chroniques

La Sorbonne, une université confisquée

  • Auteur : David
  • Rubrique : Blog, culture, zoom libre
  • Date : 06/05/2010 15h25
  • Réactions : 8 commentaires

Le 9 avril dernier, la bibliothèque de la Sorbonne fermait « provisoirement » ses portes sous le bon prétexte d’une restauration qui serait salutaire si cet événement ne s’inscrivait pas dans une politique de confiscation des lieux débutée il y a presque 10 ans.

Aujourd’hui, la Sorbonne se déserte peu à peu. Une fois leurs cours terminés, les étudiants se dispersent çà et là loin du Quartier latin et du centre de Paris. Triste Université sans lieu de vie, lors des dernières vacances de printemps, le bâtiment est même devenu une place forte. « Qui êtes-vous ? », « Où allez-vous ? », « Qu’allez-vous y faire ? », il fallait alors y montrer patte ou cuisse blanche pour y accéder. C’est là le résultat de bientôt 10 ans d’une politique de confiscation.

Sta in pace

Depuis 2001, la mise en place du plan vigipirate a en effet facilité la prise de contrôle de la Sorbonne par le Rectorat. Adieu touristes japonais entrant dans les amphis avec leurs appareils photos, la Sorbonne est alors réservée à « ceux qui y ont à faire ». Cas unique dans le monde, profs et étudiants ont vu se déployer une armée bleue de petits capos de quatre jours, jaloux de leur prérogative de contrôle « des cartes » et grisés du ridicule pouvoir qu’ils tiennent de laisser entrer qui bon leur semble.

En temps de grève, la fine équipe est même un outil efficace visant à boucler les lieux. Fait inédit, en 2006, le Recteur de Paris avait autorisé la CRS à pénétrer dans le bâtiment pour y déloger ses « occupants » sous prétexte de le préserver des dégradations. En fait, une étape était franchie. La vielle franchise coutumière qui voulait que l’Université n’ait pas de compte à rendre aux pouvoirs en place venait d’être mise à mal. Le sanctuaire était souillé.

Troublant parallèle… En 1347, Luchino Visconti, seigneur de Parme, mit en place la politique de Sta in pace par laquelle il emmura et condamna la place civique de la ville, confisquant par la même le lieu de protestation des citoyens et le lieu de mémoire des libertés communales alors bafouées. Sta in pace : « reste tranquille et ferme-la ! » Quelle belle postérité pour cette politique quand en mars 2006, le ministre de l’intérieur du gouvernement Villepin fit fermer la Place et les abords de la Sorbonne par des barrières métalliques, interdisant aux manifestants opposés CPE de s’y retrouver. L’espace civique et politique se trouvait confisqué.

Il y a un an déja…

http://www.dailymotion.com/videox8kvb4

La délocalisation

Avec la présidence Sarkozy, l’exacerbation des tensions, la multiplication des conflits et leurs radicalisations dans la violence ont amené le gouvernement Fillon à franchir une nouvelle étape en vampirisant la Sorbonne. Le Grand amphi fut fermé aux enseignements et les autres laissés à la location de séminaires privés qui n’ont rien à faire dans ce lieu public. Des défilés de mode s’y tiennent, et à l’occasion on loue les murs au cinéma de bonne grâce et on ouvre une boutique pour commercialiser le nom.

Pour cela, le gouvernement a pu compter sur l’entière participation de l’Université Paris IV du temps de son président Jean-Robert Pitte. Conseiller du gouvernement, Pitte s’est arbitrairement approprié le nom de « Sorbonne » pourtant partagé par Paris I et Paris III. Son but s’inscrivait parfaitement dans la logique d’autonomie des Universités. Pitte voulait faire de Paris IV un Grand établissement à l’image de Dauphine. Pour cela, il lui fallait s’en approprier le nom. Si le projet semble aujourd’hui en suspend, il a néanmoins coûté chère à sa voisine.

En effet, longtemps restée passive, Paris I ne semble pas avoir compris ce qui s’y jouait. Plus encore, Pierre-Yves Hénin, son président de l’époque,  – qui comme Jean-Robert Pitte fut depuis poussé  à la démission par ses collègues – a sacrifié les turbulantes UFR d’histoire et de philosophie qui concurrençaient Paris IV sous le même toît. Le projet en cours qui semble irréversible est de les installer avec l’ÉHÉSS et l’ÉPHÉ sur le « campus Condorcet », immense terrain vague au nord de Paris. Les locaux de Paris 1 en Sorbonne seraient réservés à la très consensuelle UFR d’économie et de gestion qui de plus ne fait pas d’ombre à Paris IV.

Un lent dépérissement…

Accessibilité réduite, lieux de travail délocalisés et bâtiment progressivement privatisé : pour beaucoup la Sorbonne est aujourd’hui confisquée et réduite à une fonction de prestige. Privée de sa bibliothèque et sans véritable alternative, la vie universitaire de la Sorbonne dépérit doucement. Son sanctuaire mainte fois violé depuis 2006, elle ne sera bientôt plus qu’une vieille catin sans charme qui semble prendre goût à son nouveau métier.

Allez, tout n’est peut être pas perdu :

http://www.dailymotion.com/videox5osao
source : Flickr
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à propos du zoomer

David
Prof' et jeune chercheur, auteur d'articles aussi éclectiques qu'improbables, je reste fidèle à l'adage de mon vieil ami Denis: "mes pensées, ce sont mes catins". Assiette-trotteur, anthropologue de cuisine, hédoniste option gastronome de confession ma chronique gastronomique nous propose de voir le monde par le petit bout de la fourchette.

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8 réactions

  1. Aurélien | agitateur 06/05/2010 | 17h19

    Très intéressant article, notamment l’idée de confiscation de l’espace civique.

    Je ne sais par quelle dévoiement la loi LRU (j’y suis plutôt favorable) est à l’oeuvre pour transformer dans l’esprit des gens et surtout des présidents d’université en loi autorisant tout et n’importe quoi en terme de commercialisation des universités. Être une vitrine oui, mais une vitrine du savoir, pas un vague palais des festivals… Cette loi devrait précisément permettre à l’Université de reprendre toute son autonomie et sa place dans la vie intellectuelle et urbaine de la capitale (ne disait-on pas la Ville, la Cité, l’Université pour désigner Paris…).

    Enfin, pénétrer (policièrement ou s’accaparer les lieux) dans une université, comme dans les Eglises, pour moi ça tient du sacrilège..

  2. David | zoomer 06/05/2010 | 20h08

    Malheureusement les dispositions de la LRU font que toutes les composantes de l’Université (profs, étudiants et personnels) voient leur poids significativement diminuer au sein des instances importantes de l’Université et ce au profit de ceux qui tiennent les cordons de la bourses… L’esprit de la LRU c’est la transformation des universités en grands établissements avec tout ce que cela comporte d’augmentations des frais d’inscription et de fermetures de labos et de matières « inutiles » ou pas rentables…

  3. Servane | zoomer 06/05/2010 | 20h42

    Pour mettre retrouvée « coincée » à l’intérieur de la Sorbonne à l’occasion de la venue d’Eric Woerth et pour avoir vu les appariteurs et autres petits « kapos » se démener pour sortir par la force une petite dizaine « d’agitateurs-étudiants », c’est en effet assez « dérangeant » ! Et c’est un euphémisme !

    Locaux confisqués, université musée ?
    Et pourtant le nom continue de faire rêver : http://www.leparisien.fr/hauts.....910018.php

  4. David | zoomer 07/05/2010 | 10h40

    Merci pour le lien, effectivement, c’est tout à fait ça.
    La multiplication des « conférences » qui n’ont absolument rien de scientifique pose un vrai problème pour des locaux déjà surchargés… Autant je peux comprendre que Bill Gates ou même Tony Blair débarquent donner une conférence, autant des Ministres qui viennent se mettre en scène dans des amphis qu’il n’ont jamais fréquenté est bien agaçant… On est là encore la volonté de renforcer symboliquement un contrôle politique et de la pure provoc’.
    Corbier y a bien plus sa place…

  5. robespierre1715 | agitateur 08/05/2010 | 11h40

    @David: Tony Blair n’est pas venu en Sorbonne faire une conférence pour les étudiants, il est venu pour une réunion de progressistes, courant ump d’Eric Besson. L’amphithéâtre richelieu était d’ailleurs totalement bunkerisé. Il est donc venu pour une réunion organisée par un ministre…
    Je ne ferai pas de commentaires sur la prétendue respectabilité de Tony Blair, un homme dont certains mensonges ont fait couler beaucoup de sang…

  6. David | zoomer 08/05/2010 | 12h49

    La respectabilité c’est un autre sujet… Je pense juste que d’inviter un premier Ministre anglais à discuter dans une Université n’est pas si déplacé… Après sur le fait que Besson ait montré l’événement, je suis bien d’accord.

  7. Boris | zoomer 08/05/2010 | 15h00

    N’oublions pas que la LRU n’a rien à voir avec une loi d’autonomisation. C’est bien au contraire une loi rendant les universités dépendantes de son financement extérieur. Combien de temps les garanties budgétaires existeront-elles encore (alors même que l’Etat ne paye jamais l’ensemble de l’enveloppe prévu aux universités)? Une véritable autonimsation, privée ou publique, passe par l’absence des financiers au sein des conseils d’administration et scientifique et ainsi fonctionner sur la base du mécénat.
    Et la muséification/bunkerification de la Sorbonne relève aussi de cette politique avec pour but sa fermeture aux étudiants que l’on préfère envoyer dans des universités en périphéries pour l’ordre publique et pour des économies toujours plus ridicules. La privatisation de l’université française donne, par exemple, la labelisation « Sorbonne » des établissements étrangers contre quelques deniers…

  8. David | zoomer 08/05/2010 | 15h47

    Y’a t’il d’ailleurs besoin d’une loi d’autonomisation ou de simplement respecter la franchise universitaire ? Je suis bien d’accord avec Boris, tout cela n’a plus rien à voir avec l’enseignement et la recherche, ce sont des mesquineries financières et policières…

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