Journaliste 8
Mon général, la guerre ayant éclaté au Moyen-Orient il y a six mois, elle s'est terminée aussitÎt ainsi que l'on
sait. Que pensez-vous mon général de l'évolution de la situation dans ce secteur du monde depuis juin
dernier ?
Journaliste 15
Pourquoi considérez-vous que l'Etat d'Israël est l'agresseur dans la Guerre des Six Jours alors que c'est le
président Nasser qui a fermé le détroit de Tiran ?
Charles de Gaulle
«LâĂ©tablissement, entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque-lĂ , lâĂ©tablissement dâun foyer
sioniste en Palestine et puis, aprĂšs la DeuxiĂšme Guerre mondiale, lâĂ©tablissement dâun Ătat dâIsraĂ«l,
soulevait, Ă lâĂ©poque, un certain nombre dâapprĂ©hensions. On pouvait se demander, en effet, et on se
demandait mĂȘme chez beaucoup de Juifs, si lâimplantation de cette communautĂ© sur des terres qui avaient
été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient
fonciĂšrement hostiles, nâallait pas entraĂźner dâincessants, dâinterminables frictions et conflits.
Certains
redoutaient mĂȘme que les Juifs, jusquâalors dispersĂ©s, mais qui Ă©taient restĂ©s ce quâils avaient Ă©tĂ©
de tous temps, câest-Ă -dire un peuple dâĂ©lite, sĂ»r de lui-mĂȘme et dominateur, nâen viennent, une fois
rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les
souhaits trĂšs Ă©mouvants quâils formaient depuis dix-neuf siĂšcles
. Cependant, en dépit du flot tantÎt
montant, tantĂŽt descendant, des malveillances quâils suscitaient dans certains pays et Ă certaines Ă©poques,
un capital considĂ©rable dâintĂ©rĂȘt et mĂȘme de sympathie sâĂ©tait accumulĂ© en leur faveur, surtout, il faut bien le
dire dans la chrĂ©tientĂ© ; un capital qui Ă©tait issu de lâimmense souvenir du Testament, nourri par toutes les
sources dâune magnifique liturgie, entretenu par la commisĂ©ration quâinspirait leur antique malheur et que
poĂ©tisait, chez nous, la lĂ©gende du Juif errant, accru par les abominables persĂ©cutions quâils avaient subies
pendant la DeuxiĂšme Guerre mondiale et grossi, depuis quâils avaient retrouvĂ© une patrie, par leurs travaux
constructifs et le courage de leurs soldats. Câest pourquoi, indĂ©pendamment des vastes concours en argent,
en influence, en propagande, que les IsraĂ©liens recevaient des milieux Juifs dâAmĂ©rique et dâEurope,
beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction lâĂ©tablissement de leur Ătat sur le territoire que
leur avaient reconnu les Puissances, tout en dĂ©sirant quâils parviennent, en usant dâun peu de modestie, Ă
trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique. Il faut dire que ces données psychologiques avaient
quelque peu changĂ© depuis 1956 ; Ă la faveur de lâexpĂ©dition franco-britannique de Suez, on avait vu
apparaĂźtre, en effet, un Ătat dâIsraĂ«l guerrier et rĂ©solu Ă sâagrandir. Ensuite, lâaction quâil menait pour doubler
sa population par lâimmigration de nouveaux Ă©lĂ©ments, donnait Ă penser que le territoire quâil avait acquis ne
lui suffirait pas longtemps et quâil serait portĂ©, pour lâagrandir, Ă utiliser toute occasion qui se prĂ©senterait.
Câest pourquoi, dâailleurs, la Ve RĂ©publique sâĂ©tait dĂ©gagĂ©e, vis-Ă -vis dâIsraĂ«l, des liens spĂ©ciaux et trĂšs
Ă©troits que le rĂ©gime prĂ©cĂ©dent avait nouĂ©s avec cet Ătat, et sâĂ©tait appliquĂ©e, au contraire, Ă favoriser la
détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports
cordiaux et, mĂȘme, nous lui fournissions pour sa dĂ©fense Ă©ventuelle les armements quâil demandait
dâacheter, mais, en mĂȘme temps, nous lui prodiguions des avis de modĂ©ration, notamment Ă propos des
litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les
forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions Ă donner officiellement notre aval Ă son installation dans
un quartier de JĂ©rusalem dont il sâĂ©tait emparĂ© et nous maintenions notre ambassade Ă Tel-Aviv. Dâautre
part, une fois mis un terme Ă lâaffaire algĂ©rienne, nous avions repris avec les peuples arabes dâOrient la
La conférence de presse de novembre 1967
De Gaulle et Israël
Dressant un vaste panorama de l'histoire des Juifs qu'il
présente comme "un peuple d'élite sûr de lui et
dominateur", de Gaulle Ă©pouse la cause arabe en
considérant comme une intrusion la présence juive en
Palestine.
Il exprime le sentiment qu'Israël a déclenché la guerre
des Six Jours, non parce qu'il craignait pour sa sécurité,
voire son existence, mais pour effectuer des conquĂȘtes
territoriales afin d'accroĂźtre sa population.
Conférence de presse du général de Gaulle (27
novembre 1967).
mĂȘme politique dâamitiĂ©, de coopĂ©ration, qui avait Ă©tĂ© pendant des siĂšcles celle de la France dans cette
partie du monde et dont la raison et le sentiment font quâelle doit ĂȘtre, aujourdâhui, une des bases
fondamentales de notre action extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour
nous, lâĂtat dâIsraĂ«l Ă©tait un fait accompli et que nous nâadmettrions pas quâil fĂ»t dĂ©truit.
De sorte que tout compris, on pouvait imaginer qu'un jour viendrait oĂč notre pays pourrait aider directement
à ce qu'une paix réelle fut conclue et garantie en Orient pourvu qu'aucun drame nouveau ne vint à la
déchirer.
Hélas ! Le drame est venu, il avait été préparé par une tension trÚs grave et constante qui résultait du sort
scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d'une menace de destruction prodiguée contre Israël.
Le 22 mai, l'affaire d'Aqaba, fĂącheusement crĂ©Ă©e par l'Egypte, allait offrir un prĂ©texte Ă ceux qui rĂȘvaient d'en
découdre.
Pour éviter les hostilités, la France avait, dÚs le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances
d'interdire conjointement avec elle, Ă chacune des deux parties, d'entamer le combat.
Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement dĂ©clarĂ© qu'Ă©ventuellement il donnerait tort Ă
quiconque entamerait le premier l'action des armes. Et c'est ce qu'il répétait en toute clarté à tous les Etats
en cause.
C'est ce que j'avais moi-mĂȘme, le 24 mai, dĂ©clarĂ© Ă Monsieur Ebban, ministre des Affaires Ă©trangĂšres
d'Israël que je voyais à Paris. Si Israël est attaqué, lui dis-je alors en substance, nous ne le laisserons pas
détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative.
Certes, malgrĂ© l'infĂ©rioritĂ© numĂ©rique de votre population, Ă©tant donnĂ© que vous ĂȘtes beaucoup mieux
organisés, beaucoup plus rassemblés, beaucoup mieux armés que les arabes, je ne doute pas que, le cas
échéant, vous remporteriez des succÚs militaires.
Mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain, et au point de vue international dans des
difficultés grandissantes d'autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d'augmenter dans le
monde une tension déplorable et d'avoir des conséquences trÚs malencontreuses pour beaucoup de pays.
Si bien que c'est à vous, devenus des conquérants, qu'on en attribuerait peu à peu les inconvénients.
On sait que la voix de la France n'a pas été entendue, Israël ayant attaqué s'est emparé en six jours de
combat des objectifs qu'il voulait atteindre.
Maintenant, il organise, sur les territoires qu'il a pris, l'occupation qui ne peut aller sans oppression,
répression, expulsion et s'il manifeste contre lui la résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme, il est vrai
que les deux belligérants observent pour le moment d'une maniÚre plus ou moins précaire et irréguliÚre le
cessez-le-feu prescrit par les Nations Unies mais, il est bien Ă©vident que le conflit n'est que suspendu et qu'il
ne peut pas avoir de solution, sauf par la voie internationale.
Mais un rĂšglement dans cette voie, Ă moins que les Nations Unis ne dĂ©chirent, elles-mĂȘmes, leur propre
charte, un rÚglement doit avoir pour base l'évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de
toute belligérance, et la reconnaissance de chacun des Etats en cause par tous les autres.
AprÚs quoi, par des décisions des Nations Unies avec la présence et la garantie de leurs forces, il serait
probablement possible d'arrĂȘter le tracĂ© prĂ©cis des frontiĂšres, les conditions de la vie et de la sĂ©curitĂ© des
deux cÎtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous dans le
golfe d'Aqaba et dans le canal de Suez.
Pour qu'un rĂšglement quelconque, et notamment celui lĂ , puisse voir le jour, rĂšglement auquel du reste,
suivant la France, devrait s'ajouter un statut international pour JĂ©rusalem.
Pour qu'un tel rĂšglement puisse ĂȘtre mis en oeuvre, il faut naturellement, il faudrait qu'il eut l'accord des
grandes puissances qui entraĂźnerait ipso facto, celui des Nations Unies.
Et si un tel accord voyait le jour, la France est d'avance disposĂ©e Ă prĂȘter son concours politique,
économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué.
Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naĂźtre tant que l'un des plus grand des quatre
ne se sera pas dégagé de la guerre odieuse qu'il mÚne ailleurs. Car tout se tient dans le monde
d'aujourd'hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les arabes ne serait pas devenu ce qu'il
est. Et si l'Asie du Sud-Est voyait renaßtre la paix, l'Orient l'aurait bientÎt retrouvé, à la faveur de la détente
générale qui suivrait un pareil événement.
Nous allons parler du Québec. Qui m'avait posé la question ? Je vous en prie. »
Source :
écoutez la conférence de presse
Texte intégrale:
http://degaulle.ina.fr/Php/FicheImprimable.php?IdentifiantFromFlash=Gaulle00139