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Lore Reich Rubin


Anna Freud et l’expulsion de Wilhelm Reich
de l’Internationale psychanalytique


traduction de © Christian Isidore ANGELLIAUME 2006


(Lore Reich Robin est psychanalyste)


(Conférence ayant eu lieu le 15 mars 1997, à l’occasion du centenaire de la naissance de Wilhelm Reich au Goethe Institut de Boston, MA)



Je vais ici retracer l’histoire des démêlées de Wilhelm Reich et de Anna Freud dans les années 1920-30 en les replaçant dans le contexte des tendances idéologiques et politiques qui prédominaient à l’époque.

Ces démêlées seront envisagées à la fois sous l’aspect politique et à partir du point de vue du désaccord entre les personnalités, désaccord qui se terminera par l’expulsion de Reich de l’Association international de psychanalyse (IPA).

J’ai écrit cet article dans deux objectifs.

Le premier est celui d’une psychanalyste qui tente d’interpréter les documents accessibles sur cette affaire ; le second est d’une nature plus personnelle : Reich a été mon père.

Au cours de ces dernières années, au fur et à mesure que les protagonistes disparaissent et que ne peut plus davantage s’exercer de censure, de grands pans de l’histoire se mettent à découvert par les lettres et les biographies. Deux livres, pour le moins, ont parus sur Anna Freud, que je vais utiliser comme source pour décrire sa personnalité et son tempérament. L’un est une biographie de Elizabeth Yong-Bruehl (1) et l’autre est nommé « The Last Tiffany » de Michael Burlingham (2). La grand-mère de cet auteur était Dorothy Burlingham qui avait été l’amie de Anna Freud tout au long de sa vie.

Dernièrement quelques nouveaux livres sur Reich ont aussi été publiés à Vienne et à Bale : Karl Fallend Reich in Wien (3), Fallen et Nitzschke, eds. Der Fall Wilhelm Reich (4) et le livre de Fenichel Rundbriefe, publié par Stoemfed Verlag. Le Rundbriefe contient dix années d’une intéressante correspondance qu’a entretenue Fenichel avec un groupe de psychanalystes choisis dans les années 34-44. Ils sont entrés en ma possession par l’entremise de ma mère. En dépit des pressions, au lieu de les enterrer dans les Freud Archives à la bibliothèque du Congrès, je donnais ces lettres à un éditeur. Des informations plus personnelles proviennent de conversations avec ma mère et d’autres membres de ma famille.

Je vais maintenant vous présenter succinctement la vie de mon père. Ce n’était pas un saint. C’était une personne très difficile, mais je ne veux pas m’appesantir davantage sur cet aspect à l’occasion de la célébration de son anniversaire. Je suis intéressée par le fait qu’il s’agissait d’un homme enthousiaste, énergique, dévoué à la psychanalyse. C’est pratiquement dès la fin de son service aux Armées, après la première guerre mondiale, qu’il est venu à la psychanalyse alors qu’il était étudiant en médecine, à Vienne. Il a pris rapidement la tête de la Clinique psychanalytique de Vienne. Il a aussi enseigné la technique psychanalytique dans un séminaire au long des années 1924 à 1930, à l’Institut psychanalytique de Vienne. En accord avec les sources citées dans cet article, il recevait une bonne estime de la part de ses multiples amis de la communauté psychanalytique (3 :45), (6). Richard Sterba (7) décrit cette communauté qui était extrêmement importante pour Reich, comme un cercle particulièrement intime, dont l’unité était telle que des membres, par exemple, des jeunes gens qui sont venus à la psychanalyse après la deuxième guerre mondiale, trouvèrent maris et femmes dans le groupe. Ce fut le cas de mon père et de ma mère qui est aussi devenue psychanalyste.

Pourtant Reich eut quelques problèmes avec son second analyse, Paul Federn. De nos jours, nous sommes très sensibles au phénomène de transfert et de contre-transfert.

Et bien qu’il y avait alors une approche du transfert, il n’y avait pratiquement rien de connu sur le contre-transfert. Federn, je crois, a développé un sérieux contre-transfert sur mon père et ignorait tout des règles modernes de confidentialité concernant ce qu’on pouvait ou non dire de ses patients.

Au contraire, il passa des années à essayer de faire en sorte que Freud se défasse de Reich, qu’il le démette du séminaire technique, qu’il le sorte de la clinique (3 :195-202).

Mon père s’est plaint à Freud de ce qu’il nommait une persécution. Federn n’avait aucune idée du fait qu’il s’agissait là d’un contre-transfert : il considérait que Reich était fou et faisait en sorte de s’écarter de lui. Il est intéressant de noter ici que Freud n’a pas écouter Federn (4 :250) jusqu’en 1930, moment où d’autres voix, et particulièrement celle d’Anna Freud, se sont élevées contre Reich.

Les réactions de mon père aux persécutions de Federn sont intéressantes. Je pense qu’il est d’abord rapidement tombé en dépression, bien que cela ne soit écrit nulle part. Je le reconstitue à partir des remarques de ma mère à propos de la grave dépression qu’il a subie en 1927 et qui l’avait amenée à contracter un cas sérieux de tuberculose.

Ensuite, après son retour du sanatorium de Davos, mon père avait mis au point une innovation technique très élégante, brillante et nouvelle. Elle se rapportait à l’emmergeance du transfert négatif chez le patient. Il me semble que ce qui l’a décidé à le faire, je ne sais si c’est conscient ou inconscient, a été d’enseigner à son analyste la manière dont il aurait dû conduire cette analyse. C’est alors que Reich s’est mis à écrire L’analyse caractérielle (8). En gros, les cent premières pages du livre sont relatives au transfert négatif et sur la manière dont il doit être compris avant que vous ne puissiez entreprendre l’analyse de quiconque. Ce n’est pas une théorie très surprenante de nos jours. La psychanalyse a tant évolué dans la maîtrise du transfert et du contre-transfert que cette idée est tout à fait actuelle. Mais à cette époque, le concept de contre-transfert était assez révolutionnaire et difficilement admise par les psychanalystes.

Reich avait une manière très créative, je pense, de saisir ce qu’est réellement un traumatisme. Cette manière de procéder, qui se résume à avoir été contrarié pour ensuite découvrir de nouvelles conclusions théoriques, est celle de toute sa vie. Au même moment, un autre de ses mécanismes de défense revigorant fit sa lente apparition : qu’il vienne à être exclu d’un groupe, il en compose un autre et se crée d’autres amitiés.

Tout au long de sa vie Reich a créé en nombre de nouvelles théories pour réponse à ses reverts, et a formé de nouveaux groupes. Mais continuons notre histoire.

Alors que Federn ne réussit pas à déprécier Reich dans la pensée de Freud, ou auprès de la communauté psychanalytique, Anna Freud agissait comme je vais le montrer. À mesure que Reich s’éloignait du groupe psychanalytique, il s’investissait de plus en plus, d’abord chez les socialistes, et ensuite chez les communistes (3). Et lorsqu’il fut exclu du groupe psychanalytique, il quitta Vienne pour Berlin en 1930, en allant y former une nouvelle communauté et un autre support pour lui-même. (On doit noter qu’en 1934, Reich fut exclu des communistes et, pour autant que nous le sachions, devint un farouche anti-communiste).

Il quitta Vienne en 1930 et alla s’installer à Berlin. C’est alors qu’il devint de plus en plus radical : la plus patente raison donnée par lui à ce déménagement est qu’il était venu en Allemagne pour combattre les nazis. Pour sa part, Vienne devenait aussi de plus en plus fasciste et il y était potentiellement en danger. C’était probablement un de ses motifs pour changer d’endroit, mais il subissait aussi des pressions de la part de son ancien groupe psychanalytique.

C’était en fait une raison plus personnelle et plus douloureuse qui fut la cause de ce déplacement. Au cours de la fin des années 20, il était un communiste militant. Et en même temps, beaucoup, mais pas tous, de ses collègues viennois étaient de profonds conservateurs. Quelques psychanalystes étaient de gauche ou radicaux. Les Freud, autant Anna que Sigmund, étaient toutefois conservateurs. Dans ces temps difficiles, Reich a maintenu sa position radicale. Les Freud en étaient vraiment gênés : ils sentaient que l’esprit du public pouvait assimiler la psychanalyse au communisme. Je vous en parle, bien que je ne sache pas vraiment dans quelle mesure Sigmund Freud en avait connaissance lui-même. Son cancer a été diagnostiqué en 1923. Graduellement, Anna Freud prit une place prépondérante dans la marche de l’organisation psychanalytique. En 1932, mon père avait l’intention de publier un article sur le caractère masochiste. Freud a catégoriquement refusé qu’il soit publié affirmant qu’il s’agissait là d’un article d’essence communiste. Par ailleurs, il y eut des pressions de la part de Freud (4 :35) et finalement, il consentit à ce qu’il puisse être publié mais uniquement si le journal y adjoignait une réfutation contradictoire spécifiant qu’il s’agissait d’un article communiste. Ce n’est que sous la pression de personnes comme Ersnt Kris et Siegfried Bernfeld que cet article fut publié dans la revue Internationale de Psychanalyse (IZP) (8 :208, 3 :166). Cet article a été inclus dans le livre L’analyse caractérielle. Je l’ai tout récemment relu et c’est un bel article sur le masochisme*.

Ce que Reich y fait est d’attaquer l’instinct de mort, une théorie que Freud a développée à ce moment-là. Les communistes, bien sûr, affirmaient qu’il ne pouvait y avoir d’instinct de mort du fait de la provenance sociale de tous les problèmes que rencontraient les gens. Aussi Freud a ressenti l’attaque de mon père sur l’instinct de mort comme une émanation du point de vue des communistes. Bien évidemment, il y eut des théoriciens du moment qui crurent à cette théorie de l’instinct de mort tout en apportant à la formulation pessimiste de Freud de considérables altérations.

L’article de Reich se situait parfaitement dans le cadre de la psychanalyse. Mais il est notable qu’il attaquait ouvertement une des théories de Freud. A vrai dire, ce n’était pas ce qu’on attendait des psychanalystes. Ils avaient plutôt tendance à révérer Freud et s’ils se trouvaient en désaccord avec lui, ils tournaient plus subtilement les articles qui suivaient tout en attribuant leur idée au maître. Il ne fait aucun doute qu’en 1932 mon père fut considéré comme un membre à part entière et était apprécié des Freud, et il le savait ; en conséquence, il n’avait pas à dissimuler davantage ses divergences avec eux.

Il y eut en 1933 des lettres, maintenant publiées, dans lesquelles Anna Freud écrit à Ernest Jones en Angleterre que Freud, son père, n’avait pas le temps de discuter et qu’il voulait seulement se débarrasser [get ride] de Reich (9 :59). Je ne sais pas, comme je l’ai déjà dit, si c’est la seule opinion de Anna ou si cela provient de Freud lui-même. Mais la correspondance entre Anna et Ernest Jones ne laisse planer aucun doute sur le fait qu’elle pointe sur l’embarras que représente Reich et elle réussit peu à peu à convaincre Jones que c’était finalement la chose la plus opportune à faire. Elle est particulièrement remontée contre le fait que Reich, en 1933, ait quitté l’Allemagne pour venir à Vienne afin d’y tenir une conférence « radicale ». Elle pensait que cela mettait en danger le mouvement psychanalytique (4 :68). L’idée de Anna était que l’on ne peut mélanger la politique avec la psychanalyse. (9 :59). Jones, qui avait d’abord défendu le droit des gens d’avoir une opinion politique, en vint petit à petit à se ranger au point de vue de Anna. Quand, après avoir personnellement rencontré Reich, ayant apprécié le personnage, il mollit dans sa résolution, Anna l’avait aiguillonné en lui révélant des matériaux extraits de l’analyse à laquelle elle procédait de la femme de Reich, ma mère (9 :60). Jones entreprit alors une vigoureuse campagne contre Reich. Il écrivit au gouvernement danois (9 :59) et plus tard au gouvernement hollandais (9 :71) pour les prévenir de Reich. Et il écrivit, comme Freud le fit, à l’Association psychanalytique allemande pour leur demander de l’exclure de la liste de leurs membres (9 :71).

La crainte tant des Freud que de Jones, était que la psychanalyse soit assimilée au communisme. Jones, après s’être débattu avec sa conscience de libertaire civil anglais, suggéra qu’un psychanalyste ne devait pas être activement engagé en politique. Il peut être évoqué que Anna ou Sigmund avait aussi été en contact avec Max Eitingon. En 1933, juste après que Hitler eut accédé au pouvoir, Eitingon (4 :69) qui dirigeait l’Institut de Berlin, écrivit à Reich de rester à l’écart de cet établissement car ils ne voulaient pas au début que Reich fut arraisonné. Eitingon fit parvenir ce message à Reich qui, par courtoisie, a quitté l’Institut de Berlin. On doit faire remarquer que lorsque Reich avait quitté Vienne en 1930, Anne lui dit qu’il ne pouvait être à la fois membre de l’Institut de Berlin et à la fois de la Société viennoise de psychanalyse, et ainsi, il avait dû, sur cette précédente requête, y délaissé sa participation comme membre.

Cette histoire sur le volontaire désistement de Reich de la Société psychanalytique allemande, que j’avais d’abord prise pour vraie dans la première version du présent article, bien que crûe par la plupart des psychanalystes, s’est avérée être totalement fausse. Au contraire, après une nouvelle lecture du livre de Fenichel Rundbriefe (5 :lettre vii) que j'avais d'abord lue sur du papier pelure in single spaced typed il devient parfaitement clair que Reich n’avait aucune idée du fait qu’il avait été rayé de la liste des membres adhérents [de Berlin NdT]. Il le découvrit à la lecture de la brochure de l’IPA, à son arrivée au Congrès de 1934. Là, comble de l’ironie, il se tourna vers Anna Freud pour lui demander de l’aide, pensant que c’était l’œuvre du duo Muller-Braunschweig exécutée sous leur propre chef (le dernier ayant remplacé Eitingon). Pour plus de détails sur la manière dont Reich fut exclu de l’Association psychanalytique allemande et ceci sans en être informé, lire Fallend (3 :224-25). Dans le livre de Fallend & Nietschke (4 : chapitre 2), nous pouvons lire ce qui est arrivé aux analyse allemands sous le régime nazi. Il y a quelques désappointements tels que l’alternative de savoir lesquels des analystes coopérèrent ou non au régime nazi. Nitzschke pense qu’ils ont coopéré. Pour mettre l’ensemble de cette période en perspective, je suis sûre que Ernest Jones, autant que les Freud et aussi bien que Churchill, à ce moment là, pensaient que les communistes étaient de plus loin dangereux que les nazis.

En 1934, un des Congrès international de psychanalyse se tint à Lucerne, en Suisse. Mon père s’y présenta, en toute innocence. Il vivait au Danemark, mais il était sur le point de s’en faire expulsé. L'importance de la part de responsabilité que détient Jones dans les dispositions de cette expulsion est inconnue. Il est venu à ce congrès et s’aperçut qu’il avait été rayé de la liste des membres adhérents de la Société psychanalytique allemande. À ce moment là, Anna Freud faisait partie du Comité exécutif et Jones était le président de l’IPA. Ils dirent à Reich que, puisqu’il n’était pas membre de Berlin ou d’une autre organisation locale, il n’était pas membre de la Société internationale. Les statuts précisaient qu’il ne pouvait pas en être membre ! De cette manière, il l’éjectait sur la base d’un point purement technique… dont ils avaient eux-mêmes créé la condition. Bien sûr, il lui a été précisé que si il rejoignait une organisation locale, il pouvait être réintégré. C’est sans dire que, parallèlement, Jones avait rencontré toutes les sociétés composant l’IPA et obtint d’elles le consentement qu’elles n’accepteraient pas Reich en leur sein (5 : lettre viii). D’autre part, l’acceptation de la Société scandinave fut postdatée, après qu’ils aient refusé de l’intégrer sur la précision qu’ils avaient refusé la qualité de membre à Reich. Mais quand une année ou deux plus tard mon père s’est installé en Norvège, lorsque les norvégiens ont revendiqué leur qualité de membre en tant qu’organisation locale, l’IPA ne voulut pas intégrer la nouvelle organisation norvégienne dans l’Association internationale. Ainsi Reich ne put jamais redevenir un de ses membres (5 : lettre viii). ce fut bien orchestré. En premier lieu, ils ont manœuvré pour qu’il ne soit plus membre d’une organisation locale pour ensuite faire qu’il soit expulsé de l’Internationale. Fenichel, qui avait d’abord prévu d’élaborer des résolutions pour défendre Reich, s’était ensuite retranché derrière de simples protestations procédurières.

Fenichel, au cours d’une confrontation dans une réunion en petit comité — composé de Fenichel, Hartman, Waalder, Glover, Sarsin et Anna Freud — pour examiner ses protestations, s’est vu dire que, pour que Reich soit réintégré, il fallait que les gens le demande, or personne ne le demandait. De sorte qu’il est préférable que Reich demeure en dehors de l’IPA du fait de ses positions politiques et de son désaccord avec Sigmund Freud sur l’instinct de mort : Reich ayant combiné ses idées dans une théorie de l’Économie sexuelle, ajoutèrent-ils, l’IPA ne pouvait pas en être blâmée.

À la lecture de Rundbriefe il est clair que Fenichel n’avait pas la moindre idée que Anna Freud avait comploté ce scénario avec Jones. Elle était capable de totalement demeurer en arrière-plan, comme un simple membre du groupe.

Je veux parler maintenant des conséquences de cette expulsion. J’étais avec mon père cet été-là. À voiture, nous avions parcouru la Suisse au petit bonheur. Nous avions pris un bateau de Belgique au Danemark et de là contourné l’Allemagne. J’avais passé tout l’été avec mon père qui était en parfaite disposition et avait passé de bons moments. Mais après qu’il fut éjecté de l’IPA, il devint ce que mes amis appellent « enragé » [ballistic]. Il devint véritablement enragé et se disputa aussi bien avec ma mère en notre présence. Il était vraiment hors de lui. Il s’en sortit rapidement en utilisant la technique efficace du louvoiement que j’ai mentionné plus haut. Il forma d’abord un groupe autour de lui en Norvège, un groupe qui, pour autant qu’il en reste des membres encore vivants, s’en souviennent affectueusement. Puis il rompit avec la barrière psychanalytique qui s’érigeait devant le toucher du corps, et s’orienta davantage vers le développement de ce qu’il avait nommé « végétothérapie » (qui évolua plus tard en bioénergie).

Pour en revenir à l’histoire, ce qui semble important est que les psychanalystes qui ont supportés Reich ­— Fenichel, l’ensemble du groupe berlinois et beaucoup de celui des Viennois — ont senti l’intimidation : il ne leur devint plus possible de dire quoi qui soit. Ils craignaient d’être à leur tour mis à la porte. Je pense que ce danger était réel. Fenichel, par exemple, s’est senti traité comme un fils prodigue revenant au bercail ; et ses collègues viennois de lui dire « maintenant tu sais que Reich est un fou » (5 :280). Ma mère, autre exemple, s’est vu mystérieusement démise de sa qualité de membre de la Société psychanalytique allemande quand elle déménagea à Berlin en 1931 — elle défia les désirs de Anna Freud en allant rejoindre mon père. Ainsi, se sentant sans secours, Fenichel se consola en écrivant le Rundbriefe. Ces lettres étaient tenues pour quasi-clandestines [these letters were very hush, hush]. Ma mère était un des destinataires du Rundbreife. Plusieurs années plus tard, alors qu’elle était sur le point de mourir, une personne de confiance vint dans son cabinet et les vola de sorte qu’on ne puisse plus en connaître l’existence, ni qui en fut le destinataire — et aussi dans la crainte que leur passé marxiste et que leur opposition à l’organisation psychanalytique ne soient connus. Cela montre combien cette ancienne aile des psychanalystes de gauche était effrayée d’avoir été reconnue comme ayant été des confidents du Rundbriefe. Cependant, le voleur s’étant senti coupable, il me l’a confessé et me rapporta le Rundbriefe dans un sac de supermarché. C’est la raison pour laquelle nous avons réussi à sauver le document. Il y a eu d’autres copies, bien sûr, mais j’en ai le jeu le plus complet.

Abordons maintenant ce qu’il advint des autres psychanalystes. La branche de gauche était réellement effrayée du fait qu’elle pouvait elle aussi être éjectée et réduite à l’inactivité, bien quelle formait un groupe cohérent et secret et avait le Rundbriefe. Le reste des analystes s’enveloppa d’une conspiration du silence.

L’histoire de savoir comment Reich fut éjecté de l’Association internationale n’est contenu que dans le Rundbriefe de Fenichel. Sinon, personne n’a jamais mentionné ce qui était advenu à Reich. C’est ainsi qu’il y eut une révision de l’histoire. Ernest Jones a écrit une biographie de Freud où il y dit que Reich « a démissionné de l’Association Internationale Psychanalytique », « que la politique de Reich l’avait conduit à la fois à des dissensions personnelles et scientifiques » (10 :191).

Mais l’expulsion fut orchestrée par Jones lui-même ! La vérité est que, après qu’il fut privé de sa qualité de membre et rejeté, ensuite averti selon quoi il ne pouvait plus, du fait de ses idées « d’économie sexuelle », la détenir à nouveau, Reich devint fou et cria à Jones qu’il ne se serait plus désormais qu’un économiste sexuel.

De ce moment, des analystes commencèrent à décrire Reich comme « mentalement dérangé » et à affirmer que c’était la vraie raison pour laquelle il avait été éjecté. Il doit être souligné que de donner à quelqu’un l’étiquette de « mentalement dérangé » a été un moyen utilisé dans l’éjection de plusieurs autres personnes de la communauté psychanalytique, parmi lesquelles Rank, Rado, Tausk, et il avait été entrepris d’expulser Ferenczi sur le même motif. En fait, au moment précis où Reich s’était fait expulsé, Anna Freud posait en sous-main des jalons pour se libérer de Rado (11 :281-82).

Quelques analystes, dans un grand rire, commencèrent à faire circuler une histoire. Il s’agit là d’un humour typiquement viennois. Ils dirent que Reich était venu à Lucerne pour y planter sa tente juste au devant du Congrès et y était resté avec sa maîtresse. Ils dirent aussi que Reich s’était doté d’un gros couteau.

Comparativement la vérité est bien moins piquante. Reich ne s’était pas installé devant l’hôtel du Congrès, mais au camping. La femme n’était pas sa maîtresse mais son épouse (ma mère avait entamé une procédure de divorce, mais l’avait ensuite abandonnée). Il n’avait pas beaucoup d’argent**, en conséquence il avait pris la tente ; et il est indispensable d’être pourvu d’un couteau lorsque l’on campe. Ils mettaient en avant, par ailleurs, son état d’esprit après qu’il fut éjecté pour montrer combien il avait perdu son contrôle. Personne n’avait pris le soin de dire ce qui s’était passé à ses enfants. Nous n’avions aucune idée du pourquoi il était si hors de lui à ce Congrès. Il semblait qu’il ai soudainement pété les plombs [blew his stack].

Les années passant, il y a maintenant quelques analystes qui viennent me rencontrer. Ils sont venus avec cette amusante expression au visage, mêlée d’embarras et de contrition, pour dire : « Il était vraiment un grand homme. Qu’est-il advenu de lui ? N’est-ce pas triste ? ». Habituellement, vous ne venez pas rencontrer les enfants de quelqu’un pour lui dire « Votre père était un fou », ce serait très impoli de le faire et vous ne le feriez tout simplement pas. C’est qu’il y a une sorte de pression derrière cela. Ils se doivent de le faire. C’est compulsif. Je pense qu’ils se sentent coupables du fait qu’ils étaient tous présents à ce congrès, qu’ils savent tous ce qui est arrivé et que personne n’en a rien dit.

Et ils commencèrent par réécrire l’histoire. Je vais seulement évoquer quelques exemples. Voici celui de Sterba. Il était en grande amitié avec mon père. Il y a de nombreuses photos qui dataient, je pense de 1931, de eux deux descendant une pente à ski côte à côte dans un endroit où ils passèrent de bons moments (7). Mais il a dit à Myron Sharaf (6 :147) qu’il a eu des difficultés avec Wilhelm Reich dès 1927. Pourquoi, dès lors, était-il en train de skier avec lui dans les années trente ? Sterba a émigré à Détroit. Dans les années 50, il vint à New York pour présenter un article (12). Dans celui-ci — qui est passé dans le Quarterly Psychoanalytic — il parlait de L’analyse caractérielle comme d’un livre particulièrement mauvais. Sterba y dit que vous pouviez parfaitement affirmer Wilhelm Reich paranoïaque après la lecture de ce livre. Pourquoi donc Sterba devait-il écrire cela ? Si ce n’était pas un article qui poussait de l’avant la connaissance psychanalytique, pour le moins, c’en était un qui l’aidait à le rétablir dans la communauté psychanalytique. Du fait qu’il a été un ami des Reich, il demeurait suspect. Ainsi, de sorte à se mettre « in » avec les analystes émigrés européens qui étaient, particulièrement à New York, extrêmement proche de Anna Freud, il avait présenté cet article.

Une autre personne qui a révisé l’histoire a été Helene Deutsch qui a publié une biographie nommée Confrontations With Myself (13) dans laquelle elle écrivit un panégyrique de trois pages sur Anna Freud (13 :140-43). Ce livre fut diffusé en 1973, ce qui fait présumer son écriture quelques années plus tôt. Dans l’introduction de la seconde édition de son Deutsch biography (11 :vii-viii), Roazen y écrit que Anna Freud avait mis une énorme pression sur Deutsch après qu’elle eut mis en 1968 une obstruction à la publication du livre de Roazen Brother Animal — un livre critique de la mainmise de Sigmund Freud sur Victor Tausk. Roazen dit qu’après cela Deutsch avait provoqué une cessation de tout contact avec lui sur plusieurs années. En d’autres termes, Deutsch écrivit cette biographie juste une année ou deux après qu’elle se fut mise en sérieuses difficultés avec Anna Freud. C’est pourquoi il me semble que cette partie de sa biographie traitant de Anna Freud correspond à une partie d’elle tentant de se remettre dans les bonnes grâces du groupe « in ». Anna à cette époque avait un très fort pouvoir sur l’IPA et l’Association psychanalytique états-unienne, et particulièrement sur la côte est. Des années plus tard, Deutsch se remit avec Roazen et lui donna la permission de lire sa correspondance et d’écrire sa biographie (11). Une image totalement différente émergea de ses relations amicales avec Anna et Sigmund Freud. Apparemment elle avait beaucoup de difficultés avec chacun des deux Freud. Il est clair que Deutsch quitta Vienne pour venir à Boston en 1933 non seulement du fait de sa situation politique en Autriche mais aussi du fait qu’elle ne se sentait pas de tout confort dans le cercle que Anna avait établi autour de Freud dans ses années de déclin. « Ce qui est bon pour le génie de Freud, pour son âge et qui portait la soumission Anna elle-même au niveau des idées paternelles, reléguait le reste, et les autres, à la névrose de masse » (11 :288).[What is god for Freund’s genius and his age and for Anna yielding herself up to the paternal idea, is becoming for others a mass neurisis].

Pourtant, pour compléter, Deutsch éprouva le besoin de distordre l’histoire pour ce qui touchait Reich. Malgré la très grande réputation de Deutsch en psychanalyse, je pense aussi qu’elle s’est sentie « polluée » par son association avec Reich et elle perçut qu’elle devait se réintégrer d’elle-même. Elle avait remarqué avec horreur la manière dont Rado avait été propulsé en dehors du cercle des « in ». Environnée par d’autres problèmes « Anna n’avait pas approuvé l’ambiance chaleureuse du mémorial sur Ferenczi que Rado avait publié en 1933 » (11 :281). La conclusion en est que Anna avait ses exceptions, étant amicale avec des gens qui étaient « out » [hors du coup] et cela avait tendance à la mettre par ailleurs « out ».

Deutsch avait, elle aussi, exprimé des idées positives sur Reich. Elle avait participé à ses séminaires quand ceux du côté de Anna les supportait du même temps. Elle y, selon Sharaf (6 :152) « prit plaisir et avait beaucoup profité des séminaires techniques viennois proposés par Reich » ; quoiqu’elle pensa de lui qu’il est « un fanatique ». Elle était même un des rares analystes qui l’ai rencontrer après sa migration aux États-Unis.

Mais, dans sa biographie, non seulement elle est très critique vis-à-vis de Reich qu’elle a véritablement fréquenté, mais elle a écrit qu’elle avait initié elle-même le séminaire technique sur sa proposition « en discréditant ses idées du traitement exclusif par le transfert négatif dès la phase d’ouverture » (13 :157-58).

Mais cela ne peut pas concorder, non seulement parce qu’elle a affirmé qu’elle y avait pris plaisir, mais aussi parce que le séminaire avait débuté en 1924 et que Deutsch était à Berlin cette année-là. C’est pourquoi je pense qu’en retournant dans le groupe des « in » avec Anna Freud, Deutsch s’est sentie obligée de défaire sa déloyauté d’au moins une quinzaine d’années auparavant, en pointant le fait qu’elle n’avait seulement pris part aux séminaires techniques de Reich sinon que pour les discréditer.

Le dernier événement que je veux mettre en évidence est celui où, Sharaf et moi avions été invités par l’Association psychanalytique états-unienne, en 1986, en vue d’une participation à l’Histoire de la psychanalyste. Les enfants des psychanalystes viennois y avaient été sollicités pour parler de leurs parents. Ils invitèrent les enfants de Reich, Siegfried Bernfeld et Ernt Kris. Dans la petite communication que j’y donnais, je relatais en passant que Robert Waelder ne voulait publier pas l’article de Reich sur le masochisme. Et à la toute fin due la scéance, Gutmacher, un psychanalyste de Philadelphie, étudiant du groupe de Waelder et maintenant décédé, se leva pour dire : « N’oubliez-vous pas de dire quelque chose ? ». Je demandais : « Quoi ? ». Je ne comprenais pas de quoi il voulait parler. Il répondit : « Reich était un fou : c’est ce que vous omettez de dire ».

Ce n’est que seulement plus tard que j’ai réalisé qu’il avait dit cela parce que j’avais attaqué Waelder sur son refus de ne pas publier l’article sur le masochisme. Gutmacher était un étudiant de Waelder. Sur le moment je n’avais pas compris de quoi il retournait. Lorsque j’ai réécouté la bande-son de cette communication, je me suis trouvée chagrine de m’apercevoir que, juste au moment de cet incident, on procédait au changement de cette bande : il n’y a pas eu d’enregistrement.

Pourquoi donc tout le monde était-il si mal à l’aise avec Reich ? Quelle était l’ambiance qui les faisait rester si discrets de sorte qu’ils puissent revisiter l’histoire pour se dissocier de Reich ? L’énorme confusion qui régnait en Europe y est pour une grande part. Les nazis étaient au pouvoir, les gens étaient mis en état d’arrestation, les communistes promouvaient activement la révolution. Tout ceci rendait les psychanalystes particulièrement craintifs. Mais ici encore, quelque chose se passait au sein de la communauté psychanalytique. Une période d’orthodoxie avait eu lieu en 1911 (14) mais dans les années vingt et trente, les problèmes d’orthodoxie se confrontaient à Anna Freud qui caressait tout le monde dans le sens du poil pour chapeauter la Société psychanalytique de Vienne et, de là, l’Association internationale. Et elle était aidée par Freud pour consolider ce pouvoir. C’est que Anna, comme nous l’avons dit, avait aussi un désordre de personnalité. Elle voulait réellement être la numéro un (1), ce qui lui donnait l’apparence d’une personne particulièrement permissive [unobstructive]. Personne n’avait entrevu qu’elle pouvait être si manipulatrice et si déterminée : qu’il était si important pour elle d’être la première et d’être adorée de tous. Mais le fait était que si vous ne vous coalisiez pas avec Anna Freud, vous étiez « en dehors du coup » [out]. Par exemple, Streba était « out » ; tous les gens de Vienne qui étaient qui étaient « dans le coup » [in] étaient ses grands amis. Quand elle arriva en Angleterre en 1938, ce trait de personnalité devint plus clairement prépondérant. Il devint évident pour tous, même pour Ernest Jones qui l’avait auparavant défendue.

Quand Anna arriva en Angleterre, elle trouva que Mélanie Klein, sa grande rivale en matière d’analyse enfantine, avec laquelle elle avait des différences théoriques et techniques, était là bien établie et admirée de tout le monde. Anna procéda avec chacun de la même manière : ou vous demeurez loyale envers elle ou vous « n’êtes pas un analyste ». C’est le subtil moyen qu’elle avait utilisé à Vienne.

Tandis que, ici, elle l’utilisait ouvertement. À ceci près que les Britanniques sont proches de la démocratie et qu’ils ne voulurent pas de ce genre de chose. De sorte qu’un groupe entoura Mélanie Klein et que Anna Freud s’en alla s’isoler d’elle-même à Hampstead avec un petit groupe de disciples loyaux, tandis que son groupe analytique réellement « in » se situait aux USA.

Le reste des Britanniques furent appelés le « groupe du milieux », ne voulant pas prendre part à cette bataille partisane.

Pour revenir à la situation de Vienne, je dois aussi dire que mon père n’était pas lui non plus un équipier [team player] : il se devait d’être lui aussi un numéro un. Il ne pouvait que s’ensuivre une confrontation violente. Le fait est qu’il n’a pas compris les besoins de Anna Freud d’être la première. Comme je l’ai fait remarqué, elle paraissait très discrète et très peu obstructive. Selon Fenichel, à l’Institut viennois, il n’y avait qu’un corridor : dans une salle de cours à une extrémité, Anna Freud enseignait ce qui fut plus tard publié sous le titre Le moi et ses mécanismes de défense tandis qu’à l’autre bout Reich enseignait ce qui fut plus tard appelé L’analyse caractérielle. Leurs cours avaient lieu aux mêmes moments et vous ne pouviez assister aux deux simultanément. Ces deux livres soient une approche très différente de la théorie de la structure du caractère et, le constatant, on peut rétrospectivement s’apercevoir de l’état d’esprit partisan par rapport à ces théories, qui régnait à Vienne. C’est la raison pour laquelle Deutsch qui assista aux séminaires de mon père, a dû procéder à un rétropédalage de son respect pour lui quelques années plus tard.

L’idée qu’un factionnalisme théorique puit être acceptable a été étendu à New York dans les années 1950. Quand j’étais étudiante à l’Institut psychanalytique de New York, Mélanie Klein était peu recommandable [was just a bad name]. Elle n’était pas lue et était regardée de haut tandis que Anna Freud était considérée comme le grand gourou. De nos jours, Mélanie Klein est devenue appréciée et remarquée comme une personne d’avant-garde de la théorie de la relation d’objet, courant qui est beaucoup plus proche de ce qui se passe dans le milieu psychanalytique. Anna Freud est amalgamée dans les psychologistes de l’ego et son travail n’est pas plus estimé que cela.

Ce qui était aussi caché est ce contre-transfert présent chez Anna Freud, qui l’a conduite à ce désir d’éjecter Reich. Disons d’abord que, autour de Vienne, Anna Freud recevait le sobriquet de « demoiselle de fer » : cet instrument de torture médiéval formé d’une statue de femme creuse, bardée intérieurement de pics de fer, dans laquelle était placée la malheureuse victime. Quelques fois, elle recevait le nom de « pucelle de fer ». Elle n’avait pas de partenaire sexuel reconnu au moment où Reich l’a connue. Quelques personnes pensent que Dorothy Burlingham devint plus tard son amante. Mais d’autres pensent que cette relation n’a jamais été d’ordre sexuel, bien qu’elles finirent par vivent ensemble plus tard. Quoi qu’il en soit, ce qui est su pour certain est qu’elle n’a jamais d’homme pour amant.

Ensuite, à la fois Sigmund Freud, du temps où mon père était membre de la communauté psychanalytique, et Anna Freud ont mis en avant la sublimation à travers le travail [valued sublimation through work]. Vous n’aviez pas à exprimer ouvertement votre sexualité, vous pouviez la sublimer (1 :107). Par exemple, dans The last Tiffany (2 :203, 208), il est clair que Dorothy Burlingham languissait pour son mari, languissait sexuellement. Les Freud ont travaillé dur pour garder Dorothy séparée de son mari. Ils maintenaient qu’en travaillant dur vous n’aviez pas besoin de relations sexuelles. Freud le dit à Robert Burlingham lorsque ce dernier était venu l’interviewer. Toute l’importance théorique de Anna Freud se basait sur la défense contre les instincts. Ce qui fait, j’en suis sûre, qu’elle se sentait personnellement attaquée par Reich qui maintenait que si vous n’aviez pas d’orgasme complètement satisfaisant vous étiez névrotique et qu’un orgasme incomplet était une source de névrose. Et ici nous avons une femme qui n’avait pas d’orgasme. Selon Young-Bruehl, lorsque Anna était jeune, elle devait se débattre avec la masturbation et c’est ainsi que Freud la prit en analyse (1 :103-7) ; ce qui fait qu’il a réellement analysé sa propre fille à propos de sa sexualité à elle !

Avec le fil du temps, on s’aperçoit qu’au cours de sa vie Freud fut très chaste, ayant renoncé à sa vie sexuelle à l’âge de quarante ans quand sa femme devint réticente après qu’elle eut donné naissance à six enfants.

Donc, à la fois Anna et Sigmund avait des idées vieux-jeux relativement au sexe. Freud, par ailleurs, avait évolué vers des intérêts plus intimes. Selon la nouvelle correspondance complète de Freud et Fliess (15 :44), au cours de son premier mariage Freud avait beaucoup de problèmes sexuels et il avait envisagé une cure pour neurasthénie. « La seule alternative serait de libres relations sexuelles entre des jeunes garçons et des jeunes filles sans attaches… sinon les alternatives sont la masturbation, la neurasthénie… syphilis… en l’absence d’une telle solution, la société semble destinée à tomber dans d’incurables névroses ».

On voit que les pensées originelles de Freud à propos de sexualité et de société sont très proches de celle que mon père mettaient en avant de liberté sexuelle pour les adolescents et le besoin de changer la société par la libération de la vie sexuelle de la population. Néanmoins, Reich et Freud ne se sont jamais mis d’accord à propos de la masturbation. Avec le temps Freud qui était dans ses soixante ans et atteint d’un cancer, n’éprouvait plus autant d’intérêt pour ce qui retournait du sexe. Mon père apparaît être arrivé trop tard à la psychanalyse.

Peter Heller évoque Anna Freud au cours de vacances prises à Gruendlesse (16) en 1930 — j’ai moi aussi passé plusieurs étés en cet endroit et je ne suis pas certaine de la justesse des dates de Heller. Elle était installée à un bout du lac et, à l’autre extrémité, les jeunes analystes avaient ensembles des relations sexuelles et se baignaient nus. Anna était très dépitée de ce fait (16 :337-38). Heller relate que Berta Bernstein avait eu une étreinte sexuelle dans un bateau au beau milieu du lac (16 :340). Bien qu’ils soient du même âge, on peut se laisser à penser que ces jeunes analystes étaient très différents de Anna Freud. Malheureusement pour Reich, il est arrivé à la psychanalyse juste au moment où l’ensemble de la théorie sur la sexualité évoluait dans un basculement vers l’exploration du Moi. Pour Anna Freud, les théories de Reich devaient lui faire apparaître qu’elle n’était pas normale.

Une autre source de contre-transfert de Anna envers Reich a à voir avec les relations compliquées qu’elle entretenait avec ses patients et avec les enfants. D’un côté Steiner (9) donne une bonne mesure de la dévotion maternelle qu’elle a montré en ce qui concerne les réfugiées potentiels (après que les nazis eurent accédé au pouvoir) — excepté avec Reich — comme son « Sorgenkinder ». D’un autre côté, quand Anna ne se trouvait pas dans ce rôle de protection, les gens devenaient ses rivaux. Elle a aussi montré une forte tendance à la possessivité pour ses analysés, spécialement pour les enfants, et une tendance à vouloir les séparer de ses rivaux. En d’autres mots, en se référant aux enfants Burlingham qu’elle a eu pour patients, « (j’ai eu) des pensées qui se poursuivaient dans mon travail mais qui n’ont pas de place en propre à les y mettre… Je pense quelquefois que je ne veux pas seulement leur rendre la santé mais aussi, en même temps, les avoir (je souligne) pour moi ». Malheureusement pour les enfants Burlingham, malgré cet entendement perspicace, Anna n’alla pas jusqu’à réaliser son désir en devenant leur « autre parent » tout autant que leur analyste (2). Et Sigmund Freud, dans son état de faiblesse, s’impliqua dans ce programme.

En conséquence, Anna Freud développa des théories sur les techniques psychanalytiques des enfants qui insistaient sur le fait qu’un enfant est un être en devenir, de sorte que l’analyste devait lui aussi l’éduquer : de fait, faire un meilleur travail que ses parents. Je suis certaine que cette possessivité a joué pour une large part dans ses relations avec ma mère qui a été sa patiente en 1927 (voir plus bas). Il y a quelques similitudes entre ce qui est arrivé à ma famille et ce qui se passa avec les Burlingham. Anna Freud avait commencé à analyser les quatre des enfants Burlingham au même moment où débutait sa proche amitié avec ma mère. Les deux Freud travaillaient dur pour garder éloigné des enfants de leur père, Robert Burlingham, parce qu’il était « un fou » lui aussi. Apparemment, il avait un désordre bipolaire : c’est ce pourquoi il fut considéré comme dangereux pour les enfants d’avoir quoi qui soit à faire avec Robert. Anna écrivit à Robert pour lui dire que son voyage des États-Unis pour venir leur rendre visite les avait mis hors de eux [upset] et qu’il devait s’en tenir éloigné (2 :201-2). Au même moment, Anna essayait de convaincre les enfants que de voir leur père était mauvais pour eux. Anna donna encore Dorothy à Freud pour une analyse et ils prirent des vacances ensembles, Freud, Dorothy, ses enfants et Anna. Ce fut vraiment douillet [cozy] et en rien neutre comme la technique psychanalytique du moment l’imposait.

Lorsque, malgré tout, Robert se présenta, Freud lui dit que lui, Freud, était en train d’aider Dorothy à outrepasser ses besoins sexuels envers Robert (2 :203, 208).

Les enfants n’ont jamais dépassé leur conflit du fait d’avoir été séparés de leur père.

Malheureusement, cette histoire est à mettre en parallèle avec que qui est advenu à ma famille. Ma mère était en analyse avec Anna Freud en 1927. Anna lui avait dit de cesser toutes relations sexuelles avec Reich parce qu’il était « un fou ». Anna demanda à ma mère de ne pas avoir de second enfant (qui est moi).

je crois que Anna, en privant les parents de se sortir des troubles maritaux, essayait d’influencer Freud contre Reich, de la même manière que le fit Federn. Ma mère défia Anna en 1931 et se remis avec mon père, brièvement, après qu’ils se soient séparés. Je pense que Anna n’a jamais oublié ma mère pour cette déloyauté et que ma mère ait voulu sa liberté après être restée dans le cercle des psychanalyses viennois « in ».

Ma sœur, et heureusement moi pas, fut envoyée en analyse à Berta Bornstein qui était supervisée par Anna Freud (bien que Young-Bruehl semble ne pas le penser : il ne pouvait y avoir personne d’autre qui puit la prendre en supervision).

Ma sœur m’a raconté que l’analyse consistait pour Berta à lui dire encore et encore que son père était « un fou ». Voilà pour l’analyse.

Alors que nous — ma mère, Berta, ma sœur et moi — faisions l’ascension d’une montagne, je me souviens que ma sœur, âgée d’environ vingt ans, alors que Berta Bornstein ne cessait de dire « Maintenant tu sais qu’il est fou. Ne t’en es-tu pas aperçue ? » l’a envoyée paître, tant elle était en colère. Mais pour poursuivre l’analogie avec les Burlingham, Berta Borsntein écrivit une lettre à mon père (1934, lettre de Wilhelm Reich à Annie REich, cotée Bornstein, non publiée). Dans cette lettre elle lui demandait de rester à l’écart de ses enfants, de ne pas leur écrire ni de leur téléphoner, parce que cela interfèrerait avec l’analyse de Éva. Il, en tout bien tout honneur, naïf et sans songer à manipulation, l’a accepté. Il dit même : « Je ne veux pas interférer avec l’analyse ». Cela eut un effet délétère sur moi, du fait que mon père a tout simplement disparu de ma vie pour plusieurs années. Sans que j’ai la moindre idée du pourquoi. Cette expérience causera plus tard une autre séparation.

Pour résumer, Anna Freud avait des motivations névrotiques et personnelles qui l’ont poussée à se débarrasser de Wilhelm Reich et du même temps, sa personnalité a rendu difficile pour les autres analystes de prendre même des dispositions pour lui. Étant donné les conditions politiques du moment, il était impossible pour ces deux individus d’éviter la dispute irrémédiable, ce qui conduisit finalement à l’expulsion de Reich.


Références

source du texte (payante)

1. Young-Bruehl E. Anna Freud: a biography. New York: Summit

Books, 1988.

2. Burlingham M. The last Tiffany: a biography of Dorothy Tiffany

Burlingham. New York: Atheneum, 1989.

3. Fallend K. Wilhelm Reich in Wien: Psychoanalyse und Politik.

Wien: Geyer Edition, 1988.

4. Fallend K, Nitzschke B, eds. Der Fall Wilhelm Reich: Beitrage

Zum Verha¨ltniss von Psychoanalyse und Politik. Frankfurt am

Main: Suhrkamp Taschenbuch, 1997.

5. Fenichel O. Rundbriefe: (1934–1945). Vol. I, 119 Reichmayr J,

Mu¨hlleitner E, eds. Frankfurt am Main und Basel: Stroemfeld,

6. Sharaf M. Fury on earth: A biography of Wilhelm Reich. New

7. Sterba R. Erinnerungen eines Wiener Psychoanalytikers. Frank-

8. Reich W. Character analysis: 3rd ed. New York: Orgone Institute

9. Steiner R. It is a new kind of diaspora. Int Rev Psychoanal, 1989;

10. Jones E. The life and work of Sigmund Freud. Vol. III. New York: St Martins Press, 1983.

11. Roazen P. Helene Deutsch: A psychoanalysts life. 2nd ed. New

Brunswick: Transaction Publisher, 1992.

12. Sterba R. Character resistance. Psychoanal Q., 1951;20:72–76.

13. Deutsch H. Confrontations with myself: an epilogue. New York:

WW Norton & Co., 1973.

14. Bergman M. The historical roots of psychoanalytic orthodoxy.

Int J Psychoanal, 1997;78:69–86.

15. Freud S. The complete letters of Sigmund Freud to Wilhelm

Fliess: 1887–1904. Masson J, ed. Cambridge MA: Belknapp

Press, 1985.

16. Heller P. A child analysis with Anna Freud. Madison CT:

International Universities Press, 1990.

*C’est pécisément cet article qui a ralié à Reich le présent traducteur, en 1976.

** Il avait publié à compte d’auteur « Psychologie de masse du fascisme ». NdT