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LE COIN DU PATRIMOINE : « Les Krostons » de Paul Deliège

mardi 25 août 2009, par Bdzoom

En publiant le tome 1 des « Krostons » (après les volumes n°3 en 2005 et n°2 en 2007), les éditions Hibou achèvent la publication de l’intégrale (1) couleur des mésaventures de ces trois petits lutins maléfiques, aux chapeaux rouges ornés de têtes de mort et aux longs manteaux verts : leur créateur, Paul Deliège, s’étant inspiré, pour les habiller, de tenues que portait, assez régulièrement, son collègue Raymond Macherot.

Paul Deliège est né à Olne (Belgique), le 21 janvier 1931, et y est décédé le 7 juillet 2005, à la suite d’une crise cardiaque. Il était entré au studio de dessin des éditions Dupuis comme lettreur, en 1959, après avoir réalisé ses premiers dessins chez ce même éditeur : dans Le Moustique (en 1954), puis dans Risque-Tout (en 1956). Il fait ensuite ses premiers pas en bandes dessinées à Spirou (autre célèbre hebdomadaire appartenant aux Dupuis) avec « Félicien » (1958) puis « Théophile et Philibert » (dont certains scénarios sont dus à la plume de A. Raymond, alias Vicq), à partir de 1960 ; ceci parallèlement à quelques publications dans le quotidien belge Le Soir (où il replace le personnage de « Félicien » en 1960 et crée « Le Père Bricole » en 1963). Á l’exception de très courtes escapades (pages de gags ou dessins) dans Tintin (avec un récit de trois planches signé Podel en 1958, par exemple), Total Journal, (A Suivre) et Saucysson Magazine, Paul Deliège restera toujours fidèle à Spirou, jusqu’à sa retraite en 1996. Paul Deliège est également le créateur graphique de très nombreux mini-récits et histoires complètes (« Sosthène » en 1961, « Hercule et les autres » en 1963, « Félix » et « Cabanon » en 1965, « Bigoudi » qu’il signe Célestin en 1966, « Superdingue » de 1967 à 1972...), de deux « Belles histoires de l’Oncle Paul » (en 1963 et en 1970), d’un plus long récit intitulé « Le Casque aux gants de planches » (avec Maurice Rosy au scénario, en 1963) ou de la série de strips « Le Trou du souffleur » (1987-1994)…

Il est aussi le scénariste de quelques pages de « Youk et Yak » (dessins de Noël Bissot, en 1968), de « Petit Cactus » (dessins de Louis Salvérius, en 1968), de « Sam et l’ours » (dessins de Lagas, de 1968 à 1978), du « Baron » (dessins de Noël Bissot, en 1970), de « Homard Vigilant » (dessins de Didier Comès, en 1971), de « Sibylline » entre 1971 et 1976 (dessins de Raymond Macherot), de « Patate et Tatou » (dessins de Guy Bollen, en 1972), de « Croquemitron » (dessins de Noël Bissot, en 1972), de « Bonaventure » (dessins de Mitteï, en 1980), de « L’Envahisseur » (dessins de Deth, alias David De Thuin, en 1994) et d’un gag des « Zappeurs » de Serge Ernst (en 1996). Pourtant, Paul Deliège reste essentiellement connu, aujourd’hui, pour son « Bobo » (2) et ses petits démons, petits capons : « Les Krostons ».

Et quel plaisir aujourd’hui de pouvoir relire, enfin, toutes les tentatives machiavéliques (systématiquement conduites à l’échec) de ces génies du mal, plus bêtes que méchants, dont l’idée fixe est de devenir les maîtres du monde... D’autant plus qu’on ne peut que constater que, même vingt-six ans après leur dernière apparition dans Spirou, la nostalgie des lecteurs pour ses horribles petits bonshommes, toujours prompts à provoquer des catastrophes, est toujours aussi vivace ; voir, par exemple, le blog qui leur est consacré sur Internet : http://leblogdeskrostons.over-blog.com.

Quand sa série vedette (« Bobo ») est entièrement reprise par son co-créateur (Maurice Rosy, auquel nous avons consacré un précédent « Coin du patrimoine » : http://www.bdzoom.com/spip.php ?article3799), le dessinateur Paul Deliège imagine donc ces étranges petits personnages qui prendront vie sur la table d’un infortuné dessinateur et échapperont à son contrôle. Notre auteur pense alors faire évoluer ces antihéros comiques - qui peuvent, à leur gré, passer de la deuxième à la troisième dimension - dans un cadre réaliste.

Il a alors l’idée de contacter son ami Arthur Piroton (3) dont le trait perfectionniste, proche de celui du dessinateur américain Alex Raymond (« Flash Gordon », « Jungle Jim » ou encore « Rip Kirby »), lui semble assez adéquat. « J’avais dessiné, un jour, des petits bonshommes sur ma table à dessin, mais assez éloignés des « Krostons » tels qu’on les connaît maintenant ; et je m’étais dit qu’il serait amusant d’en faire une bande dessinée... L’idée de ces petits personnages qui prennent vie sur la table du dessinateur est venue comme ça et je ne savais pas vraiment ce que j’allais en faire. Et puis, je me suis dit : « Pourquoi ne pas les confier à un dessinateur réaliste ? ». J’ai donc téléphoné à Arthur Piroton, lui ai expliqué l’idée et demandé s’il serait d’accord pour faire cette série... Ensuite, j’ai écrit l’histoire qu’Arthur a dessinée, du moins tout le côté réaliste, et je me suis réservé le côté humoristique : c’est-à-dire les Krostons eux-mêmes » (4).

Ainsi, dans ce premier épisode (« La Menace des Krostons »), publié dans Spirou en 1968 (du n°1589 au n°1610) et réédité dans le premier tome de cette intégrale, on assiste à la renaissance des « Krostons ». Elle est due au fait qu’un dessinateur en manque d’inspiration - du nom de Max Ariane (qui signe d’ailleurs cette bande dessinée sans que les noms de Deliège et de Piroton soient mentionnés) - se contente de recopier des dessins que son fils lui a apportés : ces 44 planches seront compilées, en album broché, dans le n°5 de la collection « Okay » des éditions Dupuis, en 1972.

À noter que le pseudonyme de Max Ariane est inspiré par Marc Arian, un chanteur belge en vogue à l’époque. « Un jour, à la télé, j’ai vu Marc Arian et je lui ai téléphoné pour lui demander si cela le dérangerait que je le prenne comme modèle pour une bande dessinée. Je suis allé le voir avec les premières pages du scénario et je lui ai raconté l’histoire. Il a été d’accord, sans poser de problème. Le personnage a pris le nom d’Ariane car il fallait bien que cela rappelle celui du chanteur. » (5).

Après quelques courts récits (6) mettant en scène de façon plutôt amusante nos « Krostons » (dont le nom vient de croûton en wallon, mais qui signifie aussi engueulade), les 44 pages du second épisode ne paraissent que trois ans plus tard dans Spirou (du n°1752 au n°1768 de 1971) : et « Les Krostons sortent de presse », qui ne sera publié en album qu’en 1996 aux éditions Point Image-JVDH (avec un tirage de seulement 1000 exemplaires en noir et blanc) pour être réédité aujourd’hui dans le premier tome de l’intégrale Hibou, est entièrement réalisé par Paul Deliège ; ce dernier s’évertuant, dans un premier temps, à continuer dans l’optique d’un mélange comique et réalisme.

En effet, Arthur Piroton a laissé « Les Krostons » poursuivre leurs méfaits entre les mains graphiques de leur créateur et scénariste car, entre-temps, Maurice Tillieux, qui jugeait qu’il était jusqu’à lors assez mal employé, a conçu rien que pour lui un nouveau héros : « Jess Long », un policier américain appartenant au F.B.I. « J’avais déjà écrit le scénario quand Arthur eut à choisir entre « Jess Long » et notre série. J’avais obtenu l’accord de la rédaction et il fallait donc continuer. J’étais donc un peu acculé et j’ai dû faire du dessin réaliste... J’en ai vraiment sué pour réaliser ce deuxième épisode... » (4)

Par la suite, Paul Deliège abandonnera définitivement l’aspect réaliste pour ne conserver que le côté humoristique, domaine où il était beaucoup plus à l’aise et bien plus efficace. Et c’est ainsi que quatre autres longs récits (7) seront alors sporadiquement publiés dans Spirou, entre 1973 et 1983.

Cependant, « Les Krostons » apparurent aussi dans quelques dessins destinés à illustrer du rédactionnel et, enfin, un dernier épisode inachevé fut mis en chantier, avec l’aide de Guy Counhaye (dessinateur de « Geo et Tafta » dans Spirou et du « Professeur Stratus » aux éditions du Lombard). Les éditions Hibou se gardent d’ailleurs, en réserve, tous ces essais et autres projets non aboutis de Paul Deliège pour un éventuel album consacré à cet auteur bien trop méconnu du grand public, et même de la plupart des exégètes du 9e art…

Cependant, malgré le succès obtenu par cette série fantaisiste et très originale, Paul Deliège finit par délaisser les aventures des « Krostons » au profit de la série « Bobo » qu’il venait de reprendre entièrement : il leur préférait nettement ce dernier personnage avec lequel il s’amusait beaucoup plus, en réalisant des pages de gags et des histoires courtes. Il déclarait d’ailleurs, sans ambages, à François-Xavier Burdeyron (en 1985) : « Je me passerai bien des « Krostons », mais je continue parce que les lecteurs en redemandent... ». Et dans le tome 3 de l’intégrale Hibou, on relevait même cette phrase assez incongrue dans une interview qu’il avait accordé, juste avant son décès, à Kalkaf pour Objectible (studio ayant réalisé une superbe sculpture en résine inspirée par ces êtres déplaisants sortis tout droit du Moyen-Âge) : «  J’avoue que je n’ai jamais compris cet engouement pour les Krostons ! ». Et pourtant, bientôt, contre toute attente, « Les Krostons » seront peut-être, enfin, les maîtres du monde... La preuve ? Cliquez ici : http://www.krostons.com !!! (8)

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) En fait, Marc Impatient, le responsable de cette petite structure belge et actuel propriétaire des droits sur les « Krostons », n’a pas pu reprendre les six pages qui constituent l’épisode « Le Kroschtroumpf » (voir la note 6), étant donné qu’il n’a pas reçu l’autorisation formelle de la part de I.M.P.S. : société fondée par les héritiers de Peyo pour gérer les droits qui concernent l’œuvre de leur père. En contrepartie, l’ouvrage contient quinze pages de croquis, complètement inédits puisque retrouvés, de façon inespérée, il n’y a que quelques mois.

(2) Les éditions Hibou nous annoncent, pour janvier 2010, une intégrale des avatars de ce célèbre bagnard du pénitencier d’Inzepoket, lequel fut l’un des piliers des mini-récits de l’hebdomadaire Spirou ; apparue pour la première fois dans le n°1204 du 12 avril 1961, cette série a été créée par Maurice Rosy pour le scénario et par Paul Deliège pour le dessin. A partir de 1969 (jusqu’en 1971), un certain Maurice Kornblum se joint à eux, secondant Rosy qui se charge alors seul du dessin ; puis, à la fin de 1973, Paul Deliège, qui s’était éloigné de la série suite à un différent portant sur la signature de ce Kornblum (qui, en fait, n’y faisait pas grand-chose), la reprend seul après que Rosy ait revendu ses parts sur ce personnage aux éditions Dupuis ; ceci jusqu’à la libération de « Bobo » et la retraite de Paul Deliège, en 1996. A noter que les dessinateurs Julos et Didgé ont également participé à quelques épisodes, en 1978 et 1979.

(3) Arthur Piroton (1931-1996) est surtout connu pour être le dessinateur de « Jess Long » créé avec Maurice Tillieux aux scénarios, en 1969, dans Spirou (et que les éditions Dupuis seraient bien inspirées de rééditer dans une de leurs remarquables intégrales ; cette série policière ayant continué jusqu’au décès de Piroton, avec divers autres scénaristes comme Stephen Desberg, Marc Wasterlain, Mythic…, ou encore Raoul Cauvin et Zidrou qui en ont réalisé quelques histoires plus parodiques). Mais la longue carrière d’Arthur Piroton en bandes dessinées (il a débuté en 1950), qui s’est également pratiquement déroulée, exclusivement, dans Spirou, est jonchée de petits joyaux réalistes : « Michel et Thierry » (aventures de fanas d’aéromodélisme écrites par Charles Jadoul, de 1962 à 1968), « Martin Lebart » (toujours avec Jadoul au scénario, en 1967), « Îles en détresse » en 1977 (scénarios de Jean-Claude Pasquiez), « Les Casseurs de bois » (encore de l’aéromodélisme mais scénarisé, cette fois-ci, par Mittéï, alors que Francis Carin, jeune débutant, le secondait sur les décors, de 1979 à 1981), sans oublier les nombreuses « Les Belles histoires de l’Oncle Paul » qu’il illustra en respectant minutieusement les écrits didactiques d’Octave Joly (de 1958 à 1982)… Pour en savoir plus, nous vous conseillons de vous reporter au très documenté n°106 de Hop ! de juin 2005 (lequel est largement consacré à ce dessinateur lui aussi trop méconnu et sous-estimé par les spécialistes) ou encore au site Internet suivant : http://users.skynet.be/vincent.rixhon/Espace_BD/TracesPiroton.html

(4) Interview de Paul Deliège par François-Xavier Burdeyron pour le livre « L’Âge d’or du journal Spirou » paru aux éditions Bédésup en 1988 et épuisé depuis belle lurette

(5) Interview d’Arthur Piroton par François-Xavier Burdeyron, également pour le livre « L’Âge d’or du journal Spirou » paru aux éditions Bédésup en 1988.

(6) « L’Origine des Krostons » au n°1652 de 1969 : 6 planches reprises dans le tome 2 de l’intégrale Hibou ; « L’Oeuf des Krostons » au n°1667 de 1970 : 4 planches reprises dans le tome 3 de l’intégrale Hibou ; « Le Gâteau d’anniversaire » au n°1682 de 1970 : 2 planches reprises dans le tome 3 de l’intégrale Hibou ; « La Chanson des Krostons » au n°1706 de 1970 : 6 planches reprises dans le tome 2 de l’intégrale Hibou ; « L’Omelette aux Krostons » au n°1720 de 1971 : 6 planches reprises dans le tome 2 de l’intégrale Hibou ; «  Le Kroschtroumpf » au n°1732 de 1971 : 6 planches reprises dans une compilation de ces courts récits (« Histoires de Krostons »), laquelle n’a été publiée qu’à 900 exemplaires en noir et blanc par les éditions Point Image-JVDH, en 1999 (ce recueil proposait aussi les 4 premières planches du début d’un long récit inachevé avec Guy Counhaye comme collaborateur et 1 planche inédite de « La Maison des mutants ») ; « Les Krostons partent en vacances » au n°1782 de 1972 : 6 planches reprises dans le tome 3 de l’intégrale Hibou ; « Le Vœu des Krostons » au n°1808 de 1972 : 3 planches reprises dans le tome 1 de l’intégrale Hibou ; « Accepté ! » au n°2112 de 1978 : 1 planche reprise dans le tome 1 de l’intégrale Hibou.

(7) « Balade pour un Kroston » du n°1851 au n°1869 de 1973 : 44 planches publiées en album chez Dupuis en 1975 et en 1985, puis reprises dans le tome 2 de l’intégrale Hibou ; « La Maison des mutants » du n°2061 au n°2079 de 1977 : 44 planches publiées en album chez Dupuis en 1979 et en 1985, puis reprises dans le tome 2 de l’intégrale Hibou ; « La Vie de château » du n°2233 au n°2243 de 1981 : 44 planches publiées en album chez Dupuis en 1982, puis reprises dans le tome 3 de l’intégrale Hibou ; « L’Héritier » du n°2348 au n°2358 de 1983 : 44 planches publiées en album chez Dupuis en 1984, puis reprises dans le tome 3 de l’intégrale Hibou.

(8) Le film « Les Krostons – Maîtres du Monde » est actuellement en plein développement au Studio d’Imagination® d’Olivier Legrand. Après deux ans passés à adapter la bande dessinée (car le studio souhaitait, au départ, le réaliser en mélangeant images réelles et images 3D « style cartoon » avec la technologie de prise de vue en relief), il a fallu un an à Stéphane Hubert (un jeune scénariste français habitué à l’écriture de séries courtes pour la télévision) et au réalisateur pour peaufiner le scénario et tester différentes technologies et studios afin de développer les personnages en 3D. Finalement, le tournage d’un teaser est prévu pour octobre (on y découvrira Max Ariane en dessinateur publicitaire, dans son studio, aux prises avec les Krostons qui viennent de s’échapper d’un de ses dessins) et la réalisation du film a été confiée à Frederik Du Chau (« Racing Stripes », « Underdog », « Tom & Jerry le film ») : un américain d’origine belge (dessinateur de bande dessinée et fan des « Krostons ») qui maîtrise parfaitement la technologie et le mix images réelles et images 3D. Le projet ayant une vocation internationale, il sera tourné en anglais avec des comédiens renommés.

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