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Le microcrédit, un contrat social ?

Lelart Michel, directeur de recherche émérite au CNRS, Laboratoire d'économie d'Orléans

Alors qu'il n'existait pas il y a trente ans, le microcrédit est présent aujourd'hui dans de nombreux pays parmi les plus pauvres. L'ONU a même déclaré 2005 année internationale du microcrédit et souhaite ouvrir un très grand nombre d'institutions de microfinance (IMF) de par le monde. Une belle occasion de faire un bilan de cette pratique au service du développement. Les chercheurs intéressés par la monnaie dans les pays du Nord ont mis du temps à se rendre compte que les pratiques n'étaient pas les mêmes dans les pays du Sud, en particulier en Afrique. La monnaie y est plus perçue dans sa fonction sociale que dans sa fonction financière, elle facilite les échanges et circule entre les personnes, elle est peu conservée et elle n'est prêtée que pour très peu de temps. Il s'ensuit des pratiques financières originales – les tontines, les tontiniers – qui reposent sur des relations personnelles entre les débiteurs et les créanciers. C'est ce qu'on appelle la finance informelle, qui est une finance de proximité. Ces pratiques subsistent toujours, mais elles sont éclipsées depuis une vingtaine d'années par d'autres opérations perçues comme un nouveau mode de financement. Il s'agit de crédits de faible montant – équivalant à moins de 150 euros dans la plupart des pays africains – accordés à des personnes sans ressources – le plus souvent des femmes – pour développer ou entreprendre « une activité génératrice de revenus ». Ces crédits sont accordés par des institutions qui naissent « sur le terrain », sans reproduire à l'identique un modèle existant. Ce sont les institutions de microfinance (IMF) qui sont ou ont vocation à devenir de véritables intermédiaires financiers. Ce changement s'est opéré à la faveur d'une innovation au Bangladesh en 1976. Elle consistait à prêter un peu d'argent – très peu à vrai dire – non pas à une femme pauvre, mais à cinq femmes qui constituaient un groupe solidaire. Lorsque le crédit accordé à l'une d'elles était remboursé, un crédit était accordé à une autre. Lorsque toutes avaient emprunté – et remboursé –, le crédit était renouvelé pour un montant plus élevé. Ce système a remarquablement fonctionné. Le microcrédit a surtout bénéficié de quelques facteurs favorables : l'endettement excessif de nombreux États qui ont dû privilégier le recours à l'épargne domestique et la prise de conscience progressive du rôle essentiel du secteur privé, notamment des petites et des microentreprises. Le microcrédit ne permet pas seulement de développer la petite activité, il permet de lutter contre la pauvreté. C'est là une préoccupation majeure de la communauté internationale. C'est ce qu'a affirmé le premier Sommet du microcrédit, à New York en février 1997, qui a souhaité aider de cette façon cent millions de familles parmi les plus pauvres à l'horizon 2005. C'est donc désormais un souci des institutions financières internationales comme celui de l'ONU.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Des IMF existent partout dans le monde sous des formes variées. Elles sont souvent nées de programmes d'appui gérés et financés par des ONG locales ou étrangères. Ce peut être des caisses villageoises ou des banques rurales, plus ou moins proches de nos mutuelles. Toutes ces catégories ne sont pas homogènes. Chacune rassemble des institutions qui peuvent être très différentes par leur ancienneté, leur taille, leur clientèle, leur but, les modalités de leur fonctionnement, de leur financement…

La microfinance se développe partout. Le modèle du Bangladesh est présent dans 34 pays. Parfois, en Inde par exemple, les crédits sont accordés à des groupes d'entraide qui ont un projet commun mais ne sont pas solidaires. En Amérique latine, certaines IMF sont devenues de véritables banques. En Asie, des banques commerciales se sont lancées dans le microcrédit. En Afrique, aucun modèle ne domine vraiment, d'un pays à l'autre tous sont plus ou moins représentés. Ces institutions sont également présentes dans les pays d'Europe de l'Est.

La Communauté européenne a même un programme pour implanter des IMF dans les pays sortant d'un conflit, en Bosnie comme en Ouganda. Ce nouveau mode de financement a-t-il réussi ? Les petits crédits sont remboursés à 98 %, certes, mais encore ? Qu'il s'agisse de l'impact social de ces institutions sur la pauvreté ou de leur impact économique sur le financement des petites et microentreprises, la réponse n'est pas évidente. Le premier impact est d'ordre qualitatif, difficile à mesurer. Le second est plus quantitatif, mais il concerne le secteur informel qui est peu connu et qui fonctionne selon ses règles propres. De toute façon, tout bilan serait prématuré. La microfinance en est encore à ses débuts. Quelques institutions sont déjà rentables, la plupart pas encore ; dans certains pays elles sont réglementées, dans d'autres elles vont l'être ; parfois elles s'organisent en réseau autonome, parfois elles ont accès à la Banque centrale et font partie du système monétaire… Tout cela peut et va changer. Mais s'il est certain que la microfinance peut aider beaucoup de pays, elle ne saurait constituer un remède miracle aux problèmes du développement.

Contact

Michel Lelart, LEO, Orléans, michel.lelart@wanadoo.fr


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