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Selon une étude menée

en Isère, deux tiers des

mineurs délinquants sont

d'origine étrangère 

LE MONDE |

15.04.04 | 14h15

Selon une étude menée en Isère, deux tiers des mineurs délinquants
sont d'origine étrangère

Deux sociologues ont étudié l'environnement des jeunes jugés pour

des faits graves à Grenoble. Ils cumulent les handicaps  : pauvreté,
alcoolisme d'un parent, échec scolaire, immigration récente.
Pauvreté , échec scolaire, violence familiale, immigration récente : les
mineurs délinquants ont un profil de "damnés de la Terre". Telle est la
conclusion à laquelle sont parvenus Sebastian Roché et Monique
Dagnaud. Ces deux sociologues du CNRS ont réalisé une étude

originale sur les dossiers des mineurs jugés par le tribunal de Grenoble
(Isère) entre 1985 et 2000.  Financée par France 5, cette recherche
menée fin 2002, dont les résultats n'avaient pas encore été publiés,
apporte des résultats inédits sur l'environnement social des jeunes
auteurs de crimes ou de délits graves.

La nouveauté tient dans la mise au jour de ce que les auteurs
nomment "la dimension ethnique" de la délinquance : 66,5 % des
mineurs jugés ont un père né à l'étranger (pour 49,8 % dans un pays
du Maghreb), et 60 % ont une mère également née hors de France.
Contrairement aux études habituellement menées, qui s'attachent au

seul critère de la nationalité des individus, les deux chercheurs ont
choisi, sur la base des informations figurant dans les dossiers

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judiciaires, d'éclairer ainsi plus complètement l'environnement de ces
adolescents. "La surreprésentation des jeunes d'origine étrangère dans
la délinquance n'est un mystère pour personne, mais cette donnée est
peu renseignée, et elle n'est jamais débattue dans l'espace public",
justifie M. Roché, pour qui la réflexion sur l'intégration ne devrait pas

être séparée de celle sur la violence.

"ÉCHEC DE L'INTÉGRATION"

De précédentes enquêtes fondées sur les déclarations des adolescents
avaient déjà fait apparaître une "suractivité" délictuelle des jeunes

issus de l'immigration. La recherche menée dans l'Isère le confirme,
avec une ampleur qui a surpris les chercheurs. Car, dans la région
Rhône-Alpes, selon l'Insee, l'Isère n'est pas un département
particulièrement marqué par l'immigration : celle-ci représente 6,1 %
de la population (7,5 % dans le Rhône par exemple). "Nous sommes

face à une justice qui concentre son énergie à condamner des jeunes
d'origine étrangère", conclut Sebastian Roché. Pour le sociologue, cette
constatation, "résultante du système que personne n'a voulue", remet
en cause un des fondements de la légitimité républicaine. "Comment
expliquer à ces jeunes que la loi est essentiellement tournée vers eux
?", souligne-t-il. Comment éviter qu'ils croient à une lecture

communautaire de la justice ? "Ces résultats signent l'échec d'une
politique d'intégration", analyse pour sa part Monique Dagnaud.

Cette origine étrangère n'est "pas spécifique aux délinquants de
l'Isère", remarquent les auteurs. En 2000, l'Insee a en effet montré
que 40 % des détenus français avaient un père né à l'étranger, dont

25 % au Maghreb. De ce point de vue, la situation française semble se
rapprocher de celle des Etats-Unis, où les minorités sont
surreprésentées. En revanche, si auteurs et victimes ont souvent la
même appartenance communautaire outre-Atlantique, ce n'est pas le
cas en France.

Les mineurs délinquants cumulent les handicaps, expliquent Monique
Dagnaud et Sebastian Roché. L'immigration de fraîche date, associée
aux difficultés à trouver un emploi ou à la ghettoïsation de l'habitat, en
fait partie, sans qu'il soit possible de mesurer l'importance respective
des différents facteurs qui peuvent éclairer les parcours délictueux.

D'une façon générale, la pauvreté économique concerne 60 % des

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familles. Les pères sont, à 26 %, inactifs. Ceux qui ont un travail sont
en majorité des ouvriers (59 %), les mères des employées (46 %). Le
contexte familial, difficile, éclaire aussi les parcours des mineurs. Les
deux tiers sont issus de fratries de quatre frères et sœurs ou plus. Près
de 40 % des dossiers judiciaires font état de violence familiale ; 20 %

évoquent un père alcoolique. Seuls 54,5 % de ces mineurs vivent avec
leurs deux parents ; 11 % sont hébergés en foyer. Dans 9,3 % des
cas, ces adolescents ont un de leurs parents décédé. Enfin, leur
situation scolaire est sinistrée : 79 % ont redoublé, 55 % plusieurs fois
et près de 60 % ont fait l'objet d'une ou de plusieurs exclusions. Les
mineurs d'origine étrangère "cumulent encore plus que les autres les

traits de désavantage socio-économique", notent les chercheurs.

Le tableau n'est cependant pas uniforme. Paradoxalement,
l'environnement familial est décrit, dans la grande majorité des
dossiers judiciaires, comme "affectueux" et "soucieux de l'éducation du

mineur". Ecartelés, les adolescents délinquants de l'Isère "ont la
particularité d'être à la fois dans la culture de la modernité et dans les
difficultés de l'intégration sociale", ajoute Monique Dagnaud. Près de la
moitié pratiquent un sport, dont un tiers de façon intensive. Une
majorité fait état d'activités de loisirs, principalement tournées vers
l'audiovisuel. "Repli de l'exclusion et culture de masse : leur

personnalité se construit à partir de ces univers opposés, dont le
mélange peut se révéler détonant", conclut l'étude.

Nathalie Guibert

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325 dossiers consultés grâce à la levée du secret

Grâce à la levée exceptionnelle du secret des archives judiciaires du
tribunal de Grenoble, Monique Dagnaud et Sebastian Roché ont pu
étudier tous les dossiers de mineurs jugés entre 1985 et 2000 pour des
faits graves. Parmi ces 325 dossiers, 41,8 % ont été jugés avec une

qualification de coups et blessures ayant entraîné une incapacité
supérieure à huit jours, 25,2 % pour agression sexuelle, 17,5 % pour
vol avec armes, 7 % pour viol, 6,2 % pour vol avec violence et 2,2 %
pour homicide ou assassinat. Les auteurs sont à 95 % des garçons, et
leur âge moyen est de 15 ans et 5 mois.

"La délinquance de bande, entendue comme quelque chose d'organisé,

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concerne moins de 10 % des mineurs parmi ceux qui ont un complice
et moins de 4 % du total des mineurs jugés", notent les chercheurs.
Les mineurs sont condamnés à de la prison ferme dans 10 % des cas,
à de l'emprisonnement avec sursis dans 26,6 %. Pour 32,9 % d'entre
eux, une mesure d'admonestation, de remise aux parents ou de

dispense de peine est prononcée ; pour 6,2 %, il s'agit d'une amende
et pour 1,2 % d'un travail d'intérêt général.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.04.04

Sources:

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-361208,0.html