Spectacle aux étoiles », soirée d’astronomie associant à la visite du planétarium, une conférence thématique et des observations aux télescopes. Le samedi 5 juillet 2008, le conférencier invité est le zététicien Henri Broch. Dans son exposé intitulé « L’astrologie face à la science », il retracera l’histoire de l’astrologie et reviendra sur ses principes fondamentaux (signes zodiacaux, influence des planètes, calculs de thèmes astraux, etc.) pour mettre à l’épreuve leur validité scientifique.

L’astrologie face à la science
Samedi 5 juillet 2008 à partir de 19h
Astrorama
Route de la Revère 06360 Eze
Pour en savoir plus, consultez le site d’Astrorama
Plan d’accès
Tarif : 9 euros (réduit : 7 euros)
Réservations conseillées au 04.93.85.85.58


Rencontre

L'Association Monégasque d'Analyse Zététique accueillera ses membres et futurs membres le 19 Juin à 19h30 dans les bâtiments de l'Association des Jeunes Monégasque. La soirée sera consacrée au NDE (Near Death Experience) ou EMI (Expérience de Mort Imminente).

Réunion de l’AMAZ
19 juin 2008 à 19h30
Centre commercial le Métropole, niveau 1
17 avenue des Spélugues 98000 Principauté de Monaco
Entrée libre et gratuite


Exposition

Depuis le 5 avril et jusqu'au 29 juin 2008, le Muséum d'histoire naturelle de Grenoble accueille l'exposition Vol d'hirondelles et pelures d'oignons. Les dictons météorologiques utilisant les animaux et les plantes pour prévoir le temps y sont décortiqués avec humour et confrontés à l'expérience pour tester leur véracité.

Vol d'hirondelles et pelures d'oignons
Jusqu'au 29 juin 2008
Orangerie du Muséum
1 rue Dolomieu 38 000 Grenoble
Tram A : arrêt Verdun Préfecture / Tram C : arrêt Grenoble Hôtel de Ville
Entrée gratuite


DIVERTISSEMENT


Pop-corn et téléphones portables
Peut-on faire du pop-corn avec un téléphone portable ? La « preuve » en image est sur youtube depuis quelques jours… Dans cette vidéo « amateur », on voit trois amis réunis autour d’une table. En rigolant, ils disposent leurs téléphones portables en étoile et placent au milieu quelques grains de maïs. Lorsque ils font sonner leurs portables tous en même temps, le maïs finit par éclater en pop-corn.


Cliquez sur l'image pour voir la vidéo

Si comme moi, cette vidéo vous laisse dubitatif, faites une petite recherche (ou même l’expérience). Vous tomberez alors sur deux autres vidéos du même type qui circulent sur Internet, mises en ligne à peu près en même temps (vidéo 1 et vidéo 2). Si vous êtes un peu observateur, elles vous sembleront étrangement similaires : même mise en scène, même « mouvements » de caméra (peu stable), même durée (une quarantaine de secondes), et évidemment même résultat stupéfiant. Remarquez aussi la présence du même téléphone portable blanc qui semble posé à l’envers… Il existe bien quelques différences, à commencer la langue : français, anglais et chinois (ou une autre langue asiatique que je suis incapable de différencier). Et puis, les francophones boivent de la bière, les anglosaxons du jus d’orange et les asiatiques du thé. Bref, on ratisse large, avec les bons clichés… Mais en dehors de ces trois vidéos, ils semblent qu’aucun autre internaute n’ait réussi à reproduire l’expérience avec succès. Ça sent donc bien la vidéo virale, peut être même marketing. À suivre...


ANNONCES

SOS surnaturel

L'Observatoire zététique dispose d’une ligne directe, SOS surnaturel. Si vous êtes témoin d'un phénomène paranormal, si vous avez une faculté extraordinaire, si vous avez entendu parler d'histoires étranges et que vous voulez en savoir plus, appelez-nous au : 08.731.731.96.
Les paranormal investigators de l'OZ mèneront l'enquête avec vous.
Vous pouvez également prendre contact avec l'Observatoire zététique par mail. Pour toute question ou remarque écrivez nous à : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.


Cette newsletter a été préparée par Stanislas Antczak, Pierre Bienvenu, Éric Déguillaume, Géraldine Fabre, Nicolas Gaillard, Florent Martin et Richard Monvoisin.
Mise à jour le Mardi, 03 Mars 2009 14:45
 

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