Dix premiers numéros de la
Passion Selon Saint Matthieu

de J.S. Bach


BMW 244 Edition Eulenburg, n° 953

Pour une analyse exhaustive de tous les aspects de cette oeuvre, se reporter à l'ouvrage de J. Chailley, Les "Passions"' de J.S. Bach, Paris, PUF, 1963/84. Pour une analyse approfondie du contexte, des conditions et du contenu des dix premières pièces se reporter au numéro spécial de l'Education Musicale, Baccalauréat 1997, 23 rue Bénard, 75014, Paris (70F).

Sommaire :

Définition
Historique
Circonstances de composition
Les personnages
La Passion selon Saint Matthieu
Le premier choeur
Les récitatifs n° 2- 4 - 6 - 8
Le choral n°3
N° 5 choeur I et II
N° 7 choeur I
N° 9 Recitativo
N° 10 Aria
En conclusion

 

Définition :

Une Passion est une mise en musique de l'Evangile relatant la Passion du Christ durant la Semaine Sainte.

Historique :

La dimension naturellement dramatique de la Passion a suscité très tôt (X° siècle) une solennité particulière, avec usage de timbres et de récitations, différents des évangiles ordinaires. Au XV° siècle, l'énoncé de l'Evangile de la Passion était partagé entre trois personnages, le Christ, l'évangéliste et la "canaille" ou Turba. Ce dernier rôle était parfois confié à la maîtrise qui, à travers une polyphonie d'abord simple, ensuite plus complexe, représentait la foule.

Au XVI° siècle, la Réforme luthérienne conserve cet usage mais désormais en langue allemande. Des chorals sont adjoints peu à peu (introduction, conclusion et intermèdes), ainsi que des ariosos et des arias énonçant la méditation du chrétien (passion-oratorio). Celle de Schütz et tout à fait représentative. Au XVIII° siècle, l'orchestre donne à la Passion protestante l'allure d'une très grande cantate (Bach) ou d'un oratorio (Haendel). Quelques rares Passions ont été écrites depuis, sans modification du genre (Frank Martin, Krzysztof Penderecki).

Circonstances de composition :

On pense que la Passion selon St Matthieu fut jouée en 1729 dans l'église St Thomas de Leipzig — ville où Bach fut maître de chapelle de 1723 à sa mort —, pour le jeudi Saint. Elle présente la particularité d'avoir été composée en fonction de la disposition spécifique des lieux qui comportaient deux orgues en vis à vis, le premier, sur la tribune au-dessus du portail d'entrée, le second (petit) derrière le choeur.

 

Comme les Gabrieli, exploitant (XVI° siècle) les particularités acoustiques de St Marc de Venise, Bach usera des possibilités spatiales exceptionnelles dont il disposait, pour placer deux orchestres et deux choeurs près de chacun des orgues, de part et d'autre des fidèles — mis ainsi au centre de l'action de manière stéréophonique. Pour cette Passion, Bach a travaillé en collaboration avec le librettiste Picander, ce qui a donné une cohérence accrue à l'ensemble de l'architecture de l'oeuvre.

 

Les personnages :

Ils sont constitués par des solistes personnalisés et des soliste anonymes.

L'Evangéliste : (ici Saint Matthieu) est traditionnellement un ténor, dans l'esprit de la "teneur" médiévale, qui au coeur de la polyphonie, énonçait la parole divine.

Jésus : il est confié non moins traditionnellement à une voix de baryton (ou de basse).

Pierre, Judas, le grand prêtre, et Ponce Pilate ont tous un timbre de baryton, le même soliste chantant plusieurs rôles.

Par ailleurs, à Leipzig les femmes n'avaient pas le droit de chanter dans l'Eglise. Les tessitures féminines étaient donc tenues par de jeunes garçons.

La Passion selon Saint Matthieu.

Les dix premiers numéros qui nous occupent ne concernent pas l'action à proprement parler (qui ne commence qu'après), mais ils campent les différentes formes d'expression que l'on rencontrera constamment par la suite et permettent ainsi de se faire une idée des caractéristiques de chacune d'elles. On y trouve : le choeur d'ouverture, un double choeur, un choeur simple, quatre récitatifs. Par le biais de la narration indirecte, trois de ces récitatifs, énoncés par l'évangéliste font entendre également Jésus. On trouve aussi un choral, un récitatif Arioso (mais Bach ne différencie pas le style arioso du secco, il dit indifféremment récitatif) suivi, à la manière traditionnelle, d'un Aria.

 

Dans l'ensemble de l'oeuvre on distingue très clairement la présence de deux plans distincts.

Le premier plan comporte les protagonistes (Jésus, Pierre, Judas, etc.), par lesquels s'accomplissent les événements, ainsi que la foule qui s'exprime à travers les choeurs de turba (la canaille), lesquels correspondent aux réactions élémentaires du commun des mortels, chantant comme l'on parle, sans y mettre ni forme, ni tournure châtiées, en interventions ou en simples interjections.

Au deuxième degré, on trouve également des choeurs qui se présentent comme une sorte d'émanations du choeur grec tragique. Ils commentent l'action de façon beaucoup plus organisée en disant ce qui se passe (comme le fait l'évangéliste) et ils se surimpriment aux protagonistes et à la turba, tout en se distinguant des chorals. Ce sont les choeurs de commentaires.

 

Le second plan se dégage clairement de l'action. Il s'exprime à travers des solistes anonymes et l'ensemble des chorals. Leurs textes sont des méditations sur le sens profond que revêt le sacrifice du Christ pour le chrétien.

Ces deux plans correspondent à une sorte d'ambivalence de type :

Protagonistes-action / commentaires-réaction. Il s'agira donc, pour l'analyse de chaque numéro, de bien identifier le mode d'expression concerné.

Remarque: Chez Bach, la relation musique-texte étant totale, il est nécessaire de constamment se préoccuper de la manière dont les sons traduisent le sens du texte (figuralisme), pour chaque pièce vocale, quelque soit son style. Par ailleurs, s'agissant d'une oeuvre religieuse, on ne peut faire l'économie ni d'informations élémentaires relatives au culte protestant luthérien, ni surtout des motivations religieuses de Bach, dont on sait qu'elles sous-tendent intégralement son esthétique. Les ignorer viderait toute l'oeuvre de son sens.

Le premier choeur

Pièce maîtresse des dix numéros considérés, tant par sa durée que par son ampleur, il constitue une ouverture dans tous les sens du terme. Au sens strict, puisqu'il initie l'oeuvre en son entier, mais également au sens théologique car, à la manière d'un portique de cathédrale, il introduit également à toute la symbolique incluse dans cet épisode, essentiel pour la foi du croyant.

 

NR.I - CHOR I UND II / N°1 - CHOEUR I et II

Kommt, ihr, Töchter, helft mir klagen, Venez, ô vous, mes filles ; et pleurez avec moi.

Sehet ! Wen ? D'en Bräutigam. Voyez ! Qui donc ? — Le fiancé.

Seht ihn ! Wie ? Als wie ein Lamm. Regardez-le ! — Comment est-il — Comme un agneau.

Sehet ! Was ? Seht die Geduld. Regardez ! Quoi donc ? — Regardez comme il est patient.

Seht ! Wohin ? Auf unsre Schuld. Portez vos regard ! — Mais où donc ? — Sur notre faute.

Sehet ihn aus Lieb und Huld Regardez-le. Par amour, parce qu'il est bienveillant,

Holz zum Kreuze selber tragen. Il porte lui-même le bois de la croix.

 

CHORAL (Ripieno) CHORAL (Ripieno)

O Lamm Gottes unschuldig Agneau de Dieu sans tache

Am Stamm des Kreuzes geschlachtet, Egorgé sur la Croix,

Allzeit erfund'n geduldig, Toujours plein de mansuétude,

Wiewohl du warest verachtet. Combien tu fus méprisé.

All' Sünd' hast du getragen, Tu as porté tous nos péché,

Sonst müssten wir verzagen. Sans toi, nous aurions désespéré.

Erbarm' dich unser, o Jesu. Aie pitié de nous, ô Jésus.

 

Initié par une période instrumentale très dense, ce choeur d'ouverture (en mi mineur) est un grand choeur symphonique, qui sonne d'une manière très processionnelle . Il est le seul dans toute l'oeuvre à comporter trois choeurs distincts : les deux choeurs dévolus aux deux orchestres, auxquels se rajoute dans la partie centrale un troisième choeur (d'enfants) énonçant le choral O Lamm Gottes unschuldig (agneau de Dieu sans tache).

Le texte du double choeur implique directement les fidèles dans le drame qui va se dérouler par une série d'interpellations, d'appels : Venez ! Voyez ! Regardez ! suivie des questions : qui ? où ? comment ? mots que les fidèles, placés physiquement au coeur de l'acte musical en raison de la disposition des interprètes, pourraient aussi bien prononcer eux-mêmes. Le texte, ainsi que la disposition stéréophonique contribuent donc à mettre l'auditeur en condition de participer en tant qu' "assistant" au sens actif du terme (et non en tant que simple auditeur passif) au drame de la Passion qui va se nouer. Il rappelle en effet au fidèle que le Christ va être sacrifié pour le racheter. Il contribue donc à le mettre également en condition au niveau spirituel.

On distingue trois grandes parties : I (mesures 1 à 30), II (mesure 30 à 72), III (mesures 73 à la fin).

La première partie (mesures 1 à 30) correspond à la première partie du texte (les trois premières lignes). Elle est précédée, on l'a dit, d'une puissante introduction instrumentale, entièrement tissée aux différentes parties, à l'aide d'une courbe mélodique très conjointe et d'un quasi-ostinato rythmique.

Le dessin mélodique est remarquablement conçu pour impulser une allure processionnelle à l'ensemble, et la progression polyphonique est telle, qu'elle évoque non un simple rythme de marche mais l'avancée d'une foule des fidèles, issue de toutes parts et allant dans toutes les directions. Au-dessous, une pédale de tonique au continuo (pédalier de l'orgue et basse) ancre ce mouvement sur la réalité statique/dynamique de l'éternité divine (pédale, à la fois immuable et pulsée).

Deux plans sont symbolisés d'emblée : le Divin éternel , immobile, hors temps, d'une part, et le monde de la manifestation en perpétuel mouvement et pris dans la temporalité dynamique, d'autre part.

Le contrepoint qui engendre la totalité instrumentale et vocale du choeur d'ouverture est issu des deux dessins complémentaires ci-dessus qui vont se trouver associés de façon constante (bois et violons). Partant de la même note mi, ces dessins se déploient en sens contraire, dans une continuité perpétuelle et en jouant de l'ambiguïté de deux tonalités (mineures 2ème forme) : la tonique mi mineur et la sous dominante la mineur. Par le jeu des imitations on gagne insensiblement en hauteur, en épaisseur et en densité, avec des dessins qui donnent tous l'impression d'avoir des débuts mais pas de fin ; de se perdre dans une écriture en spirale, génératrice d'une impression de tournoiement infini. A la mesure 14, l'orchestre se scinde en deux jusqu'à la fin de la période instrumentale (préfigurant le dialogue vocal qui s'instaurera à partir de la mesures 26).

A partir de la mesure 17, la polyphonie à quatre parties — entrecoupées de périodes instrumentales — va maintenant se déployer jusqu'à son terme selon deux modalités successives : une polyphonie à quatre, suivie d'un double choeur.

La première manière correspond à la première phrase du texte "Venez, ô vous, mes filles ; et pleurez avec moi". Son graphisme montre qu'elle reprend le contrepoint instrumental et le prolonge à travers un double regroupement sopranos/basses—altos/ténors qui entrent en imitation (S et B mesure 17 à la tonique, A et T mesure 18 à la dominante). A noter, à partir de la mesure 23, le traitement autonome de la flûte quasi concertante qui préfigure l'installation ultérieure du choral (3ème choeur). A observer également, le traitement spéciale du mot klagen (pleurer) souligné par des vocalises particulièrement importantes selon les voix : Les altos (mesures 19 à 25) ne sont qu'une longue lamentation sur klagen qui s'étale sur sept mesures (soit 26 temps d'un 12/8 modéré !), la phrase entière n'étant prononcée qu'une seule fois. Les sopranos accordent à ce mot les mesures 18 et surtout 21 à 25 d'une manière similaire. Les basses, elles, le soulignent par une répétition insistante (6 fois) et surtout (mesure 23) par deux gammes ascendantes (c.f. mesure 6 de l'introduction).

La deuxième manière correspond aux phrase suivante : "Voyez ! Qui donc ? — Le fiancé. Regardez-le ! — Comment est-il — Comme un agneau."

C'est au sein de cette partie vocale que s'opère la scission en double choeurs : celui qui appelle / celui qui répond, de façon lapidaire, comme un complément horizontal au premier, mais surtout en introduisant la notion de distance (par les deux choeurs qui se répondent à travers l'espace).

Le plan tonal de cette première partie se résume à deux pédales de tonique, l'une dans le ton principal mi mineur, l'autre dans le ton de la dominante si majeur et à une allusion à la sous-dominante la mineur qui conduit à l'entrée des voix. Le parcours tonal du double choeur, très simple, part de la tonique mi mineur et y revient (mesure 30) après être passé par la sous-dominante (la majeur) le relatif (sol majeur) et le relatif de la dominante (ré majeur). Deux par deux, les tonalité correspondent à l'énoncé de la phrase "vois, qui ? le fiancé / regarde-le, comment ? Il est comme un agneau" dont la répétition est traitée en marche.

La 2ème partie (mesures 30 à 72) correspond à la 2ème partie du texte qui reprend l'idée du sacrifice de l'agneau : "Regardez ! Quoi donc ? — Regardez comme il est patient. Portez vos regard ! — Mais où donc ? — Sur notre faute. Regardez-le. Par amour, parce qu'il est bienveillant, il porte lui-même le bois de la croix." celle-ci rend évidente la présence du choral "O agneau de Dieu..." qui plane par phrases longuement séparées, avec une rythmique intemporelle (la divinité), au-dessus du double choeur (l'humanité). La structure très complexe de cette 2ème partie est édifiée à partir des deux éléments caractéristiques de la 1ère partie : le double dessin mélodique initial et l'épisode dialogué entre les deux choeurs. Ces éléments conservent leur dynamique propre, par opposition au choral qui les domine, en créant l'illusion de ne pas leur être assujetti. Cette autonomie réciproque provient non seulement du fait que les textes superposés ne sont pas les mêmes, mais également du fait notamment de la superposition de deux vitesses différentes mais néanmoins parfaitement coordonnées.

La 3ème partie (mesures 72 à la fin) est une amplification grandiose de la première partie, par réexposition de tous les éléments de l'architecture sonore utilisés jusque là.

C'est une période de synthèse. Elle est la plus longue, la plus dense en nombre de notes et en trajets mélodiques qui se superposent.

Observons pour finir que l'ensemble de ce choeur monumental (au sens le plus profond du terme) présente un équilibre remarquable entre une atmosphère extrêmement structurée, harmoniquement stabilisée, rassurante, et un multiplicité de lignes intérieures à ce cadre, d'une mobilité telle, qu'on ne parvient pas à les saisir, mais dont la puissance d'impact n'est que plus prodigieuse encore.

Les récitatifs n° 2- 4 - 6 - 8

Plus qu'une analyse locale systématique, les récitatifs appellent surtout une méthode d'appréhension générale visant à déterminer en premier lieu leur style et en second lieu le type d'adéquation musique/texte choisi par Bach et ceci à travers une analyse littéraire du texte, suivie d'une recherche des différentes adéquations localement utilisées (courbe mélodique particulière, nature des intervalles harmoniques ou mélodiques, des harmonies, des modulations, nature des enchaînements à ce qui précède le récitatif et à ce qui le suit (au plan tonal notamment), étant entendu que les récitatifs ont une double fonction, celle d'informer sur l'action en devenir, et celle de lier un événement à un autre. Ce que l'on en attend, c'est essentiellement la justesse de déclamation par rapport au texte et non par rapport à la musique elle-même.

Les récits de l'évangéliste sont traités en récitatifs secco, presque a capella. On remarque que l'écriture pour clavier qui soutient l'Evangéliste est beaucoup plus celle d'un clavecin (sons non-tenus) que d'un orgue, alors qu'inversement la partie de continuo qui soutient Jésus est systématiquement en valeurs tenues longuement, qui ne peuvent être jouées que par un orgue.

Ce timbre d'orgue plus continuo dévolu à Jésus est systématiquement accompagné des instruments du quatuor, le nimbant constamment d'une luminosité toute particulière.

Le choral n°3

C'est le premier des chorals dont diverses strophes vont émailler l'ensemble du drame. Motivé par les paroles qui précèdent ("livré et crucifié"). Il est un premier commentaire de ce qui va arriver et que le chrétien commente sans attendre; Il procède donc par excellence de ce second plan méditatif que nous avons évoqué plus haut. C'est un choral de commentaire. Son harmonisation est simple, car le drame n'est pas encore engagé. Lorsqu'on le retrouvera, aux numéro 25 et 55, elle sera alors plus dramatique. Observer le renforcement figuraliste du texte par la musique, notamment :

— A la mesure 3, par le la# à la basse qui renforce l'expression par un demi ton (la# si) sur le mot verbrochen (failli).

— A la mesure 5, par une harmonie de 7ème d'espèce assez "dure" dans le contexte, sur le mot urteil (jugement).

— Aux mesure 8-9, le mot missetaten (péché) qui est accompagné d'une gamme descendante (sur sept notes), suivie d'un intervalle mélodique de quinte diminuée significatif.

N° 5 choeur I et II

C'est le tout premier exemple de choeur de turba. Il évoque la réunion des conspirateurs autour du Grand Prêtre. Complètement différent du choral précédent, il est traité avec vivacité, voire brutalité et passe rapidement. C'est un double choeur, traité en canon à la quinte, avec amplification rythmique lors de la répétition intégrale de la phrase : "Oui, pas pendant la fête (il s'agit de se débarrasser de Jésus en le sacrifiant) afin qu'il n'y ait pas de remous dans le peuple", à remarquer (mesures 3 et 5) le traitement figuré du mot remous (qui "ondule") sur des vocalises par mouvements conjoints ascendants et descendants.

N° 7 choeur I

Le récitatif précédent a mis en scène une femme, versant un parfum très cher sur la tête de Jésus. Ce choeur des apôtres lui est consécutif. Il s'agit d'un deuxième choeur de turba, en ce sens qu'il traduit la réaction indignée et spontanée du groupe des disciples. Il est caractérisé par un traitement extrêmement syllabique sur wozu dienet dieser unrat (à quoi sert ce geste insensé) avec des exclamations fusant ensuite de toutes parts sur wozu (à quoi ?) et qui se pressent au-dessus d'une marche harmonique insistante. La 2ème partie (mesure 4), consiste en imitations serrées (tous les apôtres ont la même opinion) avec vocalises qui soulignent à chaque voix le mot Armen (pauvres).

On peut observer dans les choeurs de turba une harmonie beaucoup plus instable, plus fuyante. Cela tient au fait que ce sont des choeurs d'action, de mouvement.

N° 9 Recitativo

C'est l'arioso "du parfum répandu", en relation directe avec ce que vient de dire Jésus dans le récitatif (n°8) précédent (particulièrement intéressant du point de vue du figuralisme). Dans toute la Passion selon Saint Matthieu et sous l'influence de l'opéra (de la tradition dont il provient) l'arioso est une transition avec l'air qui le suit. Il en contient d'avance toute la couleur orchestrale mais sa courbe mélodique commente librement, avec la souplesse de déclamation d'un récit beaucoup plus chantant. Les figuralismes n'en sont que plus expressifs. Voir par exemple mesure 6-7 la chute de sixte majeure sur zum Grabe (au tombeau) et surtout le flot descendant de valeurs rapides et conjointes sur la phrase "de mes yeux coule une eau que je verse sur ta tête". Il se termine sur la dominante de si mineur (fa#) qui devient tonique de l'aria suivant.

N° 10 Aria

De coupe A B A c'est un Aria da capo. Les arias sont les épisodes les plus lyriques de l'oeuvre. Pour chacun, Bach choisit une construction thématique bâtie sur deux mots-clefs antithétiques. Ici, c'est l'idée de larmes et celle de coeur-brisé qui donnera naissance au thème :

Les larmes qui coulent sont traduites par les premières double croches conjointes descendantes, le coeur brisé par les groupes de trois croches et de tierces (séparation verticale en tierces et dynamique, par franchissement d'intervalles de tierces, quartes et quintes). Ce figuralisme important enserre une mélodie particulièrement chromatique qui développe son propre figuralisme sur l'idée de pénitence et de repentir (Buss und Reu) répétés huit fois. Instruments et voix traduisent ainsi la totalité du sens propre au texte. La construction, très claire comporte douze mesures d'un prélude instrumental puis une partie A, faite de périodes vocales de huit mesures (+/- 4) avant le retour intégral de la ritournelle initiale (douze mesures).

La deuxième période B est un développement descriptif sur le mot Tropfen (gouttes) tant aux deux flûtes qu'à la voix. A son issue, le premier volet A est repris en entier.

En conclusion

Ces premiers numéros qui doivent susciter l'envie de découvrir l'oeuvre en son entier permettent déjà de pressentir les composantes essentielles du génie de J.S. Bach qui réside dans une maîtrise souveraine de tout les styles d'écriture qui l'ont précédé, au service d'une volonté d'expression symbolique prise aux sources de la théologie luthérienne, qu'il traite à des fins d'enseignement et d'édification du fidèle. N'a-t-on pas nommé J.S. Bach "Le cinquième évangéliste" ? Le philosophe Cioran le considérait sans doute, lui qui a écrit un jour :

"S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu !"

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