Logo des Amis de la Terre

Recommander cette page

Imprimer cette page

Agrandir cette page

Importance du Moabi pour les populations forestières

23 juin 2005,
Par Sylvain Angerand

Dans le cadre de la campagne pour la protection des forêts tropicales, les Amis de la Terre ont décidé d’expliquer aux citoyens français ce qui se cache derrière la mode des bois exotique. A travers, l’exemple du Moabi, nous vous invitons à découvrir les liens qui unissent les populations du bassin du Congo à leurs forêts.
Image JPEG - 33.1 ko
La forêt tropicale camerounaise à l’aube

Dans cette région forestière vivent deux types de populations : les agriculteurs bantous qui se sont installés à la périphérie des massifs forestiers suite à des migrations, et les Bakas, populations autochtones semi-nomades (communément appelées « pygmées ») qui jusqu’à peu vivaient exclusivement en forêt et sont désormais encouragés par les programmes gouvernementaux à se sédentariser le long des routes.

Image JPEG - 37 ko
Photo de groupe des enfants Baka qui vivent dans une zone où le Moabi est devenu un arbre très convoité

Les Bakas, même partiellement sédentarisés, entretiennent une relation très étroite avec la forêt et en ont une connaissance approfondie.

Un arbre au coeur du fonctionnement des populations forestières

Sans doute de par son statut d’arbre le plus grand de la forêt, le moabi tient une place essentielle dans la tradition pygmée mais aussi dans la tradition bantoue. Siège du tribunal pour les palabres, il figure dans de nombreux chants et contes bantous. Dans la région du Dja, plusieurs noms de villages dérivent de la racine edjoh qui veut dire « moabi » en badjoué, la langue bantoue locale : medjoh (littéralement « pépinière de moabi »), nemedjoh ou simplement edjoh. Au Gabon, le chef-lieu du département de Douigny est tout simplement appelé moabi.

Image JPEG - 38.6 ko
Un éléphant de forêt : en mangeant le fruit du Moabi, il aide à disséminer les graines de l’arbre en forêt
(Greenpeace/Veberlen)

Cette importance culturelle du moabi est renforcée par son mode de dissémination.

Moabi et éléphant : une alliance naturelle et mystique

En effet, les fruits sont consommés par les éléphants qui rejettent les graines dans leurs fèces, le passage dans l’intestin accélérant même légèrement la germination. Les éléphants sont un symbole notable pour les populations locales, ce qui renforce la place du moabi dans leurs traditions culturelles. Pour les Pygmées, cette interaction entre l’éléphant et le moabi apporte même une dimension sacrée à l’arbre. En effet, pour les Bakas, l’esprit de la forêt, Jengi, n’apparaît qu’à la mort d’un éléphant et guide les chasseurs en forêt sur les traces du gibier. Le Jengi s’incarne de façon symbolique dans tout l’écosystème de l’éléphant et en particulier le moabi dont l’animal apprécie les gros fruits juteux.

Ainsi les chasseurs bakas utilisent les grands moabis comme points de repère pour s’orienter en forêt mais également pour devenir... invisibles ! Lors d’une cérémonie traditionnelle appelée « yeyi », les sorciers réduisent en poudre des fragments d’écorce de moabi et concoctent une potion de camouflage dont les chasseurs se recouvrent le corps pour devenir invisibles.

Image JPEG - 31.5 ko
Un village avec en arrière plan un moabi préservé par des générations de villageois

Les Pygmées sont également connus pour être de grands guérisseurs qui connaissent les secrets des plantes et des arbres de la forêt. A partir de l’écorce du moabi, ils savent préparer des décoctions qui soulagent les maux de ventre ou de dos. Des enquêtes ethnobotaniques ont été conduites en 1994 et 1996 par le chercheur Jean Lagarde Betti dans le cadre du programme Ecofac mené dans la réserve du Dja au Cameroun. Près de 350 espèces végétales permettent le traitement de plus de 77 maladies ou symptômes, dont le moabi, cité pour 50 utilisations différentes.

L’huile de Moabi : secret de fabrication des femmes africaines

Mais le moabi est surtout connu et recherché pour son huile appréciée jusque dans les grandes villes de Yaoundé ou Douala. Si l’énorme fruit du moabi (environ 20 cm de diamètre) est un régal pour les hommes comme pour les animaux, l’amande contenue dans la graine est un plaisir à double tranchant.

Image JPEG - 56 ko
Amandes de Moabi

Consommée crue, elle est extrêmement toxique (d’où son nom d’espèce toxisperma = « à fruit toxique ») mais une fois pilée, bouillie et pressée, les femmes en extraient une délicieuse huile alimentaire riche en acide palmitique.

Légende :

1- L’homme tient dans ses mains un gros fruit charnu de Moabi qui contient plusieurs graines.

2- A la fin de la saison des pluies, les villageois partent à la récolte des graines de Moabi. Au village, ses graines sont ,une fois séchées, décortiquées pour en extraire l’amande.

3- Ces amandes sont ensuite pillés pour obtenir une poudre.

4- En versant régulièremment de l’eau chaude sur cette poudre, les femmes obtiennent une pate qu’elle malaxe pour en extraire de l’huile. Attention à bien éloigner le résidu de pâte très toxique !

5- Avec 500 graines, on obtient en moyenne 1L d’huile qui pourra être vendu environ 1.5€ à 2€ sur les marchés locaux.

Après un second bouillon, elles savent également préparer un beurre, très proche du beurre de karité, qui est utilisé comme cosmétique. Au début de la saison sèche (de septembre à novembre), les bouteilles contenant de l’huile de moabi se multiplient sur les étals des villages bantous, le long des routes, et sont une source de revenu conséquente pour les villageois : la vente d’une trentaine de bouteilles représente l’équivalent d’un salaire local.

Un arbre malheureusement très convoité par l’industrie du bois

Chez les Pygmées, la tradition veut que celui qui découvre un moabi en détienne le droit d’usage. Il le marque et dégage alors le sous-bois alentour pour récolter les fruits plus facilement.

Pourtant le droit moderne issu de la décolonisation nie ce droit traditionnel et affirme le contrôle absolu de l’Etat sur les espaces forestiers. Au Cameroun comme dans la plupart des zones forestières tropicales, les Etats ont choisi de créer de vastes concessions forestières qui sont accordées à des entreprises étrangères. Pour des raisons historiques évidentes, le poids des entreprises françaises et européennes en Afrique Centrale est très important et leur présence crée d’importants conflits avec les populations.

Image JPEG - 22.9 ko
Une scierie appartenant à une entreprise à capitaux français dans le district du Dja (Est Cameroun)

En 1993, dans le district de Mbang (région du Dja), un tiers des moabis, protégés peut-être depuis des siècles par les Pygmées, a été exploité par une société étrangère. Pour faire face aux mouvements sociaux créés par cette exploitation, le gouvernement camerounais a demandé aux préfets de prendre des arrêtés interdisant l’exploitation du moabi dans un rayon de 5 km autour des villages. Force est de constater que ces arrêtés sont restés sans effet devant la multiplication des cas d’exploitation illégale.

Dans le village de Medjoh , les exploitants sont même venus en 2000 couper des vieux moabis pourtant situés dans les champs et les cacaotières des villageois. En 2002, environ 300 moabis ont été coupés à moins de 2 km du village de Bapilé.

Image JPEG - 57.3 ko
Souche d’un arbre abattu illégalement près du village de Medjoh

Face à ce saccage, les villageois ont bloqué les routes et les engins d’exploitation mais ont dû se résigner à voir emporter leurs moabis sur les grumiers devant l’agressivité et les menaces physiques des exploitants.



Un chant des pygmées Baka à propos du Moab