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Le level design des jeux multijoueurs

Partie 1

Une analyse en profondeur des contraintes, des attentes des joueurs et des règles de design

 

Edition du 06.10.06 

 Sommaire de la rubrique Game Design de Pascal Luban

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Les contraintes spécifiques du level design multijoueur

 

Les règles régissant la conception de niveaux de jeu pour les modes solo commencent à être bien connues. Elles permettent de s'assurer que l'expérience du joueur est maîtrisée en terme de difficulté, rythme, renouvellement, etc. Mais la conception de niveaux multijoueurs ne répond pas aux mêmes contraintes que celles des niveaux solos. Je commencerai donc mon exposé par la description des contraintes spécifiques au level design multijoueur.

Pascal Luban

     

Pascal Luban

 

Les contraintes techniques

La première contrainte technique est le goulet d'étranglement de la bande passante. Une machine de jeu peut être surpuissante et capable de traiter une immense quantité d'information mais si le "tuyau" qui la relie a une autre machine est trop petit, peu d'information peuvent être échangées et le jeu en est alors ralenti ou appauvri.

Qui sont les principaux "consommateurs" de bande passante dans un jeu multijoueur ? En premier lieu nous trouvons les déplacements des personnages et leurs animations. Dans la plupart des FPS multijoueurs les animations des personnages sont très limitées. Ces derniers se contentent le plus souvent de courir, sauter ou se baisser. Mais dans un jeu comme les versions multijoueurs de Splinter Cell auxquelles j’ai collaboré, la richesse des animations est au cœur du jeu. Les personnages peuvent se saisir les uns des autres, accomplir des acrobaties, se frapper, etc. Cette richesse des animations est très exigeante en terme de bande passante. Je suis convaincu qu'une telle qualité des animations deviendra de plus en plus présente dans les futurs jeux multijoueurs car elles apportent un surcroit de réalisme mais aussi parce qu'elles élargissent les possibilités de gameplay ainsi qu'on peut le constater en jouant au mode versus de Splinter Cell.       Splinter Cell – Pandora Tomorrow et Chaos Theory

Une des nombreuses animations complexes disponibles
dans la version multijoueur de
Splinter Cell – Pandora Tomorrow et Chaos Theory

Les autres gros consommateurs de bande passante sont les effets spéciaux comme les explosions et leurs festivals de particules et les évènements dynamiques dans les niveaux. Ces derniers sont des animations de la map comme le déplacement d'une grue, d'un ascenseur ou la destruction d'un mur. S'il est possible d'interagir avec de tels évènements (en lançant une grenade dans une cabine d'ascenseur ou en positionnant un personnage sur un objet en mouvement) la position exacte de ces parties mobiles de la map doit être suivie image par image. Une fois de plus, je suis persuadé que les maps des futurs jeux multijoueurs seront de plus en plus riches en effets spéciaux et animations de maps. Les effets spéciaux n'ont pas qu'une utilité cosmétique dans un jeu. Ils peuvent être utilisés pour perturber la vision, éclairer ou assombrir le décor, laisser des traces du passage d’un personnage, etc. Leur utilisation en terme de gameplay est évidente. Il en va de même avec les événements de map.

Splinter Cell – Chaos Theory

La grille de ventilation est un des éléments destructibles
de décor dans la map Aquarius du mode multijoueur de
Splinter Cell – Chaos Theory.

      Nous avons largement utilisés de tels évènements dans les maps multijoueurs de Splinter Cell - Chaos Theory. Par exemple dans la map Aquarius, le level designer a positionné une grille de ventilation destructible a proximité de l'accès, verrouillé, à un des objectifs de mission de la map (voir ci-dessous). Si un défenseur utilise une grenade à proximité de cette grille pour tuer un adversaire il détruit la grille et offre ainsi à ses adversaires un chemin rapide pour atteindre son objectif. L'utilisation constructive des événements de map permet ainsi d'apporter une nouvelle dimension au gameplay de la map en changeant sa topologie et en modifiant les tactiques des défenseurs. Les maps de Splinter Cell - Chaos Theory ainsi que certaines maps de Splinter Cell - Pandora Tomorrow regorgent de ce genre d'interactions et d'utilisation des effets spéciaux à des fins de gameplay. L’intelligence et la diversité de ces interactions sont autant de tribut au savoir-faire des level designers du studio Ubisoft d’Annecy.

La quantité d'information échangée entre les machines d'une session de jeu est proportionnelle au nombre de joueurs. Une des conséquences directes du goulet d'étranglement de la bande passante est l'arbitrage qui doit être fait entre le nombre de joueurs et la richesse du jeu (animations, effets spéciaux, évènements de map, etc.).

La seconde contrainte technique est le besoin de synchroniser les évènements du jeu. Pour un jeu d'action, la synchronisation des évènements clés comme le tir est de la première importance pour la qualité du jeu. Les problèmes de synchronisation représentent le premier sujet de mécontentement des gamers. Lorsqu'un bon joueur place son curseur sur une cible en mouvement et qu'il appuie sur la gâchette, il s'attend à ce que sa balle touche sa cible immédiatement et exactement là ou il a visé. Un délai d'une fraction de seconde n'est pas acceptable. Les bons joueurs sont très précis dans leur jeu et ils se sentent "floués" si le jeu ne réagit pas aussi vite qu'il devrait. Certains jeux comme Soldier of Fortune sur Xbox gèrent très bien ce problème.

La troisième contrainte technique est le manque de contrôle sur les actions des joueurs. Si trop de joueurs se retrouvent au même endroit de la map et commencent à générer des explosions et à provoquer de nombreux évènements de map, la quantité d'information à échanger entre les machines sera trop importante et le taux de rafraichissement des images va s'effondrer. Ce problème ne se pose pas dans un niveau de jeu solo car le level designer aura pris soin de répartir les évènements susceptibles de ralentir la machine. Mais en multijoueur, tout est possible. Il est difficile d'empêcher les joueurs de "planter" volontairement leur session de jeu en surchargeant le CPU et la bande passante mais un bon level design doit minimiser le risque de surcharge en incitant les joueurs à se répartir dans la map.

 

L'utilisation intense des maps

Nous touchons ici une des différences majeures entre les maps conçues pour un jeu solo et celles pour du multijoueur. Dans un jeu solo, un joueur va parcourir un niveau avec un seul objectif en tête, le terminer et passer au suivant. Le temps passé dans chaque niveau est bref. Mais en multijoueur, les joueurs vont passer des centaines d'heures sur chaque map. Il advient alors que toutes les faiblesses des maps finissent par apparaitre. Ainsi, les bugs permettant de tricher ou les erreurs de design sont révélés et sont échangés entre joueurs. Une seconde conséquence de cette hyper-exploitation des maps est le risque de lassitude si la map n'offre pas suffisamment de richesse tactique. Les maps multijoueurs doivent supporter des milliers d'heures de jeu sans lasser les joueurs. Un an après la commercialisation de Splinter Cell - Pandora Tomorrow, des milliers de sessions multijoueurs étaient encore jouées tous les jours à l'instar des maps de Halo 2.

 

La recherche du jeu efficace

La troisième contrainte spécifique au level design multijoueur est la conséquence du style de jeu propre à ce type jeu qui est hautement compétitif, à l'exception des modes coopératifs. Comme l'essence du jeu multijoueur est d'écraser les adversaires, les joueurs cherchent les pratiques les plus efficaces alors que dans un jeu solo, les joueurs ont plus tendance à jouer à leur rythme et à utiliser toutes les possibilités offertes par le jeu.

Quelles en sont les conséquences ? D'abord, de nombreuses fonctionnalités du jeu (armes, animations, fonctions propre à une map, animations, etc.) seront complètement ignorées par les joueurs, même si elles offrent un vrai potentiel. Les joueurs n'exploiteront que les fonctionnalités les plus efficaces.

La seconde conséquence est la forte incitation à tricher en exploitant les bugs ou les défauts de la map. Ce problème est tellement important qu'il rend caduc le classement de nombreux jeux multijoueurs.

 

La difficulté de faire jouer des joueurs occasionnels aux jeux multijoueurs

La quatrième contrainte est la difficulté à faire jouer en multijoueur des joueurs moyens ou occasionnels. La raison en est simple : personne n'aime se faire humilier en perdant à répétition face à des joueurs qui ne vous laissent aucune chance. Jouer contre un adversaire humain génère beaucoup de tension et rend le jeu plus palpitant mais augmente aussi sensiblement le niveau de stress d'un joueur peu expérimenté. Il lui est alors particulièrement difficile de faire face aux trois défis qu'il doit relever simultanément : La maitrise de l'interface, la connaissance des maps et la compréhension tactique du jeu. Il existe bien des systèmes de classement permettant de regrouper les joueurs par niveaux mais la plupart n'apportent qu'une réponse très incomplète au problème de l'intégration des débutants.
Aujourd'hui, le multijoueur est essentiellement réservé aux hardcore gamers, excluant de fait 75 ou 80 pour cent des joueurs, donc du marché. Si nous voulons que le multijoueur sorte de son ghetto et devienne une forme de jeu grand public, il nous faut absolument concevoir les jeux en conséquence et pas seulement nous contenter de les adapter.

 

Le poids de la communauté des joueurs

Enfin la dernière contrainte majeure est la prise en compte du poids de la communauté des joueurs.
Un jeu multijoueur existe grâce à ses joueurs et ces derniers sont demandeurs de contenu (nouveaux niveaux), de corrections des défauts, de compétitions, de lieux d'échange et de possibilités d'adapter le jeu à leur style de jeu. La naissance d'une communauté de joueurs autours d'un jeu peut être une vraie bénédiction pour un éditeur mais le développement du jeu doit s'y préparer.

 

Dans les prochaines parties de cette série d'articles consacrées au design multijoueur, j'aborderai mes suggestions de solution :

  • Le level design
  • Le défi du réglage du jeu, le fine tuning
  • Le design autour des contraintes techniques
  • La conception d'un jeu multijoueur accessible au grand public.

 

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