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Enquête

Jérémie Assous, l'avocat qui fait trembler la télé-réalité

Le 30 avril 2009 à 17h45    -    Mis à jour le 16 juillet 2008 à 12h10
Tags : télé-réalité     Jérémie Assous     Glem     droit du travail     TF1     M6

LE FIL TéLéVISION - Dormir sur “L'île de la tentation”, c'est du boulot. En le démontrant, le jeune avocat Jérémie Assous est en passe de tordre le cou à la télé-réalité. Un cauchemar pour les sociétés de production qui ont décidé de faire appel. Une question de survie pour Koh-Lanta.


Jérémie Assous - Photo : Rudy Waks pour Télérama

Mai 2003. Dans un bureau du 6e arrondissement de Paris, Anthony Brocheton, sourire Ultra Brite et muscles ultragonflés, a rendez-vous avec Jérémie Assous, un jeune avocat de 26 ans, tout frais diplômé. Anthony a besoin d'un conseil juridique : il voudrait faire des photos avec un magazine, mais un contrat d'exclusivité le lie à L'île de la tentation, nouvelle émission de TF1, à laquelle il a participé avec sa copine. A l'époque, trois ans après le Loft, la télé-réalité est encore un phénomène de société et booste l'audience. Jérémie Assous, lui, n'a pas la télé. Anthony lui raconte ce qu'il a vécu, lui révèle les dessous de l'émission : impossibilité pour les candidats de dormir quand ils le souhaitent pendant le tournage, interdiction de parler à des gens extérieurs, activités imposées par la production, mises en scène un peu bidon, montages qui truquent la réalité. Le juriste écoute. Et tombe de sa chaise lorsqu'il étudie le « règlement » qu'Anthony a signé : « Mais, en fait, vous avez fait un boulot d'acteur de sitcom ! Vous auriez dû avoir un contrat de travail ! » A la fin de l'entretien, l'impétueux avocat sait qu'il vient de mettre le doigt sur une faille énorme. Une faille qui va faire trembler le petit monde de l'audiovisuel.


« Ils méritaient un contrat de travail
en bonne et due forme, avec salaire,
heures sup, congés payés. »

Jérémie Assous, avocats des participants

 

Juillet 2008. Jérémie Assous, tenue blanche assortie à son canapé design, triomphe. Des mois de travail brillant et minutieux ont confirmé son intuition : le conseil des prud'hommes a requalifié les contrats d'Anthony et de deux autres participants à L'île de la tentation (produite par Glem, filiale à 100 % de TF1) en contrats de travail. En février dernier, la cour d'appel de Paris confirme le jugement. En d'autres termes : la justice française estime qu'Anthony et ses petits camarades, en jouant, en dormant, en mangeant et en accomplissant les tâches demandées par la production, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sous l'oeil des caméras, ont travaillé. « Ils méritaient un contrat de travail en bonne et due forme, avec salaire, heures sup, congés payés. On leur doit donc aussi des indem­nités pour non-respect de la procédure de licenciement, et même pour travail dissimulé ! », explique, volubile, Jérémie Assous. Soit, pour chacun, la coquette somme de... 27 000 euros. Bien payés, les douze jours au soleil !

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\"LÎle de la tentation“, saison 2. Anthony Brocheton (deuxième à partir de la gauche) est le premier participant d'une émission de télé-réalité à avoir contacté l'avocat Jérémie Assous. - TF1 Pugnet/TF1 Sureau


Avec cette décision, la télé-réalité, qui a tant cultivé le mystère, déclenché tellement de peurs et de fantasmes, provoqué tant d'indignation, d'éditos outrés et de commentaires moralo-socio-philosophiques, se trouve d'un coup reléguée au rang de la plus banale des industries. En rupture avec les codes habituels de la télé, elle devait ouvrir une nouvelle ère, montrer les entrailles de l'humain comme jamais, dévoiler le cœur du cœur de l'intime comme personne. Elle s'avère être une entreprise de spectacle comme les autres. Démystifiée.
Les médias se passionnent pour l'affaire (jusqu'au Herald Tribune et à la BBC World), Jérémie Assous est invité sur tous les plateaux télé - son bagout plaît. A son cabinet, les coups de fil affluent. Ça tombe bien, il ne prend pas cher : « J'ai cent vingt candidats et plus de quatre-vingts procès prévus pour l'automne ! » sourit le trublion. Des anciens de L'île, mais aussi de Koh-Lanta, Pékin express, Les colocataires, Top model... La liste de ceux qui vont profiter de cette « aubaine judiciaire », comme l'appelle TF1, risque fort de s'allonger.

« Comment salarier des gens
vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?
C'est incompatible avec le droit du travail. »
Emmanuelle Barbara, l'avocate de Glem


Il est loin le temps où le puissant monde de l'audiovisuel regardait avec dédain le moustique Assous, inconnu au bataillon juridique, s'agiter. M6 et sa filiale Studio 89 (Pékin express, Bachelor, Les co­loca­taires, Top model, Nouvelle star), En­demol (Loft story, Secret story, Star ac, Fear factor), Adventure Line Productions (Koh-Lanta) ont jus­qu'ici évité les procès... sans doute grâce à de discrètes négo­ciations. Solidaires malgré eux du destin de L'île de la tentation, ils « attendent avec beaucoup d'in­té­rêt », comme on nous le dit pudi­que­ment chez M6, la prochaine étape : début 2009, la Cour de cassation, ultime recours de TF1, dira si elle confirme le jugement de la cour d'appel. Si oui, c'est un gouffre qui s'ouvrira sous les pieds de la télé-réalité.


« Comment salarier des gens vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? On a cherché dans tous les sens, c'est incompatible avec le droit du travail », soupire Emmanuelle Barbara (Cabinet August & Debouzy), l'avocate de Glem, qui a hérité, après quelques autres cabinets prestigieux, du délicat dossier. En effet, comment imaginer que Ken arrête d'embrasser Vanessa parce qu'il ne fait pas d'heures sup, ou que Barbara cesse subitement de chercher des chenilles pour prendre un jour de RTT ? Intégrer la télé-réalité au droit du travail, c'est, de fait, enterrer la télé-réalité. A Télérama, la perspective ne déplaît pas franchement. Mais du côté des chaînes, elle terrifie : la télé-réalité est un programme vieillissant, mais pas cher à fabriquer (et pour cause), fédérateur et surtout très populaire auprès des jeunes.

« Ce n'est pas du travail
parce que les participants viennent
vivre une expérience personnelle.
Ils se contentent d'être eux-mêmes. »

Edouard Boccon-Gibod, président de Glem


Alors, les candidats travaillent-ils ? « Travailler, rappelait Jérémie Assous dans sa requête devant le conseil des prud'hommes, c'est mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant le paiement d'une rémunération. » Dans son « mémoire ampliatif » (eh oui, ça s'appelle comme ça) envoyé à la Cour de cassation, et que nous nous sommes procuré, TF1 rétorque : « Il n'est requis des participants à une émission de téléréalité, précisément, aucun travail, aucun effort. » Se dorer la pilule au soleil sur une île, sous l'oeil de caméras, ce ne serait donc pas du travail. « Plaisir et travail ne sont pas incompatibles », proteste Jérémie Assous - les profs de jet-ski sous les tropiques peuvent en attester.


Là n'est d'ailleurs pas le problème. La vérité, c'est que les participants ne sont pas inactifs. Ils n'arrêtent pas : sur l'île, pendant douze jours, les couples doivent résister à la séduction de tentateurs qu'on vient leur mettre dans les pattes lors de multiples dîners et sorties ; à Koh-Lanta, quarante jours durant, ils doivent survivre sur une île hostile, trouver à manger, se loger et affronter dans le marigot la tribu rivale. A la Star ac, ils apprennent à danser et à chanter, et ça dure quatre mois ! Alors ? Alors, « ce n'est pas du travail parce que les participants viennent vivre une expérience personnelle. Ils se contentent d'être eux-mêmes », explique le président de Glem, Edouard Boccon-Gibod. « Expérience personnelle », c'est le terme qu'emploie dorénavant la société de production dans le contrat qu'elle fait signer aux participants. Emmanuelle Barbara renchérit : « Ils ont signé pour être simplement ce qu'ils sont. On entre dans leur sphère privée. Or, le travail ne peut pas par essence toucher la sphère privée. Un employeur ne peut exiger par exemple de connaître la vie amoureuse de son employé. C'est illégal. On ne peut pas dévoyer la notion de travail. »

« Le feu de camp, à l'antenne,
c'était quelques minutes.
Dans la réalité, c'était jusqu'à
cinq heures d'enregistrement »
.
Anthony Brocheton, participant.


Dans son mémoire ampliatif (on ne se lasse pas de l'expression), TF1 s'appuie sur le cas de Georges Lopez, l'instituteur d'Etre et avoir, débouté par la justice après avoir lui aussi demandé de l'argent. « Mais l'instituteur animait sa classe parce que c'était son métier, non parce qu'on le filmait », argumente Jérémie Assous. Sa situation préexistait au tournage, et surtout, contrairement à mes clients, il n'obéissait pas aux injonctions de la production. » La télé-réalité, elle, place artificiellement les gens dans une situation exceptionnelle. La bimbo à gros seins, le musclé superénervé, la rousse à langue pendue sont « castés » pour remplir des cases bien précises, dans un scénario audiovisuel largement prédéfini.

Photo : TF1


Tous les participants que nous avons interrogés (L'île de la tentation, Koh-Lanta, Pékin express, The bachelor...) racontent à quel point le tournage est scénarisé, encadré. Dépendants de la production, coupés du monde extérieur, coachés par des « nounous » ou des (pseudo) journalistes, ils ont pour la plupart eu à réenregistrer des scènes ou à répéter des phrases quand le ton n'était pas suffisamment convaincant : « Le feu de camp, à l'antenne, c'était quelques minutes, souligne Anthony Brocheton, mais, dans la réalité, c'était jusqu'à cinq heures d'enregistrement »... Par ailleurs, si « l'histoire » mollit trop, la production n'hésite jamais à intervenir. Ainsi pour Koh-Lanta, où les participants sont censés avoir du mal à se nourrir, Adonis, un participant, régalait trop son équipe : « Ça enlevait du suspense... La production m'a dit qu'elle allait nous sanctionner si on continuait à se faire des festins ! » A l'occasion, la production peut même changer les règles du jeu : « Ils avaient besoin de quelqu'un de mon gabarit pour une épreuve. Le tirage au sort que les télé­spectateurs ont vu a été organisé après l'épreuve. Il était bidon ! » Sans parler des images remontées au mépris de la réalité chronologique, des traits de caractère forcés, ou carrément inventés...

« Faut arrêter de mentir : on vient travailler,
chercher une exposition médiatique,
gagner de l'argent facilement .»

Elodie, tentatrice


Les participants eux-mêmes se sont semi-professionnalisés : le volontaire qui part pour L'île de la tentation 7 ou Koh-Lanta 8 a forcément un peu moins de fraîcheur qu'une Loana période Loft 1. Il a même une fâcheuse tendance à additionner les « expériences personnelles » : Marjolaine, dupée par un faux millionnaire une première fois (Greg le millionnaire), est repartie se faire duper par quinze autres faux millionnaires (Marjolaine et les millionnaires). Stephan, tentateur sur L'île de la tentation, a aussi été phobique sur Fear factor, présélectionné pour Nice people, mais aussi Mister Suisse romande 2004, Mister France 2005, et chanteur le temps d'un single. « Faut arrêter de mentir : on vient travailler, chercher une exposition médiatique, gagner de l'argent facilement », résume Elodie, elle-même intermittente du spectacle et deux fois « tentatrice » sur L'île. On le sait, la télé-réalité porte mal son nom. « Elle devrait s'appeler “jeu de rôle”, souligne l'universitaire François Jost (1). Les émissions sont de plus en plus enregistrées et remontées. Elles basculent vers la fiction, le sitcom, le divertissement pur. »


Les participants de la télé-réalité, artistes interprètes d'un nouveau genre ? Aux couples de L'île de la tentation, la cour d'appel a accordé le statut de travailleurs, pas celui d'artistes. « Cela a des conséquences sur le niveau des indemnités qu'ils peuvent réclamer à un tribunal, mais ne change pas le fond du débat, affirme Jérémie Assous. L'important, pour déterminer s'il y a travail ou pas, n'est pas ce que les gens sont ou font, mais pour qui ils le font. Manger au restaurant n'est pas un travail, sauf si c'est pour le Guide Michelin ou pour un déjeuner d'affaires. Aider un enfant à faire ses devoirs n'est pas un travail quand on est le papa, c'en est un si on est professeur. Les participants des émissions de télé-réalité travaillent pour des sociétés de production qui gagnent des millions grâce à leurs prestations... si nulles soient-elles ! »


Face au cauchemar Assous, les producteurs, Glem en tête, ont fait évoluer leurs contrats : au fil des saisons, ils ont donné plus de liberté à leurs participants, cherché de nouveaux moyens détournés pour les rémunérer... Mais à chaque nouveau contrat, chaque nouvel argument, l'inventif Jérémie Assous, qui bosse autant qu'il s'amuse dans ce ping-pong juridique, trouve une pa­rade. Dorénavant, pour ses futurs prud'hom­mes, il réclame entre 140 000 et 600 000 euros par participant. Vertigineux. « Absurde », commente Edouard Boccon-Gibod. Dangereux, pour l'équilibre économique de la télé-réalité, qui a déjà vu passer en France quelque huit cents candidats. Alors, en attendant le verdict de la Cour de cassation, les avocats négocient, les juristes planchent. Le trublion Assous s'est associé à deux avocats, maître Levy, star du barreau, et maître Djabeur. Et il rencontre des confrères étrangers. C'est vrai ça : pourquoi ne pas exporter une affaire qui marche ? Des travailleurs exploités par la télé-réalité, il y en a dans le monde entier .

 

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Emmanuelle Anizon

Télérama n° 3053

(1) Auteur de “L'Empire du Loft”, éd. La Dispute.

Le 30 avril 2009 à 17h45    -    Mis à jour le 16 juillet 2008 à 12h10
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