L'affaire Cassini

Jean Dominique Cassini, dit Cassini I

Jean Dominique Cassini
Jean Dominique Cassini
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Giovanni Domenico Cassini naquit le 8 juin 1625 à Périnaldo, petite ville du comté de Nice alors sous domination génoise.
Après des études au collège Jésuite de Gènes, il fait preuve d' intérêt pour l'astronomie, les mathématiques, la poésie, et même l'astrologie, dont il comprendra rapidement la vanité.
En 1644, il est invité par le marquis Cornelio Malvasia, sénateur de Bologne, et amateur d'astrologie, dans son observatoire où, avec les instruments acheté par le marquis, il travaille avec les pères jésuites Giovanni Riccioli et Francesco Grimaldi.
A la mort de Cavalleri, en 1650, Cassini, alors âgé de vingt-cinq ans, est nommé professeur d’astronomie à l’Université de Bologne.
En 1652-1653, il observe une comète dont il publie ses observations, en même temps que des vues très... personnelles, sur le système solaire... Puis, il fait rectifier le gnomon de la méridienne de l'église San Petronio
De 1656 à 1659, Il présenta une nouvelle valeur de l'obliquité de l'écliptique, de 23°29'15 '' , une table des réfractions atmosphériques, et confirmait, que la vitesse orbitale de la Terre n'est pas uniforme (mais il n'admit jamais les ellipses képlériennes).
Consulté par le pape à propos de la régulation du cours du Pô, Cassini fut nommé en 1663 surintendant des fortifications, puis en 1665 surintendant des eaux.
En 1664, il observe une nouvelle comète qui lui permet d'établir une nouvelle théorie sur les orbites des comètes, toute aussi fausse que la première, où celles-ci auraient comme origine Sirius!
Grace à une lunette de long foyer, fabriquée par Giuseppe Campani, il découvrit les ombres des satellites sur le disque de Jupiter, et la fameuse Tache Rouge, ce qui lui permit, en 1665, d'évaluer la période de rotation de Jupiter (9 h 56 mn). Il déterminera aussi, en 1666, la période de rotation de Mars (24 h 40 mn). Il remarqua l'aplatissement du disque de Jupiter et commença, en 1668, à établir des tables de ses satellites.
Sa renommée dépassa les limites de l'Italie, et sur le conseil de l'abbé Picard, Louis XIV chargea Colbert de l'associer à l'Académie Royale des Sciences qui venait d'être fondée, et de l'inviter à Paris, dans l'Observatoire qu'il faisait construire. Le Pape (Clément IX) dont il dépendait, l'autorisa à quitter l'Italie, temporairement.
Cassini, arriva à Paris le 4 avril 1669. Son premier soin fut de présenter des observations critiques sur les plans adoptés pour l’Observatoire qui alors était en construction; mais son crédit échoua devant celui de l’architecte, Claude Perrault.
En septembre 1671, malgré les rappels du Pape, il s'installe à l'observatoire encore inachevé et commence ses observations avec les instruments fournis par Colbert, venant comme les précédents de chez l'opticien Campani.
Lors de l'opposition de Mars en 1672, en coordination avec Richer, à Cayenne, Cassini tente de mesurer la parallaxe solaire.
Il obtient sa naturalisation en avril 1673 et se marie l'année suivante.
Il dirigera, de facto, l'observatoire de Paris pendant 40 ans, et fonde une dynastie qui régnera 120 ans sur l'observatoire

La "découverte" de Cassini

En 1675, Jean Dominique Cassini prétend avoir observé l'anneau en deux parties séparées par une ligne sombre
Une première relation de l'observation de Cassini se trouve dans une lettre à Henry Oldenburg, secrétaire de la Royal Society
la division de Cassini dans les philosophical transactions
gravure du dessin joint
Deinde latitudo annuli dividebatur bisariam, lineâ obscurâ apparenter Elliptica, re verâ circulari, quasi in duos annulos concentricos, quorum interior exteriori lucidior erat ( 1 ).
Ensuite la largeur de l'anneau était divisée en deux, par une ligne sombre, d'apparence elliptique, en réalité circulaire, comme en deux anneaux concentriques, dont l'intérieur était plus brillant que l'extérieur
La lettre est datée du 26 aout 1676, et fait référence à une suite d'observation solaires commencées l'année précédente, donc en 1675, à la suite desquelles sont relatées des observations du globe de Saturne, puis une de son anneau.
L'année 1676 sur le dessin n'est en fait, que la date de la gravure
Il est amusant que l'Italien Giovanni Domenico Cassini, écrivant à un savant anglais, ait du écrire en latin, mais c'était la langue internationale des savants de l'époque

Il nous a aussi laissé la relation de sa description dans le Journal des scavants, reprise plus tard dans un mémoire de l'académie royale des sciences
Après la sortie de Saturne hors des rayons du Soleil l'an 1675 dans le crépuscule du matin, le globe de cette Planete parut avec une bande obscure semblable à celles de Jupiter, étenduë selon la longueur de l'Anneau d'Orient en Occident, comme elle se voit presque toujours par la Lunette de 34 pieds, & la largeur de l'Anneau étoit divisée par une ligne obscure en deux parties égales, dont l'intérieure & plus proche du globe étoit fort claire, & l'intérieure un peu obscure. ( 2 ).
(on suppose qu'il faut lire l'extérieure, et non l'intérieure)
Bien que la date exacte ne soit pas précisé, les conditions indiquées permettent de savoir que l'observation a du avoir lieu fin juin 1675

ciel de Paris reconstitué
Saturne (au centre) dans le crépuscule du matin, à Paris, fin juin 1675 - reconstitution par Stellarium

Les dessins de Cassini

la division de Cassini selon les bons manuels
le dessin des "bons manuels"
Tous les "bons manuels", en plus de la version officielle de la découverte, nous abreuvent du dessin ci-contre.
Certes, il montre clairement (si l'on peut dire), une bande sombre qui court au milieu de l'anneau. Mais il est mal dessiné et indigne d'un astronome, avec ses ellipses en anses de panier et son gribouillis censé representer la fameuse division.

En fait il ne s'agit pas du dessin de Cassini, mais d'une reproduction de 3ème main, parue semble-t-il dans une édition abrégée des Philosophical Transactions par John Lowthorp's, qui se reconnait au numéro qui figure sur le dessin. D'où les mêmes déformations que sur la gravure des Philosophical Transactions avec la même erreur de date, et une exagération de la ligne sombre

Mais heureusement, outre la description de son observation, Cassini nous a laissé deux dessins plus fiables. Ces dessins sont parus en gravure dans Le journal des scavants, avec malencontreusement le texte en surimpression... et une maladresse du graveur qui s'est laissé surprendre par la marge trop proche, à droite

dessin du journal des scavants

Une autre gravure a été publiée ultérieurement avec son mémoire. De cette gravure, nous connaissons, soit le scan, malheureusementen Noir/Blanc et non en niveaux de gris, soit des reproductions dans les ouvrages de ces grands vulgarisateurs, proches de leur sources, que furent Camille Flammarion et Amédée Guillemin. Les meilleures images que nous avons sous les yeux, sont donc des scans de reproductions des deux gravures reproduisant les dessins originaux.

dessin des mémoires de l'académie
les gravures publiées dans le tome X des Mémoires de l'académie royale des Sciences

dessin de Saturne par Cassini reproduit par Amédée Guillemin
dans Le Ciel d'Amédée Guillemin
dessin de Saturne par Cassini reproduit par Camille Flammarion
dans Les terres du ciel de Camille Flammarion

Or aucune de ces gravures ne montre de division. Elles n'en montrent pas plus que le dessin de Campani: un anneau en deux parties dont la partie extérieure est plus sombre
Pourtant quand on connait la propension des graveurs à simplifier et à exagérer les détails les plus significatifs, on devine que si le dessin original avait porté la trace d'une division, les gravures la montrerait.
Nous avons simulé ce que devrait montrer une gravure Noir et blanc avec des demi-tons en pontillé (méthode Floyd-Steinberg), qui représenterait exactement l'aspect de Saturne avec la résolution d'une lunette de 108 mm, supposée parfaite

gravure du dessin de Cassini
gravure du dessin de Cassini
Simulation de la gravure d'une image de Saturne
Simulation de la gravure d'une image exacte

Or la simulation montre nettement une trace sombre, alors que sur la gravure originale, le tracé du contour de l'anneau est plus marqué que celui de la prétendue division
Force est de constater que Cassini n'a pas dessiné la division qui porte son nom.
Mais alors, l'a-t-il seulement vu?

Cassini pouvait il "voir" la division?

Un simple calcul en fait douter. La distance de Saturne à l'époque de l'observation, était de 1464 millions de km, le diamètre de l'anneau (273550 km) paraissait donc de 38.5 ".
Nous connaissons aujourd'hui la largeur de la zone sombre appelée abusivement division: 4590 km. Nous en déduisons qu'elle devait paraitre sous un angle de 0.65 " dans les anses
Or la lunette de Cassini, si elle avait été parfaitement corrigé, n'aurait eu, d'après le crière de Rayleigh, qu'une résolution de 1.25 "
Mais d'un autre coté nous savons, qu'un détail contrasté, d'une taille apparente inférieure à la limite de visibilité, peut révéler sa trace, mais seulement sa trace, sous forme d'un simple point, ou d'une ligne, avec moins de contraste. C'est d'ailleurs ce qui nous permet de voir les étoiles. Le détail n'est pas vraiment vu, mais plutôt deviné.
Nous pouvons simuler cet effet à l'aide d'une bonne photo de Saturne, dont nous diminuons la résolution en appliquant un flou

Saturne reconstitué pour 1675 avec un objectif de 650mm Saturne reconstitué pour 1675 et un objectif de 108 mm avec un objectif de 108 mm Saturne reconstitué pour 1675 et un objectif de 60 mm avec un objectif de 60mm

Nous voyons que la photo de gauche montre nettement la division de Cassini, et laisse deviner la division d'Encke, bien qu'elle soit nettement moins large que ce que permet d'atteindre la résolution de l'instrument
La photo du milieu montre ce qu'on peut en voir avec un objectif bien corrigé de même diamètre que celui qu'utilisait Cassini. On ne voit plus vraiment la division, mais on la devine, par la zone plus sombre que son image crée sur l'anneau
A la droite, l'image que donne un objectif de 60 mm, comme celui de Huygens. Pour la division, c'est la catastrophe: elle n'est plus discernable, mais par contre, on croit deviner une division d'Encke, parfaitement illusoire. Illusion que renforcerait aujourd'hui un éventuel traitement de l'image

La question est: Compte tenu de son imperfection, la lunette de Cassini lui permettait elle de "deviner", la division?

La lunette de Cassini

lunette de 34 pieds de Cassini
la lunette de 34 pieds
Nous savons que sa lunette de l'époque était un tube suspendu aux deux extrémités,avec un objectif de 108 mm de diamètre et 50 palmes, ou 34 pieds français, de foyer, soit en pratique 11 m. Cet objectif, qui doit encore exister dans les collections de l'observatoire de Paris, lui venait, comme le précédent, de l'opticien Giuseppe Campani.
L'histoire est cocasse: Nous savons aujourd'hui que le satellite Japet, ressemble à une grosse noix dont l'une des faces est plus ombre que l'autre. Ayant découvert Japet, et l'ayant crédité d'une période de révolution de 80 jours, Cassini s'étonna de ne pouvoir l'observer que 12 jours. Le satellite avait diminué d'éclat comme s'il s'était enfui très loin. A l'académie il fit décidé de se procurer une lunette plus puissante, et Colbert manda Campani d'envoyer la plus puissante qu'il eut et de perfectionner son art, afin d'en envoyer d'autres d'encore plus grande portée. La lentille de 34 pieds de foyer fut reçue et installée en décembre 1673, et presque aussitot, Cassini crut retrouver son satellite. Mais en fait c'était un autre. le vrai, Japet, ne fut retrouvé que le mois suivant

Cassini semblait assez fier de la qualité de son instrument, car à propos des deux aspects de Saturne qu'il a dessiné, son rapport se termine par:
Il y a une observation de M. Hevelius dans le Journal d'Angleterre, qui répond à la première de ces deux phases: mais comme il n'a pas marqué ny la bande de Saturne ny la distinction, qui se voit dans l'Anneau, on a sujet de juger que les Lunetes dont il se sert sont beaucoup inférieures à celles de l'Observatoire Royal.
Pourtant sa lunette devait manifester un certain chromatisme, puisque l'objectif n'était qu'une lentille simple

Le problème du chromatisme

dispersion chromatique du crown glass
indices du crown selon la longueur d'onde
L'objectif de la lunette de Cassini était, bien sûr, réalisé en crown glass, à base de silice, soude et chaux, seul verre disponible à l'époque pour les lentilles. La désignation "crown-glass" provient, parait il, de l'aspect en forme de couronne des saillies qui caractérisent les plaques de verres circulaires alors soufflées en Angleterre.
L'indice de réfraction du crown, est classiquement donné comme étant de 1.517, mais c'est pour la raie D du sodium. En fait l'indice varie de 1.511 dans le rouge extrème à 1.531 dans le violet extrème
C'est ce qui proque le phénomène de la dispersion, bénédiction en spectroscopie, mais responsable de l'aberration chromatique.

L'aberration chromatique
l'aberration chromatique
au foyer moyen les rayons violets ont déja divergé, et les rouges pas encore convergé

Les angles étant petit, on peut confondre les sinus, les tangentes et les angles en radians, et admettre que l'angle de réfraction est proportionnel à l'angle d'incidence, et donc que les distances focales sont inversement proportionnelles aux indices
Le rapport de l'indice du violet extrème à l'indice du vert est de 1.0095, et celui de l'indice du vert à celui du rouge extrème de 1.0041. Ces valeurs étant proches de 1, on peut faire 1/(1+d) = 1-d. Le stigmatisme n'étant réalisé au foyer moyen, que pour le vert, un point stellaire dans le violet extrème donne au foyer une tache de 0.0095 fois le diamètre de l'objectif, et un point stellaire dans le rouge extrème de 0.0041 fois

courbe de sensibilité spectrale de l'oeil humain moyen selon la CIE
Heureusement la plupart de la lumière "efficace" se trouve dans la partie centrale du spectre, comme le montre le diagramme ci-contre, établi par la commission internationale de l'éclairage (CIE). Il indique la sensibilité de l'oeil humain moyen pour chaque longueur d'onde, c'est à dire le rapport de l'excitation rétinienne pour cette longueur d'onde à l'excitation maximum qui a lieu dans le vert.
On voit que, grosso modo, la moitié de la lumière perçue se trouve dans la bande 520-600 nm, pour laquelle les écarts d'indice ne vont que de 1.520 à 1.516.
Si l'on ne s'intéresse qu'aux longueurs d'onde dont l'effacité lumineuse est au moins 10%, c'est à dire la bande 470-660 nm, les écarts d'indices vont de 1.5233 à 1.5138 et les diamètres des taches irisées sont respectivement de 0.0035 fois et 0.0028 fois celui de l'objectif

Donc avec l'objectif de 108 mm de Cassini, les irisations colorées font alors 0.30 mm pour le rouge et 0.38 mm pour le bleu, mais comme la mise au point est faite pour minimiser les irisations on peut compter une tache irisé d'environ 0.34 mm
Pour que le chromatisme n'entraine plus de perte de résolution, il faut que cette tache de 0.34 mm soit plus petite que la résolution au foyer, donc que la distance focale soit de plus de 56 mètres
On comprend alors pourquoi Hévélius avait fait construire une lunette de 46 mètres, et pourquoi, on avait essayé des lunettes sans tube

Il faut comparer ces chiffres avec la taille de l'image. Au foyer, l'image de l'anneau de Saturne ne fait que 2.06 mm, la division 0.035 mm, et la résolution due à la diffraction 0.067 mm.
Donc, non seulement la division est deux fois plus petite que la résolution due à la diffraction, mais elle est 10 fois plus petite que celle due à l'aberration chromatique (au niveau de 10% d'efficacité lumineuse)

Reconstitution de l'image de Saturne vue par Cassini

Pour savoir si oui ou non, Cassini a pu voir quelque chose, il faut reconstituer l'image qu'il a vu
Nous avons le choix entre deux méthodes, l'observation et la simulation

- L'observation: Nous allons chercher l'objectif de Cassini dans les réserves de l'observatoire. Nous l'installons au bout d'un tube de 11 mètres, avec un enregistreur numérique à l'autre bout, APN ou Webcam. Nous installons le tube sur une monture d'une dizaine de mètres, avec une lunette guide. Nous installons le tout dans un endroit dégagé à une centaine de km de toute grande ville, et là, nous attendons plusieurs années que l'ouverture des anneaux soit identique à celle de 1675 (sommes nous bètes, nous aurions pu y penser avant!)

sélection de 5 images à des longueurs d'onde échelonnées
- La simulation: Nous partons d'une image où les anneaux ont la même ouverture, nous appliquons un flou par moyenne glissante pour simuler la diffraction, et nous extrayons une série d'images représentant les longueurs d'onde de 480 nm à 640 nm
Evidemment, nous ne pouvons pas selectionner vraiment les longueurs d'onde, car nous partons d'une image trichrome. Nous nous limitons donc à 5 images dans les couleurs bleu, bleu+vert, vert, vert+rouge, rouge, représentant les longueurs d'onde par pas de 40 nm. Le résultat n'est bien sûr qu'une imitation de l'image réelle, mais il s'agit simplement d'obtenir la même impression visuelle que ce que Cassini pouvait voir

Ce qu'aurait vu Cassini

Ce que voyait Cassini
cliquez pour agrandir
Sur chaque image, sauf pour le vert, nous appliquons un flou par moyenne glissante, correspondant au diamètre de la tache d'irisation pour cette longueur d'onde, puis nous compositons le tout

Une dernière difficulté est que nous ignorons le grossissement utilisé. Nous savons que Huygens utilisait un oculaire d'un peu moins de 75 mm de focale. Si Cassini utilisait un oculaire de même puissance, il aurait obtenu un grossissement de 150, S'il en utilisait un de 50 mm, le grossissement aurait atteint 220, ce qui parait le maximum pour son objectif
La reconstitution ci-contre est faite pour ce grossissement. Pour choisir le grossissement simulé selon la résolution de l'écran, cliquez l'image

On voit que l'aberration chromatique empéchait Cassini de voir la division mais pas de voir la différence entre l'anneau A et l'anneau B

Mais d'ou vient alors qu'il a dit avoir observé une ligne sombre? C'est Cassini lui même, qui nous donne la clé de l'énigme:
Il y avoit entre les couleurs de ces deux parties, à peu-près la même difference qui est entre l'argent mat & l'argent bruni, (ce qui n'avoit jamais été observé auparavant) & ce qui s'est depuis vù toujours par la même Lunette, mais plus clairement dans le Crepuscule, & a la clarté de la Lune, que dans une nuit plus obscure
Or, dans l'hypothèse d'une vision réelle, directe, objective, de la division "de Cassini", ceci est absurde. Il est évident qu'un détail obscur sur fond clair, à la limite de visibilité, est plus difficile à observer derrière un voile de lumière parasite. Tous les astronomes le savent, y compris les astronomes amateurs, qui fuient la lumière des villes

Conclusion: En 1675, avec sa lunette de 34 pieds, Cassini n'a pas pu voir la fameuse division. Ce qu'il a vu n'est en réalité qu'un phénomène de contraste simultané, comme le prouve sa dernière remarque. Comme beaucoup d'autres, il a eu la chance que derrière le masque d'une fausse apparence, s'en cachait une vraie, mais il aurait pu tout aussi bien ètre malchanceux. On parlerait alors aujourd'hui de la "division de Cassini" comme on parle de Vulcain, du satellite de Vénus ou des canaux de Mars.

Qui a vraiment découvert la "division de Cassini" ?

Il y a une différence entre la bande sombre dont on attribue la découverte à Cassini, et la division proprement dite, c'est à dire un vide entre les deux anneaux A et B. L'existence d'une vraie division a été émise, à titre d'hypothèse par Maradi en 1715. C'est en fait William Herschel, encore lui, qui a annoncé en 1792 que cette bande à contours nets, aussi sombre que le fond du ciel, qu'il voyait courir sur tout l'anneau, et sur les deux faces, était en fait une lacune entre les deux anneaux.
Pour ce qui est de la bande, Cassini a eu néanmoins les moyens de l'observer, avec les objectifs à très longue focale dont il a pu disposer à partir de 1684, car Campani envoya d'autres objectifs, de 80, 90, 100, et même 136 pieds de foyer (44 mètres).
Par ailleurs Borelli ayant lui aussi trouver les moyen de polir des lentilles à très longue focale, Cassini finit par disposer d'une panoplie d'objectifs à longue focale, comme il le rapporte dans son mémoire de 1686, à propos des satellites de Saturne:
...& nous avons vû depuis tous ces Satellites par celle de 34 pieds, & continué de les observer aussi par les Verres de M. Borelli de 40 & de 70 pieds, & par ceux que M. Hartsoëker a nouvellement travaillez, de 80, de 155 & de 250 pieds. ( 3 ).
la lunette d'Hevelius
bouton lunette d'hevelius
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Il n'était plus question de construire des lunettes d'une telle longueur, seul Hevelius essaya avec la lunette de 46 m, décrite sans sa Machina Coelestis. Il fallait tout un appareillage compliqué de maintien et de levage, sans compter les aides. Aussi fallait il observer sans tuyau, mais même ainsi, on ne pouvait observer un astre trop haut dans le ciel, en plaçant l'objectif sur la terrasse de l'observatoire.
Colbert étant mort, Cassini demanda à Louvois, nouveau protecteur de l'académie, de faire transporter à l'observatoire la "Tour de Marly", une charpente de bois, qui lui permit d'utiliser d'utiliser les objectifs à très long foyer en les plaçant à hauteur convenable, et en regardant l'image du sol
Dans un mémoire de 1715, De la Hire explique comment on l'utilisait:
Cependant l'occasion de la Tour de bois qu'on apporta de Marly à l'Observatoire, lui donna la penser de poser ces Verres sur un pied qui couloit au long de deux coulisses qu'on appliqua dans les angles de cette Tour, ce qui en rendoit l'usage assez commode ( 4 ).

les gravures
bouton gravures
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Les différents instruments de l'observatoire sont représentés sur des gravures d'époque, en particulier, semble-t-il, la lunette de 11 m, comme un tuyau suspendu à ses deux extrémités.
En se rappelant que les instruments de cette époque héroïque, ont eu jusqu'à 50m et même 81 m de foyer ( les objectifs de Hartsoëker ), on comprend que ces nouveaux instruments aient pu passer l'obstacle de l'aberration chromatique, car la limite de résolution due au chromatisme devenait du même ordre que celle due à la diffraction. Avec une focale de 81 m la "division" fait 0.26 mm au foyer, ce qui est toujours inférieur à la résolution, mais suffisant pour que Cassini ait pu observer vraiment la trace sombre qu'elle provoque entre les anneaux A et B

Ainsi pour rendre à chacun ce qui lui appartient, il faudrait parler de "bande de Cassini" (découverte vers 1684), et de "division de Herschel" (découverte en 1792).
Aujourd'hui, grace à la sonde Cassini, nous savons que la"division de Herschel", se compose en fait d'une zone sombre sur l'anneau A, et d'un anneaux obscur, analogue à l'anneau C, entouré de deux réelles lacunes, qu'on pourrait appeler les "divisions de Cassini". Cassini A et Cassini B, par exemple

La bande de Cassini
Dans la "bande de Cassini", deux divisions principales entourent un "anneau de crèpe", lui même divisé

Beau travail Cassini! Hélas, ce n'est plus le même Cassini, et c'est même le triomphe de la machine sur l'homme. Pauvre Jean-Dominique, mystifié par Saturne.


Références

1) An Extract of Signor Cassini's Letter concerning a Spot lately seen in the Sun, together with a remarkable Observation of Saturn, made by the same, PHILOSOPHICAL Transactions, Vol. XI, 25 septembre 1676, p.690

2) OBSERVATIONS NOUVELLES DE M. Cassini, touchant le globe &t l'anneau de Saturne, JOURNAL DES SCAVANTS du lundy 1. Mars M. DC. LXXVII, p 56-59

3) CASSINI, NOUVELLES DECOUVERTES Des deux Satellites de Saturne les plus proches, faite à l'observatoire royal, MEMOIRES DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES. TOME X, p 702

4) DE LA HIRE, METHODE Pour se servir des grands Verres de Lunette sans Tuyau pendant la nuit, MEMOIRES DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES. Année M. DCCXV, p 4

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Dernière mise à jour: 27/09/2005