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Des principes monétaires pensés pour limiter le rÎle déstabilisateur des Institutions
prĂȘteurs en dernier ressort : le cas des currency et banking principles
HĂ©lĂšne Kontzler
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Phare et UniversitĂ© de Lille 2 â IMD
[helene.kontzler@univ-lille2.fr]
Guillaume Sarrat de Tramezaigues
Groupe dâEconomie mondiale, Institut dâEtudes Politiques de Paris
[guillaume.sarratdetramezaigues@sciences-po.org]
Résumé
A la fin du XVIII
e
siĂšcle, une rĂ©flexion monĂ©taire dâune grande ampleur va sâinstaurer en Angleterre, et qui se
poursuivra un demi-siÚcle durant. Les débats monétaires qui animent cette période laissent à penser que deux
traditions sâaffrontent sans jamais se rejoindre : les partisans dâune lecture monĂ©taire de lâinflation qui
rassemblerait bullionistes et currencistes et ceux des théoriciens pour qui les chocs réels jouent un rÎle
dâimportance dans les dĂ©sordres monĂ©taires, les anti-bullionistes et les bankistes.
Câest principalement sur la question de la neutralitĂ© en relation avec la gestion des encaisses que porte cette
contribution oĂč deux conceptions possibles dâune neutralitĂ© sont distinguĂ©es, une neutralitĂ© observĂ©e et une
neutralité objectivée.
Nous montrons que si currencistes et bankistes ont pu penser garantir une allocation optimale des ressources
compatibles avec une stabilité des prix (cas du currency principle) ou une stabilité monétaire (cas du banking
principle), câest parce quâil nây avait pas dâoccurrence dans leurs rĂšgles dâĂ©mission pour des comportements
discrĂ©tionnaires dâune quelconque Banque Centrale. Il est ainsi soutenu que les rĂšgles dâĂ©mission conçues Ă©taient
voulues, Ă lâinverse, comme garantes dâune absence dâalĂ©a moral.
Mots clés : Classiques, controverse bullioniste, Currency School, Banking School, currency principle, banking
principle, Banque Centrale, PrĂȘteur en dernier ressort.
Abstract
In the end of the 18
th
century, a large scale monetary thought was established in England and will last up to fifty
years. The monetary debates that will occupy that period allow admitting that two major traditions compete
against each other without finally merging: advocates of an inflation monetarist approach, the bullionists and
currencists, and those that consider real chocks having a key role in monetary instability, the anti-bullionists and
the bankists.
This contribution is based on the concept of neutrality with holdings management where a core differentiation is
proposed: observed and objectivized neutrality.
It is discussed that if currencists and bankists thought that an optimal allocation of resources could be guaranteed
with price stability (the currency principle case) or monetary stability (the banking principle case), it was
because there was no occurrence in their rules of issuance for discretionary actions of any central bank. It is
therefore argued that these issuance rules were designed, at the opposite, as guarantor of absence of any moral
hazard bias.
Key Words: Classics, bullionist debate, Currency School, Banking School, currency principle, banking principle,
central banking, Lender of Last Resort
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Auteur référent
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Au cours des annĂ©es 1797-1821, les exceptionnels besoins dâaccroissement de la masse monĂ©taire liĂ©s
au financement de lâeffort de guerre contre la France rĂ©volutionnaire, consulaire puis impĂ©riale soulevĂšrent le
renouveau du questionnement monĂ©taire, tant empirique quâanalytique, questionnement qui fut lâobjet de
controverses incessantes et thĂ©orisĂ©es en premier lieu en Angleterre. Suite au refus de la banque dâAngleterre
dâescompter le papier de la banque Lane, Son & Fathers en 1793, une crise de confiance surgit dans le milieu
bancaire et la nouveauté ne tiendra pas tant en les particularités de cette crise mais en les moyens utilisés pour la
contrer : plutĂŽt que de contracter lâĂ©mission de monnaie, suivant en cela les prĂ©ceptes de la rĂšgle smithienne
dâĂ©mission, lâĂ©mission va ĂȘtre augmentĂ©e via des bons escomptables de lâEchiquier en contrepartie de
nantissement sur des marchandises. Les autoritĂ©s monĂ©taires qui se crĂ©ent de facto pour lâoccasion vont alors
jouer des rĂŽles dont on ignore encore le nom : une banque centrale et un prĂȘteur en dernier ressort. La rĂ©ussite de
cette politique non-conventionnelle va alors réactiver le débat théorique monétaire. Un consensus sur la nécessité
de pratiques dichotomiques se fait jour avec Thornton
2
(1802) puis plus tard Bagehot (1873) en dépit de la
controverse bullioniste/anti-bullioniste, Boyd (1801) dénonçant vivement la fin de la convertibilité or en 1797 et
démontrant les faiblesses théoriques des différentes courants de pensée en la matiÚre. Lorsque prend fin la
période de suspension de la convertibilité en 1819 avec la prise de conscience des méfaits de la surémission de
monnaie, le débat peut alors se centrer sur les moyens du contrÎle optimal de la monnaie, débat dont la Currency
School
3
et la Banking School
4
sont Ă lâinitiative. Câest ainsi que les tenants de ces Ecoles vont reconnaĂźtre Ă la
Banque dâAngleterre
5
le fait dâĂȘtre une banque « Ă part », tout en pensant les processus dâoffre de monnaie de
telle sorte Ă ce quâelle ne puisse agir de maniĂšre discrĂ©tionnaire. De ce point de vue, si on admet quâune telle
Banque des banques, mĂȘme si elle nâa pas un statut public, est bien une Banque Centrale, on peut aussi imaginer
quâelle peut, au besoin, se transformer en prĂȘteur en dernier ressort ou ĂȘtre plus simplement le « last resort » du
systÚme financier, dernier ressort imaginé par Baring en 1797 dans son étude de la crise bancaire de 1793. Dans
le cas des Currency et Banking Schools, cela implique certes de modifier les rĂšgles que la Banque sâest vue
imposer (Acte de Peel de 1844 qui Ă©pouse les recommandations de la CS) ou que lâon a imaginĂ© quâelle pourrait
adopter (cas de la BS).
Le rĂŽle du prĂȘteur en dernier ressort envisagĂ© ici est cependant dâune nature particuliĂšre. Sâil est
entendu que la BoE peut ĂȘtre amenĂ©e Ă jouer un tel rĂŽle, câest parce quâil se produit un Ă©vĂšnement imprĂ©vu et
indĂ©pendant de sa volontĂ©, tel une crise ; Thornton (1802) tentera alors dâapporter une dĂ©finition et une
distinction fondamentale entre liquiditĂ© et soutenabilitĂ©. Câest, en quelque sorte, contraints et forcĂ©s que
currencistes et bankistes admettronnt quâil puisse y avoir des cas oĂč la BoE doive surseoir Ă ses engagements de
fonctionnement, temporairement cependant, les rĂšgles devant ĂȘtre au plus vite rĂ©tablies. LâimprĂ©vu prend la
forme, dans le cadre de la CS, de ruées aux guichets dont la cause est imputée aux banques provinciales,
lesquelles furent au centre de lâĂ©tude de Smith sur le systĂšme bancaire. Selon la BS, ce sont davantage des
Ă©lĂ©ments dâordre rĂ©el, tels les mauvaises rĂ©coltes, la famine ou les paiements de guerres, qui expliquent quâĂ un
moment donné les besoins en monnaie BoE puis en or deviennent importants. La BoE peut alors endosser,
momentanĂ©ment, un rĂŽle de prĂȘteur en dernier ressort â le fonctionnement de lâActe de Peel sera Ă plusieurs
reprises allĂ©gĂ©, sans pour autant que la suspension de la convertibilitĂ©-or survienne â ; de mĂȘme, la BS
envisagera la possibilitĂ© de suspendre la convertibilitĂ©-or, un temps durant. Nonobstant, il nâest jamais envisagĂ©
par les protagonistes de lâun et lâautre courant que la Banque puisse devenir active au sens de modifier le cours
de lâĂ©conomie rĂ©elle ; la monnaie y est vue comme accompagnant, ni plus ni moins, lâĂ©conomie rĂ©elle. De ce
point de vue les Currency et Banking Schools annoncent les Modernes adeptes de la neutralité de la monnaie,
Friedman, Lucas et Hayek en particulier.
Sâil sâagit donc bien dâune vision de la Banque comme Ă©tant une Banque des banques, c'est-Ă -dire une
banque responsable de la liquiditĂ© du systĂšme bancaire, currencistes et bankistes nâaccordent pas Ă la BoE le
pouvoir de devenir la Banque de lâĂ©conomie. Et ce, dâaprĂšs nous, pour deux raisons principales : 1) leurs
2
Thornton va notamment recommander une approche libĂ©rale du prĂȘt en temps de crise qui reposerait sur la sĂ©curisation des prĂȘts par
lâobligation de prĂ©sence de collatĂ©raux. Il avait par ailleurs dĂ©jĂ identifiĂ© le risque de « moral hazard » mais considĂ©rait quâune approche
équilibrée assurerait un compromis entre ce dernier et le risque de contagion. Parfois décrit comme le pÚre du « modern banking », Joseph
Schumpeter dira de son Paper credit (1802) quâil en demeure la Magna Carta.
3
Ci-aprÚs dénommée « CS ».
4
Ci-aprÚs dénommée « BS ».
5
Ci-aprÚs dénommée « BoE » pour Bank of England ou « Banque ».
3
analyses monétaires prennent une dimension dichotomique, au-delà parfois de certaines apparences, ce qui
signifie que le principe dichotomique sâimpose au travers une acception quantitative des besoins dâencaisses,
entendue au sens de la juste quantitĂ© dâencaisses Ă offrir, celle-lĂ mĂȘme qui garantit la dichotomie sur le long
terme ; 2) la monnaie est donc analysée comme un bien éminemment neutre et les rÚgles de son émission vont
ĂȘtre pensĂ©es en ce sens. Nous allons voir, ci-aprĂšs, en quoi le currency et le banking principles peuvent ĂȘtre
assimilés à deux rÚgles de gestion dichotomiques de la monnaie (1) ; nous serons alors amenés à nous interroger
sur la cohĂ©rence de ces principes au regard des objectifs quâils se sont fixĂ©s (2) ; enfin, nous mettrons en
perspective analytique, autour des concepts dâoffre exogĂšne et endogĂšne de monnaie, lâĂ©chec supposĂ© des
Currency et Banking Schools Ă garantir une offre de monnaie quâils auraient voulu sans intervention nĂ©cessaire
dâun quelconque prĂȘteur en dernier ressort (3).
1.
Deux rĂšgles de gestion dichotomiques qui sâaffirment : le currency et le banking principles
Câest autour dâune crainte partagĂ©e, celle de dĂ©sajustements monĂ©taires qui contrarieraient la stabilitĂ© de
lâĂ©conomie rĂ©elle (1.1), dâune grille de lecture des traitements dichotomiques et quantitatifs de lâoffre de
monnaie (1.2) et dâune convergence des deux principes vers la neutralitĂ© postulĂ©e (1.3) que currencistes et
bankistes semblent pouvoir ĂȘtre rassemblĂ©s.
1.1 Une crainte partagée : celle de désajustements monétaires qui contrarieraient la stabilité de
lâĂ©conomie rĂ©elle
Selon la CS, la monnaie ne peut ĂȘtre constituĂ©e que dâor et de billets convertibles, dont la quantitĂ© en
circulation doit reflĂ©ter les variations du stock dâor Ă disposition. Si lâon ajoute Ă cela que la vitesse de
circulation des dépÎts et des traites est faible, le crédit tient, aux yeux des partisans de la CS, une place modérée.
En rĂ©sumĂ©, les prix dĂ©pendent des dĂ©penses ; et les dĂ©penses sont influencĂ©es par le volume des piĂšces dâor, des
billets de la BoE et des banques provinciales. Lâor et les billets constituent, en termes contemporains, la « base
monétaire » : ils sont la contrainte supérieure de liquidité du systÚme bancaire. En contrÎlant les billets BoE,
supputent les currencistes, on contrÎle la liquidité au sens large puisque les institutions de crédit doivent avoir
recours à la monnaie légale pour faire face aux retraits en période de crise. Il est préconisé une contraction de la
base monĂ©taire dĂšs que les deux indicateurs que sont le premium sur lâor et les prix augmentent. Ceci servira de
base Ă lâActe de Peel en 1844, lequel visera, en effet, Ă limiter les possibilitĂ©s dâĂ©mission Ă dĂ©couvert Ă un
montant au-delĂ duquel lâĂ©mission de billets ne peut se faire que contre remise dâor. DĂ©jĂ
6
, en 1833, avaient été
abrogĂ©s les textes qui empĂȘchaient la BoE dâaugmenter son taux dâescompte. Cependant, cette derniĂšre, nâavait
pas saisi cette opportunitĂ© pour rĂ©guler son crĂ©dit, inconsciente dâĂȘtre la « Banque des banques ». Elle avait
nĂ©anmoins introduit la « RĂšgle de Palmer » qui visait Ă limiter lâĂ©mission des billets et des dĂ©pĂŽts de telle sorte
que seul un accroissement des réserves en or permettait une augmentation des billets en circulation. Le débat
sâoriente alors, Ă partir de 1840, sur lâorganisation de la Banque elle-mĂȘme de maniĂšre Ă assoir le principe de
rĂ©gulation de lâĂ©mission des billets. Le Bank Charter Act de 1844, ou Acte de Peel, qui divise la Banque en deux
départements, calque la circulation monétaire sur la circulation métallique, conformément aux recommandations
de Ricardo. Mais, cette fois, lâor est considĂ©rĂ© comme monnaie et non plus comme simple indicateur de prix, et il
doit exister une relation stricte entre le métal et la monnaie bancaire. La BoE ne peut plus émettre de billets de
maniĂšre discrĂ©tionnaire, lâĂ©mission de billets dĂ©pend de la volontĂ© du public de les dĂ©tenir et des Ă©quilibres
extérieurs.
Cette réforme est critiquée par les tenants de la BS, et par Tooke en particulier. Tooke perçoit en effet
clairement, suivant en cela Cantillon, comment un billet de banque peut se transformer en papier monnaie et
augurer de dĂ©rapages inflationnistes. Or, avec lâActe de Peel, seule lâĂ©mission de billets est rĂ©glementĂ©e alors
quâil faudrait aussi contrĂŽler lâĂ©mission de dĂ©pĂŽts. Pour la BS, le niveau gĂ©nĂ©ral des prix dĂ©pend du volume des
dĂ©penses, lui-mĂȘme fonction du revenu des consommateurs. Lâencours de crĂ©dits est, quant Ă lui, dĂ©terminĂ© par
le niveau des prix et, plus généralement, par le niveau de la demande globale de biens et services des
consommateurs finaux. Leur explication des crises est dĂšs lors diffĂ©rente. En pĂ©riode dâexpansion, les achats
sont essentiellement financĂ©s par une progression des crĂ©dits. Il sâensuit quâune contraction de la quantitĂ© de
6
Nous empruntons plusieurs des éléments de ce paragraphe et du suivant à Diatkine (1995, pp. 31 et suivantes).
4
monnaie ne peut seule freiner la surchauffe de lâĂ©conomie puisque les effets de commerce restent les principaux
moyens de financement utilisĂ©s. Il faut donc un double contrĂŽle : lâun portant sur la monnaie ; lâautre sur le
crĂ©dit. A lâexplication des crises par un abus de billets, Tooke et Pennington
7
substituent une explication basée
sur les abus du crĂ©dit en gĂ©nĂ©ral. Les banques, par consĂ©quent, y compris lorsquâelles ne crĂ©ent pas de nouveaux
billets, sont en mesure de crĂ©er des moyens dâĂ©change sous la forme de dĂ©pĂŽts de chĂšque par le biais de
nouveaux crédits. Crédits et monnaie participent à la circulation : en langage moderne, la masse monétaire ne
sâidentifie plus Ă la base monĂ©taire ; il faut donc surveiller Ă la fois la quantitĂ© de monnaie au sens strict et la
quantitĂ© de ce que lâon dĂ©nommerait aujourdâhui la quasi-monnaie.
Finalement, les analyses en termes de billets et dâabus de crĂ©dits ont en commun la crainte de
dĂ©sajustements monĂ©taires qui contrarieraient la stabilitĂ© de lâĂ©conomie rĂ©elle. Si elles augurent in fine de deux
traditions â les inquiets de lâinflation, les currencistes, et les prĂ©occupĂ©s de la dĂ©flation, les bankistes â, elles
vont converger dans leur recommandation dâun traitement dichotomique et quantitatif de lâoffre de monnaie pour
éviter les désordres monétaires, traitements qui, certes, prendront des formes différentes, ce que nous allons
maintenant examiner.
1.2 Une grille de lecture des traitements dichotomiques et quantitatifs de lâoffre de monnaie
Nous pensons quâun lien se dessine depuis plus de deux cents ans entre dichotomie, neutralitĂ© et analyse
quantitative. LâĂ©tude des auteurs quantitativistes modernes, de Friedman Ă Lucas et Hayek
8
, montre que la
dichotomie augurerait de deux formes possibles de neutralité : la neutralité postulée et la neutralité objectivée,
lesquelles conduiraient à deux versions de la théorie quantitative. On rencontre ainsi, chez Friedman : neutralité,
équilibre de long terme et déséquilibre de court terme ; chez Lucas, neutralité et équilibre de long comme de
court terme ; chez Hayek, neutralitĂ© (dĂ©sirĂ©e) et dĂ©sĂ©quilibre permanent. Cependant, rien ne garantit, pour lâun
comme pour lâautre de ces auteurs, que la monnaie soit en permanence neutre. Chez Friedman, la raison en
incombe Ă la nature adaptative des anticipations ; chez Lucas, Ă lâoccurrence possible de chocs alĂ©atoires par
nature non anticipables ; enfin, chez Hayek, câest la nature mĂȘme du systĂšme, centralisateur et rĂ©galien, qui est
en cause. Ces auteurs ont en commun de dĂ©sirer, pour lâĂ©conomie, la « juste » quantitĂ© dâencaisses. La
dichotomie relĂšve alors dâune analyse normative ; lâĂ©conomie doit ĂȘtre dichotomique si lâon veut atteindre la
cohĂ©rence du systĂšme productif. La dichotomie, câest aussi le dĂ©nominateur commun qui nous autorise Ă
rassembler des auteurs que lâon a lâhabitude de situer dans des courants divergents voire opposĂ©s : les
currencistes et les bankistes. La dichotomie relĂšve dâune analyse normative : lâĂ©conomie doit ĂȘtre dichotomique
si lâon veut atteindre la cohĂ©rence du systĂšme productif. Pour autant, ce point de vue normatif ne prĂ©juge pas de
la position relative à la neutralité de la monnaie. Les deux acceptions que nous identifions pour la neutralité vont
offrir une grille de lecture possible de ce que des rÚgles différentes de gestion dichotomique des encaisses et des
institutions aient pu ĂȘtre proposĂ©es sous la forme des currency et banking principles.
LâĂ©tude des modernes nous enseigne, en effet, que la neutralitĂ© nâest pas perçue dâune maniĂšre
identique selon quâelle signifie un retour automatique Ă lâĂ©quilibre de long terme, quelle que soit la politique
monĂ©taire pratiquĂ©e â dans lâabsolu, celle-ci devient en fait inutile â ou selon quâelle reste un idĂ©al Ă atteindre.
Dans le premier cas, nous parlerons de « neutralité postulée » et, dans le second cas, de « neutralité objectivée ».
Nous proposons alors de considĂ©rer que la thĂ©orie quantitative « est », et la neutralitĂ© alors postulĂ©e, sâil est
considĂ©rĂ© que la monnaie peut-ĂȘtre gĂ©rĂ©e de maniĂšre centralisĂ©e. Et que la thĂ©orie quantitative de la monnaie
« doit ĂȘtre », ce qui fait rĂ©fĂ©rence Ă une neutralitĂ© « objectivĂ©e », en lâabsence de Banque Centrale. En rĂ©sumĂ©,
une thĂ©orie de la « bonne » quantitĂ© dâencaisses au sens dichotomique peut correspondre Ă une forme dâoffre
avec ou sans Banque Centrale
9
. Ce qui contribue à mettre en exergue une dualité analytique complémentaire :
celle des processus adĂ©quats dâoffre de monnaie et de leur optimalitĂ© en termes de stabilitĂ©. Nous parlerons
dâoptimalitĂ© de premier rang lorsque la stabilitĂ© atteinte fait des variations des prix en monnaie lâexpression des
seuls prix relatifs. Il sâagit alors de « stabilitĂ© monĂ©taire ». A lâinverse, la « stabilitĂ© des prix », qui Ă©voque
lâabsence de fluctuations du niveau gĂ©nĂ©ral des prix, nâassure quâun optimum de second rang au regard des
7
Tooke (1829, 1838 et 1840) et Pennington in Tooke (1838).
8
Sur cette question, voir Kontzler (2005).
9
DâaprĂšs Kontzler (1996).
5
objectifs finaux de dichotomie et de neutralité en ce que la stabilité du niveau général des prix masque les
variations de prix relatifs.
Penser la neutralitĂ© de la monnaie en termes de stabilitĂ© monĂ©taire, câest garantir la flexibilitĂ© de lâoffre
de monnaie de sorte que les mouvements des prix en monnaie dupliquent les variations de productivité. Evoquer
la stabilitĂ© des prix, câest, plus simplement, assoir la crĂ©dibilitĂ© des autoritĂ©s monĂ©taires. Nous verrons alors que
cette crĂ©dibilitĂ© ne peut impliquer, pour une Banque Centrale, dâintervenir comme un prĂȘteur en dernier ressort
« dĂ©stabilisateur », c'est-Ă -dire dâutiliser la monnaie afin dâinterfĂ©rer avec le fonctionnement naturel, spontanĂ©,
de lâĂ©conomie rĂ©elle. La typologie correcte pourrait ĂȘtre : 1) Ă©quilibre macroĂ©conomique, Banque Centrale,
neutralité postulée et stabilité des prix (Friedman et Lucas) ; 2) déséquilibre micro-économique, neutralité
objectivĂ©e, banques libres et stabilitĂ© monĂ©taire. Les tentatives croisĂ©es semblent ĂȘtre vouĂ©es Ă lâĂ©chec. Ce sera
le cas des currency et banking principles, ce qui expliquerait quâĂ un moment donnĂ© ces principles ont pu
amener les protagonistes au dĂ©bat Ă concevoir que la BoE soit dans lâobligation de se comporter comme un
prĂȘteur en dernier ressort. Toutefois, cette intervention devait, toujours, permettre le rĂ©tablissement des rĂšgles
dâĂ©mission que nous qualifions de neutres. Nous allons, ci-aprĂšs, appliquer notre grille de lecture aux Classiques,
puis discuter de la place donnĂ©e, dans ce cadre, Ă la Banque Centrale et Ă la fonction de prĂȘteur en dernier
ressort.
1.3 Une convergence des deux principes vers la neutralité postulée
Selon les currencistes, les sorties dâor sont la consĂ©quence de mouvements internes des prix en
monnaie: il sâagit, en fait, dâune analyse de la balance des paiements sous la forme dâun price specie flow
mechanism dĂ©jĂ dĂ©crit par Hume en 1752. A lâinverse, la BS interprĂšte les mouvements de la balance des
paiements comme la conséquence de chocs réels, puisque la Loi du Reflux
10
qui prévaut sur le plan interne
garantit lâĂ©quilibre monĂ©taire interne. Nous avons ici une analyse a-monĂ©taire de la balance des paiements.
La rÚgle de rééquilibrage automatique présente cependant une faiblesse : la mise à niveau du niveau
gĂ©nĂ©ral des prix tout comme le rĂ©tablissement de la paritĂ©-or prend du temps. La monnaie ne peut ĂȘtre neutre sur
le court terme. Il devient dĂšs lors optimal, pour les currencistes, dâĂ©viter lâoccurrence des chocs. Le cadre
international de la théorie quantitative des currencistes pose le raisonnement suivant : puisque la base monétaire
internationale, le stock dâor, et donc le niveau gĂ©nĂ©ral des prix sont dĂ©terminĂ©s au plan mondial, assurer la
stabilitĂ© interne des prix en monnaie revient Ă dĂ©finir les moyens de rĂ©guler la base monĂ©taire intĂ©rieure. DâoĂč le
choix des currencistes de gĂ©rer la quantitĂ© de billets en circulation de telle sorte quâelle soit en phase un pour
un
11
â il sâagit dâune simple substitution â avec le stock dâor dĂ©tenu par la BoE lequel peut lĂ©gitimement fluctuer
avec les découvertes de minerais et les mouvements du commerce international. La stabilité au sens de stabilité
des prix serait alors garantie, ce dont lâabsence dâun quelconque premium sur lâor rendrait compte.
Certes, pour la BS comme pour la CS, le niveau général des prix est déterminé, lorsque la convertibilité-
or prévaut, par le coût de production du métal, comme le souligne Laidler (1991). Mais si cet équilibre est
rompu, il faut, pour les bankistes, en rechercher la cause du cÎté des chocs réels. En effet, la théorie monétaire
des bankistes prĂ©tend que, sur le plan interne, lâĂ©quilibre est automatiquement assurĂ© par le mĂ©canisme spontanĂ©
de la Loi du Reflux, dans une tradition qui remonte à la théorie des effets réels de Smith (1776)
12
. Ainsi, toute
crĂ©ation excessive dâinstruments de crĂ©dits, notamment, ne rĂ©sisterait pas au processus concurrentiel induit par
cette loi, mĂȘme si des cycles haussiers ou baissiers peuvent momentanĂ©ment se produire, expression de phases
naturelles dâadaptation de lâoffre de monnaie Ă la demande de monnaie.
10
Plusieurs versions de la Loi du Reflux ont Ă©tĂ© utilisĂ©es. Nous retenons celle que nous baptisons « forme forte », oĂč la Loi signifie que les
billets surémis reviennent immédiatement aux guichets des banques sous forme de demande de remboursement. Cette version nécessite la
convertibilité. On peut aussi comprendre la Loi du Reflux comme stipulant que les billets en surnombre retourneront à leurs émetteurs sous
forme de demande de remboursements dâemprunts, ou « forme faible ». Cependant, cette seconde version, qui nâimplique pas la
convertibilitĂ©, rend trĂšs improbable la garantie dâune non-surĂ©mission monĂ©taire, tout particuliĂšrement dans le cas oĂč lâon aurait Ă faire face Ă
du crédit fictif.
11
Une fois les réserves « obligatoires » gelées.
12
Pour une analyse comparative de la Real Bills Doctrine et de la Loi du Reflux, on peut notamment se reporter Ă Skaggs (1991).
6
Tout semble indiquer que bankistes et currencistes sont les adeptes dâune approche « postulĂ©e » de la
neutralitĂ©. En effet, pour les premiers, le principe mĂȘme de convertibilitĂ© et son corollaire, la Loi du Reflux,
assure que la quantité de monnaie offerte peut réponde de maniÚre optimale à la demande de monnaie. Ainsi,
puisque la convertibilité associée à la Loi du Reflux est considérée par les bankistes comme une combinaison
nĂ©cessaire et suffisante pour que la quantitĂ© dâencaisses offerte soit la bonne et lâĂ©quilibre macroĂ©conomique, ce
faisant, rĂ©alisĂ©, la neutralitĂ© sây rĂ©vĂšle postulĂ©e. De mĂȘme, pour les currencistes, le principe humien du price
specie flow mechanism associĂ© Ă une rĂšgle monĂ©taire qui supprimerait lâoccurrence de dĂ©sajustements y compris
de court terme instaure un cadre dâĂ©quilibre a priori permanent. On est, lĂ encore, dans un cas de neutralitĂ©
postulĂ©e. Pour lâune ou lâautre de ces Ecoles, la BoE a un rĂŽle central Ă jouer, bien que diffĂ©rent. Câest la Banque
des banques donc la crĂ©dibilitĂ© comportementale assure en dernier ressort le fonctionnement du systĂšme â rĂšgle
dâĂ©mission pour le currency principle ; convertibilitĂ© pour le banking principle â.
Cette appréhension partagée par les currencistes et les bankistes de la neutralité comme postulée trouve-
t-elle une traduction identique en termes de stabilitĂ© ? La dĂ©marche des currencistes ne laisse pas dâĂ©voquer un
objectif de stabilité du niveau général des prix, dans une tradition ricardienne, Pour les bankistes, les variations
du niveau gĂ©nĂ©ral des prix nâĂ©tant que le reflet de chocs purement rĂ©els, leur systĂšme nâest pas sans rappeler
celui de banques libres et évoque un objectif de stabilité monétaire au sens de la norme de productivité. La
typologie propre aux auteurs classiques pris ici en considération serait donc : équilibre macroéconomique pour
tous, prĂ©sence dâune Banque Centrale dont la crĂ©dibilitĂ© comportementale assure en dernier ressort le
fonctionnement du systÚme, neutralité postulée et stabilité des prix (currencistes) ou monétaire (bankistes).
Cependant, cette typologie diffÚre de celle que nous avons, sur la base de nos hypothÚses, précédemment
dĂ©terminĂ©e et semble, a priori, non cohĂ©rente. Câest en fait la question de la pertinence des systĂšmes dâoffre avec
les objectifs de dichotomie, neutralitĂ© et stabilitĂ© affichĂ©s qui est ici sous-jacente. Si la pertinence nâest pas
totale, alors les systĂšmes pourront dysfonctionner et leurs auteurs aller jusquâĂ demander Ă la BoE de jouer un
rĂŽle de prĂȘteur en dernier ressort. Pour autant, cette demande, les systĂšmes ont Ă©tĂ© conçus pour quâelle ne soit
pas. Elle est, a contrario, le signe de ce quâils ne fonctionnent pas optimalement, c'est-Ă -dire du point de vue des
catégories de neutralité envisagées, ce que nous allons maintenant examiner.
2.
La cohérence des currency et banking principles en question
Rist (1938) opĂšre une distinction entre le billet de banque et le papier monnaie. Lâun, explique-t-il,
prĂ©vaut en rĂ©gime de convertibilitĂ© et lâautre dâinconvertibilitĂ©-or. Le premier ne peut ĂȘtre Ă©mis en surnombre, le
second lâest en quelque sorte « par nature ». On pourrait aller plus loin et proposer la distinction suivante : 1) le
billet de banque émis dans un régime avec Banque Centrale, 2) le billet de banque émis en concurrence, 3) le
papier monnaie émis dans un régime avec Banque Centrale et 4) le papier monnaie émis en concurrence. La CS
comme la BS sont des adeptes de la premiÚre catégorie de billets. Les catégories 2 et 4 ne prévalent pas au 19
Ăšme
siĂšcle. Ce sont encore, Ă ce jour, des cas de figures thĂ©oriques, mĂȘme si on a cru sâen approcher dans la rĂ©alitĂ©.
Quâen est-il de la troisiĂšme catĂ©gorie ? Câest, pensons-nous, celle Ă laquelle conduisent implicitement les
currency et banking principles et qui justifierait alors que la BoE soit contrainte Ă agir comme un prĂȘteur en
dernier ressort. Nous allons ci-aprĂšs expliciter en quoi peut consister lâimpasse du currency principle (2.1) puis
celle du banking principle (2.2), impasses qui suffiraient Ă mettre la BoE en position de prĂȘteur en dernier
ressort.
2.1 â Le « currency principle », lâimpasse dâune forme de contrĂŽle a priori
Ricardo fit remarquer dans son « Plan for the Establishment of a National Bank », publié en 1824
quelques temps aprĂšs sa mort, que la Banque dâAngleterre poursuivait en fait deux objectifs contradictoires ;
lâĂ©mission de papier-monnaie dâun cĂŽtĂ© ; lâoctroi de crĂ©dits de lâautre. Il offrit Ă la discussion une proposition
dâordre pratique : le droit dâĂ©mettre devait ĂȘtre transfĂ©rĂ© Ă une Banque Nationale, dont la seule fonction serait de
maintenir stable le prix de lâor par lâachat et la vente dâor contre billets, idĂ©e qui fut reprise un peu plus tard par
la CS. Une année avant Ricardo, en 1823, Joplin avait en outre formulé une proposition qui sera le cheval de
bataille de la CS : lâĂ©mission de billets doit ĂȘtre proportionnelle aux entrĂ©es et sorties dâor de la BoE. LâidĂ©e
dâune « loi du un contre un » associĂ©e Ă une rĂ©forme des institutions bancaires Ă©tait nĂ©e. Pourtant, lâAngleterre
7
connaĂźtra, chroniquement, lâabsence tant de stabilitĂ© monĂ©taire que de stabilitĂ© des prix. Câest que la loi du « un
contre un » nâoffrirait quâune illusion de contrĂŽle de la base monĂ©taire.
On lâa dit, la CS ne perçoit pas la multiplicitĂ© des formes de crĂ©dit. Les tenants de la CS, et parmi eux
Torrens, Lord Overstone, Palmer ou Norman, dans une tradition ricardienne, interprĂštent les nombreuses crises
qui surgissent en Angleterre pendant la premiÚre moitié du dix-neuviÚme siÚcle, y compris aprÚs le
rétablissement de la convertibilité-or en 1821, comme le résultat de la surémission de billets, de la part des
banques provinciales avant tout. Les currencistes vont alors chercher à limiter le pouvoir de création des banques
provinciales et les risques de surémission tant de ces derniÚres que de la BoE en instaurant une double relation de
stricte proportionnalitĂ© entre 1) une base monĂ©taire-or ou encaisse-or qui servirait dâancrage Ă une masse
monétaire-billets BoE; 2) une base-billets BoE qui servirait de repÚre à une masse-monétaire-billets banques
provinciales. La limitation de la base monĂ©taire est ainsi conçue de telle sorte que lâĂ©quivalent-or des billets BoE
soit stable.
LâActe de Peel vise Ă rĂ©organiser la Banque en deux dĂ©partements distincts
13
, lâun en charge de la
crĂ©ation des dĂ©pĂŽts (le Banking Department), lâautre en charge de la crĂ©ation des billets (lâIssue Department). La
double relation strictement proportionnelle entre une base-rĂ©serve et le stock de billets BoE crĂ©Ă©, dâune part, et
les billets BoE et les Ă©missions par les banques provinciales de leurs propres billets
14
, dâautre part, doit, de fait,
rĂ©guler selon une rĂšgle stricte les pouvoirs crĂ©atifs du dĂ©partement dâĂ©mission.
Cette vision des processus de création monétaire est par trop restrictive. En effet, si nous reprenons les
principes de lâActe de Peel, il ressort que : 1) la base-billets de la BoE ne fluctue quâavec la seule encaisse-or ou
base-or, la premiĂšre se substituant Ă la seconde ; 2) le niveau dâencaisses en billets BoE des banques provinciales
ne peut que suivre lâencaisse-or de la BoE; 3) une relation de proportionnalitĂ© stricte sâĂ©tablit entre la variation
de la quantitĂ© de billets mise en circulation par la BoE et le volume de rĂ©escompte opĂ©rĂ© par cette derniĂšre, dâune
part ; entre la variation de la quantité de billets mis en circulation par les banques provinciales et le volume
dâescompte opĂ©rĂ©, dâautre part. Les opĂ©rations dâescompte, dâeffets privĂ©s mais aussi de titres de la dette
publique, et de rĂ©escompte sont donc vues comme le moyen dâintroduire dans la circulation les billets de la BoE,
et non comme des opérations de crédit. Autrement dit, et en théorie toujours, dans un tel systÚme, il y a
possibilitĂ© de crĂ©ation ou de destruction monĂ©taire que si et seulement si lâencaisse-or fluctue et il nây a pas de
place pour la multiplication monétaire. Le multiplicateur de base monétaire est égal à un. De plus, le
multiplicateur entre le stock dâor et le stock de billets et de dĂ©pĂŽts de la Banque est constant. Une sortie dâor ne
peut avoir lieu que si et seulement si il y a tout dâabord une baisse de la valeur interne de la monnaie. A cela
sâajoute le price specie flow mechanism qui fait du Gold Standard une contrainte exogĂšne qui pĂšse sur lâoffre de
monnaie et assure un prix de lâor homogĂšne, exprimĂ© en monnaie domestique, pour tous les pays.
Le rĂŽle imparti Ă la convertibilitĂ© est finalement rĂ©duit Ă celui dâune garantie supplĂ©mentaire â
comprendre : nĂ©cessaire mais non suffisante â davantage dâordre psychologique ou traditionnel, ultime garde-fou
Ă tout dĂ©rapage. Ce nâest pas dâabord la garantie de convertibilitĂ© du billet de banque qui conserve Ă celui-ci une
valeur Ă©gale Ă celle de lâĂ©talon mĂ©tallique (exceptĂ© dans le long terme), mais la limitation de sa quantitĂ©
15
. Or,
celle-ci ne dĂ©pend pas de la Banque, qui ne peut avoir quâune attitude passive Ă son Ă©gard. Une telle conception
de lâoffre de monnaie confĂšre Ă la BoE un rĂŽle de Banque Centrale restreint Ă lâunique fonction de
« centralisation des rĂ©serves ». Il nây a pas, a priori, de place pour un rĂŽle de prĂȘteur en dernier ressort puisque,
si chaque relation de proportionnalité est bien respectée, il est impossible pour le réseau des banques provinciales
dâengendrer de la crĂ©ation monĂ©taire. La monnaie nâest plus sujette Ă manipulation : les opĂ©rations dâescompte
ou de rĂ©escompte sont le moyen dâintroduire les billets de la BoE dans la circulation mais ne sont pas des
moyens de financement. Du moins les currencistes en sont-ils convaincus. Or, câest sans compter avec une
dĂ©finition fausse de la masse monĂ©taire et son corollaire, la non prise en compte dâun multiplicateur de crĂ©dits.
13
On trouve déjà cette idée chez Ricardo (1824). Pour une analyse des liens entre les développements en matiÚre monétaire et bancaire de
Ricardo et le currency principle, on se reportera Ă Boyer (1985), Deleplace (2007), Diatkine (1995, 2008), Hayek (1929 a et b) et Laidler
(1987, 1991).
14
Les banques provinciales verront, dans les faits, leur droit dâĂ©mission diminuer progressivement Ă partir de 1844 puis disparaĂźtre.
15
Lire Ă ce sujet Diatkine (1995).
8
Dâun point de vue thĂ©orique, institutionnel ou de pratique monĂ©taire, le systĂšme proposĂ© par la CS ne pourra
garantir la stabilité des prix et ce malgré le rÎle rééquilibrant du price specie flow mechanism.
Nous proposons de distinguer trois raisons majeures Ă lâinsuccĂšs, dans les faits, du currency principle.
En premier lieu, les autoritĂ©s nâont cherchĂ© Ă contrĂŽler que les seuls billets de la Banque
16
. En deuxiĂšme lieu,
lâimpossibilitĂ© postulĂ©e pour le Banking Department et pour les banques provinciales de crĂ©er de la monnaie au-
delĂ de ce qui Ă©tait autorisĂ© a conduit les currencistes Ă ne pas voir en quoi « les dĂ©pĂŽts font les prĂȘts et les prĂȘts
font les dĂ©pĂŽts ». En troisiĂšme lieu, parce que rien nâavait Ă©tĂ© dit sur la maniĂšre dont le Banking Department Ă©tait
censĂ© gĂ©rer ses affaires, il a agi comme un maximisateur de profit et, dĂšs lâActe Ă©tabli, baissĂ© son taux
dâescompte en-dessous de celui du marchĂ© de maniĂšre Ă pouvoir entrer en concurrence avec les autres banques
en une époque de prospérité. Ces trois causes réunies ont eu pour effet quasi-immédiat une progression du crédit
et des prix des marchandises. La BoE a rĂ©agi, de fait, en accroissant fortement son taux dâescompte. Sâen est
suivie une diminution massive du crédit accordé et la panique des déposants qui craignaient que la convertibilité-
or des billets ne soit suspendue. En consĂ©quence de quoi la Banque a finalement autorisĂ© lâĂ©mission de billets au-
delĂ du maximum fixĂ© par la loi de 1844 en sâappuyant pour ce faire non sur une suspension de convertibilitĂ©
mais sur lâescompte accru de titres de lâEtat. La fonction de prĂȘteur en dernier ressort sâest imposĂ©e, sans
toutefois conduire jusquâĂ une suspension de la convertibilitĂ©. Pour ce faire, la Banque des banques a eu besoin
de la complicitĂ© de la dette publique quâelle a monĂ©tisĂ©e.
Le pouvoir de création monétaire des banques provinciales, limité en 1844, puis progressivement
diminuĂ© nâĂ©tait pas une solution efficiente. Si Ricardo puis la CS ont ĆuvrĂ© pour que le second Ă©tage de la
pyramide, c'est-Ă -dire les banques provinciales, soit supprimĂ©, câest quâils estimaient, Ă tort, que la surĂ©mission
Ă©tait principalement de son fait. Or, la surĂ©mission peut aussi bien ĂȘtre lâĆuvre dâune Banque Centrale qui aurait
le monopole de lâĂ©mission des billets, que ces derniers soient convertibles ou non
17
. Une telle assurance invoque
un risque de hasard moral : les banques commerciales, de mĂȘme que le Banking Department, se pensant couverts
par la Banque des conséquences de leurs propres erreurs de jugement sont enclines à adopter des stratégies
risquées voire à se comporter en passager clandestin. La Banque apparaßt bien de ce fait comme la Banque des
banques, avec une promesse de crĂ©dibilitĂ© Ă la clĂ©. En lâabsence dâun systĂšme dâĂ©mission cohĂ©rent, ce rĂŽle
lâamĂšne tĂŽt ou tard et nĂ©cessairement Ă devoir ĂȘtre un prĂȘteur en dernier ressort, en rĂ©ponse Ă ses propres erreurs
dâanalyse, ce qui alors Ă©loigne la Banque de ses objectifs de dichotomie, de monnaie neutre et de stabilitĂ© des
prix. Le currency principle, ce sera donc lâĂ©chec dâune forme de contrĂŽle a priori.
2.2 â Le « banking principle », le conflit dâobjectifs dâune forme de contrĂŽle a posteriori
La faiblesse de la CS a avant tout concernĂ© les enjeux mĂȘmes de lâoffre de monnaie : la systĂ©matisation
ou la radicalisation du systĂšme dâoffre quâelle prĂŽne ne peut dĂ©boucher sur une gestion optimale de lâencaisse
monĂ©taire. Pour les bankistes, le systĂšme monĂ©taire tel que pensĂ© par les currencistes ne pouvait quâengendrer
des crises de liquidité ; pour y remédier, et sans pour autant rendre discrétionnaire la création monétaire, ils vont
alors dĂ©fendre un systĂšme basĂ© sur lâassociation convertibilitĂ© cum Loi du Reflux. Mais ceci suppose, pour
fonctionner, que la convertibilitĂ© soit rĂ©ellement appliquĂ©e ou, autrement dit, quâelle constitue une menace rĂ©elle.
Or, les responsabilités des banques, dont la BoE, nous allons le voir, sont asymétriques. Va en résulter un conflit
dâobjectifs auquel la BS nâaurait probablement pas Ă©chappĂ© si elle avait dĂ» mettre ses prĂ©ceptes en pratique.
Les bankistes vont mettre en avant la nécessité de contrÎler la masse monétaire définie au sens large, en
particulier par le biais du contrĂŽle des crĂ©dits bancaires. Pennington et Tooke, pour ne citer quâeux, comprennent
que les effets de commerce sont les principaux moyens de financement utilisĂ©s. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de contrĂŽler
monnaie et quasi-monnaie, selon une terminologie moderne. Lâacte de 1844 prĂ©conisait une rĂ©serve or Ă 100%
pour les billets. Les adeptes du banking principle vont sây opposer et montrer que 1) les flux et reflux dâor
nâaffectent pas le volume de la monnaie en circulation car celui-ci est rendu neutre par le jeu compensateur des
billets et des dépÎts et 2) la Real Bills Doctrine associée à la Loi du Reflux de Fullarton « devrait » conduire
16
Ainsi que Skaggs le note dans un commentaire à Fourçans et Kontzler (1996) : « Loyd, despite the misgivings of Torrens, maintained the
fiction that the ratio of deposits to notes would be approximatively constant ».
17
Goodhart (1987) a raison de dire que « Once the BoE started behaving in such a way with the Central Bank coming to represent the
ultimate source of liquidity and support to the individual commercial banks, ⊠(it) does bring with it naturally a degree of insurance. ».
9
automatiquement Ă ce que lâon appellerait aujourdâhui un Ă©quilibre monĂ©taire macroĂ©conomique optimal, au
sens de non inflationniste et non déflationniste. Nous introduisons la nuance du « devrait ». En effet, Tooke
(1844), en particulier, reconnaĂźt que ce sont les abus de toutes les formes de crĂ©dit quâil faut combattre et que
pour y remédier aucun mécanisme mécanique ou automatique ne saurait suffire. Autrement dit, pour rendre le
systĂšme encore plus fluide â on devrait peut-ĂȘtre Ă©crire plus adaptĂ© â et minorer les cycles financiers, Ă la Loi du
Reflux cum convertibilitĂ© il faut ajouter 1) lâusage du taux de lâescompte, 2) le renforcement de lâencaisse-or de
la BoE, 3) le pouvoir pour la Banque dâintervenir dĂšs que des variations dans les rĂ©serves en billets BoE des
banques provinciales et des variations dans les rĂ©serves de la BoE donnent le signal dâun reflux de billets â
banques provinciales et BoE â, que celui-ci ait dâailleurs pour origine un dĂ©sajustement de lâoffre Ă la demande
ou des spĂ©culations. Ainsi, thĂ©oriquement, la crainte des banques dâavoir Ă traiter des demandes massives de
convertibilitĂ© doit inciter le systĂšme bancaire dans son ensemble Ă se restreindre de lui-mĂȘme dans ses opĂ©rations
dâescompte, de rĂ©escompte et dâoctroi de crĂ©dits nouveaux.
La BS postule donc quâune Ă©mission « Ă la demande », concurrentielle et contrainte par un engagement
de convertibilité peut conduire à un équilibre monétaire compatible avec un équilibre réel, autrement dit à la
stabilitĂ© monĂ©taire. Ce point de vue sâinsĂ©rant, toutefois, dans le cadre nĂ©cessaire dâune autoritĂ© monĂ©taire
monopolistique, la BoE, qui conserve le privilĂšge dâĂ©mettre la monnaie lĂ©gale convertible. Le sommet de la
hiĂ©rarchie en termes de moyens de paiement est donc occupĂ© par lâor et non par le billet BoE. Si la Banque
refusait dâescompter, les banques provinciales verraient, afin de rembourser leurs dĂ©posants, leurs fonds propres
mis en péril via leurs réserves
18
, créant ainsi un risque de banqueroute généralisé. Smith, comme Thornton,
envisageait la possibilitĂ© pour les banques de pouvoir faire faillite. La question du « too big to fail » nâĂ©tait pas
posĂ©e. On peut imaginer quâil en est de mĂȘme pour Tooke. NĂ©anmoins, que se passerait-il sâil se prĂ©sentait une
crise généralisée de liquidité, laquelle mettrait en faillite, globalement, les secteurs économiques et bancaires ?
Le banking principle nâinduit-il pas alors un ajustement passif de la Banque aux engagements des banques? Si la
suspension de convertibilitĂ© est requise, le stock dâor fuira Ă lâĂ©tranger car le taux de change va se dĂ©prĂ©cier et on
paiera en or. Si à la place de la suspension de la convertibilité la BoE préfÚre réagir par une hausse des taux
dâintĂ©rĂȘt, les plus mauvais emprunteurs vont rester, comme le signalait dĂ©jĂ Smith, et les bons faire faillite.
Donc, tĂŽt ou tard, la suspension sâimposera, sauf Ă prendre le risque dâune illiquiditĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Et le banking
principle peut, à son tour, conduire à une confusion entre demande de monnaie et demande de crédits, mais cette
fois parce que le principal verrou dont il sâest dotĂ©, la convertibilitĂ©, ne peut fonctionner.
La faute en revient Ă ce que, dans une construction pyramidale, les niveaux dâinformation et
dâengagement sont asymĂ©triques. Deux niveaux dâasymĂ©trie informative sont identifiables : 1) entre les banques
et le public, et 2) entre la Banque et les banques. Les banques provinciales peuvent ainsi sur-escompter sans en
avoir lâintention, tout comme la BoE dâailleurs. Mais cette asymĂ©trie dâinformation se double dâune autre
asymétrie, liée cette fois à la nature des engagements souscrits. En effet, la BoE peut-elle prendre le risque de
faillites en chaĂźne avec leurs consĂ©quences sur lâĂ©conomie ? Il sâen suit que lâengagement moral rĂ©ciproque entre
le sommet de la pyramide (les banques provinciales) et sa base (la BoE) est inéquivalent : seuls les premiÚres
peuvent y déroger. Les banques sont, là encore, enclines à se comporter comme passagers clandestins en
émettant des billets non plus gagés sur des opérations réelles mais sur des dépÎts pas toujours stables et sur des
capitaux propres peu Ă©levĂ©s. La vitesse de circulation des billets BoE est alors vouĂ©e Ă augmenter et celle de lâor
à diminuer, rétablissant en cela la loi de Gresham. Pour autant, subsiste un hasard moral tant que les
responsabilités de la Banque ne sont pas clairement définies. Suspendra-t-elle ou non sa convertibilité ?
Autrement dit Ă qui, in fine, fera-t-on supporter lâĂ©chec ? Aux fauteurs de troubles, c'est-Ă -dire les « not too big
to fail » ? A lâĂ©conomie dans son ensemble ?
Câest le crĂ©dit et non la monnaie qui joue un rĂŽle central dans lâanalyse de la BS. Mais les bankistes ne
semblent pas considĂ©rer que la Banque pourrait ĂȘtre, de par la nature de ses engagements, Ă la source de
spĂ©culations. Les bankistes ne voient peut-ĂȘtre pas suffisamment que les crĂ©dits font les dĂ©pĂŽts et les dĂ©pĂŽts des
crĂ©dits, le tout pouvant faire lâobjet de retraits Ă la demande. On peut, dĂšs lors, parler de conflits dâobjectifs.
Ainsi, si la Banque craint la « sous liquiditĂ© » du systĂšme, lâeffet mal compris des multiplicateurs peut ĂȘtre tel
que la Banque soit, tĂŽt ou tard, obligĂ©e de suspendre la convertibilitĂ©. A contrario, si les autoritĂ©s sâengagent Ă
18
Sur cette question, voir Boyer des Roches (1998).
10
maintenir la convertibilitĂ©, une crise dâilliquiditĂ© pourrait se profiler. Au total, un systĂšme monĂ©taire agissant
dans le cadre dâun Gold Standard et rĂ©gulĂ© par une Loi du Reflux cum convertibilitĂ©-or, parce quâil nâĂ©vacue pas
lâĂ©ventualitĂ© dâun octroi excessif de crĂ©dits, nâest pas en mesure dâassurer une neutralitĂ© monĂ©taire de long
terme. Cette confusion entre multiplicateur monétaire et multiplicateur de crédits peut donc se traduire par des
objectifs contraires avec lâobjectif final de neutralitĂ© monĂ©taire entendu au sens de stabilitĂ© monĂ©taire, tout
comme dâailleurs de stabilitĂ© des prix. Dâun point de vue thĂ©orique, institutionnel ou de pratique monĂ©taire, le
systÚme proposé par la BS ne pourra garantir la stabilité monétaire et ce malgré le rÎle rééquilibrant de la Loi du
Reflux.
3.
Un cadre thĂ©orique, de politique Ă©conomique et institutionnel non compatible avec lâobjectif de
neutralité à atteindre
Nous avons fait lâhypothĂšse que currencistes et bankistes ont partagĂ©, en matiĂšre monĂ©taire, lâobjectif
dâun systĂšme monĂ©taire « neutre » au sens de « dichotomique ». Nous avons dĂ©fini la neutralitĂ© comme
recouvrant deux natures. Nous en avons conclu que ces deux Ecoles partageaient une volonté de réguler les
émissions de monnaie de telle sorte à sursoir à toute crise de sur- ou sous-liquidité. Si ces Ecoles se sont
appuyées sur une Banque des banques, elles ont tout fait également pour en limiter le rÎle déstabilisateur. Mieux,
le rĂŽle identifiĂ© pour une telle Banque fut justement de satisfaire Ă lâobjectif de la « juste quantitĂ© dâencaisses Ă
Ă©mettre », au sens « quantitatif et dichotomique ». Pour autant, ces mĂȘmes Ecoles en sont venues, Ă leur corps
dĂ©fendant en quelque sorte, Ă envisager la nĂ©cessitĂ© pour cette Banque des banques dâintervenir comme prĂȘteur
en dernier ressort. Pourquoi en sont-elles arrivĂ©es lĂ ? En quoi leur cadre respectif dâanalyse global, Ă savoir
thĂ©orique, politique (au sens de politique Ă mettre en Ćuvre) et institutionnel nâa-t-il pu ĂȘtre compatible avec
lâobjectif Ă atteindre ?
Pour analyser les processus dâoffre de monnaie, les politiques et les institutions affĂ©rentes, nous allons
nous appuyer sur les concepts de stocks de monnaie endogÚne et exogÚne en suggérant toutefois de différencier
lâendogĂ©nĂ©itĂ© et lâexogĂ©nĂ©itĂ© dans un double contexte
19
: celui du modĂšle tout dâabord ; celui de la politique et
des institutions ensuite (3.1). Nous proposerons ensuite un rĂ©sumĂ© comparatif des statuts de lâoffre de monnaie
selon les Ecoles qui nous permettra de conclure à leur incohérence au regard des objectifs souhaités (3.2).
3.1
â La terminologie proposĂ©e
Nous considĂ©rerons que la quantitĂ© de monnaie en circulation est exogĂšne tant quâelle ne dĂ©pend
dâaucune des variables endogĂšnes du systĂšme Ă©conomique. Le caractĂšre endogĂšne de la monnaie implique, quant
à lui, que la causalité va aussi bien des variables du secteur monétaire vers le stock de monnaie que du stock de
monnaie vers des variables du secteur non-monĂ©taire. Plus prĂ©cisĂ©ment, nous parlerons dâ « endogĂ©nĂ©itĂ© forte »
si les variables du secteur non-monĂ©taire affectent le stock de monnaie alors que ce dernier nâinfluence pas le
secteur rĂ©el, i.e. la production ; et dâ « endogĂ©nĂ©itĂ© faible » lorsquâil y a des effets de feedback entre les secteurs
monĂ©taire et non-monĂ©taire. Finalement, nous dĂ©finirons lâ « exogĂ©nĂ©itĂ© faible » comme une situation oĂč le
stock de monnaie ne dĂ©pend pas des variables endogĂšnes au systĂšme mais seulement dâoutils exogĂšnes de
politique (comme le taux dâintervention de la Banque Centrale ou les rĂ©serves obligatoires) ou de
caractéristiques institutionnelles
(
telles les rĂ©serves dâor ou le rĂ©escompte de traites « rĂ©elles »). Quant Ă
lâ « exogĂ©nĂ©itĂ© forte », elle renvoie au lĂ©gendaire hĂ©licoptĂšre. Cependant, notre propos se complique dans la
mesure oĂč les concepts dâendogĂ©nĂ©itĂ© et dâexogĂ©nĂ©itĂ© sont Ă©galement souvent utilisĂ©s au sein dâun contexte de
politiques et de cadres institutionnels. La question de lâendogĂ©nĂ©itĂ© / exogĂ©nĂ©itĂ© est ainsi souvent liĂ©e Ă celle du
contrÎle de la monnaie via les outils de politique monétaire ou le systÚme institutionnel en place. La monnaie est
alors considĂ©rĂ©e comme endogĂšne si elle ne peut ĂȘtre contrĂŽlĂ©e par les autoritĂ©s monĂ©taires (la Banque Centrale
en gĂ©nĂ©ral) ; elle prend le label dâexogĂšne lorsque la Banque Centrale peut contrĂŽler lâĂ©volution du stock de
monnaie dans le temps ou si le cadre institutionnel permet que le stock de monnaie soit régulé de maniÚre
optimale. Cette question peut Ă©galement ĂȘtre examinĂ©e dans le cadre de terminologie que nous venons de
suggérer.
19
DâaprĂšs Fourçans et Kontzler (1996) et Kontzler (2005).
11
Si le stock de monnaie (M) est (fortement) exogĂšne dans le contexte du modĂšle et si, en outre, nous
supposons que ce modĂšle est lâexpression du point de vue des autoritĂ©s, explicitement ou implicitement, M est
également exogÚne du point de vue de son contrÎle. Nous dirons que « M est (fortement) exogÚne-exogÚne ». Si
le stock de monnaie est (faiblement) exogÚne dans le contexte du modÚle, les autorités ont les moyens de
contrÎler M puisque cette derniÚre ne dépend que des outils de politique monétaire ou de caractéristiques
spĂ©cifiques du cadre institutionnel. Dans le contexte de politique ou institutionnel, M peut Ă©galement ĂȘtre
considéré comme exogÚne. Nous dirons que « M est (faiblement) exogÚne-exogÚne ».
Maintenant, si M est (faiblement) ou (fortement) endogĂšne au modĂšle, deux possibilitĂ©s sâoffrent au
sein du cadre politique et institutionnel. PremiĂšrement, M est incontrĂŽlable, i.e. les autoritĂ©s nâont pas les outils
adéquats (ou bien, pour une quelconque raison, ne les utilisent pas ou ne peuvent les utiliser) ou ne possÚdent pas
la structure institutionnelle idoine pour compenser lâimpact sur la monnaie des variables endogĂšnes. La monnaie
est, par conséquent, endogÚne au contexte politique ou institutionnel. Nous dirons que, in fine, « M est
(faiblement) ou (fortement) endogĂšne-endogĂšne ». Le second cas est celui oĂč la Banque Centrale a le pouvoir
dâutiliser des outils de politique monĂ©taire ou de mettre en place un systĂšme institutionnel dans le but dâatteindre
lâobjectif monĂ©taire, et ce quel que soit le comportement de la production, des prix ou du taux dâintĂ©rĂȘt. M est
alors exogĂšne dans le contexte de politique et institutionnel. Dans lâensemble, nous dirons que le stock de
monnaie « M est (faiblement) ou (fortement) endogÚne-exogÚne
20
».
3.2
â La comparaison des statuts de lâoffre de monnaie selon la Currency et la Banking Schools
Sur la base de cette terminologie, nous pouvons examiner les diffĂ©rents processus dâoffre tels que
chaque Ecole a cru les Ă©laborer et tels quâils nous apparaissent ensuite. Les currencistes vont aller jusquâĂ
prĂ©tendre contourner la pratique de toute politique macro-monĂ©taire. La monnaie nâest thĂ©oriquement sujette Ă
aucune manipulation volontaire de la part de la Banque Centrale. Mais les faits plaident en défaveur des
apparences : la politique du coefficient fixe jointe Ă une perception erronĂ©e des mĂ©canismes dâoffre de monnaie
et de dĂ©finition de la monnaie ont dĂ©bouchĂ© sans conteste sur des risques dâilliquiditĂ©. Aussi bien sur le plan
thĂ©orique quâen termes de politique et dâinstitutions, le systĂšme mis en avant par la CS ne pouvait assurer ka
stabilitĂ© des prix en monnaie. Il est par consĂ©quent clair que les autoritĂ©s ne sont pas parvenues Ă rendre lâoffre
de monnaie exogĂšne Ă la politique et aux institutions mais, Ă lâinverse, endogĂšne Ă ce contexte. La monnaie, chez
les currencistes, fut, selon notre terminologie, « (fortement) endogÚne-endogÚne » alors que voulue « (fortement)
exogÚne-exogÚne ».
Les bankistes dĂ©fendent un systĂšme oĂč convertibilitĂ© et Loi du Reflux sont couplĂ©es. Ici le stock de
monnaie est endogĂšne dans le cadre du modĂšle. A long terme, il est (fortement) endogĂšne puisque les variables
rĂ©elles ne sont en rien affectĂ©es par lâoffre optimale de monnaie quâun tel systĂšme est supposĂ© dĂ©terminer. Il est
cependant (faiblement) endogĂšne dans le court terme, le temps pour la Loi du Reflux dâentrer en jeu. Du point de
vue des institutions, la BS est en faveur dâun systĂšme autorĂ©gulĂ© autour de la garantie principale quâoffre la
Banque Centrale : la convertibilitĂ©, rĂšgle institutionnelle assortie dâun corollaire, la Loi du Reflux, lâensemble
impliquant que lâoffre de monnaie est dĂ©terminĂ©e de façon optimale. Dans notre terminologie, le stock de
monnaie est « exogÚne » du point de vue du contexte institutionnel.
Or, nous avons dĂ©fendu lâhypothĂšse selon laquelle, en cas de surĂ©mission de billets, les banques
anticiperaient avec raison une possibilité de refinancement automatique auprÚs de la BoE. Si le systÚme est apte
dans un premier temps à prévenir les situations illiquides, il secrÚte des tendances inflationnistes sous la forme
de traites fictives avec suspension de convertibilitĂ© ou bien avec faillites des banques provinciales en lâabsence
de suspension et donc, in fine, dans ce dernier cas, une crise dâilliquiditĂ©. Ceci ne permet pas que soit dĂ©terminĂ©
un stock optimal de monnaie, c'est-Ă -dire ni sous- ni sur-liquide. En termes de notre terminologie, la monnaie est
Ă court terme (faiblement) endogĂšne dans le contexte du modĂšle et endogĂšne dans celui des institutions,
20
Une clarification mĂ©thodologique importante doit ĂȘtre faite ici. La classification endogĂšne (dans le contexte du modĂšle) â exogĂšne (dans le
contexte de la politique ou des institutions) nâest quâune question de terminologie. Il est Ă©vident que si les autoritĂ©s monĂ©taires manipulent un
outil exogÚne de politique monétaire ou de certaines caractéristiques institutionnelles de maniÚre à rendre M exogÚne, « dans le contexte du
modĂšle » M devient une variable exogĂšne du modĂšle et lâoutil de politique monĂ©taire ou la caractĂ©ristique institutionnelle devient endogĂšne
au mĂȘme modĂšle. Le modĂšle peut alors ĂȘtre rĂ©solu pour lâinstrument de politique ou la caractĂ©ristique institutionnelle (devenu endogĂšne)
étant donné le stock de monnaie (devenu exogÚne).
12
dĂ©terminĂ©e en quantitĂ© non-optimale de surcroĂźt. De lâincurie de la Banque Centrale Ă garantir la stabilitĂ©
monĂ©taire rĂ©sultera une instabilitĂ© du niveau gĂ©nĂ©ral des prix. Dans la mesure oĂč la monnaie nâinflue pas sur la
production Ă long terme, elle devient (fortement) endogĂšne-endogĂšne.
Un rĂ©sumĂ© comparatif des statuts de lâoffre de monnaie selon les Ecoles
Dans le contexte du ModĂšle
Dans le contexte de la Politique
ou des Institutions
Currency School
-
Son interprétation
-
La nĂŽtre
(fortement) exogĂšne
(fortement) endogĂšne
exogĂšne (optimal)
endogĂšne (non-optimal)
Banking School
-
Son interprétation
-
La nĂŽtre
(faiblement ou fortement*) endogĂšne
(faiblement ou fortement*) endogĂšne
*Selon le terme, court ou long
exogĂšne (optimal)
endogĂšne (non optimal)
Source : dâaprĂšs Fourçans et Kontzler (1996) et Kontzler (2005)
Ces obstacles Ă la cohĂ©rence des thĂ©ories de lâoffre de monnaie, parviendront cependant Ă ĂȘtre
contournés. Les Modernes sauront concilier à la fois les questions de dichotomie, de neutralité et de cadre
institutionnel
21
, les diffĂ©rences qui sâĂ©tabliront entre eux relevant alors de la nature des anticipations et de la
dimension temporelle que cela introduit dans les réflexions. Les monétaristes et les nouveaux-classiques, Lucas
en particulier, parviendront ainsi Ă une rĂšgle dâĂ©mission qui garantit la stabilitĂ© des prix dans le cadre dâune
Banque Centrale. Quant aux free-bankers, ils résoudront le dilemme de la BS en garantissant la convertibilité par
lâabsence de toute Banque Centrale et la stabilitĂ© monĂ©taire sâen trouvera assurĂ©e. Le rĂŽle discrĂ©tionnaire dâun
prĂȘteur en dernier ressort se trouvera, au total, ĂȘtre Ă©vacuĂ© par les Modernes comme lâavaient souhaitĂ©, et ce fut
notre hypothĂšse, Ă la fois les currencistes et les bankistes, sans toutefois y parvenir.
21
Pour une application du cadre méthodologique aux Modernes, voir Kontzler et Fourçans (1996).
13
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