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Page principale » Archives » December 2005 » Zététique Vs Scepticisme (VI), une tentative de synthèse

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17/12/2005: "Zététique Vs Scepticisme (VI), une tentative de synthèse"

Bonjour à toutes et à tous,

Au bout d’une semaine de discussions animées sur la distinction entre scepticisme et zététique, truffée de conversations connexes, le calme semble enfin revenu sur la liste. Je pensais déjà depuis plusieurs jours, et le pense encore plus aujourd’hui, qu’une vision synthétique du débat qui nous occupe est nécessaire et serait bénéfique pour la suite des opérations. Je vais m’attacher à la réaliser, avec mes modestes moyens intellectuels et mon agenda étriqué.

L’échange que nous allons tenter de résumer ici a été initié le lundi 5 décembre par le sceptique belge Jean-Michel Abrassart, que je désignerai ultérieurement par ses initiales JMA si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Bien qu’il ne fût pas seul à défendre son point de vue, il en fût néanmoins le principal tenant et, en outre, je ne crois pas utile de créer artificiellement des « camps » en parlant de « pro » ou d’ « anti » Abrassart. Quant à ses contradicteurs, ils furent variés, mais eurent quasiment tous en commun la particularité d’être membres de l’Observatoire Zététique (en gras car la précision a son importance, comme on le verra plus loin), en abrégé OZ, association française basée à Grenoble. C’est pourquoi je désignerai donc le débat qui nous préoccupe par l’expression « échange JMA-OZ ».

J’aimerais faire pointer mes réflexions dans deux directions différentes : la nécessité, dans un tel débat, d’employer des mots soigneusement choisis et définis, d’une part ; et un rappel du processus qui a abouti, selon moi, à la naissance de la zététique et posé ses fondements même, d’autre part. Pour une question d’ordre pratique, étant moi-même membre de l’OZ, je rédigerai ce qui suit sous forme de lettre ouverte à tous, mais surtout à JMA.


Première partie : de l’importance des mots


Il vous semblera peut-être que j’enfonce des portes ouvertes, mais lorsqu’on se livre à une discussion de haut vol, dont Richard Monvoisin rappelait (08/12, 11h11), les « enjeux philosophiques et moraux », il est primordial de bien choisir ses mots, de sorte que tout le monde puisse savoir sans peine de quoi l’on parle.

1. Du scepticisme

En lançant le débat, Jean-Michel, tu (je crois savoir que nous sommes de la même génération, et je sais de source sûre que tu es un rôliste comme moi, donc ne m’en veux pas si on se tutoie) écrivais ceci (05/12, 12h45) : « Je reviens sur la question de la différence (ou de l'absence de différence) entre scepticisme et zététique, parce que j'avoue que ça me turlupine toujours... ». C’est donc bel et bien de scepticisme que tu étais sensé parler au départ.

Or, il est manifeste que le mot « scepticisme », employé seul, renvoie à une posture philosophique, une attitude qui consiste à suspendre son jugement pour la très bonne raison (que tu as pu sans peine appréhender dans tes travaux universitaires) que notre perception du réel et les apparences qui en découlent sont volontiers trompeuses. Nombre de mes camarades de l’OZ ont cité des définitions de dictionnaires suffisamment explicites pour que je me dispense de développer davantage.

Ce point de vue philosophique sert à la fois de base à la zététique et de paravent au scientisme, deux points sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir. Il n’en reste pas moins qu’en langue française (du moins théoriquement), le scepticisme, c’est cela et pas autre chose. Une posture philosophique.

Or, lorsque ceci t’est opposé, tu soutiens mordicus (au grand dam de certains) que c’est faux et que le scepticisme est une méthode, et non une philosophie.

2. Du scepticisme moderne

Du coup, on en retire une fâcheuse impression de mauvaise foi : tu dis que le scepticisme (ce sont tes mots, pas les miens) est une méthode, on te prouve le contraire, mais tu continues à penser (c’est ton problème) et à affirmer publiquement (ça par contre c’est le problème de tout le monde) le contraire. D’où grosse incompréhension de l’OZ (moi compris) pendant une trentaine d’heures.

Puis, on ne sait pas trop comment, tu te mets subitement à parler (06/12, 16h54 et surtout 07/12, 3h03) de « scepticisme moderne » dans tes messages. Et là, on comprend tout de suite mieux : tu ne fais pas de différence entre le « scepticisme moderne » et le « scepticisme (tout court) ». Enfin, si, mais artificiellement : tu rebaptises le « scepticisme (tout court) », « scepticisme antique », ce qui est étymologiquement exact mais sémantiquement faux parce qu’il y a encore un tas de gens, de nos jours, qui sont sceptiques au sens « antique » du terme et s’en contentent, voire s’y complaisent.

Alors que le scepticisme moderne est bel et bien une méthode, comme tu l’as fait remarquer avec justesse. Mais c’est une erreur que de le désigner par le seul mot « scepticisme », parce que ce dernier a déjà un sens communément admis qui n’est pas celui que tu lui donnes. Le propre d’un langage est de permettre à chacun de comprendre les autres, mais encore faut-il l’employer en en connaissant les règles. Donc pour la bonne compréhension de tout le monde, lorsque tu nous demandes pourquoi la zététique devrait se différencier du scepticisme moderne, ne parle pas du scepticisme (tout court), qui n’est pas la même chose. Cela nous évitera de te donner une réponse fausse.

En zététique, d’ailleurs, on appelle cela un effet paillasson (enfin je crois) : parler d’une chose en employant des mots qui désignent autre chose. Les mots inappropriés amènent les idées inappropriées, et ces dernières conduisent à des raisonnements et des déductions faussés. Dans ton cas, c’est évidemment involontaire, mais c’est lourd de conséquences pour la suite du débat et l’image que tu en retires des zététiciens : on l’a bien vu cette semaine. Donc à l’avenir fais gaffe à ça, c’est un conseil d’ex-thésard.

3. De la zététique

Je ne m’étendrai pas longtemps là-dessus, du moins pas ici, puisque pour ce qui est de la zététique, il n’y a pas le même problème de confusion sémantique que pour le scepticisme.

J’aimerais néanmoins rappeler une chose que certains de mes petits camarades ont oubliée : lorsqu’un membre de l’OZ explique ce qu’est la zététique, il ne fait que la décrire telle que nous la voyons et la pratiquons à l’OZ. La zététique, tout comme le scepticisme d’ailleurs (ça aussi c’est à prendre en compte), n’est pas un monolithe. C’est d’ailleurs un point important sur lequel je reviendrai plus loin.

Mais ce qui est divisable n’est pas forcément divisé. Avoir des points de vue propres à chacun n’empêche nullement de tendre vers un but commun. L’OZ (mais pas moi) était présent au congrès européens des sceptiques à Bruxelles, qui, si je sais toujours lire, n’était pas le congrès européens des zététiciens. Denis Biette (08/12, 20h55) a en outre rappelé que Paul Kurtz a jugé le Laboratoire de zététique de Nice suffisamment proche de ses idées pour en faire le représentant de son CFI en France.

4. Du zététisme

En revanche, quelque chose m’échappe dans ton discours, Jean-Michel. Tu désignes souvent la zététique par l’expression « zététisme », un mot que j’ai découvert sous ta plume et que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Alors qu’avec le scepticisme, tu utilisais un seul mot pour désigner deux choses différentes, ici, tu te sers de deux mots différents pour exprimer rigoureusement la même idée. C’est parfaitement superflu.

« Zététique », en tant que nom commun, est déjà un néologisme puisque zététique est à la base un adjectif découlant du verbe grec zeteîn. Reconnais qu’il est inutile de forger de toutes pièces un néologisme pour désigner un autre néologisme, lui-même créé pour exprimer une idée. Ce serait s’éloigner du contenu même du mot, avec en prime le risque d’y rajouter un sens qu’il n’a pas. Il existe déjà un vocable parfaitement adapté pour désigner ce qu’englobe la zététique, c’est le mot… zététique.

5. Du membre inutile d’un jury de thèse, totalement ignorant du sujet traité, et dont la fonction se résume à persécuter le candidat sur des questions de forme, mais aussi parfois de fond

Mais oui Jean-Michel, tu sais bien, ce vieil universitaire dangereusement proche de la fin de sa période d’emeritas qui ouvre (il a ouvert la mienne en tout cas) les soutenances de DEA par une énumération interminable, références à l’appui, des fautes d’orthographe contenues dans le mémoire. Cette personne n’est a priori pas dangereuse, puisque c’est davantage le contenu de la thèse que l’on juge, pas le contenant.

Ou plutôt, elle ne serait pas dangereuse s’il ne subsistait pas, au fond de son cerveau embrumé par trop de cocktails généreusement offerts par le CNRS (ou son équivalent belge), une étincelle de génie réflexif qui lui fera plomber ta thèse si elle n’est pas blindée méthodologiquement.

Autrement dit, un type comme ça ne te ratera pas si tes définitions ne sont pas clairement posées dès le départ. Cela peut flinguer tout ton travail, et dans l’optique de ta thèse, je trouverai ça dommage.

Parce que, figure-toi, un de mes principaux centres d’intérêt en matière de paranormal est l’ufologie. Et je suis toujours en quête d’un vrai travail sceptique, carré, bétonné et sérieux sur la vague belge de 89-90. Donc j’ai hâte de te lire. D’ailleurs, je travaille moi-même actuellement sur un cas contemporain, mais français, la rentrée atmosphérique du 5 novembre 1990.

De toutes ces raisons découle ma lourde insistance sur l’importance des mots.


Seconde partie : de la zététique, son histoire et ses particularismes


Maintenant que le problème qui avait fait dévier la discussion de son objet et l’avait rendue improductive est réglé, et que les bons mots se trouvent placés aux bons endroits, il est temps de répondre à tes attentes, Jean-Michel, et de nous attaquer à ce qui fait, selon moi, la spécificité de la zététique.

1. Des origines

Dans un de tes messages (06/12, 16h54), où tu explicites quelque peu une démarche qui, soyons réalistes, était à l’origine loin d’être évidente (en témoigne la prise de tête sur ton idée selon laquelle Henri Broch aurait plus ou moins caché la filiation de la zététique pour s’en attribuer la seule paternité – et nonobstant les développements ultérieurs les plus récents à ce propos : ce n’est pas parce qu’une chose te paraît évidente qu’on doit se dispenser de l’exprimer clairement), tu fais référence à l’histoire des idées, toujours utile dans un débat épistémologique.

Ce qui tombe très bien, vois-tu, parce que je suis historien de formation. Puisque je me suis tapé deux ans de séminaire d’épistémologie pendant ma période de thèse, il faut bien que cela serve un jour. Revenons donc sur la genèse du scepticisme.

On l’a vu, le scepticisme puise ses origines dans un passé très lointain puisque ses bases, comme l’a écrit Richard (09/12, 22h45), remontent à des auteurs présocratiques grecs (c’est-à-dire au moins au Vème siècle av. EC). Le processus qui a suivi a abouti à la création du scepticisme en tant qu’attitude philosophique. Je pense que ce fait est largement connu et qu’il est inutile de s’y attarder davantage, faisons donc défiler les âges.

Lorsque est venu, non pas le temps des rires et des chants, mais celui de la remise en cause, en occident, de quinze siècles de confusions entre la connaissance et la religion (chrétienne en l’occurrence), la posture sceptique a servi aux courants de pensée issus du positivisme (lui-même produit de la révolution industrielle et scientifique du XIXème siècle) à poser le refus de toute affirmation dogmatique externe (cf. les libres-penseurs, si je ne m’abuse pas trop).

Le scepticisme a donc été remis au goût du jour une première fois à cette époque. Si le positivisme et son corollaire ont constitué un phénomène international, en revanche il n’a nulle part été un problème aussi aigu qu’en France, car c’est pratiquement le seul pays qui en a fait une question d’Etat (sous la Troisième République). J’aurai l’occasion d’y revenir.

Puis, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les sceptiques ou du moins certains d’entre eux, se sont aperçus que le scepticisme tel qu’il existait juste alors, s’il était suffisant pour mettre en défaut le dogme chrétien, était impuissant face d’autres types de croyances. D’où la création du Comité Para en 1949, comme tu l’as rappelé (06/12, 16h54), suivi de l’ouvrage de Martin Gardner (1952) déjà cité par tes soins, élément précurseur de la réflexion qui allait amener à la naissance du scepticisme moderne.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ayant constaté l’impuissance de la posture philosophique sceptique, certains de ses adeptes ont jugé nécessaire de lui adjoindre une démarche active, une méthode propre à pallier à ses lacunes, bref, un bras armé : le scepticisme moderne. Aux Etats-Unis la gestation de ce dernier se cristallisa dans les années 1970, ainsi que le dit lui-même Kendrick Frasier dans la citation que tu en fais (07/12, 22h10) : « My introduction to the modern skeptical movement came in a letter dated April 15, 1976. »

1976, c’est justement l’année de la création du CSICOP par Paul Kurtz et alii. Je pense, à la suite de la démonstration qui précède, que tu ne douteras plus désormais que le mouvement sceptique moderne est une méthode qui ancre ses fondations dans une philosophie, le scepticisme, et qu’il s’agit de deux choses distinctes l’une de l’autre. Si ce n’était pas le cas, d’ailleurs, les fondateurs de ladite méthode n’auraient pas pris la peine d’adjoindre l’épithète « moderne » au mot « scepticisme ».

2. Des amalgames

Je suspends ici mon historique pour revenir sur un point que j’estime important dans la genèse du scepticisme moderne et de la zététique, celui l’amalgame entre l’ensemble d’un courant de pensée et les opinions particulières de certains de ceux qui s’en réclament.

Comme je l’ai écrit plus haut, le scepticisme a servi au XIXème siècle de base au rejet de tout dogme externe, ce qui était à l’époque implicitement dirigé contre la religion chrétienne. La France présente dans ce domaine un cas bien particulier dans la mesure où elle était à cette époque la seule république laïque. Le positivisme, le culte du progrès, le scientisme, ont été érigés au rang d’instruments politiques et de dogme d’Etat (cf. par exemple Jean-Jacques Becker, La République, la nation, la guerre) dans cette optique anti-cléricale.

Je pense que cette période d’environ trente ans (du début des années 1880 à 1914) de laïcité militante de l’Etat a largement contribué, sur le plan philosophique, à l’assimilation durable entre la posture sceptique et le scientisme, autrement dit que la science est la seule détentrice du savoir universel.

Quand un Georges Charpak affirme que le paranormal ne mérite pas d’être étudié parce qu’il ne peut pas exister et que ce n’est pas scientifique, il fait acte de foi et rien de plus. Cela revient à combattre une croyance par une autre. « Ton dieu est un Monstre en Spaghettis Volant, le mien est la Science, la Science dit qu’il n’existe pas de Monstre en Spaghettis Volant, donc ta gueule, j’ai raison ».

Ceci ne serait pas un problème si tous ceux qui ont ce type de discours ne se proclamaient pas « sceptiques » (et aussi « rationalistes », « matérialistes », « libres-penseurs », etc., qui constituent autant de paravents philosophiques pour légitimer leur discours). Ils justifient ainsi leur logique anti-religieuse par le scepticisme, qui est le rejet de toute attitude dogmatique… alors qu’ils sont eux-mêmes partisans d’un dogme. Ces personnes sont donc en fait, selon le désormais légendaire mot de Richard Monvoisin, des « fausses sceptiques ».

Malheureusement, trop peu de gens, dans le public, savent ce qu’est réellement la posture philosophique sceptique. Alors quand un scientiste se proclame à tort sceptique ou rationaliste, la majorité des gens retiennent que le scepticisme ou le rationalisme sont les vecteurs d’un dogmatisme borné, surtout si le scientiste est un prix Nobel de physique solidement ancré dans le paysage médiatique. C’est ainsi que les amalgames jouent à plein.

Je le répète, ce problème d’assimilation scepticisme/scientiste n’est pas une spécificité française, mais c’est en France qu’il est le plus marqué. Il l’est déjà beaucoup moins en Belgique, dont l’histoire vis-à-vis de la laïcité est très différente (par exemple, si mes souvenirs sont bons, les ministres du culte y sont toujours rémunérés par l’Etat). Et il est quasi-inexistant outre-Atlantique, ce qui n’est pas sans importance au vu de ce qui va suivre.

3. De la résurrection de la zététique

Je ne suis pas un expert dans le débat d’idées qui a précédé la création du CSICOP. Tu dois certainement en savoir plus que moi sur le sujet que moi, Jean-Michel. Néanmoins, je ne crois pas me tromper en affirmant que l’expression « modern skepticism » ne faisait pas l’unanimité pour désigner la méthode d’investigation qui devait servir de bras armé au scepticisme.

Notamment, Marcello Truzzi (dont on trouvera une biographie succincte à cette adresse : http://www.rr0.org/TruzziMarcello.html) publiait au début des années 1970 une petite feuille de chou intitulée… The Zetetic. Truzzi considérait que beaucoup de membres du CSICOP n’était pas assez modérés, pas assez neutres, et pas assez rigoureux dans leur démarche. Il a résumé ce qu’il en pensait dans un excellent article de 1987 intitulé On pseudo-skepticism (http://www.rr0.org/Documents/Articles/1987_PseudoSkepticism.html).

C’est pour cette raison que, membre fondateur du CSICOP, il le quitta en 1978. Pour lui, le scepticisme moderne représentait une coupure suffisamment nette avec le scepticisme pour que soit marquée sémantiquement cette rupture par la remise au goût du jour du mot « zététique », mot qui sera repris en France, comme tu le sais, par Henri Broch, qui s’en fera l’apôtre zélé à partir de 1985.

4. De la nécessité d’une distinction sémantique

Pourtant, bien que Truzzi ait créé un Zetetic Scholar qui se voulait l’égal du Skeptical Inquirer, son emploi du mot « zetetics » a fait un bide en Amérique du Nord, alors qu’en Europe francophone il a fait… souche. Pourquoi ?

Parce que dans la langue française, en grande partie à cause de l’assimilation erronée, mais hélas réelle, entre le scepticisme et le scientisme qui a cours en France, un sceptique est, dans le langage courant, quelqu’un qui n’est pas convaincu, ne se laisse pas convaincre, n’a pas envie de se laisser convaincre et, au final, ne veut pas être convaincu. En résumé, c’est un vrai borné.

Philippe Daigremont écrivait (08/12, 20h15) : « Le sens d'un mot, c'est aussi ceux qui l'utilisent qui le font. » Malheureusement, si on peut contrôler l’usage que l’on fait soi-même d’un mot, on ne peut rien à celui qu’en font les autres, surtout s’il s’agit de la majorité des gens. Quelle que soit la réelle signification du mot « sceptique » (étymologiquement, « celui qui examine »), la plupart des gens, en France, me prendront pour un borné si je me définis comme sceptique. On aura beau leur expliquer, ils s’en foutront. Ben oui, faut pas les prendre pour des buses, quand même : ils savent ce que le mot sceptique veut dire (même s’ils n’ont pas la moindre idée de son étymologie).

Alors que « zététique », c’est peu courant et ça aiguise la curiosité… mais ça, on l’a dit en long, en large et en travers. J’ignore, comme le demandait Philippe Daigremont (ibid.), si « la popularité est-elle *vraiment* meilleure en se présentant
comme zététicien ». Aucune étude n’a été faite à ce sujet. Je pense néanmoins que oui, pour les raisons que je viens de citer. L’expérience dont Ernest Galbrun (qui n’appartient pas à l’OZ il me semble) nous a fait part (08/12, 20h59) me conforte plutôt dans cette idée.

A contrario, dans le monde anglo-saxon et même dans d’autres pays francophones, il n’y a aucun problème de ce genre. En anglais, le mot « skeptic » ne véhicule pas de sous-entendu péjoratif de ce genre.

5. De la communication

Toutefois, comme tu l’as écrit toi-même (08/12, 1h40), il est exact qu’il existe déjà une assimilation entre les zététiciens et certains bornés. Il s’agit du même genre d’amalgame qui discrédite le mot « sceptique ». Cela tient essentiellement au fait que la zététique, tout comme le scepticisme moderne, est une mosaïque de tempéraments et de points de vue très divers. Cela induit une subjectivité qu’il est très difficile et très long d’appréhender (c’est pour ça que les thèses durent si longtemps en sciences humaines).

Certains zététiciens (ta référence au Cercle Zététique n’est pas innocente) sont ainsi passablement irrespectueux vis-à-vis des tenants du paranormal, et ce quelle que soit la valeur de leur travail. A l’OZ, nous considérons que c’est une mauvaise approche parce que, dans un débat public, quelqu’un d’agressif passe (évidemment à juste titre) pour un agresseur, ce qui détruit sa crédibilité.

Je crois pouvoir apporter un exemple avec mon parcours personnel. Avant de devenir zététicien, j’étais un passionné d’ufologie plutôt favorable à l’hypothèse d’une vie extraterrestre. Pendant longtemps, le simple fait que les adversaires de cette théorie se nomment eux-mêmes des sceptiques a suffi à me persuader qu’ils étaient des scientistes obtus, puisque c’est ce que je savais alors de ce mot. Ce n’est que lorsque j’ai appris à aller au plus près de la source des choses, après plusieurs années de fac d’histoire, que j’ai eu la curiosité de me renseigner sur la zététique, que bien évidemment je mettais dans le même sac jusque-là.

Vous connaissez la suite : je suis désormais membre de l’OZ. En matière d’ufologie sceptique, les travaux de Philip J. Klass, membre éminent du CSICOP décédé récemment, font autorité. Pourtant, je n’ai jamais fait l’effort de les lire avant ma « conversion » à la zététique, parce que le ton souvent méprisant employé par le personnage masquait en grande partie la pertinence, pourtant bien réelle, de ses analyses. Il me paraît donc important d’éviter que le fond d’un propos manque sa cible parce que la forme est inappropriée.

Dans le même ordre d’idées, tu nous écrit (07/12, 3h03) que les sceptiques du CSICOP ont « des modèles explicatifs qu'ils considèrent comme rendant très bien compte de ces phénomènes (les phénomènes paranormaux)». Ce type de démarche est valable dans des disciplines à subjectivité faible (sciences dites « exactes »). Mais elle est à mon avis beaucoup moins pertinente pour ce qui a trait au paranormal, car celui-ci est un domaine où la subjectivité est reine (comme dans les sciences de l’homme).

Il faut donc agir au cas par cas. C’est long et pénible, mais c’est la seule méthode qui marche. Prenons l’exemple de l’ufologie : quand en présence d’un témoignage je dis « cet ovni ressemble à un parhélie d’après mon modèle explicatif, donc c’est probablement un parhélie et je n’ai pas besoin d’aller plus loin », je me trompe parce que l’analogie n’est pas la preuve. Pour ne pas en avoir eu conscience, Donald Menzel s’est ridiculisé et a couvert l’ufologie sceptique d’un discrédit dont elle souffre encore maintenant.

J’ignore si demain le mot zététique n’aura pas lui aussi de sens péjoratif systématique. C’est un risque à ne pas négliger, et je crois que c’est notre rôle, à l’OZ, d’éviter que cela n’arrive un jour.

D’où la nécessité d’adapter notre discours en le mettant à la portée de n’importe qui, pour faire comprendre au public la zététique a vocation non pas à défendre un scientisme dogmatique, mais simplement à promouvoir l’esprit critique dans une société où il n’est que trop rare, en prenant comme support l’étude des phénomènes paranormaux. De là découle notre goût pour la reformulation des grands principes zététiques, ce dont Richard s’est déjà fort bien expliqué (06/12, 11h58).

Voilà, je crois avoir résumé rapidement ce qui fait les particularités de la zététique telle que nous la défendons à l’OZ. Evidemment, cette vision est avant tout la mienne, et je m’attends à me faire « zététiquer » sous peu par mes pairs sur des points que j’aurais oubliés ou déformés.


Conclusion


L’heure est venue, Jean-Michel, de répondre à ta question.

Qu’est-ce qui différencie, selon nous, la zététique estampillée « OZ » du scepticisme moderne tel qu’il est pratiqué par le CSICOP ?

La réponse est : très peu de choses.

La zététique a selon moi une approche très soucieuse du respect des tenants du paranormal, ce par souci de décence bien entendu, mais aussi et surtout pour tenir compte au mieux du caractère profondément humain, donc éminemment subjectif, des allégations paranormales.

En outre, elle a une vocation clairement pédagogique que l’on retrouve aussi dans le scepticisme moderne, mais dans des proportions bien moindres, et qui s’exprime par l’utilisation d’un vocabulaire adapté et propre à la France, au premier rang duquel se trouve évidemment le mot « zététique ». Il ne s’agit bien sûr pas de défendre une quelconque « exception culturelle française », mais de choisir les mots les plus efficaces pour faire passer notre message.

Message que l’on pourrait résumer dans cette maxime commune à tous les sceptiques du monde, qu’ils soient « modern skepticals » ou zététiciens : « le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance ».

J’espère que cette synthèse servira de point de départ à de fructueux échanges d’idées. Bon week-end à tous.

Cordialement,

Eric Déguillaume.

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