Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière – Numéro spécial liquidité • N° 11 • Février 2008
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La gestion du risque de liquidité
C
HARLES
GOODHART
Professeur d’Économie bancaire et fi nancière
London School of Economics
Liquidité et solvabilité sont les deux piliers indissociables de l’activité bancaire, souvent impossibles
à distinguer l’un de l’autre. Une banque illiquide peut rapidement devenir insolvable et inversement.
Comme l’a souligné Tim Congdon (
Financial Times
, septembre 2007), dans les années cinquante, les
actifs liquides représentaient en général 30 % de l’actif total des banques de dépôts britanniques et se
composaient dans une large mesure de bons du Trésor et de titres publics à court terme. Actuellement,
ces avoirs correspondent à 0,5 % environ et les actifs liquides traditionnels à quelque 1 % du passif.
Les normes antérieures relatives à la transformation des échéances n’ont pas non plus été conservées.
Des proportions croissantes d’actifs à long terme ont été fi nancées par des emprunts à relativement
court terme sur les marchés interbancaires. Les conduits de fi nancement de tranches de crédits
hypothécaires titrisés adossés à du papier commercial à trois mois en constituent un exemple extrême.
Northern Rock en est un autre.
Ces problèmes d’incohérence temporelle sont diffi ciles à résoudre, notamment dans un contexte de crise
(prévue) ; il convient de souligner que de nombreux aspects de la crise actuelle, mais pas tous, avaient
été anticipés par les autorités de régulation du système fi nancier et, plus largement, par les banques
centrales. Or, ces dernières ne disposaient tout simplement pas des instruments, ni sans doute de la
volonté nécessaire pour remédier à la situation. Si les canots de sauvetage sont immédiatement mis à
l’eau dès l’apparition des problèmes, et que des liquidités supplémentaires sont fournies à des conditions
favorables, les banques sont incitées à accroître la densité de leurs constructions en zone inondable.
Pourquoi devraient-elles s’inquiéter de la gestion de la liquidité lorsque c’est la banque centrale qui s’en
charge ? Les banques achètent en quelque sorte une « option de vente » sur la banque centrale en matière
de liquidité ; en effet, elles se défaussent du risque de liquidité sur la banque centrale. L’article entend
pointer le besoin incontestable d’un examen calme et approfondi de ce que devraient être les principes
de gestion de la liquidité bancaire.
A
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L
iquidité et solvabilité sont les deux piliers
de l’activité bancaire, souvent impossibles
à distinguer l’un de l’autre. Une banque
illiquide peut rapidement devenir insolvable,
et inversement. Lorsque le Comité de Bâle sur
le contrôle bancaire a été mis en place en 1975,
son président, George Blunden, s’est engagé, lors
de sa première réunion, à tout mettre en œuvre
pour favoriser l’adéquation des fonds propres et
de la liquidité des grandes banques commerciales
internationales. De fait, les normes de Bâle I ont mis
un terme à la tendance baissière des ratios de fonds
propres des banques, et l’ont même inversée. La plus
grande solidité, dans le contexte actuel, des positions
de fonds propres de la plupart des banques témoigne
très clairement du bienfait de ces mesures.
Ce que l’on sait moins, c’est que dans les années
quatre-vingt, alors qu’il était aux prises avec les
questions d’adéquation des fonds propres, le Comité
de Bâle tentait également de parvenir à un accord
sur la gestion du risque de liquidité. Pour des raisons
qui me sont encore inconnues, il a échoué. Ainsi,
alors que l’on a observé une inversion de la tendance
à la baisse des ratios de fonds propres, il n’en a pas
été de même pour la liquidité. Comme l’a souligné
Tim Congdon (
Financial Times
, septembre 2007),
dans les années cinquante, les actifs liquides
représentaient en général 30 % de l’actif total des
banques de dépôts britanniques et se composaient,
dans une large mesure, de bons du Trésor et de
titres publics à court terme. Actuellement, ces avoirs
correspondent à 0,5 % environ et les actifs liquides
traditionnels à quelque 1 % du passif.
Les normes antérieures relatives à la transformation
des échéances n’ont pas non plus été conservées.
Des proportions croissantes d’actifs à long terme
ont été fi nancées par des emprunts à relativement
court
terme sur les marchés interbancaires.
Les conduits de fi nancement de tranches de
crédits hypothécaires titrisés adossés à du papier
commercial à trois mois en constituent un exemple
extrême. Northern Rock en est un autre.
L’exemple classique de dilemme en matière
d’incohérence temporelle est celui de la construction de
maisons en zone inondable. En cas d’inondation, faut-il
ou non sauver les habitants ? Ces dernières années,
les banques ont érigé leurs stratégies sur des terrains
inondables de ce type, leur problème étant celui d’une
insuffi sance et non d’un excès de liquidité.
Ces problèmes d’incohérence temporelle sont
diffi ciles à résoudre, notamment dans un contexte
de crise (prévue) ; il convient de souligner que de
nombreux aspects de la crise actuelle, mais pas tous,
avaient été anticipés par les autorités de régulation
du système fi nancier et, plus largement, par les
banques centrales. Or, ces dernières ne disposaient
tout simplement pas des instruments, ni sans doute
de la volonté nécessaire pour remédier à la situation.
Si les canots de sauvetage sont immédiatement
mis à l’eau dès l’apparition des problèmes, et que
des liquidités supplémentaires sont fournies à des
conditions favorables, les banques sont incitées à
accroître la densité de leurs constructions en zone
inondable. Pourquoi devraient-elles s’inquiéter de la
gestion de la liquidité lorsque c’est la banque centrale
qui s’en charge ? Les banques achètent en quelque
sorte une « option de vente » sur la banque centrale
en matière de liquidité ; en effet, elles se défaussent
du risque de liquidité sur la banque centrale.
En revanche, si on profi te d’une crise de liquidité
pour pénaliser les brebis égarées qui n’ont pas été
suffi samment prudentes dans la gestion de leur
propre liquidité, et que les canots de sauvetage
ne sont pas immédiatement mis à l’eau, on risque
alors une noyade collective, sous la forme de faillites
bancaires et de retraits massifs des dépôts. Le moins
que l’on puisse dire, c’est que ces événements
ne sont guère acceptés par le corps social. Sur le
fait de savoir si une mise à l’eau plus précoce et
plus énergique des canots de sauvetage aurait
empêché cette catastrophe, nombreux sont ceux, en
particulier parmi les victimes, qui soutiendront sans
en démordre que tel aurait été le cas ; or, ce n’est
qu’une hypothèse d’école. La fi délité aux principes
vertueux en période de crise est sans nul doute
admirable, mais elle peut aussi être dangereuse.
Ce dont nous avons incontestablement besoin
aujourd’hui, c’est d’un examen calme et approfondi
de ce que devraient être les principes de gestion
de la liquidité bancaire. Dans un système fi nancier
mondialisé, cette mission devrait être assurée sur
une base multilatérale au sein du Comité de Bâle sur
le contrôle bancaire. Ce n’est pas un exercice facile.
Le Comité s’est déjà attelé une fois à cette tâche,
mais sans succès ; il lui faut donc recommencer.
En ce qui concerne la gestion de la liquidité, quel est
exactement le bon partage de responsabilités entre
les banques commerciales et la banque centrale ?
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Certains estiment que ces responsabilités devraient
presque entièrement être du ressort de la banque
centrale, mais d’autres préconisent un retour à des
pratiques bancaires plus traditionnelles. Quant à la
transformation des échéances, combien de temps
une banque resterait-elle en mesure d’honorer ses
engagements si la liquidité du marché interbancaire
dont elle est dépendante s’asséchait brutalement,
comme nous savons maintenant que cela peut se
produire, pendant un jour, une semaine, un mois,
un trimestre ou plus longtemps ? Je ne connais pas
de moyen satisfaisant de résoudre ce problème, ni
de travaux de recherche vraiment convaincants en
la matière.
Ce que je sais en revanche, c’est qu’il faut aborder ce
sujet en termes de principes généraux, plutôt qu’en
imposant des ratios ou des minima. La métaphore
ou parabole qui illustre le mieux la réglementation
prudentielle est celle du voyageur épuisé qui arrive
à une heure tardive au terminus et, à sa grande
satisfaction, voit un taxi susceptible de l’emmener
vers sa destination encore lointaine. Il le hèle, mais
le chauffeur lui répond qu’il ne peut pas le prendre
en charge, parce qu’un règlement local impose qu’il
y ait toujours un taxi disponible à la gare. La liquidité
requise n’est pas la véritable liquidité utilisable.
J’ajouterais même que les fonds propres minima
exigés ne représentent pas des capitaux pleinement
utilisables du point de vue d’une banque.
Les principes de gestion de la liquidité (et aussi,
selon moi, d’adéquation des fonds propres) doivent
s’appliquer de façon bien plus discrétionnaire, au
pilier 2 plutôt qu’au pilier 1. Mais cela me place dans
une position très éloignée de celle de la plupart des
universitaires américains, qui pensent qu’on ne peut
tout simplement pas faire confi ance aux régulateurs.
Selon eux, les règles et les réglementations sont
nécessaires pour contraindre le régulateur, au
moins autant que pour contraindre ceux à qui elles
s’appliquent. S’il devait en être ainsi, l’accompagnement
indispensable
de tout ensemble de règles, ou de
ratios exigés, serait une échelle de sanctions toujours
plus sévères car la règle des bonnes pratiques est
de plus en plus transgressée. Défi nir des niveaux
minima sans établir une échelle correspondante de
sanctions favorise le laxisme et l’apparition de crises
du crédit. Une des caractéristiques du Comité de
Bâle, qui pose problème à certains égards, est qu’il
n’est qu’un comité consultatif
ad hoc
ne disposant
d’aucun pouvoir juridique sur le plan international.
Ainsi, il s’est estimé quasiment incompétent pour
traiter de la question des
sanctions
à appliquer, le cas
échéant, si les banques ou les systèmes bancaires ne
respectaient pas ses propositions et ses principes de
bonne gestion.
Laissons de côté pour le moment la question des
sanctions, tout en notant que leur formulation
réfl échie est un élément à part entière et essentiel
de tout système de réglementation bien conçu, et
revenons à la question des principes de gestion de la
liquidité. Malheureusement, le terme de « liquidité »
comporte de si nombreuses acceptions qu’il est
souvent contre-productif de l’utiliser sans en donner
une défi nition plus précise. Je me concentrerai
sur deux de ces aspects : le premier concerne la
transformation des échéances, la maturité des
différentes catégories de passifs et d’actifs d’une
banque, et le deuxième la liquidité inhérente
des actifs d’une banque, c’est-à-dire la rapidité
avec laquelle ils peuvent être cédés sans perte
signifi cative de valeur, quelle que soit la situation du
marché. Vous en conviendrez je l’espère, il s’agit là
d’éléments essentiels de la position de liquidité de
toute banque.
En outre, ces deux éléments de la gestion de la liquidité
bancaire sont eux-mêmes étroitement imbriqués.
Plus les actifs d’une banque sont liquides et cessibles
à tout moment à un prix ferme, moins la banque doit
se préoccuper de la transformation de ses échéances,
puisqu’elle peut compenser les retraits de passifs avec
le produit des cessions d’actifs. En ce qui concerne la
débâcle de Northern Rock, il semble que cette banque
avait prévu de titriser une proportion importante
de son portefeuille de créances immobilières en
septembre. Lorsque cela est devenu impossible en
raison de la situation du marché, l’exposition de
cette banque aux problèmes de fi nancement sur les
marchés de professionnels s’est considérablement
aggravée. En revanche, moins il y a de transformation
d’échéances, moins une banque n’a à se préoccuper
du taux d’intérêt intermédiaire et du risque de marché
sur ses actifs, puisqu’elle peut les conserver jusqu’à
l’échéance et surmonter toutes les crises survenant
dans l’intervalle. S’il y a une leçon à retenir, c’est qu’il
faut tenir compte simultanément tant de l’actif que
du passif d’une banque en vue d’évaluer sa liquidité
d’ensemble.
En économie, l’un des problèmes de fond réside
dans le fait qu’une décision stratégique prise par
A
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une catégorie importante d’agents, tels que les
autorités monétaires et les autorités chargées de la
réglementation, affecte le comportement de tous
les autres agents (critique à la Lucas). À cet égard,
la volonté des banques centrales de prêter contre
certaines classes d’actifs, c’est-à-dire de les accepter
comme garanties, affectera à son tour la liquidité
de ces actifs. L’une des évolutions malheureuses
de la dernière crise est l’apparente confusion qui
a régné entre les principales banques centrales
quant à la nature des actifs qui devaient, et de
ceux qui ne devaient pas, être utilisés en garantie
des opérations de pension. Comme cette question
dépend certainement en grande partie de l’histoire et
de la diversité des structures des systèmes bancaires
dans les différentes zones monétaires, il est possible
que l’uniformisation des pratiques entre les banques
centrales ne soit ni réalisable, ni souhaitable. Il serait
de toute façon intéressant de savoir pour quelles
raisons elles ont adopté des procédures différentes.
Les banques centrales concernées pourraient
peut-être organiser une conférence (privée) pour
tirer cela au clair.
Pour des questions de ce genre, il est tentant de
retourner aux principes établis par Bagehot
1
,
c’est-à-dire de prêter librement, mais à un taux élevé
et contre des garanties solides. Il y avait deux raisons
de mettre l’accent sur la qualité des garanties :
il s’agissait en premier lieu de protéger le prêteur,
c’est-à-dire la banque centrale, contre le risque
de défaillance du crédit et en deuxième lieu,
d’encourager les banques à accorder des prêts plus
sûrs, moins risqués et moins spéculatifs, c’est-à-dire
de prêter contre des effets de commerce (qui sont
« réels ») plutôt que contre des effets fi nanciers (qui
sont « spéculatifs »). Du temps de Bagehot, le premier
objectif et, dans une certaine mesure, le second étaient
réalisés en prêtant sur la base de papier commercial
comportant deux signatures, dont celle d’une autre
banque, une maison d’escompte (moyennant une
faible commission) ; par cet endossement, celle-ci
s’engageait à payer la valeur faciale de l’effet à
l’échéance, si le tireur était défaillant.
Une des questions que suscitent actuellement les
opérations de marché, et de prêteur en dernier
ressort, d’une banque centrale est de savoir dans
quelle mesure celle-ci doit élargir la gamme des
actifs qu’elle achète ou contre lesquels elle accorde
des prêts, pour y inclure des créances sur le secteur
privé, tels que des créances hypothécaires et des
créances négociables sur des entreprises de premier
plan, en plus des créances sur les administrations
et les organismes publics. Il ne fait évidemment
aucun doute que ces créances, lorsqu’elles sont de
qualité suffi sante, constituent des actifs bancaires
traditionnels et appropriés. En outre, comme la
banque centrale peut compter sur la quasi-perpétuité
de son privilège d’émission fi duciaire, elle est capable
d’absorber les risques de marché et de liquidité. En
revanche, elle ne peut accepter le risque de crédit ;
or, en raison de l’asymétrie de l’information, elle
se verra certainement proposer les actifs les plus
risqués au sein de la catégorie des actifs acceptables
détenus par la banque commerciale emprunteuse,
permettant ainsi à celle-ci d’accéder au marché avec
ses actifs de meilleure qualité.
Le temps est peut-être venu de retourner au concept
de l’effet revêtu de deux signatures : la banque cédant
des actifs à une banque centrale endosse cet effet, de
sorte que toute défaillance de la part du tireur reste à
la charge de la banque emprunteuse, la nature de la
créance ayant alors un caractère prioritaire par rapport
aux autres créanciers (à l’exception des déposants
assurés). Cela élargirait la gamme acceptable des
garanties, protégerait la banque centrale et rejetterait
les risques d’illiquidité sur les créanciers de second
rang de la banque commerciale, sur la dette
subordonnée et sur les actionnaires à qui il incombe
d’y faire face. Cela règlerait également, en partie, la
question de l’importance de la décote que la banque
centrale devrait encore exiger pour se protéger contre
les risques de taux d’intérêt et de marché.
La plupart des injections de liquidité sont toutefois
effectuées par le biais d’opérations de pension plutôt
que par des achats ferme. Dans ce cas, la banque
emprunteuse est déjà la première signature et la
garantie fournit la deuxième. Dans ces circonstances,
qui sont normales, des problèmes peuvent encore
apparaître si la qualité de signature (la solvabilité)
de l’emprunteur se trouve corrélée au prix de
l’actif, ce qui pourrait facilement être le cas lorsque
l’opération de pension est garantie par des actifs du
secteur privé
2
.
La question qui se pose ensuite aux autorités
monétaires concerne l’échéance de leurs opérations.
1
Bagehot (W.) (1873 ) :
“Lombard Street”
2
Je remercie Julian Wiseman pour ses commentaires sur la question.
A
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La dernière crise a été atypique dans la mesure
où elle n’était pas liée à une insuffi sance de
trésorerie, mais plutôt à une inquiétude quant à
la disponibilité des fi nancements permettant de
faire face aux engagements futurs (en raison du
non-renouvellement des ABCP), à un moment
où la solvabilité des autres banques pouvait être
mise en doute. Par conséquent, les marchés
interbancaires de l’argent à trois mois se sont
asséchés, car les banques ont cherché à mettre des
fonds de côté en interne et sous forme de bons du
Trésor, à un moment où l’argent au jour le jour
était généralement abondant. La demande que les
banques commerciales adressaient à la banque
centrale était sous forme de prêts à trois mois.
Mais pour garder les taux au jour le jour à un niveau
proche du taux directeur, les prêts supplémentaires
consentis sur cette échéance plus longue auraient
dû être compensés par des prises en pension
ou par des ventes à l’
open market
sur l’échéance
plus courte. Une telle « torsion » des opérations
aurait-elle eu beaucoup d’effet ? Des études sont
nécessaires pour répondre à cette question.
La banque centrale peut fi xer le taux directeur
à court terme qu’elle privilégie à partir d’un
volume comparativement très faible d’opérations
d’
open market
, car l’assiette des réserves effectives
de liquidité, c’est-à-dire le volant détenu au-delà
du ratio minimal exigé est très limitée. Essayer
de modifi er la courbe des rendements
pourrait
nécessiter de recourir à des achats massifs sur les
échéances les plus longues, pratiquement compensés
par des opérations de cession temporaire d’ampleur
comparable sur le compartiment à court terme.
Peut-être le jeu en vaut-il la chandelle, mais quel en
serait le coût ?
Personnellement, j’aurais préféré que les opérations
se déroulent dans la partie inférieure du corridor
de taux d’intérêt, en permettant aux banques
commerciales de détenir des dépôts à plus
long terme (à trois mois, par exemple) auprès de
la banque centrale, à un faible coût par rapport aux
taux directeurs, ou même en les y encourageant.
Si les banques commerciales ne veulent pas
s’accorder de prêts entre elles, elles prêteront à la
banque centrale ; celle-ci peut toujours garantir,
grâce à une politique expansive d’
open market
, que
les banques commerciales auront un accès suffi sant
et certain à des disponibilités, non seulement au
jour le jour, mais également sur des échéances
plus longues afi n d’éliminer de purs problèmes de
liquidité
3
.
Tout cela nous ramène à notre point de départ :
jusqu’à quel point les banques centrales doivent-elles
autoriser les banques commerciales à leur transférer
la gestion de la liquidité. Clairement, si les banques
commerciales peuvent toujours se reposer sur
la banque centrale, elles procéderont à des
transformations d’échéances maximales, en détenant
des prêts à vingt ans en contrepartie de fi nancements
sur le marché interbancaire au jour le jour, afi n de
tirer parti de toutes les primes de liquidité et de
la pente normalement ascendante de la courbe des
rendements. Une condition essentielle est de veiller
à ce qu’une telle situation ne génère pas des risques
asymétriques entre d’une part, la banque centrale
et le contribuable et la banque commerciale d’autre
part, et ma proposition de double signature des effets
va dans ce sens. Néanmoins, il n’est certainement
pas souhaitable pour une banque centrale d’être
placée dans la perspective de détenir des actifs par
milliards pour de très longues périodes, comme la
Banque d’Angleterre a dû le faire avec Northern Rock.
Le 24 octobre, le montant total atteignait 20 milliards
de livres sterling et continuait d’augmenter, ce qui
est loin d’être une situation satisfaisante.
Or, comment déterminer le niveau approprié de la
transformation d’échéances ? Quels principes mettre
en œuvre ? Cette question est d’ailleurs liée à celles
soulevées antérieurement quant à la qualité des
actifs. Si la banque détient un stock d’actifs liquides
de très haute qualité, la transformation d’échéances
peut être plus grande car le risque de fi nancement
peut être couvert par la vente ou le nantissement
d’actifs de grande qualité. Un arbitrage existe
entre la liquidité des actifs et la transformation des
échéances. Ce dont nous avons sans doute besoin,
c’est d’un état des relations entre la liquidité des actifs
et la transformation d’échéances, où cette dernière
varie de 0 (pas de transformation) à l’infi ni et où la
3
Effectuer des opérations dans la partie inférieure (dépôts) du corridor des taux d’intérêt n’est pas une idée farfelue. Faisant autorité sur la question, Woodford,
dans «
Globalization and monetary control »
, document de travail du NBER n° 13329 (août 2007) page 43 et note de bas de page 38, décrit la variation des taux
d’intérêt sur la base monétaire comme un élément essentiel de la mise en œuvre de la politique monétaire dans les pays disposant de « canaux de transmission ».
Cf. également Berentsen et Monnet, «
Monetary policy in a channel system »
, étude présentée lors de la conférence organisée conjointement par la Banque
d’Angleterre et la BCE sur le thème «
Payments and monetary and fi nancial stability »
, Francfort, 12 novembre 2007.
A
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liquidité des actifs est mesurée en pourcentage des
actifs, comme suit :
Transformation effective des échéances
0
30
60 100 Infi nie
Liquidité appropriée des actifs
0
5
10
30
100
Le problème est que cela suppose l’existence d’une
échelle de mesure, cardinale ou ordinale, unique et
reconnue, de la transformation d’échéances et de
la liquidité des actifs. Or, ce n’est pas le cas. Une
banque dispose d’une gamme étendue d’actifs et de
passifs assortis de diverses conditions (par exemple,
des pénalités pour retrait anticipé, des clauses de
révision de taux d’intérêt, etc.). Comment peut-on,
ou doit-on, comparer les positions de deux banques
en termes de transformation d’échéances ? Dans
le passé, les autorités de surveillance ont envisagé
de construire des échelles d’échéances permettant
d’observer la position nette des banques à divers
horizons, par exemple :
Jusqu’à 1
semaine
De 1 à 4
semaines
Jusqu’à
3 mois
De 3 à
6 mois
Plus de
6 mois
Banque A
+ 20
- 40
- 50
+ 10
+ 60
Banque B
- 30
+ 20
- 10
--
+ 20
Comment comparer la position de liquidité de la
banque A et de la banque B ? Par ailleurs, comment
traiter les dépôts de détail, payables à vue mais
réputés les plus stables et les plus fi ables de tous
les engagements ? Et qu’en est-il des engagements
conditionnels ? Les banques IKB et Sachsen ont dû être
renfl ouées lorsque le fi nancement de leurs conduits
sur le marché est devenu si problématique qu’elles
ont été obligées de les réinscrire à leur bilan, sans
disposer des fonds propres nécessaires à cet effet.
Dans son discours de Belfast du 9 octobre 2007,
Mervyn King a comparé les conséquences des
problèmes de Countrywide aux États-Unis avec celles
de Northern Rock au Royaume-Uni. Les engagements
de Countrywide étaient garantis ; ceux de Northern
Rock ne l’étaient pas. La vague de retraits de fonds
qui a touché Countrywide a été beaucoup moins
massive et politiquement dommageable que dans
le cas de Northern Rock. Or, les banques qui ont
accordé des garanties à Countrywide avaient dans
le même temps affaibli leur position de liquidité.
Lorsque la banque A accorde une garantie à la
banque B et la banque B à la banque A, toutes deux
semblent avoir garanti leurs engagements, mais en
réalité il n’y pas eu de réduction, mais seulement
un réarrangement du risque de liquidité agrégé,
peut-être d’une manière plus favorable d’un point
de vue systémique, mais peut-être pas.
Avant de nous précipiter pour entreprendre une
action normative exigeant des banques le respect
de certains principes de gestion de la liquidité,
un important travail de recherche doit être mené
à bien pour défi nir la méthode de mesure de la
transformation d’échéances, l’objectif étant de la
réduire à une échelle unique (comme la mesure
de la VaR pour le risque de marché des banques).
Pouvons-nous trouver un équivalent de la VaR
pour la transformation d’échéances ? Un problème
similaire se pose pour la mesure de la liquidité des
actifs. Il n’existe pas de barrière nette d’un côté
de laquelle tous les actifs devraient être à 100 %
des actifs liquides et 0 % de l’autre. Ici encore, un
important travail de mesure doit être effectué.
En raison de la nature de cet exercice, nous savons
que tout système de mesure sera imparfait, fl ou et
qu’il permettra bien des spéculations (à l’instar de la
VaR). Cela signifi e que de tels exercices de mesure
doivent servir à établir des principes, et non pas
des exigences en termes de ratios ou de seuils. Les
autorités de contrôle devraient s’appuyer sur ces
principes pour entamer un dialogue avec les banques
qui descendraient nettement au-dessous des niveaux
appropriés. Mais elles devraient également avoir la
faculté, une fois ce dialogue établi, d’exiger que les
banques commerciales améliorent leur position de
liquidité et d’imposer des sanctions en cas de non
respect de cette exigence. Cela nous ramène à la
question des sanctions appropriées. Mais c’est là
l’objet d’un autre débat.