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3

Cycle  

Transgressions, 茅volutions

Evolution / transgression : voil脿 une dichotomie qui confine 脿 l鈥檃ntinomie, car
autant l鈥櫭﹙olution 茅voque la mani猫re douce, autant la transgression d茅note 
l鈥檃cte brutal鈥 mais cette opposition tranch茅e m茅rite des prolongements, des dis-
cussions, des nuances dialectiques. A priori, pas de rapport entre les 
茅volutions : processus continus, changements progressifs, d茅placements
harmonieux d鈥檜n navire ou d鈥檜n danseur, transformations lentes d鈥檜n individu ou
d鈥檜ne esp猫ce, et les transgressions : d茅passement, rupture, violation ; t茅moins
Adam et Eve, nos anc锚tres grands transgresseurs devant l鈥橢ternel, ou bien, si on

pr茅f猫re un point de vue plus anthropologique, nos tribus et leur stricte r茅gulation

de la violation des tabous.

Mais entre ces deux 茅l茅ments que tout semble opposer, il existe des

collusions indubitables : les transgressions les plus avant-

gardistes peuvent se voir assimil茅es par l鈥櫭﹙olution des

esprits, le retour au pass茅 peut prendre figure de 

nouveaut茅, les lentes phases d鈥檜ne 茅volution 

m没rissent le surgissement apparemment brusque

d鈥檜ne r茅volution irr茅versible. Le bateau qui 

茅volue peut totalement virer de bord ! 

Autre exemple de relation : ces bouleversements dus

脿 l鈥檈nvahissement progressif des continents par la mer,

茅volutions que la g茅ologie nomme justement 
transgressions marines鈥 En bref, pour m茅riter le 

qualificatif bergsonien de cr茅atrice, l鈥櫭﹙olution doit non 

seulement 锚tre progressive, mais transgressive.

Cette discussion s鈥檈st incarn茅e et enrichie lors de trois tables rondes r茅unissant 
18 intervenants : conservateurs de mus茅e, directeurs de th茅芒tre, m茅decins,
enseignants-chercheurs en architecture, en arts plastiques, en droit, en 
langues, en sciences, en sociologie. Dans la diversit茅 des sujets convoqu茅s (p锚le-
m锚le : ADN, mystifications, chimie de l鈥檌nerte et chimie du vivant,
茅thologie, mais aussi grandes figures : Antigone, Darwin, Einstein鈥), certains ont
soulev茅 des probl猫mes 茅thiques sp茅cifiques et d鈥檃utres ont pos茅 de 
mani猫re plus g茅n茅rale la question du progr猫s, ou celle de la place du Beau au
royaume du Vrai.

Guy Chouraqu

i

(Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie :

IRIST, EA 3424, ULP)

D茅couvertes scientifiques : processus et progr猫s : Guy Chouraqui

(Institut de recherches interdisciplinai-

res sur les sciences et la technologie : IRIST, EA 3424, ULP)

L鈥檃rt, n茅cessairement transgressif ? : Jean-Louis Flecniakoska

(D茅partement Arts plastiques et

Approches contemporaines de la cr茅ation et de la r茅flexion artistique, EA 3402, UMB)

Du canular 脿 la mystification intellectuelle鈥 : Michel Hoffert

(脡cole et observatoire des sciences de la

Terre, ULP)

Ils ont veill茅 au contenu scientifique des tables-rondes du cycle

73

background image

Les livres d鈥檋istoire ne racontent pas tout sur les processus de 
d茅couvertes scientifiques. Quelle est la part respective de l鈥檌nspiration et
de la transpiration ? Et celle de respect des sciences 茅tablies et de leur 
transgression ? On ne peut mieux le savoir qu'en demandant directement
aux chercheurs de diff茅rentes disciplines de nous parler de leur 
quotidien, de la science en train de se faire.

La curiosit茅. Ils en conviennent tous, la curiosit茅 est la base de la 
motivation d鈥檜n chercheur. Comprendre comment, savoir pourquoi,
voil脿 le leitmotiv de Jean-Marie Lehn, chimiste, H茅l猫ne Dollfus, 
m茅decin g茅n茅ticien, Jean-Yves M茅rindol, math茅maticien, Ariane
Lan莽on, astrophysicienne et Florence Rudolf, sociologue. 鈥 Laisser
courir son imagination et mettre en pratique les th茅ories et les 
exp茅riences qu鈥檈lle vous a sugg茅r茅es 鈥
, Jean-Marie Lehn

1

invoque la

libert茅, l'absence de limite et de dogme qui caract茅rise la recherche
scientifique. Il y a le plaisir d鈥櫭猼re la premi猫re, et pendant quelques 
heures, la seule 脿 conna卯tre un petit d茅tail de l鈥檜nivers, avoue Ariane
Lan莽on

2

en souriant. Florence Rudolf

3

raconte aussi le d茅sir de 

t茅moigner pour ceux qui n鈥檕nt pas la parole et H茅l猫ne Dollfus

4

l鈥檈spoir

que ses recherches sur des maladies g茅n茅tiques rares am茅liorent la vie
des patients qu鈥檈lle c么toie tous les jours. 鈥 Ces motivations sont 脿 
l鈥檕rigine de notre pers茅v茅rance et de nos efforts pour d茅cortiquer des
donn茅es difficiles, faire face 脿 la n茅cessit茅 de produire des r茅sultats et
de supporter la concurrence 鈥
, estime Ariane Lan莽on. 

Sciences en beaut茅

鈥 Quel est le r么le de la beaut茅 dans vos recherches ? 鈥, questionne Guy
Chouraqui, physicien, chercheur en histoire des sciences et m茅diateur
de la table ronde

5

. Chacun trouve un 茅l茅ment d鈥櫭﹎erveillement dans

son travail, qui y apporte une dimension esth茅tique : la forme d鈥檜ne
mol茅cule, la double h茅lice de l鈥橝DN, le ciel. Jean-Marie Lehn parle de
l鈥檃ttrait fondamental de la chimie pour lui : la possibilit茅 de faire sortir
d鈥檜ne mati猫re un objet qui n鈥檡 茅tait pas, un peu comme un sculpteur fait
na卯tre une statue d鈥檜n bloc de roche. Florence Rudolf 茅voque le plaisir
de traduire la complexit茅, de la rendre compr茅hensible avec des mots.

鈻 

Guy Chouraqui 

(Institut de recherches interdiscipli-
naires sur les sciences et la
technologie, EA 3424, ULP)

H茅l猫ne Dollfus 

(Service de g茅n茅tique m茅dicale 
des H么pitaux universitaires de
Strasbourg et Facult茅 de m茅decine,
ULP)

Ariane Lan莽on 

(Observatoire astronomique de
Strasbourg, UMR ULP/CNRS 7550)

Jean-Marie Lehn 

(Coll猫ge de France, Paris et Institut
de science et d'ing茅nierie 
supramol茅culaires, ULP)

Jean-Yves M茅rindol 

(Institut de recherche math茅matique
avanc茅e, ULP)

Florence Rudolf 

(D茅partement d'urbanisme et 
d'am茅nagement r茅gional, UMB 
et Laboratoire Cultures et soci茅t茅s
en Europe, UMR UMB/CNRS 7043)

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du 11 octobre 2004 

TNS, salle Bernard Marie-Kolt猫s

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D茅couvertes scientifiques : 
processus et progr猫s

Cycle  

T

ransgr

essions, 茅volutions  

74

Charles Darwin. Cr茅dit : TNS

Jean-Marie Lehn 

De gauche 脿 droite : H茅l猫ne Dollfus, Jean-Yves M茅rindol

1 - Coll猫ge de France, Paris et Institut de science et d'ing茅nierie supramol茅culaires : ISIS, ULP,
www-isis.u-strasbg.fr. Jean-Marie Lehn a re莽u le prix Nobel de chimie en 1987.
2 - Observatoire astronomique de Strasbourg, UMR ULP/CNRS 7550, 
http://astro.u-strasbg.fr/Obs.html
3 - D茅partement d'urbanisme et d'am茅nagement r茅gional, UMB et Laboratoire Cultures et soci茅t茅s
en Europe, UMR UMB/CNRS 7043
4 - Service de g茅n茅tique m茅dicale des H么pitaux universitaires de Strasbourg, 
www.chru-strasbourg.fr et Facult茅 de m茅decine, ULP, http://alsace.u-strasbg.fr
5 - Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie : IRIST, EA 3424,ULP,
http://irist.u-strasbg.fr

background image

3

Mais c鈥檈st en math茅matiques que l鈥檈sth茅tique est un
v茅ritable moteur. 鈥 Si fort qu鈥檌l faut s鈥檈n m茅fier, pr茅vient
Jean-Yves M茅rindol

6

.  Certaines choses sont si belles

qu鈥檕n en arrive 脿 penser qu鈥檈lles doivent 锚tre vraies. 鈥
L鈥檈sth茅tique math茅matique est diff茅rente de l鈥檈sth茅tique
artistique, elle est une forme intrins猫que de beaut茅
comme la sym茅trie dans toutes ses acceptions ou la r茅so-
lution d'un ph茅nom猫ne complexe avec un nombre limit茅
d鈥檈xplications 茅l茅mentaires. 鈥 Une d茅monstration peut
锚tre 茅l茅gante. Les go没ts diff猫rent en la mati猫re, ce qui
donne lieu 脿 des discussions passionn茅es dans les caf茅-
t茅rias de math茅maticiens. Pour ma part, une d茅monstra-
tion est belle si elle explique en elle-m锚me pourquoi elle
marche, si elle donne la raison de sa propre
d茅monstration. 

" Inventer, c'est penser 脿 c么t茅 "

7

鈥 La recherche avance le plus souvent par des 茅volu-
tions. C'est par exemple le cas du tableau p茅riodique de
Mendeleiev

, qui classe tous les 茅l茅ments de la mati猫re.

Les ruptures, elles, am猫nent des changements de para-
digme, comme Dirac

9

qui pr茅dit l鈥檃ntimati猫re

10

. Enfin,

les manipulations que l鈥檕n peut entreprendre sur l鈥橝DN
sont des transgressions, un refus des contraintes impo-
s茅es. 鈥 
H茅l猫ne Dollfus confirme le propos de Jean-Marie
Lehn sur ce point. La g茅n茅tique est une discipline o霉 de
nombreuses transgressions sont envisageables : clonage,
tests g茅n茅tiques, diagnostic pr茅natal, OGM

11

, etc. 

A l鈥檌nverse, le chemin des transgressions est tr猫s 茅troit en
math茅matiques. Modifier quelque chose qui allait de soi
dans le pass茅 se produit extr锚mement rarement, quelques
fois par si猫cle, constate Jean-Yves M茅rindol, et la plupart
des math茅maticiens n鈥檈n sont pas capables. 鈥 La trans-
gression est aussi un d茅placement qui peut parfois bous-
culer beaucoup plus profond茅ment qu鈥檕n ne l鈥檃urait
pens茅 鈥
, avance Florence Rudolf.

鈥 Dans les ann茅es 1950-60, la constatation que d鈥檃utres
esp猫ces animales comme les bonobos ou les chimpanz茅s

avaient conscience d鈥檈lles-m锚mes a 茅t茅 un grand choc.
Cette d茅couverte fondamentale n鈥檈st-elle pas une 
transgression ? 鈥
, sugg猫re un auditeur. Pour Jean-Yves
M茅rindol, la vraie transgression est due 脿 Darwin qui a
replac茅 l鈥檋omme au sein de toutes les esp猫ces animales.
鈥 Nous avons compris que nous 茅tions en 茅volution, mais
nous consid茅rons encore que l鈥櫭﹙olution a un sommet,
l鈥檋omme,  
d茅plore-t-il. Non seulement l鈥櫭﹙olution est 
neutre, mais elle continue. 鈥 
Ariane Lan莽on note que 
l鈥檌d茅e r茅volutionnaire de la conscience des bonobos ne
semble plus choquer personne. Cela prouve que les 
transgressions entrent rapidement dans les m艙urs et que
les gens sont en g茅n茅ral assez ouverts aux id茅es nouvelles.

Un homme interpelle les intervenants sur 鈥 une transgression
mal connue et diffam茅e : la parapsychologie. Cette science
茅tudie les anomalies scientifiques, en particulier les
interactions psycho-physiques. 鈥 
Pour Jean-Marie Lehn,
si les ph茅nom猫nes qu鈥檈lle d茅crit existent et sont 
mesurables, il est 茅vident qu鈥檈lle sera un jour 茅tudi茅e. 
鈥 Le probl猫me est que rien n鈥檈st g茅n茅ral, reproductible
ou contr么lable. Ce domaine ne remplit pas les crit猫res
fondamentaux des sciences exp茅rimentales. Il n鈥檈st 
pas encore une science.鈥 
Jean-Yves M茅rindol commente :
鈥 Nous sommes pris au pi猫ge de l鈥檌d茅e, que nous avons
d茅fendue, que la transgression est n茅cessaire 脿 la science.
On nous en offre une et nous la rejetons. C鈥檈st qu鈥檌l 
y a transgression et transgression. En tout cas, la force
id茅ologique de la d茅marche scientifique est prouv茅e : des
personnes persuad茅es que le raisonnement scientifique
n鈥檈xplique pas les choses essaient de pr茅senter la 
parapsychologie comme scientifique. 鈥 
Florence Rudolf
rench茅rit :鈥 Pourquoi est-ce que ce domaine pr茅tend 脿 
la scientificit茅 ? D鈥檃utres domaines qui donnent du sens
脿 la vie des gens ne s鈥檈n r茅clament pas. Le roman ne 
fait pas r茅f茅rence 脿 la science et 脿 son autorit茅. C鈥檈st 
peut-锚tre qu鈥檌l manque diff茅rentes formes de partage du
sens. 鈥

Transgresser jusqu鈥檕霉 ?

Les cons茅quences des d茅couvertes de la g茅n茅tique pour la
soci茅t茅 appellent 脿 une r茅flexion 茅thique. H茅l猫ne Dollfus
met en garde contre les risques de d茅rive. Les diagnostics
pr茅natal

12

et pr茅-implantatoire

13

sont un pas vers la qu锚te

de l鈥檈nfant parfait par la s茅lection d鈥檈mbryons et les tests
pr茅dictifs

14

font surgir le spectre de la discrimination.

75

6 - Ancien pr茅sident de l鈥橴LP et Institut de recherche math茅matique avanc茅e :
IRMA, ULP, 
www-irma.u-strasbg.fr
7 - Citation d鈥橝lbert Einstein, physicien suisse puis am茅ricain, 1879 - 1955
8 - Dmitri Mendeleiev, chimiste russe, 1834 - 1907
9 - Paul Dirac, physicien britannique, 1902 - 1984
10 - Forme de la mati猫re compos茅e d鈥檃ntiparticules
11 - Organismes g茅n茅tiquement modifi茅s
12 - L鈥檃nalyse d鈥檜n embryon de trois mois permet de rechercher une mutation
g茅n茅tique grave pour d茅cider ou non d鈥檜ne interruption m茅dicale de grossesse.
13 - Les embryons obtenus par f茅condation in vitro sont test茅s pour n鈥檌mplanter
qu鈥檜n embryon non porteur d鈥檜ne mutation g茅n茅tique.
14 - Tests g茅n茅tiques r茅v茅lant la pr茅sence d鈥檜ne mutation li茅e 脿 une pathologie
grave

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La transgression respectueuse

Pers茅v茅rance, curiosit茅, efforts, soif de savoir, travail acharn茅, esprit de jeu鈥 
ces divers ingr茅dients entrent dans la composition du cocktail qui fait avancer les 
chercheurs. Mais existe-t-il une recette pour concocter des d茅couvertes ? 
Guy Chouraqui, physicien et chercheur en histoire des sciences

1

, livre ici quelques

pistes aliment茅es par sa fascination pour les grands d茅couvreurs.

Qu'est-ce qu'une d茅couverte 
scientifique ?

La science proc猫de par petits pas ou par grands bonds.
Ces deux mouvements sont indissociables. Copernic

2

et

Kepler

3

ont 茅t茅 d茅pendants de minuscules progr猫s accu-

mul茅s pendant des g茅n茅rations, par exemple la prise de
conscience que les plan猫tes sont distinctes des 茅toiles,
gr芒ce 脿 l鈥檕bservation patiente et minutieuse du ciel. Une
d茅couverte est donc constitu茅e de ces grands bonds qui
n'ont lieu que quelques fois par si猫cle, mais aussi des
petits pas qui les pr茅c猫dent. Les scientifiques d茅couvrent
tous les jours.

Quelles sont les conditions 
qui favorisent l鈥櫭﹎ergence 
des d茅couvertes ?

On ne le sait pas, d鈥檃bord parce qu鈥檌l y a relativement peu
d'茅tudes de grande envergure sur les processus scienti-
fiques. Certes, on n鈥檈n est plus au folklore, 脿 Newton

4

et

sa pomme... Mais qui peut pr茅dire o霉 va se produire une
d茅couverte : 脿 l'obscur Office des brevets de Berne

5

ou au

c茅l猫bre MIT

6

? Certaines institutions ont 茅t茅 fond茅es pour

devenir des p茅pini猫res 脿 nouveaut茅s scientifiques.
Pourtant, beaucoup de d茅couvertes sont l'艙uvre de 
personnes marginales qui ne travaillent pas dans un cadre
prestigieux. En tout cas, une d茅couverte n鈥檈st pas le 
simple fruit du hasard. Seul un scientifique bien pr茅par茅
peut saisir l'opportunit茅 qui se pr茅sente. Alexander
Fleming

7

a d茅couvert dans ses bo卯tes de Petri le 

lysozyme

8

et la p茅nicilline

9

gr芒ce 脿 des concours de cir-

constances qu鈥檌l n鈥檃vait pas provoqu茅s, mais qu鈥檌l s鈥櫭﹖ait
pr茅par茅 脿 exploiter鈥 Comme dans bien d鈥檃utres cas, le
hasard ne peut se r茅v茅ler f茅cond que gr芒ce 脿 la volont茅
f茅roce du chercheur, 脿 sa culture et 脿 sa motivation et,
plus tard, 脿 des collaborations interdisciplinaires. La pro-
gression des sciences suppose sans doute aussi une prise
de risque, comme de travailler sur des souches virales ou
de modifier des g猫nes.

L鈥檈sth茅tique est une dimension 
que l鈥檕n ne s鈥檃ttend pas 脿 trouver en
science, mais que vous n鈥檕ubliez
jamais de citer. Quel est son r么le
dans les d茅couvertes scientifiques ?

Dans tous les domaines des sciences une dimension esth茅-
tique intervient. Les physiciens parlent de beaux spectres,
de belles th茅ories englobantes, les math茅maticiens d鈥檜ne
belle d茅monstration lorsqu鈥檈lle porte en elle-m锚me sa 
propre n茅cessit茅, un peu comme une 艙uvre d'art. 
Ce rapprochement de l'art et des sciences n'est pas un
hasard. Le cerveau du scientifique et celui de l'artiste sont
identiques dans leurs contraintes, leurs lois, leurs fonction-
nements, leurs rythmes. C'est probablement une erreur de
s茅parer l'art et les sciences. Les analogies mentales sont
plus grandes que les diff茅rences. La beaut茅 donne une 
certitude int茅rieure qu'il faut ensuite transformer en certitude
communicable 脿 tous, l鈥檌ntuition doit se compl茅ter d鈥檜ne
d茅monstration. Il ne faut pas s鈥檡 arr锚ter, ni la mythifier,
mais l鈥檈sth茅tique existe certainement en sciences.

Les sciences sont-elles 
transgressives ?

Je ne m'avancerai pas. Il n'y a pas de progr猫s radical sans
modification profonde du mod猫le existant. On peut 
appeler cela une transgression, mais elle respecte cepen-
dant les acquis ant茅rieurs. Einstein ne d茅truit pas Newton.
La transgression qu'il introduit est violente puisqu鈥檈lle
bouleverse les connaissances sur le temps, l'espace, la
mati猫re et l鈥櫭﹏ergie. Mais elle ne fait pas dispara卯tre la
m茅canique et l鈥櫭﹍ectromagn茅tisme classiques, elle les
inclut. On pourrait parler de transgression respectueuse.

II n

n t

t e

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w

Guy Chouraqui

76

1 - Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie :
IRIST, EA 3424, ULP, http://irist.u-strasbg.fr
2 - Nicolas Copernic, astronome polonais, 1473 - 1543
3 - Johannes Kepler, astronome allemand, 1571 - 1630
4 - Isaac Newton, savant anglais, 1642 - 1727
5 - Albert Einstein travaillait 脿 l'Office des brevets de Berne quand il a publi茅
ses articles fondamentaux sur la relativit茅 restreinte, le mouvement brownien et
l鈥檈ffet photo茅lectrique en 1905.
6 - Massachusetts Institute of Technology, universit茅 am茅ricaine de renomm茅e
mondiale
7 - Alexander Fleming, m茅decin britannique, 1881 - 1955
8 - Enzyme bact茅ricide
9 - Champignon bact茅ricide

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L鈥檃nn茅e derni猫re, une m猫re de quatre gar莽ons n鈥檈st-elle
pas all茅e en Espagne pour s鈥檃ssurer d鈥檃voir une fille gr芒ce
脿 un diagnostic pr茅-implantatoire ? Jean-Marie Lehn n鈥檡
voit rien 脿 redire : 鈥 C鈥檈st peu diff茅rent de la course des
spermatozo茂des. Je ne vois pas pourquoi le hasard de
cette course est plus respectable que l'intervention
humaine. 鈥 
Dans les cultures qui privil茅gient les gar莽ons,
de telles m茅thodes pourraient cependant avoir des cons茅-
quences pour une population enti猫re.

Florence Rudolf intervient : 鈥 On touche au probl猫me
crucial de la science qui, au nom du savoir et de la 
v茅rit茅, aspire 脿 une autorit茅 indiscutable. Comment
pourrait-on s鈥檕pposer 脿 cette activit茅 porteuse de 
lumi猫re ? C鈥檈st oublier qu鈥檌l y a plusieurs mani猫res de
construire des mondes. Qu鈥檈n favorisant un domaine de
recherche, on oriente certains d茅veloppements. Que la
science sert des pouvoirs. Il ne s鈥檃git pas de faire parce
qu鈥檕n sait faire, mais de choisir le monde dans lequel
nous voulons vivre. 鈥 
Jean-Marie Lehn r茅plique : 鈥 Nous
sommes prisonniers de la fa莽on dont nous avons 茅volu茅,
la science nous permet maintenant de nous lib茅rer et
d鈥檌nfluencer l鈥櫭﹙olution. Pourquoi ne pas le faire ? 鈥 
Ces
questions difficiles n鈥檕nt de sens que dans un d茅bat
social, pr茅vient Jean-Yves M茅rindol. Les scientifiques
peuvent 茅clairer la discussion, mais ils n鈥檕nt pas d鈥檃rgu-
ments d鈥檃utorit茅 脿 apporter.

A la diff茅rence de la g茅n茅tique, les math茅matiques ne
soul猫vent pas de questionnement 茅thique. 鈥 Savoir qu鈥檜ne
d茅couverte math茅matique n鈥檃ura d鈥檌mpact concret 
que dans deux ou trois si猫cles rend effectivement ces 
probl猫mes un peu abstraits 鈥
, explique Jean-Yves
M茅rindol, tout en pr茅cisant que les math茅maticiens 
s鈥檌nterrogent traditionnellement sur le bien-fond茅 d鈥檜ne
collaboration avec l鈥檈ffort militaire de leur pays. De
m锚me, Ariane Lan莽on a l鈥檌mpression que les astrophysi-
ciens se r茅fugient dans l鈥櫭﹖ude d鈥檕bjets inaccessibles, 脿
l鈥檌mpact faible sur la vie quotidienne, pour ne pas 锚tre

m锚l茅s aux questions relatives aux sciences dans la 
soci茅t茅. 鈥 Vos disciplines sont si diff茅rentes de la mienne !,
s鈥檈xclame H茅l猫ne Dollfus. Est-ce qu鈥檌l peut y avoir une
science sans transgression ? C鈥檈st la dynamique m锚me
du chercheur鈥 

Quelles avanc茅es ?

Une femme dans l鈥檃ssistance fait remarquer que la ques-
tion du progr猫s annonc茅 dans le titre de la table ronde n鈥檃
pas encore 茅t茅 abord茅e. H茅l猫ne Dollfus approuve, car il
lui para卯t bon de rappeler les c么t茅s positifs que toutes les
d茅couvertes apportent au quotidien. 鈥 M锚me si la 
th茅rapie g茅nique nous laisse un peu sur notre faim, ces
cinquante derni猫res ann茅es, la g茅n茅tique a positivement
contribu茅 脿 une avanc茅e en m茅decine. 鈥 
En chimie aussi,
la connaissance de la structure intime de la mati猫re a
ind茅niablement progress茅 depuis D茅mocrite

15

, indique

Jean-Marie Lehn, tout en reconnaissant ne pas pouvoir
donner une d茅finition g茅n茅rale du progr猫s. Ceci est encore
plus marqu茅 pour les math茅matiques. En effet, cette
science est cumulative, c鈥檈st-脿-dire que chaque th茅or猫me
d茅montr茅 est, autant qu鈥檕n puisse en juger, 茅ternellement
vrai. Chaque nouveaut茅 est donc int茅gr茅e 脿 un corpus de
connaissances qui va grandissant.

Florence Rudolf note qu鈥檈n sciences humaines, le mot
progr猫s est la traduction d鈥檜ne id茅ologie de la modernit茅.
鈥 Il est la promesse d鈥檜n avenir radieux, un peu
mythique. Or, le th猫me de la complexit茅 nous apprend
que chaque progr猫s est en m锚me temps une perte, chaque
d茅couverte est aussi un abandon. Faut-il d茅finir quelles
sont les avanc茅es acceptables ? 鈥

Le progr猫s est 脿 double tranchant, remarque une auditrice.
Elle 茅voque l鈥檌nvention de la prophylaxie qui semble tr猫s
b茅n茅fique 脿 l鈥檋umanit茅, mais entra卯ne aussi une expansion
de la population mondiale qui pose des probl猫mes. 
鈥 Sommes-nous 脿 m锚me de ma卯triser cette 茅volution ? 鈥
Jean-Marie Lehn per莽oit cette ambivalence, 鈥 mais il va
falloir vivre avec ! 鈥
. Et Guy Chouraqui de glisser : 鈥 la
science n鈥檈st peut-锚tre qu鈥檜ne illusion de ma卯trise et 
pas une ma卯trise r茅elle. 鈥

M.E

Cycle 

T

ransgr

essions, 茅volutions  

D茅couvertes scientifiques : processus et progr猫s

77

15 - D茅mocrite, philosophe grec, 460 鈥 370 av. JC. Il a d茅velopp茅 la th茅orie
atomiste de l鈥橴nivers.

background image

Un artiste doit-il 茅ternellement choquer le bourgeois, pourfendre les lois
et narguer les autorit茅s ? Cette vision romantique, venue tout droit du
XIX猫me si猫cle, n鈥檈st plus un mod猫le qui inspire l鈥檃rt contemporain.
Pourtant, la critique, la r茅sistance, l鈥檃nti-conformisme persistent sous
d鈥檃utres formes, moins virulentes mais tout aussi incisives.

脌 la question pos茅e par le titre de la table ronde, Jean-Louis
Flecniakoska

1

, son coordonnateur, apporte une premi猫re r茅ponse posi-

tive, qu鈥檌l nuance rapidement. L鈥檃rt est transgressif si on consid猫re la
cr茅ation artistique comme un projet dont les 茅tapes se constituent de
d茅passement en d茅passement ou de rupture en rupture. La question est
beaucoup plus ouverte, si l鈥檕n imagine une possible strat茅gie collective
pour 茅branler les codes admis. Pour le plasticien, la r茅ponse n鈥檃 de sens
que dans une perspective historique. 

Sus au bourgeois ?

Partageant le point de vue du plasticien, le conservateur Patrick
Javault

2

, le terme de transgression n鈥檈st pas le plus op茅rant pour l鈥檃rt

contemporain, apr猫s la mort de l鈥檃rt et l鈥檃ction de ses multiples 
liquidateurs. Le plasticien 脡ric Laniol

3

rappelle que l鈥檃rt moderne, en 

revanche, en a fait une d茅marche centrale. 鈥 Les futuristes

4

affirmaient

en 1910 qu鈥檌l fallait balayer les sujets us茅s et revendiquaient la 
volont茅 de s鈥檕pposer 脿 l鈥檃cad茅misme triomphant avec ses codifications 
鈥,
expose-t-il, citant 茅galement le mouvement Dada

5

et le caract猫re 

irr茅v茅rencieux, agressif et d茅risoire de ses manifestations entre 1916 et
1923. Les limites ont 茅t茅 red茅finies et repouss茅es, d茅plac茅es ou 
confirm茅es, les retours au classicisme jouant 茅galement, parfois, le r么le
de transgression. 

Le sociologue Vincent Dubois

6

, qui s鈥檃ttache 脿 l鈥檋istoire sociale de

l鈥檃ctivit茅 artistique, voit une origine lointaine 脿 cette attitude. Depuis la
Renaissance, l鈥檃ctivit茅 artistique s鈥檈st construit un espace social, un 
territoire sp茅cifique en 茅tablissant des fronti猫res qui permettent de
rejeter les pouvoirs constitu茅s. 鈥 Ce processus d茅bouche, dans la seconde

St茅phane Braunschweig 

(Directeur du Th茅芒tre national 
de Strasbourg)

Vincent Dubois 

(Groupe de sociologie politique
europ茅enne, URS)

Jean-Louis Flecniakoska 

(D茅partement Arts plastiques et
Approches contemporaines de la
cr茅ation et de la r茅flexion artistique,
EA 3402, UMB)

Bernard Fleury 

(Directeur du Maillon-Th茅芒tre 
de Strasbourg)

Patrick Javault 

(Conservateur au Mus茅e d'art
moderne et contemporain 
de Strasbourg)

脡ric Laniol 

(D茅partement Arts plastiques, UMB)

Pierre Litzler 

(D茅partement Arts plastiques, UMB
et Ecole d'architecture 
de Strasbourg)

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du 17 novembre 2004 

Auditorium du Mus茅e d鈥檃rt moderne et contemporain de Strasbourg

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L鈥檃rt, n茅cessairement transgressif ?

Cycle  

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essions, 茅volutions  

78

Patrick Javault

鈻 

St茅phane Braunschweig

1 - D茅partement Arts plastiques et Approches contemporaines de la cr茅ation et de la r茅flexion 
artistique, EA 3402 UMB
2 - Conservateur au Mus茅e d鈥檃rt moderne et contemporain de Strasbourg, 
www.musees-strasbourg.org/F/ART_MOD.HTML
3 - D茅partement Arts plastiques, UMB
4 - Le futurisme est un mouvement litt茅raire et artistique n茅 en Italie autour du po猫te Marinetti, 
qui publie son Manifeste du futurisme en 1909. Parmi les peintres du mouvement : Balla, Boccioni,
Carr脿, Severini, Luigi Russolo.
5 - Dada est un mouvement intellectuel et artistique n茅 en 1916 脿 Z眉rich de la r茅volte contre la
guerre et le nationalisme. Tristan Tzara, Hans Arp, Duchamp, Picabia et Man Ray en sont les 
principales figures.
6 - Groupe de sociologie politique europ茅enne : GSPE, URS

background image

3

moiti茅 du XIX猫me si猫cle, sur la proclamation de la 
libert茅 de l鈥檃rtiste comme principe m锚me de son 
existence. Un champ artistique autonome se cr茅e, qui
s鈥檕ppose aux normes sociales et au bourgeois qui en est
l鈥檌ncarnation  
鈥, expose le sociologue. 脌 l鈥檌nt茅rieur du
champ artistique 茅galement, se pratique un jeu de trans-
gression des traditions, l鈥檌nnovation 茅tant institu茅e
comme une exigence. Ainsi, la litt茅rature s鈥檈st 茅loign茅e
du roman, la composition musicale a rompu avec la 
tonalit茅, et la peinture s鈥檈st achemin茅e vers l鈥檃bstraction.
鈥 Cette succession de transgressions conduit 脿 une 
activit茅 de plus en plus auto-ref茅renc茅e, 
note Vincent
Dubois. Il faut, pour comprendre un artiste, lire son
艙uvre 脿 la lumi猫re de l鈥檋istoire, ce qui a aussi pour effet
de renforcer la fronti猫re qui isole le champ artistique. 

D茅cevoir pour 茅tonner

Mais, comme le d茅crit 脡ric Laniol, la mise en sc猫ne de la
transgression est d茅sormais contrari茅e. 脌 force d鈥檃voir
jou茅 avec les limites et les fronti猫res, l鈥檈xercice artistique
a conquis un espace sans bornes d茅finies, notamment
avec la multiplication des m茅dias (vid茅o, peinture, photo,
mise en sc猫ne, etc.). 鈥 Apr猫s les gestes les plus radicaux
comme la pratique de l鈥檃utomutilation, tout a 茅t茅 vu et
revu, 
commente-t-il. Et d鈥檃illeurs, ce qui peut appara卯tre
comme provocateur est tr猫s vite r茅cup茅r茅 par la 鈥渟oci茅t茅
du spectacle鈥

7

qui absorbe tout et rend la transgression

sans objet. 鈥 Le metteur en sc猫ne St茅phane Braunschweig

8

d茅crit, pour le th茅芒tre, l鈥櫭﹙olution vers un spectacle
vivant total (qui m锚le multim茅dia, installation, danse, etc.)
et 茅voque ce qu鈥檌l appelle le 鈥 formidable conformisme
des avant-gardes 
鈥, qui ne se soucient plus d鈥檌miter la
r茅alit茅, mais d鈥檌miter la nouvelle forme et l鈥檃uteur de la
derni猫re transgression, comme une mode.

Pour Bernard Fleury

9

, le th茅芒tre qui

reste attach茅 脿 la tradition grecque,
marqu茅e par son r么le d鈥檈xemplarit茅
tourn茅 vers la communaut茅, travaille
toujours la notion de transgression,
notamment 脿 travers des personnages
comme ceux de Prom茅th茅e, Ph猫dre
ou Antigone. St茅phane Braunschweig
compl猫te le propos en soulignant que
le th茅芒tre aime beaucoup raconter des
histoires de transgresseurs : 鈥 Il s鈥檃git
surtout de ceux qui bravent l鈥檌nterdit
pos茅 par la loi. Et en ce sens, on est
du c么t茅 de la morale sociale, et non
de la subversion, plus politique. 

Pour lui, la transgression qui touche
脿 l鈥檌nterdit s鈥檌llustre, par exemple,
dans des pi猫ces de Rodrigo Garcia.
Et le metteur en sc猫ne d茅crit 

comment a 茅t茅 re莽ue au TNS une pi猫ce de cet auteur

10

.

Les acteurs mangeaient des lasagnes surgel茅es, les 
recrachaient en partie sur sc猫ne, ce qui d茅gageait une
odeur de vomi. 鈥 La transgression 茅tait sans doute dans
le fait de ne pas tenir compte d鈥檜n interdit concernant
l鈥檕dorat, un sens qui renvoie 脿 l鈥檌ntimit茅 et qui 
n鈥檈st g茅n茅ralement pas mobilis茅 chez le spectateur 
鈥, 
commente-t-il. 

Art appliqu茅 fortement d茅termin茅 par son contexte 
茅conomique, social et technique, l鈥檃rchitecture n鈥檈st pas
susceptible  a priori d鈥櫭猼re transgressive, comme le 
souligne Pierre Litzler

11

. Mais, dans la pratique contem-

poraine, la conception d鈥檜n b芒timent s鈥檈st affranchie
progressivement des principes constructifs, de la logique
des mat茅riaux et de la statique. 鈥 Actuellement, le projet
architectural repose souvent sur une fiction, il raconte
une histoire, alors que l鈥檃spect constructif ne vient que
dans un second temps 
鈥, explique Pierre Litzler qui 
projette et commente plusieurs projets de Fran莽ois
Roche

12

. Dans l鈥櫯搖vre de cet architecte contemporain,

une maison d鈥檋abitation con莽ue 脿 partir d鈥檜n sch茅ma qui
ressemble 脿 une figure de M枚bius 茅voque une continuit茅
entre vie professionnelle et priv茅e. En concordance avec
la pollution ambiante, son projet d鈥檜n mus茅e 脿 Bangkok
peut se pr茅senter comme une structure destin茅e 脿 attirer
et amasser la poussi猫re. 鈥 Malgr茅 sa pesanteur et son
ancrage, l鈥檃rchitecture contemporaine, en inversant
ainsi la trilogie classique : 鈥 solidit茅, usage et beaut茅 鈥,
construit un rapport nouveau aux choses. Elle ne veut
pas seulement 锚tre ce qui nous couvre et nous abrite, elle
nous interroge 
鈥, r茅sume-t-il. 

Comment innover sans transgresser ? Pour 脡ric Laniol,
plut么t que d鈥檃ttaquer l鈥檕rdre 茅tabli 脿 la mani猫re de Dada,
beaucoup d鈥檃rtistes se donnent pour objectif de faire 
r茅agir, de faire s鈥檌nterroger le public. 鈥 La mise en question
brutale et incisive n鈥檈st plus le mode dominant, les 
artistes fonctionnent par citation, contamination,
absorption. Cela n鈥檌mplique pas l鈥檃bandon d鈥檜ne 
pr茅occupation sociale ou politique, mais une autre
mani猫re d鈥檃gir, qui vise la r茅activit茅, en cherchant 脿 

7 - Guy Debord, 茅crivain fran莽ais, 1931-1994, animateur de l鈥橧nternationale
situationniste, a publi茅 La soci茅t茅 du spectacle en 1967.
8 - Directeur du Th茅芒tre national de Strasbourg, www.tns.fr
9 - Directeur du Maillon 鈥 Th茅芒tre de Strasbourg, www.le-maillon.com/
10 - Rodrigo Garcia, auteur et metteur en sc猫ne argentin n茅 en 1964, 
a notamment mis en sc猫ne en 2003 sa pi猫ce J鈥檃i achet茅 une pelle chez Ik茅a
pour creuser ma tombe 
(Compr茅 una pala en Ikea para cavar mi tumba)
11 - D茅partement Arts plastiques, UMB et 脡cole d鈥檃rchitecture de Strasbourg,
www.strasbourg.archi.fr/
12 - Fran莽ois Roche, architecte fran莽ais n茅 en 1961, 
www.new-territories.com/roche%20defaut2.htm

79

Spectacle TNS " Compre una pala en Ikea para cavar mi tumba ". Texte et mise en sc猫ne :
Rodrigo Garcia. Cr茅dit : La Carniceria teatro

background image

L鈥檃rtiste, entre les gouttes

L鈥檃rt est entr茅 脿 l鈥檜niversit茅 en 1969 sous le signe de la transgression. Le go没t du
scandaleux, la recherche de la rupture, l鈥檃tteinte aux tabous ont profond茅ment 
color茅 la production artistique et l鈥檌mage qu鈥檕n se faisait de l鈥檃rtiste. Mais, pour le
plasticien Jean-Louis Flecniakoska

1

, cette attitude appartient - d茅j脿 - 脿 l鈥檋istoire. 

Dans les ann茅es 1970, fallait-il
transgresser pour faire de l鈥檃rt ?

Des forces de recherche et d鈥檃nalyse s鈥櫭﹖aient attach茅es
脿 d鈥檃utres questions, avec l鈥檃rt conceptuel ou le minima-
lisme, mais la transgression 茅tait 脿 l鈥檕rdre du jour en ce
qu鈥檈lle avait caract茅ris茅 l鈥檃vanc茅e artistique des ann茅es
1960. Les artistes, et l鈥檜niversit茅 qui se voulait en prise
avec 鈥渓鈥檃rt en train de se faire鈥, se pr茅occupaient beau-
coup de ces questions. Enseignants et 茅tudiants, plong茅s
dans un bouillonnement qui touchait d鈥檃utres domaines
qu鈥檈sth茅tiques, 茅taient tr猫s attentifs aux discours philo-
sophiques et psychanalytiques d鈥檃pr猫s 1968.

Ce n鈥檈st plus le cas aujourd鈥檋ui ?

On s鈥檡 int茅resse comme une p茅riode de l鈥檋istoire de l鈥檃rt,
mais les artistes contemporains cherchent dans d鈥檃utres
directions. Le XX猫me si猫cle a fait le tour des syst猫mes
radicaux, et l鈥檕pposition radicale trouve moins sa place.
Les artistes proposent une mani猫re douce d鈥檃border des
choses complexes, ils glissent, effleurent, plut么t que
d鈥檃ffronter. On passe sans douleur, dans le chuchotement
plut么t que dans la d茅clamation. Il y a un aspect amoindri,
des formes petites qui ne cherchent pas 脿 faire grand
bruit. On explore le d茅risoire, la petite pointe, le jeu, loin
de la dramatisation r茅volutionnaire. La figure de l鈥檃rtiste
en a 茅t茅 profond茅ment modifi茅e : il ne tient pas 脿 choquer
son public mais 脿 le rencontrer, comme un 鈥淢onsieur
Tout-Le-Monde鈥 qui a pour r么le de cr茅er des situations
de lien. L鈥檕bjectif est de l鈥櫭﹖onner pour le rendre complice,
le faire participer. La proposition artistique veut 
s鈥檃ppuyer sur une culture partag茅e, elle met en 茅vidence
quelque chose dont on a parfaitement conscience et non
quelque chose qui vient du n茅ant, un 鈥渏amais vu鈥. Cela
conduit 脿 ins茅rer l鈥檃rt au tissu social et 脿 d茅pouiller 
l鈥檃rtiste de son statut de vedette. 

Parler d鈥檃rt 鈥渁moindri鈥, n鈥檈st-ce pas
porter un jugement n茅gatif ?  

Non, c鈥檈st une caract茅risation positive de l鈥檃pproche
contemporaine, revendiqu茅e par les artistes eux-m锚mes.
Le philosophe italien Gianni Vattimo

2

parle de 鈥減ens茅e

faible鈥. La faiblesse n鈥檈st ni la mollesse, ni l鈥檃bandon.
Les artistes contemporains passent en douceur, mais ils
passent quand m锚me. Les choses sont dites avec mesure,
subtilit茅 et discr茅tion. Cela refl猫te l鈥檈sprit du temps.
Voyez comment la l茅gislation sur l鈥檃vortement a 
d茅clench茅 des passions : aujourd鈥檋ui on change les
r猫gles sur l鈥檈uthanasie dans le plus grand consensus. Les
茅tudiants en art sont moins combatifs, moins porteurs
d鈥檌d茅aux que leurs a卯n茅s, mais ils avancent, en glissant,
en passant entre les gouttes, sans se mettre en opposition.
Je crois que, fondamentalement, la position d鈥檃utorit茅
s鈥檈ffrite dans tous les domaines. Cela implique une autre
fa莽on de raisonner et de se comporter, on n鈥檈st plus 
鈥渃ontre鈥. Contre quoi serait-on ? Cette nouvelle donne
surprend ma g茅n茅ration. Pour ma part, je pense qu鈥檈lle
est int茅ressante, troublante, 脿 prendre comme elle est. 

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Jean-Louis Flecniakoska

80

1 - D茅partement Arts plastiques et Approches contemporaines de la cr茅ation et
de la r茅flexion artistique, EA 3402, UMB
2 - Vattimo, Gianni, La fin de la modernit茅. Nihilisme et herm茅neutique dans la
culture post-moiderne
, 茅d. Le Seuil, 1987

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provoquer un pr茅cipit茅. 鈥 Cette analyse se rapproche de
celle de St茅phane Braunschweig, pour qui l鈥檃rt doit
n茅cessairement provoquer le questionnement et l鈥櫭﹖onne-
ment, cette belle 茅motion. 鈥 Il doit aussi 锚tre un peu
d茅cevant, car pour 锚tre 茅tonn茅 il faut d鈥檃bord 锚tre d茅莽u,
estime le metteur en sc猫ne. Au th茅芒tre, comme chez les
plasticiens, le fait de donner moins 脿 voir incite peut-锚tre
脿 penser davantage. Et cela ram猫ne l鈥檃rt vers la pens茅e
plus que vers l鈥檌mage, ce qui n鈥檈st pas tout 脿 fait dans la
tendance th茅芒trale dominante, qui utilise souvent le texte
comme un mat茅riau, et non comme le support d鈥檜ne 
pens茅e qui s鈥檈xprime en mots. 
鈥 

Avec la b茅n茅diction de l鈥檌nstitution

En dehors de l鈥櫭﹙olution interne au champ artistique, la
transgression s鈥檈ntend aussi comme une provocation
adress茅e aux institutions. Mais, l脿 encore, le mus茅e et les
administrations culturelles semblent absorber chaque
nouvelle forme artistique sans lui offrir une v茅ritable
r茅sistance. Vincent Dubois cite 脿 ce propos la constitution,
en 1959, par Andr茅 Malraux, d鈥檜n minist猫re des affaires
culturelles devenu progressivement incontournable.
L鈥檌nstitution, ouverte 脿 l鈥檃vant-garde, y adoptait une
position tr猫s lib茅rale 脿 l鈥櫭ゞard d鈥櫭﹙entuelles provocations
ou transgressions. 

L鈥檌nstitution mus茅ale est l鈥檜n des fleurons de cette politique
d鈥檕uverture. 脌 tel point que 鈥 pr茅senter le mus茅e comme
une forteresse 脿 prendre, jouer l鈥檃rtiste contre l鈥檌nstitution,
semble aujourd'hui un peu ridicule 
鈥, souligne Patrick
Javault. Une jeune femme du public lui demande si le
mus茅e est l鈥檌nstitution qui d茅cide de ce qui est de l鈥檃rt.
Le conservateur explique combien le mus茅e ne fait 
que suivre, avec difficult茅 en raison de ses moyens 
financiers limit茅s, les go没ts du march茅 international. 
鈥  Contrairement 脿 une id茅e re莽ue, nous ne 
sommes pas ceux qui donnent le tampon, nous nous
contentons de refl茅ter, d鈥檃mener 脿 une dimension
publique une discussion men茅e dans une sph猫re tr猫s 
priv茅e. 

L鈥檌mportance de la main publique sur l鈥檃ctivit茅 artistique
provoque, chez les artistes, deux attitudes oppos茅es que
d茅taille Vincent Dubois : un r茅flexe anti-茅tatiste libertaire
ou, 脿 l鈥檌nverse, un appel 脿 l鈥櫭塼at consid茅r茅 comme un
garant face aux lois du march茅 et 脿 la dictature des
demandes du public. 鈥 Le dilemme est pour l鈥櫭塼at de
garantir la libert茅 des artistes sans promouvoir une 
activit茅 socialement inacceptable. Pour les artistes, il
s鈥檃git de ne pas se faire 鈥渞茅cup茅rer鈥, tout en n茅gociant
les liens avec une institution tut茅laire. 

Pour St茅phane Braunschweig, ce dilemme se r茅sout dans
la recherche d鈥檜n vaste public. 鈥 Comme metteur en
sc猫ne dans une institution financ茅e par l鈥櫭塼at, je suis
tenu de faire en sorte que les spectacles rencontrent le
plus vaste public possible. Cela peut signifier, et c鈥檈st ma
d茅marche, de cr茅er de nouvelles lignes de fracture, qui
traversent les classes sociales en r茅unissant dans une
salle des gens qui partagent une m锚me sensibilit茅 
au-del脿 des clivages habituels. Le th茅芒tre joue peut-锚tre
en cela un r么le transgressif. 
鈥 Le dilemme peut aussi se
r茅soudre par la ruse, comme le raconte Pierre Litzler.
Fran莽ois Roche, malgr茅 la reconnaissance dont il b茅n茅ficie,
en a us茅 pour imposer 脿 la DRAC

13

une construction 

peu orthodoxe 脿 Avignon, dans un p茅rim猫tre tr猫s prot茅g茅.
Il a b芒ti une maison furtive, sous des b芒ches de 
camouflage militaires ; l鈥檃rchitecte des b芒timents de
France a d没 s鈥檌ncliner car, au moment o霉 il en a 茅t茅 
averti, la construction 茅tait d茅j脿 trop avanc茅e. 

脡 t o n n e m e n t ,   j e u ,   r u s e ,   e s t - c e   b i e n   s 茅 r i e u x   ?  
鈥  Rauschenberg

14

a eu 脿 ce sujet une formule qui, note

Patrick Javault, d茅finit bien la situation de l鈥檃rt contem-
porain : 
鈥 Si vous ne prenez pas cela au s茅rieux, il n鈥檡 a
rien 脿 prendre 鈥.鈥 

S.B.

Cycle 

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essions, 茅volutions  

L鈥檃rt, n茅cessairement transgressif ?

81

Table-ronde " L鈥檃rt, n茅cessairement transgressif ? "

13 - Direction r茅gionale des affaires culturelles
14 - Robert Rauschenberg, peintre am茅ricain n茅 en 1925

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La communaut茅 scientifique a une longue histoire de canulars et de
d茅tournements contr么l茅s du s茅rieux attach茅 脿 sa dignit茅. Mais cette
amusante fantaisie poss猫de un versant plus sombre, quand la tromperie
n鈥檈st plus un acte gratuit, mais une manipulation pour un profit 
personnel - dans le cas de la fraude - ou en faveur d鈥檜ne id茅ologie - dans
le cas de la mystification. Atours et oripeaux du faux en science.

鈥  La cr茅ation et la transmission du savoir dans les domaines artis-
tiques, scientifiques ou litt茅raires, sont n茅cessairement associ茅es 脿 des
concepts de rigueur, de probit茅 et de s茅rieux, ce qui engendre la
confiance  
鈥, expose le g茅ologue Michel Hoffert

1

en introduction 脿 la

table ronde qu鈥檌l coordonne. Et pourtant la transgression de ces 
principes a accompagn茅 l鈥檋istoire des disciplines r茅put茅es les plus
s茅rieuses. Et de citer un canular fameux, issu de la plume de Pierre-
Paul Grass茅, un digne zoologiste qui a publi茅, en 1962, sous un faux
nom, un ouvrage

2

dans la respectable maison d鈥櫭ヾition Masson. 

Il y annon莽ait tout bonnement la d茅couverte d鈥檜n nouvel ordre de
mammif猫res nomm茅 rhinogrades ou nasins, pr茅sent茅 en respectant
rigoureusement les r猫gles de la syst茅matique. Son habitat dans des 卯les
du Pacifique est bien identifi茅, et les 138 esp猫ces qu鈥檌l rassemble 
d茅crites pr茅cis茅ment. Enfin, selon les niches 茅cologiques, on trouve des
rhinogrades insectivores, frugivores, et m锚me quelques carnivores. 

Albert Hamm 

(UFR des langues vivantes, UMB)

Michel Hoffert 

(脡cole et observatoire des sciences
de la Terre, ULP)

Andr茅 Schaaf 

(Ecole et observatoire des sciences
de la Terre, ULP)

Jean-Marie Vetter 

(Institut d'anatomie pathologique,
Facult茅 de m茅decine, ULP)

Jean Waline 

(Professeur 茅m茅rite, URS)

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du 23 novembre 2004 

Librairie Kl茅ber de Strasbourg

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Du canular 脿 la mystification 
intellectuelle...

Cycle  

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essions, 茅volutions  

82

鈻 

Dulcicauda griseaurella, 
ou Queue-Mielleux gris dor茅

鈻 

Nasobema lyricum, ou Grand Nasob猫me

Planches extraites de 

Anatomie et biologie des rhinogrades. Un nouvel ordre de 

mammif猫res

, 茅d. Dunod, Paris, 2000. Tous droits r茅serv茅s.

1 - 脡cole et observatoire des sciences de la Terre, ULP
2 - St眉mpke, Harald, Anatomie et biologie des rhinogrades, pr茅face de Pierre-Paul Grass茅, 
茅d. Masson, 1962

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3

Cousu de fil blanc

L鈥檃pparence de s茅rieux est en effet indispensable au
canular, mais, comme le souligne le linguiste Albert
Hamm

3

, il faut aussi que soient pr茅sents les indices 

suffisants pour faire rire et ne pas induire trop longtemps
en erreur. Pour le rhinograde, le nom et l鈥檃spect ridicule
de l鈥檃nimal ne peuvent pas tromper. De la m锚me fa莽on,
le canular de Tahiti Magazine, que raconte Albert Hamm
est cousu de fil blanc. 鈥 Il s鈥檃git de l鈥檃nnonce de la
d茅couverte d鈥檜n ours des cocotiers aux pattes 
palm茅es. Le lecteur ne tarde pas 脿 sourire en d茅couvrant
que l鈥櫭﹒uipe de chercheurs internationaux 脿 l鈥檕rigine de
cette premi猫re se compose d鈥檜ne sommit茅 de l鈥檜niversit茅
de Saint Flour et d鈥檜n 茅minent 茅thologue de l鈥檜niversit茅
catholique d鈥橝zerba茂djan occidental. 
鈥 De ce point de
vue, comme le signale une jeune femme du public, le 
traditionnel poisson d鈥檃vril journalistique a bien les
caract茅ristiques du canular, puisqu鈥檌l est attendu et - en
principe - d茅tect茅 par le plus grand nombre. Le juriste
Jean Waline

4

compl猫te le propos en rappelant que les

sp茅cialistes de l鈥檈xercice sont les 茅tudiants. Il raconte au
passage le canular collectif o霉 des r茅sidents d鈥檜n foyer
universitaire, d茅tournant du papier 脿 en-t锚te de la
S茅curit茅 sociale, avaient fait croire 脿 leur concierge qu鈥檌l
茅tait atteint d鈥檜ne grave maladie.

脌 c么t茅 du canular conscient et re莽u comme tel, certaines
formes interm茅diaires penchent vers la mystification.
Ainsi, pour Andr茅 Schaaf

5

, l鈥檋istoire de l鈥檋omme de

Piltdown est un canular qui a mal tourn茅. Apr猫s la publi-
cation en 1859 de l鈥Origine des esp猫ces de Darwin, des
scientifiques partent 脿 la recherche d鈥檜n interm茅diaire
entre le singe et l鈥檋omme. Dans ce contexte, l鈥檃nnonce
en 1912 de la d茅couverte du cha卯non manquant en
Angleterre

6

a eu un succ猫s imm茅diat. 鈥 Le canular 茅tait

techniquement r茅ussi, pr茅cise Andr茅 Schaaf. Les auteurs
avaient assembl茅 une m芒choire de singe artificiellement
vieillie et un cr芒ne humain d鈥檈nviron 600 ans, mais sur-
tout, il correspondait 脿 une attente des milieux scienti-
fiques. Si bien que l鈥檋omme de Piltdown a donn茅 lieu 脿
500 publications pendant sa carri猫re qui a dur茅 tout de
m锚me鈥 quarante ans. 
鈥 

Autre variante, l鈥檕riginal, voire le fou, qui croit 脿 son
d茅lire. Albert Hamm cite 脿 ce propos Jean-Pierre
Brisset

7

, un autodidacte aux th茅ories fantasques - 

l鈥檕rigine de l鈥檋omme est la grenouille - 茅maill茅es de
consid茅rations fond茅es sur des 茅tymologies 脿 forte
connotation sexuelle. 鈥 Andr茅 Breton

8

ou Raymond

Queneau

9

se sont passionn茅s pour le caract猫re surr茅aliste

de ses th茅ories, et Jules Romain

10

, grand farceur, l鈥檃 fait

sacrer 鈥減rince des penseurs鈥 en 1913, largement en t锚te
devant鈥 Henri Bergson

11

鈥, s鈥檃muse le linguiste.

Des erreurs productives

鈥 Dans ce sens, l鈥檋ypoth猫se de Jacques Benveniste

12

sur

la m茅moire de l鈥檈au 茅tait-elle un canular ? 鈥, interroge
un jeune homme du public. Pour le m茅decin Jean-Marie
Vetter

13

, il n鈥檡 a l脿 ni canular ni fraude, puisqu鈥檃ucune

volont茅 de tromper. 鈥 La th茅orie des dilutions infinit茅si-
males d茅fend qu鈥檜ne substance active peut produire des
effets apr猫s sa disparition compl猫te au niveau mol茅cu-
laire. Cela ne correspond pas 脿 la logique de la science
actuelle. On peut dire que Jacques Benveniste est un
scientifique s茅rieux, qui n鈥檃 pas obtenu - 脿 tort ou 脿 
raison, l鈥檃venir le dira - la reconnaissance de ses pairs 
鈥,
estime le m茅decin. Mais, des erreurs ont 茅t茅 rep茅r茅es
dans la proc茅dure exp茅rimentale utilis茅e, 
insiste le
m锚me jeune homme, et sans mettre Benveniste en cause
comme fraudeur, tout le monde sait que son hypoth猫se
vient au secours d鈥檜ne industrie qui produit de 
l鈥檋om茅opathie ! 
鈥 

鈥  Il y a plusieurs niveaux entre la fraude, l鈥檈rreur, la
bonne foi tromp茅e ou la malhonn锚tet茅 
鈥, reprend Jean-
Marie Vetter, r茅clamant la libert茅 d鈥檈xpression pour les
chercheurs, y compris dans certaines petites transgres-
sions. Au XVIII猫me si猫cle, Vaucanson

14

a construit un

鈥渃anard dig茅rateur鈥 dans lequel il a introduit des grains
de bl茅 par le bec. Il faisait croire que sa machine 
produisait de la fiente. La manipulation 茅tait 茅vidente,
mais l鈥檌d茅e d鈥檋omme-machine, un progr猫s. Kepler

15

ou

Galil茅e

16

ont bricol茅 leurs coefficients pour obtenir des

valeurs incontestables. Et l鈥檈nseignant en m茅decine, 
couramment, caricature la r茅alit茅 pour rendre plus com-
pr茅hensibles certains processus 脿 ses 茅tudiants. Jean-
Marie Vetter, cite aussi le cas de Louis Pasteur

17

dont les

pratiques seraient aujourd'hui s茅rieusement critiqu茅es
d鈥檜n point de vue 茅thique. Le grand homme a contamin茅
par la rage des personnes qui n鈥櫭﹖aient que suspect茅es
d鈥檃voir contract茅 la maladie. Et certains de ses 
raccourcis risqu茅s avaient une explicitation politique : 
il fallait passer tr猫s vite 脿 l鈥檈xp茅rimentation du vaccin de
la rage sur l鈥檋omme, et id茅alement avec un petit alsacien
mordu par un chien allemand鈥

鈥 La fraude devient de la mystification quand son but est
id茅ologique 
鈥, poursuit Michel Hoffert afin de distinguer
un nouveau palier dans la transgression. Il expose 脿 ce
propos une rumeur qui t茅moigne de la crainte du public
d鈥櫭猼re ainsi tromp茅 : 鈥 Des journaux ont affirm茅 que
l鈥檋omme ne serait jamais all茅 sur la Lune, que les 
images diffus茅es 脿 l鈥櫭﹑oque auraient 茅t茅 des faux 

83

3 - UFR des langues vivantes, UMB
4 - Professeur 茅m茅rite, URS
5 - 脡cole et observatoire des sciences de la Terre, ULP
6 - Le 18 d茅cembre 1912, le c茅l猫bre pr茅historien anglais Arthur Smith
Woodward et l鈥檃rch茅ologue amateur Charles Dawson ont annonc茅 la
d茅couverte, 脿 Piltdown, dans le Sussex, des restes d'un homme pr茅historique,
baptis茅 Eanthropus dawsoni.
7 - Jean-Pierre Brisset, 1837 - 1919, a publi茅 La natation ou l鈥檃rt de nager
appris seul en moins d鈥檜ne heure
, d茅pos茅 la m锚me ann茅e un brevet pour la
鈥 ceinture cale莽on a茅rif猫re 脿 double r茅servoir compensateur 鈥 avant de publier
son chef-d鈥檕euvre : La grammaire logique.
8 - Andr茅 Breton, 茅crivain fran莽ais, 1896 - 1966
9 - Raymond Queneau, 茅crivain fran莽ais, 1903 - 1976
10 - Jules Romain, 茅crivain fran莽ais, 1885 - 1972
11 - Henri Bergson, philosophe fran莽ais, 1859 - 1941
12 - 鈥 Une d茅couverte fran莽aise pourrait bouleverser les fondements de la
physique : la m茅moire de l'eau. 鈥 Tel 茅tait le titre d'un article paraissant 脿 la une
du Monde le 29 juin 1988, 脿 propos des d茅couvertes de Jacques Benveniste.
13 - Institut d鈥檃natomie pathologique, Facult茅 de m茅decine, ULP
14 - Jacques de Vaucanson, cr茅ateur fran莽ais d鈥檃utomates, 1709 - 1782
15 - Johannes Kepler, astromome et physicien allemand, 1571 - 1630
16 - Galil茅e, astronome italien, 1564 - 1642
17 - Louis Pasteur, biologiste fran莽ais, 1822 - 1895

background image

Le temps fera le tri

Dans une production scientifique devenue collective, internationale et massive, un
r茅sultat faux, par la volont茅 ou non de son auteur, n鈥檈st pas vraiment dramatique.
Cette situation nouvelle, selon le g茅ologue Michel Hoffert

1

, bouscule l鈥檕pposition

manich茅enne du vrai et du faux en science et relativise le r么le individuel du 
chercheur.

Est-il facile de frauder pour 
un chercheur ?

Un fait scientifique est consid茅r茅 comme relativement
茅tabli 脿 condition d鈥櫭猼re reproductible. Un chercheur a
du mal 脿 se faire entendre s鈥檌l pr茅tend avoir obtenu 
des r茅sultats qu鈥檃ucun de ses coll猫gues ne parvient 脿 
retrouver dans les m锚mes conditions d鈥檈xp茅rience. 
Ce principe constitue une premi猫re barri猫re contre la
fraude - c'est-脿-dire la manipulation intentionnelle - et
contre l鈥檈rreur. Mais, quand les donn茅es sont fragiles,
difficiles 脿 obtenir ou uniques - comme souvent dans
les sciences o霉 intervient la fl猫che du temps - des 
v茅rifications exp茅rimentales ne sont pas possibles. On
se fonde alors sur la confiance. Personne ne songe 脿 
douter syst茅matiquement des r茅sultats annonc茅s quand
ils sont coh茅rents avec ce qui est connu. 

La fraude n鈥檈st pas activement
recherch茅e, pourtant elle reste rare ? 

La communaut茅 scientifique ne semble pas faire mauvais
usage de sa libert茅. Il se trouve aussi que, dans le domaine
de la cr茅ation du savoir, un faux r茅sultat obtenu par
erreur ou par fraude a un avenir limit茅 et un int茅r锚t 
minime pour son auteur. Celui qui l鈥檃 produit peut
esp茅rer se faire remarquer, s鈥檌l obtient ce que les autres
cherchent, mais si sa m茅thode est mauvaise, ses travaux
n鈥檃uront pas de post茅rit茅. En revanche, la pression pour
la survie individuelle en tant que chercheur, le besoin
collectif de d茅montrer au public l鈥檈fficacit茅 de la science
et la n茅cessit茅 de publier dans des revues 脿 comit茅 de 
lecture, poussent beaucoup de scientifiques, non 脿 
fausser, mais 脿 caricaturer leurs r茅sultats. En trois pages,
il vaut mieux exposer ce qui plaide en faveur de ses
conclusions, sans 茅voquer ses doutes. Les scientifiques
pratiquent une d茅marche prudente qu鈥檌ls abandonnent
quelquefois pour communiquer. 

N鈥檈st-ce pas un risque pour 
la qualit茅 de leur production ?

脌 de tr猫s rares exceptions pr猫s, on ne publie plus 
l鈥檈nsemble des donn茅es et c鈥檈st dommage. Le merveilleux
travail d鈥檕c茅anographie de Murray et Renard publi茅 en
1891, apr猫s des missions d鈥檈xplorations r茅alis茅es en
1876 et 1878, ne serait pas accept茅 aujourd'hui par un
茅diteur. Pourtant, il est d鈥檜ne richesse extraordinaire
parce que tous les 茅chantillons r茅colt茅s sont d茅crits dans
cette somme : cela permet d鈥檈n discuter les conclusions
point par point. Un autre effet pervers provient du principe
de la 鈥 plus petite unit茅 publiable 鈥. Pour 锚tre davantage
cit茅, il est pr茅f茅rable de faire trois articles plut么t qu鈥檜n,
ce qui ne facilite pas la vision d鈥檈nsemble pour le lecteur.
De m锚me, les effets de mode peuvent faire 
pencher pour la publication d鈥檜n article faible qui a 
l鈥檃vantage de refl茅ter les pr茅occupations du moment. 
La massification de la recherche autorise parfois la
m茅diocrit茅, mais elle comporte son antidote. On pouvait
锚tre, il y a vingt ans, le seul expert dans son domaine ;
quarante personnes travaillent d茅sormais sur le m锚me
sujet. Dans le flot de la production, m锚me si une erreur 
- ou une fraude - passe, cela n鈥檃 finalement pas une 
grande importance. Dans une science pointilliste, quand
un point se trouve hors du halo, il est simplement ignor茅.
J鈥檃i compris cela alors que j鈥櫭﹖ais jeune chercheur, 
pendant une op茅ration de recueil de donn茅es sur un
bateau de forage. Je faisais partie d鈥檜ne 茅quipe charg茅e
de d茅crire des 茅chantillons d猫s leur remont茅e 脿 bord.
Puis, nos observations 茅taient consign茅es en temps r茅el.
Un matin, j鈥檃i voulu rectifier les observations de la veille,
mais on ne m鈥檡 a pas autoris茅 : les donn茅es continuaient
d鈥檃rriver, l鈥檈rreur serait liss茅e dans la masse et le plus
grave aurait 茅t茅 de ralentir le flux. 

II n

n t

t e

e rr v

v ii e

e w

w

Michel Hoffert

84

1 - 脡cole et observatoire des sciences de la Terre, ULP

background image

fabriqu茅s par la NASA, la preuve 茅tant que les ombres
port茅es seraient incompatibles avec le rayonnement 脿 la
surface du satellite. 
鈥 La confiance du public dans les
scientifiques, rompue dans ce cas, est pourtant essentielle,
mais sur quoi repose-t-elle ? 鈥 Il n鈥檈st pas si facile de 
distinguer le discours d茅lirant, l鈥櫭﹙idence brandie par un
psychotique et un discours fond茅 sur l鈥櫭﹙idence scienti-
fique 
鈥, note Albert Hamm qui poursuit : 鈥 Le rapport entre
les r茅sultats scientifiques et l鈥櫭﹙idence est p茅rilleux,
puisque la plupart des d茅couvertes r茅volutionnent l鈥櫭﹖at
des connaissances 脿 un moment donn茅. 

Le pouvoir de l鈥檌d茅ologie

L鈥檋istoire juge les th茅ories et c鈥檈st la rigueur scientifique
qui fait la diff茅rence. Et c鈥檈st avec le temps, pr茅cis茅ment,
que l鈥檕n d茅couvre la pr茅gnance de l鈥檌d茅ologie d鈥檜ne 
茅poque et son influence sur la marche scientifique, 

d茅rapage ou fausses voies incluses. Albert Hamm donne
脿 ce propos l鈥檈xemple de l鈥橝DN, dont la d茅couverte, il y
a cinquante ans, s鈥檈st faite dans un contexte intellectuel
qui mettait au premier plan les modes de pens茅e issus du
structuralisme et de la linguistique. 鈥 En accord avec ces
pr茅occupations, l鈥檌d茅ologie dominante au sens large,
l鈥橝DN a 茅t茅 d茅crit comme un code. Et un certain nombre
de chercheurs estiment aujourd'hui que cette m茅taphore
a peut-锚tre 鈥渆mprisonn茅鈥 les recherches g茅n茅tiques. 

Autre exemple, o霉 la force de l鈥檌d茅ologie appara卯t 
encore plus nettement sous la forme de pr茅jug茅s sexistes :
Otto Jespersen

18

, linguiste s茅rieux par ailleurs, s鈥檈st 

fourvoy茅 dans un livre publi茅 en 1920 qui cherchait 脿
donner l鈥檈xplication des particularit茅s de la langue 
utilis茅e par les femmes. 鈥 Il s鈥檈st fond茅 pour cela sur des
consid茅rations psychologiques et sociologiques confon-
dantes, mais accept茅es dans une 茅poque et un milieu
convaincus de l鈥檌nf茅riorit茅 - ou au moins de la sp茅cificit茅
- du fonctionnement intellectuel des femmes鈥 Et il en
arrive 脿 conclure que celles-ci ont une 茅locution rapide
parce qu鈥檈lles parlent avant de r茅fl茅chir
. 鈥 Le progr猫s
scientifique n鈥檈mp锚che pas, au contraire le retour de 
l鈥檌rrationnel et de l鈥檌d茅ologie sous des formes nouvelles. 
鈥 La photographie, par exemple, a beaucoup inspir茅 les
tenants de l鈥檕ccultisme qui, entre 1870 et 1920, ont 
produit des clich茅s d鈥檈ctoplasmes, de fant么mes et de
revenants divers

19

鈥, note Albert Hamm. Il rappelle au

passage la r茅cente soutenance de th猫se en sociologie de
l鈥檃strologue 脡lisabeth Teissier

20

. Un 茅v茅nement m茅diatique

qui a montr茅 la porosit茅 aux repr茅sentations irrationnelles
dont les milieux scientifiques peuvent parfois faire 
preuve. 

Ces exemples plut么t souriants ne doivent pas cacher que
la mystification scientifique peut prendre des allures plus
mena莽antes. Jean-Marie Vetter rappelle, entre autres, les
d茅rives de la phr茅nologie

21

, qui pr茅tendait notamment

d茅tecter les criminels gr芒ce 脿 leurs caract茅ristiques
anatomiques. Un fondement scientifique erron茅 sert 
茅galement aux sectes qui proposent le clonage pour tous
ou celles qui refusent la transfusion au p茅ril de la vie de
leurs membres. C鈥檈st aussi au nom d鈥檜ne vision 
corrompue de la science m茅dicale qu鈥檕nt 茅t茅 conduites
les exp茅riences des m茅decins nazis ou celles qui ont 
permis aux m茅decins am茅ricains d鈥檕bserver l鈥櫭﹙olution 
naturelle de la syphilis chez des patients noirs qu鈥檌ls
auraient pu ais茅ment soigner avec de la p茅nicilline

22

鈥 D茅m锚ler le vrai du faux, la transgression supportable
et celle qui franchit les limites de l鈥櫭﹖hique : aider les
citoyens 脿 se rendre capables d鈥檈xercer un tel esprit
critique fait partie de nos missions d鈥檈nseignants-
chercheurs 
鈥, conclut Albert Hamm. 

S.B.

Cycle 

T

ransgr

essions, 茅volutions  

Du canular 脿 la mystification intellectuelle...

85

Clich茅 NASA 鈥 Mission Ranger VIII, 20 f茅vrier 1965
Cr茅dit : Constant Schohn

18 - Otto Jespersen, linguiste danois, 1860 - 1943
19 - La Maison Europ茅enne de la Photographie de Paris a propos茅, en associa-
tion avec le Metropolitan Museum de New York, une exposition intitul茅e : 鈥 Le
Troisi猫me 艗il, la photographie et l鈥檕cculte 鈥, qui s鈥檈st tenue du 3 novembre au
6 f茅vrier 2005.
20 - 脡lizabeth Teissier, astrologue connue, a soutenu 脿 la Sorbonne, en avril
2001, une th猫se intitul茅e : 鈥 La situation 茅pist茅mologique de l'astrologie 脿
travers l'ambivalence fascination/rejet dans les soci茅t茅s postmodernes 鈥.  
Revue de presse sur : www.prevensectes.com/astro3.htm
21 - Heilmann, 脡ric (sous la direction de), Science ou justice, les savants
l鈥檕rdre et la loi
, 茅d. Autrement, 1994
22 - 鈥 En 1970 a 茅clat茅 l'affaire de la Tuskegee Syphilis Study qui, d茅but茅e en
1932, 茅tudiait l'茅volution de la maladie dans un groupe de 400 noirs d'Alabama.
Ces personnes ne connaissaient pas la nature ni le nom de la maladie. Ils ne
recevaient aucun traitement alors m锚me que les antibiotiques 茅taient d茅couverts
et reconnus efficaces. Cette "exp茅rience" prit fin en 1972. 鈥. Extrait d鈥檜n cours
d鈥櫭﹖hique de l鈥橧NSERM.

background image

86

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