"la recherche du temps perdu"
Adaptation de l'oeuvre de marcel Proust en BD

Avis partagés...

 


Emilie: Proust a changé ma vie!

Tout d'abord combien de personnes ont lu l'œuvre entière ? Surement peu. Les 3 premières BD Combray, Al'ombre des jeunes filles en fleurs 1 et 2 inciteront surement quelques lecteurs à lire l'œuvre. En effet, si on a donné la chance à cette œuvre d'être adaptée en BD, c'est peut-être pour convaincre plus de lecteurs . Pro-Proust que je suis, quand j'ai vu Combray sur les présentoirs j'ai été consternée.

Comment peut-on tronquer un tel texte ? C'est justement ce qui est très réussi dans ces 3 tomes. Certaines phrases clé ont été choisies afin de permettre de suivre l'histoire du narrateur. Bien entendu toute la puissance du texte ne peut pas être conservée dans une adaptation. Mais les phrases sélectionnées ne peuvent que toucher le lecteur quant à l'écriture de Proust. De plus, les dessins sont en accord avec les décors qu'on imagine quand on lit l'œuvre et permettent rapidement de se replonger dans l'ambiance. Un lecteur de Proust m'a dit qu'il craignait de lire une adaptation en BD de peur que les dessins imposés brident son imagination. C'est aussi ce que je pensais avant de lire cette adaptation. Je l'ai non seulement lue mais aussi observée. En effet, certaines images sans texte ne peuvent que toucher celui qui lu l'œuvre. Seul celui-ci peut comprendre l'importance de cette image suplémentaire qui pour un néophyte doit être banale. Ces petits clin-d'œil ne peuvent que charmer le lecteur, et libre au néophyte d'inventer l'importance de cette scène.

En ce qui concerne les dessins en tant que tel, comme je ne suis pas une habituée des BD, je ne pense pas aavoir la compétence de les commenter. Cependant, ceux-ci m'ont touchée. Le dessin n'est pas agressif, les couleurs pastels je pense, nous fondent dans un univers qui rappèle la réflexion et si certains moments de l'œuvre sont vécus difficilement par le narrateur, les mots sont conservés pour nous le faire revivre. Ce qui se dégage bien de ces dessins, c'est que tout n'a pas besoin d'être noir autour pour éprouver des moments de mal être. La rencontre avec Albertine, l'une des protagoniste de l'œuvre est très bien relatée par les dessins. L'illustration fait ressentir la quête du narrateur. Les dessins sans commentaire suffisent à faire comprendre, d'une part le jeu qui s'installe entre elle le narrateur, d'autre part le suspens que l'on ressent à la lecture de l'œuvre. Que se passera-t-il entre eux ? Lisez la suite.

Emilie.

 

 

 


Nono: pourquoi pas?

Les couleurs sont très belles et originales et s'intègrent bien dans la BD. Petite ombre au tableau, les dégradés sur les visages et les vêtements des personnages essaient de les fondre dans le décor mais sont un peu trop, d'autant que les vieiles habitudes ont la peau dure et q'on s'est un peu fait à la ligne claire (salaud 'Hergé, va!!!) qui entraine qu'on s'est fait au principe de séparer clairement les personnages du décor.

Les paysages (contrairement à ce que des esprits obtus pourraient penser...) sont très bien rendus et l'utilisation de photoshop (enfin je pense) est vraiment bien maitrisée, surtout quand on pense à tous les ratages habituels. Cela permet d'avoir un coté pastel sur les paysages qui, comme le dit Emilie, retranscrit bien l'athmosphère du livre. Au niveau du découpage, l'auteur emploie diverses méthodes pour alléger le texte, une des plus réjouisssantes est l'emploi (sans abus) de petits dessins de silhouettes detype gravure qui se mêlent aux textes et qui, tout en donnant un peu plus de légereté à des textes assez longs, donne un coté un peu ancien, vielli par le temps mais en même temps un peu raffiné, ce qui "colle" assez bien au récit.

Nono.

 

 

 


Olivier: pas convaincu...

Ayant eu le malheur d'avouer à certains membres éminents et haut placés de notre rédaction que j'avais lu il y a quelques années, sous la contrainte d'un système pédagogique enferré dans les certitudes de ses grands classiques, ce pavé insipide que certains, peu nombreux, nomment roman et que d'autres, dépourvus de toute vergogne, osent commercialiser en librairie - je parle évidemment ici de La recherche du temps perdu, pour ceux qui n'auraient pas lu le titre de l'article, et c'est probablement votre cas si vous êtes arrivé jusqu'ici malgré cette mise en garde préliminaire - je me suis retrouvé affecté de la sordide mission consistant à me procurer par des moyens éventuellement inavouables, à ingérer en un temps inférieur à l'année terrestre, et à critiquer en respectant les principes d'honnêteté intellectuelle qui sont à la base de notre ligne éditoriale, sa sympathique mais néanmoins laborieuse adaptation en bande dessinée.(1)

Bien décidé à mettre de côté mes a priori contre le bouquin originel, c'est avec un enthousiasme réel mais mesuré que j'ai ouvert le tome 1 de A l'ombre des jeunes filles en fleur (et pas "en cloque" Virgile, tu as vraiment un mauvais fond). Première mauvaise surprise qui me saute au visage comme un Gremlin en manque de sensations fortes : des dessins ligne claire fadasses pour nostalgiques des années cinquante, à peine plus léchés que ceux de Totor C.P. des Hannetons, la couleur en plus. Notez que c'est effectivement un plus, car les tons pastel sont dans l'ensemble bien adaptés et plutôt réussis.

Passons sur l'inconstance du trait de Stéphane Heuet, sur ses tentatives d'ombrés sur les visages assez maladroites, ou sur ce grain de beauté d'Albertine qui aurait mérité de dépasser le stade fantomatique. Transcendons nos préjugés face à cette mise en page lourde et déséquilibrée. Et tentons de nous intéresser à la narration de cette histoire si insipide dans mes souvenirs.

Force est alors de reconnaître que Heuet a parfaitement accompli ce qui devait après tout être dans son esprit sa mission première . Cette BD est une bonne adaptation du roman : on y retrouve un héros insignifiant auquel on a bien du mal à s'attacher, une histoire longuette qui ne mène nulle part, une absence quasi totale d'action - à part peut-être cette cascade spectaculaire où une jeune fille, en fleur comme il se doit, saute par-dessus un malheureux pépé assis dans son fauteuil. Bref, tout ce qui fait que l'œuvre originelle est difficilement transposable sur un autre support sans générer un produit bizarrement proportionné.

Proust n'a pas écrit un roman d'aventures, mais des récits basés sur les sentiments et les réflexions intérieures de son héros. Superbe défi, donc, que de vouloir mettre une telle œuvre en dessins. Le pari semble perdu d'avance, l'est-il vraiment au final? On passe tout de même bien plus de temps à lire du texte qu'à regarder les illustrations. Et ce ne sont pas ici des phrases simples comme "et le Professeur Mortimer ouvrit la porte" qu'il nous faut décrypter, mais de vrais morceaux de Proust extraits du bouquin, et dans l'ensemble remarquablement bien choisis. Les planches 16 et 17 du premier tome sont un bel exemple de ce travers dans lequel le dessinateur est trop souvent tombé : négliger la mise en page et l'équilibre texte/dessins, pour tenter de caser un maximum de citations du livre.

Je vous épargne les poncifs sur l'adaptation d'un livre en dessins, qui entrerait en conflit avec la vis(ualisat)ion que chacun peut avoir de l'histoire. Le sujet n'est pas de débattre de la pertinence de vouloir transposer un bouquin au risque de produire une œuvre tronquée. Mais il est de juger la qualité des albums pondus par Stéphane Heuet. Or prise en tant que telle et hors de son statut d'adaptation, cette Recherche du temps perdu est une BD vraiment décevante. Et si elle est fidèle aux romans d'origine, c'est bien là son seul mérite : celui qui se risquera à lire Proust après ça ne pourra pas prétendre qu'il n'a pas été prévenu…

Olivier.

 

 

 


(1) Cette phrase dintroduction est volontairement pataude et indigeste, car destinée à impregner le lecteur de ces traits caractéristiques de l'oeuvre du grand Marcel (Proust, pas Desailly).
(2) Je me refuse à céder au jeu de mot facile sur ce titre, d'autres l'ayant fait bien avant moi.

Nous écrire...  
Retour au Sommaire