Mots-clés. colonisation. colonialisme. colonie. impérialisme. idéologie. racisme. Afrique. sud. trek. Dahomey. Madagascar. Congo. France. Angleterre. Royaume-Uni. Allemagne. Belgique. XIX.
Certains Boers veulent échapper à la domination
anglaise du Cap. Ce sera le Grand Trek et la fondation des provinces
d'Orange et du Transvaal.
"Des bruits ont circulé, qui avaient pour intention
évidente d'éveiller dans l'esprit de nos compatriotes
des préjugés contre ceux qui ont résolu
d'émigrer loin d'une colonie où ils connaissent, depuis
de longues années, des pertes et des vexations sans nombre ;
or, nous voulons que nos frères continuent à nous
estimer ; nous voulons qu'eux et le monde sachent bien que ce n'est
pas sans raison amplement suffisante que nous tranchons le lien
sacré qui unit un Chrétien à la terre où
il est né. Aussi résumons-nous ici les raisons qui nous
ont poussé à ce départ, et nos intentions quant
aux tribus indigènes que nous rencontrerons au-delà des
frontières.
1- Nous désespérons de sauver la colonie des maux qui la menacent du fait de la conduite turbulente et malhonnête de vagabonds, que l'on a autorisés à infester tout le pays ; et nous ne voyons aucun avenir pour nos enfants dans un pays aussi troublé.
2- Nous déplorons les énormes pertes qui nous ont été infligées par l'obligation d'affranchir nos esclaves, et les vexations que nous avons eu à subir à ce propos. [l'esclavage a été aboli par les Anglais en 1833] (...)
4- Nous déplorons la haine injustifiable que nous ont manifestée, sous le couvert de la religion, des personnes intéressées et malhonnêtes dont le témoignage est le seul qui soit pris en considération en Angleterre, à l'exclusion de tout ce qui peut témoigner en notre faveur ; et nous pensons que de tels préjugés ne peuvent avoir pour conséquence que la ruine totale du pays.
5- Nous sommes résolus, où que nous allions, à brandir les principes de la liberté ; mais, si nous nous engageons à veiller à ce que nul ne soit maintenu en esclavage, nous sommes également décidés à maintenir des règles propres à réprimer le crime et à préserver les relations entre maître et serviteur telles qu'elles doivent être. (...)
9- Nous quittons la colonie, certains que le gouvernement anglais n'a rien à exiger de nous et nous laissera, à l'avenir, nous gouverner nous-mêmes sans ingérence.
10- Nous quittons aujourd'hui cette riche terre qui nous a vus
naître, où nous avons presque tout perdu, et où
l'on nous a humiliés, pour pénétrer dans un
territoire sauvage et dangereux ; mais c'est en nous appuyant sur un
Etre omniscient, juste et miséricordieux. Que nous nous
efforcerons de craindre et à Qui nous nous efforcerons
d'obéir humblement."
Tiré du Manifeste de Piet Retief, un des leaders du Grand
Trek, en 1837.
Cité dans Paul Coquerel , "AFRIQUE DU SUD, l'histoire
séparée", éd. Gallimard, Paris, 1992, pp.
134-135
"C'est en vain que quelques philanthropes ont essayé de
prouver que l'espèce nègre est aussi intelligente que
l'espèce blanche. Un fait incontestable et qui domine tous les
autres, c'est qu'ils ont le cerveau plus rétréci, plus
léger et moins volumineux que celui de l'espèce
blanche. Mais cette supériorité intellectuelle qui
selon nous ne peut être révoquée en doute,
donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en esclavage la
race inférieure ? Non, mille fois non. Si les nègres se
rapprochent de certaines espèces animales par leurs formes
anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils en diffèrent
et se rapprochent des hommes blancs sous d'autres rapports dont nous
devons tenir grand compte. Ils sont doués de la parole, et par
la parole nous pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles
et morales, nous pouvons essayer de les élever jusqu'à
nous, certains d'y réussir dans une certaine limite. Du reste,
un fait plus sociologique que nous ne devons jamais oublier, c'est
que leur race est susceptible de se mêler à la
nôtre, signe sensible et frappant de notre commune nature. Leur
infériorité intellectuelle, loin de nous
conférer le droit d'abuser de leur faiblesse, nous impose le
devoir de les aider et de les protéger."
Pierre Larousse, Article "Nègre", Grand Dictionnaire
Universel du 19e s. (1872)
"Dernières terres de la Côte-des-Esclaves, ce sont les
royaumes dahoméens que nous acquérons à la fin
du XIXe siècle; (...). Au delà des lagunes, à
plusieurs jours de marche de la côte, au fond de leur palais
d'Abomey, vivaient, dans une atmosphère d'épouvante,
les princes sanguinaires qui avaient réussi à subjuguer
le vieux royaume de Ouidah et les provinces environnantes.
Entourés de dignitaires au premier rang desquels se trouvait
le bourreau, les rois dahoméens s'appuyaient sur une puissante
armée dans laquelle entrait, pour un tiers au moins, un
contingent d'amazones. Elle constituaient sans doute le noyau le plus
solide de l'armée; on pouvait en évaluer le nombre
à environ quatre mille, bien entraînées, portant
une sorte d'uniforme, chemise bleue, écharpe et culotte
rayées, bonnet blanc brodé d'un crocodile bleu; il y
avait le gros de la troupe armé de vieilles pétoires,
la cohorte des chasseresses d'éléphants, les
artilleurs, enfin la phalange légère des archers au
bracelet d'ivoire sur lequel on appuyait la flèche en visant;
les amazones étaient recrutées parmi les vierges des
meilleures familles du royaume et étaient astreintes au voeu
de chasteté sanctionné par la mort; on les savait d'une
férocité extrême et, avant que d'aller au combat,
dans d'infernales pétarades, s'enivraient de bruit et de la
fumée de poudre comme elles s'étaient copieusement
enivrées de vin de palme. Les rois entouraient leur fonction
d'un cérémonial compliqué, d'un appareil de
bizarrerie, horrible et bouffon à la fois, où les
sombres divinités du cru, les sorciers, les empoisonneurs et
le trancheur de têtes, se partageaient les rôles.
C'est dans ces étranges terres que nous commençons
à nous établir en 1875; (...).
[ L'auteur prétend ensuite que les Dahoméens ont
attaqué en 1890 des possessions françaises sur la
côte; le roi du Dahomey, Béhanzin, déclara pour
sa part que son territoire était soumis aux exactions des
troupes françaises et fit des concessions. ]
Ce ne pouvait être qu'une trêve; Béhanzin, sous le
prétexte de châtier des peuplades rebelles, s'armait
activement, achetait à une maison allemande près de
cinq mille fusils à tir rapide, des canons, des munitions; il
ouvrait le feu sur "la Topaze" [ navire ] à bord de
laquelle se trouvait le gouverneur Ballot et, après une lettre
d'une rare insolence, ce roitelet sanglant affirme ses exigences sur
Cotonou et Porto-Novo [ villes de la côte ]. Il faut en
finir et se préparer à une guerre sérieuse;
(...).
[ La guerre a lieu en 1892 et le Dahomey est occupé ;
Béhanzin se rend en 1894 après une
guérilla.]
Notre position étant assurée sur la zone littorale,
commence alors entre Anglais, Allemands et nous, une véritable
course de clocher; les Anglais tendent à relier la Gold-Coast
[ Côte de l'or ] à la (sic!) Nigéria, les
Allemands à s'épancher vers le nord-est et
nous-mêmes à achever et à consolider notre bloc
africain en reliant le Dahomey septentrional aux vastes
étendues soudanaises. (...)
Les grandes provinces de notre Afrique occidentale sont
désormais esquissées; il faudra maintenant continuer en
profondeur l'oeuvre de pacification. (...)"
Charles Hanin, Occident noir, Paris, 1946, extraits des
pages 186-188.
Charles Hanin fut administrateur dans les colonies françaises
d'Afrique occidentale dans la première moitié du XXe
siècle.
"Le meilleur moyen pour arriver à la pacification dans notre
nouvelle et immense colonie de Madagascar, avec les ressources
restreintes dont nous disposons, est d'employer l'action
combinée de la force et de la politique. Il faut nous rappeler
que, dans les luttes coloniales que nous impose trop souvent,
malheureusement, l'insoumission des populations, nous ne devons
détruire qu'à la dernière
extrémité, et, dans ce cas encore, ne ruiner que pour
mieux bâtir. Toujours, nous devons ménager le pays et
ses habitants, puisque celui-là est destiné à
recevoir nos entreprises de colonisation futures, et que ceux-ci
seront nos principaux agents et collaborateurs pour mener à
bien ces entreprises. Chaque fois que les incidents de guerre
obligent l'un de nos officiers coloniaux à agir conte un
village ou un centre habité, il ne doit pas perdre de vue que
son premier soin, la soumission des habitants obtenue, sera de
reconstruire le village, d'y créer immédiatement un
marché et d'y établir une école. Il doit donc
éviter avec le plus grand soin toute destruction inutile.
Action politique. L'action politique est de beaucoup la plus importante ; elle tire sa plus grande force de la connaissance du pays et de ses habitants ; c'est à ce but que doivent tendre les premiers efforts de tout commandement territorial. C'est l'étude des races qui occupent une région, qui détermine l'organisation politique à lui donner, les moyens à employer pour sa pacification. Un officier qui a réussi à dresser une carte ethnographique suffisamment exacte du territoire qu'il commande est bien près d'en avoir obtenu la pacification complète, suivie bientôt de l'organisation qui lui conviendra le mieux.
Toute agglomération d'individus, race, peuple, tribu ou famille, représente une somme d'intérêts communs ou opposés. S'il y a des moeurs et des coutumes à respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu'il faut savoir démêler et utiliser à notre profit, en les opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les secondes. (...)
En somme, toute action politique doit consister à discerner et mettre à profit les éléments locaux utilisables, à neutraliser et détruire les éléments locaux inutilisables.
L'élément essentiellement utilisable sera, avant tout, le peuple, la masse travailleuse de la population, qui peut, momentanément, se laisser tromper et entraîner, mais que ses intérêts rivent à notre fortune et qui sait bien vite le comprendre, pour peu qu'on lui indique et qu'on lui fasse sentir. (...)
Action économique. Au fur et à mesure que la pacification s'affirme, le pays se cultive, les marchés rouvrent, le commerce reprend. Le rôle du soldat passe au second plan, celui de l 'administrateur commence. Il faut d'une part, étudier et satisfaire les besoins sociaux des populations soumises ; favoriser, d'autre part, l'extension de la colonisation qui va mettre en valeur les richesses naturelles du sol, ouvrir des débouchés au commerce européen.
Ce sont là, semble-t-il, les deux conditions essentielles su développement économique d'une colonie : elles ne sont nullement contradictoires. L'indigène, en général, n'a que fort peu de besoins. Il vit dans un état voisin de la misère, qu'il est humain de chercher à améliorer ; mais, le nouveau mode d'existence que nous lui ferons adopter, en créant chez lui des besoins qu'il n'avait pas, nécessitera de sa part des ressources qu'il n'a pas davantage et qu'il lui faudra trouver ailleurs.
Il faudra donc qu'il surmonte sa paresse et se mette résolument au travail, soit en faisant revivre des industries languissantes, celles de la banane et de la soie par exemple, soit en augmentant ses cultures et en adoptant pour elles des méthodes plus productives, soit en prêtant aux colons européens le concours de sa main-d'oeuvre.
Il rentre dans le rôle de nos commandants territoriaux de créer des écoles professionnelles, où l'indigène se perfectionnera dans son métier, par l'étude et l'application des moyens que la science et l'expérience nous ont acquis ; d'installer des fermes-modèles, où il viendra se rendre compte des procédés de culture féconds que nous employons et qu'il ignore ; d'encourager la reprise des industries nationales en facilitant l'établissement des premières fabriques qui s'organiseront et en les subventionnant au besoin ; de créer des marchés, francs de tout droits d'abord, et qui ne seront imposés que dans la suite, très progressivement, etcŠ
Il se produira, infailliblement, une augmentation de richesse dans
le pays, avec, comme conséquence naturelle, un besoin de
bien-être, que le commerce européen saura mettre
à profit. Il trouvera, dans les produits nouveaux de
l'activité que nous aurons ainsi créée, des
articles d'exportation, qui lui manquent un peu aujourd'hui, et, en
tout cas, des ressources locales qui lui font absolument
défaut."
in Journal officiel de Madagascar, mai 1898.
Remarque : Depuis 1884, le Congo est
une possession privée du roi des Belges, Leopold II.
1) CATTIER Félicien (1869-1946) : docteur en droit
et en sciences administratives , il fut nommé professeur
à l'Université libre de Bruxelles (1906). Suite
à la campagne de diffamation orchestrée par
l'Angleterre contre l'État indépendant du Congo
(1904-1905), une commission d'enquête est envoyée au
Congo. Le rapport de celle-ci (1905) met en évidence le
travail forcé imposé aux indigènes. Son
Étude sur la situation de l'État indépendant
du Congo (1906) réagit au rapport de la commission
d'enquête et met en évidence la nécessité
d'annexer le Congo à la Belgique.
"L'État n'a pas soumis les indigènes au paiement d'un impôt en argent. Ils sont astreints à des prestations de travail. La grande majorité des contribuables, au lieu de fournir du travail, de la main-d'oeuvre, sont tenus à des prestations de certaines quantités de produits. L'impôt de travail se transforme, par des supputations diverses en un impôt d'un nombre déterminé de kilogrammes de caoutchouc ou de copal.
Dans quelques régions, le fisc, au lieu d'exiger du caoutchouc, contraint les noirs à lui remettre périodiquement des arachides, des vivres (...). Ailleurs, les indigènes sont appelés à exécuter certains travaux (...).
Si l'indigène est en défaut ou en retard de paiement, les agents de l'État et des sociétés concessionnaires auxquelles le Gouvernement a délégué le droit de percevoir l'impôt ont recours, d'après la Commission, aux moyens de coercition suivants :
- les chefs sont arrêtés, retenus prisonniers, châtiés jusqu'au moment où leurs sujets ont fourni les prestations exigées.
- des indigènes pris au hasard, le plus souvent des femmes et des enfants, sont retenus en otage dans les postes (...).
- des chefs de poste appliquent la chicote [ = fouet à lanières nouées] aux récolteurs qui n'ont pas fourni complètement leurs impositions. D'autres exercent des sévices sur les retardataires.
- des fonctionnaires civils ou militaires imposent à des
villages des amendes très fortes."
CATTIER, F., Étude sur la situation de l'État
indépendant du Congo, Bruxelles-Paris, 1906, p.
108-109.
2) WILLIAMS George Washington (1864-1891):
théologien baptiste et juriste noir américain, il
participa à la Guerre de Sécession au lendemain de
laquelle il milita pour la cause des noirs américains
persécutés par le groupuscule du Ku Klux Klan.
Successivement pasteur et journaliste, il se lança ensuite
dans la politique. Premier membre noir de l'assemblée
législative de l'État de l'Ohio, il souleva la fureur
en essayant d'obtenir l'abrogation d'une loi interdisant les mariages
interraciaux. En 1882-1883, il publia un ouvrage
intitulé : Histoire de la race noire en
Amérique de 1619 à 1880. Les Noirs comme esclaves,
comme soldats et comme citoyens, avec une considération
préliminaire sur l'unité de la famille humaine, un
résumé historique de l'Afrique et un rapport sur les
gouvernements noirs de la Sierra Leone et du Libéria.
Animateur de multiples conférences sur la cause noire, il fut
ensuite amené à rencontrer notamment Léopold II,
ce qui l'incita à aller découvrir l'oeuvre coloniale
belge sur le terrain en juillet 1890. Sa célèbre
Lettre ouverte (1890) d'une dizaine de pages fut largement
distribuée en Europe et en Amérique, soulevant de vives
protestations de la part de Léopold II et d'une partie de la
classe politique belge. Ceux-ci prétextèrent la
manipulation de G. Williams par des groupes de pression
opposés au colonialisme de la Belgique. Il disparut
prématurément suite à une tuberculose
contractée à la fin de son périple africain en
Egypte.
"Bon et grand ami, j'ai l'honneur de soumettre à la
considération de Votre Majesté certaines
réflexions à propos de l'État indépendant
du Congo, fondées sur une étude minutieuse. (...)
Toute accusation que je suis sur le point de porter contre le gouvernement personnel de Votre majesté au Congo a fait l'objet d'une enquête minutieuse ; une liste de témoins compétents et crédibles, de documents, de lettres, de rapports et de données officiels a été préparée avec exactitude. (...)
À propos de la soumission des villages : Grâce à (...) quelques caisses de gin, des villages entiers ont été abandonnés par une signature à Votre Majesté. [Les terres achetées par de tels biais étaient] des territoires auxquels Votre Majesté ne peut davantage prétendre légalement que je n'ai le droit d'être commandant en chef de l'armée belge. (...)
À propos des bases militaires établies sur le fleuve : Ces postes de pirates et de boucaniers forcent les autochtones à les fournir en poissons, chèvres, volailles et légumes sous la menace de leurs mousquets ; et quand les indigènes refusent (...) , les officiers blancs arrivent avec une force expéditionnaire et brûlent leurs maisons. (...)
À propos de la manière dont est rendue la justice : Le gouvernement de Votre Majesté fait preuve d'une cruauté excessive envers ses prisonniers, les condamnant à être enchaînés comme des forçats pour les délits les plus mineurs. (...) Souvent, ces colliers à boeuf rongent le cou des prisonniers et provoquent des plaies infestées de mouches, ce qui aggrave la blessure suppurante. (...) Les tribunaux du gouvernement de Votre Majesté sont inefficaces, injustes partiaux et défaillants.
À propos de l'esclavagisme : (...) l'administration de
Votre Majesté est engagée dans le commerce des
esclaves, de gros et de détail. Elle achète, vend et
vole les esclaves. L'administration de Votre Majesté donne
trois livres par tête pour les esclaves aptes physiquement au
service militaire. (...) La main-d'oeuvre dans les stations du
gouvernement de Votre Majesté sur le fleuve supérieur
est composée d'esclaves de tous âges et des deux
sexes."
WILLIAMS, G.W., An open letter to His Serene Majesty Leopold
II, king of the Belgians and sovereign of the Independent state of
Congo, juillet 1890.
3) de LICHTERVELDE Louis (1880-1959) : docteur en
sciences politiques et sociales. Membre du Conseil
général de l'Université catholique de Louvain,
il publia quelques ouvrages sur les institutions et sur l'histoire
monarchique de la Belgique (notamment Léopold II
publié pour la première fois en 1926 et
réédité ensuite à de nombreuses
reprises). Il fut directeur de la Revue générale
et devint chef de cabinet du premier ministre. Il fut
préoccupé par la réforme de l'État et le
problème linguistique, se déclarant favorable à
une certaine décentralisation, mais opposé au
fédéralisme.
"La politique coloniale de Léopold II a eu ses erreurs et ses
fautes ; le reproche principal qu'on peut lui faire, c'est de ne pas
avoir évolué suffisamment à mesure que
l'État Indépendant croissait en force et en
richesse ; elle a poursuivi des fins trop directement
productives, mais est-ce une raison pour méconnaître les
immenses bienfaits dont lui sont redevables les populations qu'elle a
tirées de la sauvagerie primitive ? La traite
[esclavagiste musulmane] surtout, la traite qui
décimait le centre de l'Afrique, a été
complètement vaincue, et le nom de l'État, comme le
reconnaissait un missionnaire anglais, devint très tôt
la terreur des esclavagistes. L'alcoolisme a été
victorieusement tenu en échec. Les nègres n'ont, somme
toute, pas payé trop cher leur libération. Le Roi,
mieux que tout autre, comprenait, qu'après vingt-cinq ans, son
oeuvre était à peine commencée et son
génie ne répudiait pas la dure appellation de
Boula-Matari - le briseur de roches - que son gouvernement avait
héritée de Stanley. Lui aussi, comme l'explorateur,
s'était attaché à une besogne
préliminaire : créer le cadre politique et légal
dans lequel s'ordonnerait le chaos, tracer les frontières,
sauvegarder les voies d'accès, commencer l'outillage
économique. Ceux qui le jugent d'après les lacunes
qu'il a laissées subsister plutôt que sur ses
réalisations oublient trop souvent deux choses : la
colonisation est une oeuvre de longue haleine et la fondation d'un
empire n'est pas un travail de demoiselles. Causant un jour avec un
évêque missionnaire des abus reprochés à
son administration, Léopold II disait : «Sans
doute, Monseigneur, cela est fâcheux, très
fâcheux, mais on ne peut accomplir une grande oeuvre sans faire
la part du mal. Vous élevez une cathédrale ; durant la
construction, il se produira forcément bien des incidents
regrettables : il y aura des injustices, des accidents, des disputes,
des rixes parfois violentes. On entendra proférer des injures
et des blasphèmes, mais en fin de compte, le monument
s'achève pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ;
il en va de même au Congo. »
Le Roi lui-même corrigea quelques graves imperfections
signalées dans le régime judiciaire et administratif de
la colonie et se montra sévère envers les individus
reconnus coupables à l'égard des indigènes."
DE LICHTERVELDE, L. (comte) , Léopold II, Louvain,
Les Éditions Rex, s.d. [après 1932] (Collection
Nationale), p. 256-257.
« Tout d'abord, je dois dire qu'une source de fréquents
abus est la jeunesse de beaucoup de chefs de poste. Investis de
pouvoirs très étendus, ces jeunes gens, dans un grand
nombre de cas, sont tentés d'en abuser. (...) Bien que les
règlements énumèrent toute une série de
peines, dont la chicotte [coups de
cravache de cuir infligés à un homme ligoté nu sur
le sol] , qui vient en dernière ligne, est la plus grave
et devrait donc être la plus rare, il est de fait que ce
châtiment corporel est la pénalité favorite des
chefs de poste et qu'elle remplace, même dans les cas de
légères peccadilles, les punitions plus douces
prévues par le règlement disciplinaire.
Il y a plus : le maximum réglementaire des coups de chicotte
est de cinquante, et encore ne peut-on administrer plus de
vingt-cinq coups à un même délinquant en un seul
jour. Or ce chiffre est souvent arbitrairement augmenté. On a vu
jusqu'à infliger cent, cent cinquante, deux cents coups de
chicotte, ce qui rend ce châtiment absolument meurtrier. (...)
Le moyen de coercition connu sous le nom de contrainte par corps et de
système des otages donne également lieu à de
répréhensibles excès.
On recommande comme spécialement efficace, la détention
des femmes. (...) Les otages, en effet, sont traités en
véritables prisonniers ; souvent on les met à la
chaîne, et toute tentative d'évasion est infailliblement
punie de mort ; car les gardiens des détenus reçoivent la
consigne de tirer sur les fuyards.
Malheureusement, les fonctionnaires de l'Etat ne sont trop souvent que
des instruments dans les mains des Compagnies. »