| L'HOMME
ARME AU PORTUGAL, AUX XIVème ET XVème SIECLES João
Gouveia Monteiro* Dans
ma communication, je traiterai du thème générique "L'Homme
armé au Portugal aux XIVème et XVème
siècles". J'évoluerais dans une chronologie qui correspond plus
ou moins aux années 1350-1450, excepté quelques incursions, avant
ou après cette période, nécessaires à la clarté
de mon propos. Mon intervention sera divisée en deux parties. En premier
lieu, je traiterai de l'utilisation des armes en temps de guerre en abordant le
thème de la qualité et de l'actualisation de l'équipement
militaire des hommes de guerre portugais de la fin du moyen âge; quelques
images (sous forme de diapositives) viendront illustrer mon intervention. Dans
la deuxième partie, je traiterai du problème de la possession et
de l'utilisation d'armes offensives par des particuliers, dans des contextes de
paix et éminemment locaux. J'espère ainsi vous fournir assez d'éléments
pour que vous puissiez avoir une vision équilibrée du thème
proposé. I
- L'utilisation des armes en temps de guerre Je
commence par vous lancer un défi : quelle idée mon illustre auditoire
se fait-il de la qualité des armes utilisées pour la guerre dans
la péninsule ibérique à la fin du moyen âge ? Si l'on
en croît la vision classique, issue de l'historiographie militaire européenne,
cette qualité aurait été inférieure, comme aurait
été en retard, dans son ensemble, l'art de faire la guerre dans
la péninsule, depuis les systèmes de recrutement en passant par
les solutions tactiques généralement adoptées, ces dernières
en raison d'une proximité trop longue avec l'art militaire musulman. Toutefois,
chaque recherche nouvelle vient contrarier cette vision classique ce qui laisse
penser qu'elle est plus le fruit du caractère peu développé
de l'historiographie militaire portugaise jusqu'au début des années
quatre vingt dix, plutôt que le reflet exact d'un retard ibérique
historique véritable dans l'art de bien faire la guerre. a)
Récemment, le très beau livre de Alvaro Soler Del Campo intitulé
"La evolucion del armamento medieval en el reino castellano-leones y al-andaluz
(siglos XII-XIV)", publié en 1993, a définitivement écarté
la vision du caractère rétrograde de l'armement utilisé pour
la guerre en Castille, Leon et en Andalousie à la fin du moyen âge.
Utilisant des sources iconographiques riches et variées (comme les célèbres
"Cantigas de Santa Maria" de Alfonse X, les tombeaux de diverses personnalités
liées à la cour de Castille et la décoration des chapiteaux
d'églises et de cathédrales mondialement connues), Soler Del Campo
réussit même à prouver que tout à la fin du moyen âge,
la qualité de l'armement (même défensif) utilisé dans
ces régions était très proche de celui utilisé, lors
de la guerre de cent ans, par les guerriers français et anglais :
"Il ressort de
l'analyse des sources iconographiques et littéraires un processus parallèle
au processus européen, aussi bien pour les équipements utilisés
que pour l'existence du type d'arme, très proches des modèles continentaux
de l'époque. Par ailleurs, durant cette phase (1350-1400), se confirme
la tendance à l'adoption de modèles anglais et français,
lesquels, faisant suite à ce que la période précédente
annonçait, consacraient une attention particulière aux extrémités
des pièces de protection et de défense. Ces harnois constituaient
une armure presque complète, à l'exception de la présence
de plates, lesquelles figurent dans les sources catalanes depuis le dernier quart
du siècle (…). L'existence de cet armement défensif n'implique cependant
pas un décalage vis-à-vis de l'Europe ni même un retard dans
l'introduction du harnois blanc comme on avait l'habitude de le penser. Pour cette
raison, l'armement dans le royaume de Castille doit être pleinement intégré
dans le processus évolutif européen, au sein duquel il participe
des profonds changements de la fin du XIVème siècle qui ont lancés
les bases du futur développement de l'armure complète". Ainsi,
l'idée selon laquelle le processus de modernisation de l'équipement
militaire castillan, notamment l'adoption des harnois ou d' armures complètes,
ne s'est réalisée qu'après l'intervention directe des compagnies
anglaises et françaises au cours de la guerre civile (trastàmara),
et plus particulièrement au cours de la bataille de Nájera en 1367,
a été fortement remise en cause. Selon le même auteur, il
est très probable que les harnois castillans de la fin du XIVème
siècle provennaient d'Italie, ou imitaient leurs modèles, en effet,
au delà de la ressemblance existente entre certaines pièces castillanes
et milanaises, le commerce pratiqué alors entre guerriers italiens et aragonais
et entre ces derniers et leurs pairs castillans est notoirement connu. Ainsi,
la vieille idée de l'influence dominante et persistente de l'équipement
de guerre musulman sur l'armement castillan ou léonais de la fin du moyen
âge, devient une simple illusion. Les sources iconographiques à la
disposition des spécialistes de l'étude des armements espagnols
prouvent que "dès le milieu du XIème siècle, ni l'armement
ni les modèles militaires castillan-léonais, n'étaient dominés
par les conceptions islamiques, exception faite, unique en son genre, de la situation
existente sur la frontière grenadine et dont l'influence n'a pas eu une
importance fondamentale dans le reste du royaume d'un point de vue militaire". b)
Ce n'est pas innocemment que j'ai fait référence à la
situation castillane-léonaise en matière d'armement. L'influence
qu'elle a eue sur l'armement de la fin du moyen âge au Portugal ne peut
être niée. Même si l'on ne prend en considération que
le domaine restreint des contacts militaires (et non commerciaux, culturels
et autres) entre le Portugal et la Castille au long du XIVème siècle,
les possibilités de cette influence sont assez suggestives, comme nous
allons le voir maintenant : Durant
l'été 1336, suite au mariage de l'Infant Don Pedro du Portugal avec
D. Constança Manuel (fille du fameux D. Juan Manuel), s'est déclarée
une guerre entre les deux royaumes voisins, guerre qui devait se prolonger jusqu'en
juillet 1339. La signature de la paix allait permettre que, fin octobre 1340,
les deux armées combattent ensemble lors de la grande bataille contre les
musulmans qui eut lieu sur les bords du fleuve Salado. De la mème manière,
à la fin des années cinquante et lors de la décénie
suivante, on observe diverses actions conjointes des armées des deux vieux
royaumes rivaux : en 1359, en 1361 et à nouveau en 1366, des contingents
portugais ont fourni à la Castille une aide précieuse (surtout navale)
dans la guerre que le plus puissant royaume péninsulaire menait alors contre
l'Aragon son voisin. Quelques années plus tard le scénario allait
changer radicalement. En mars 1369, le monarque portugais D. Fernando, séduit
par la possibilité d'occuper le trône castillan, envahit la Galice
alors que dans le même temps la flotte portugaise commençait le siège
de Séville. La réponse de Enrique II de Castille ne s'est pas fait
attendre : une puissante armée secourait la Galice et, avec l'aide des
troupes françaises commandées par le légendaire Bertrand
Du Guesclin, envahissait le Minho, assiégeant et incendiant Braga et harcellant
Guimarães. Je ne vais pas décrire ici les très nombreuses
péripéties qui marquèrent les campagnes militaires durant
cette guerre (1369-1372), ou des deux guerres suivantes entre 1372-1373 et 1381-1382.
Leur importance est bien connue, puisqu'elles donnèrent lieu à des
combats dans les provinces du Minho, de l'Alentejo et des Beiras, à des
batailles navales de premier ordre et même, à un siège asphyxiant
de Lisbonne de la part des castillans. Il convient toutefois de rappeler, pour
notre propos, que le succès relatif de la troisième campagne de
D. Fernando contre la Castille se doit à l'aide apportée au monarque
portugais par un fort contingent britannique, conduit par le comte de Cambridge,
fils d'Edouard III d'Angleterre et frère du célèbre Prince
noir. La présence anglaise et française dans la péninsule
était d'ailleurs due à un ensemble de réformes importantes
intervenues, aussi bien pour l'armée castillane que portugaise, au début
des années quatre vingt, avec la substitution du grade de sous-lieutenant
par ceux de connétable et de maréchal de la troupe royale. La fin
des guerres fernandines n'a toutefois pas mis un terme à l'engagement militaire
au XIVème siècle entre portugais et castillans. A la crise née
de la mort de D. Fernando en 1383, a succédé une guerre violente
qui, à diverses occasions, verra entrer à nouveau les troupes castillanes
au Portugal. Il suffit de faire référence aux inombrables sièges
qui marquèrent la crise de 1383-85, ou aux diverses batailles qui émaillèrent
ce même conflit (cas de la bataille de Aljubarrota : 1385), avec l'implication
de troupes françaises et anglaises, pour comprendre la fragilité
de toute thèse défendant l'isolement de l'art militaire portugais
à la fin du moyen âge. Et quand, en 1411, la paix s'installa, l'effort
de guerre de la nouvelle dynastie lusitanienne ne diminua pas ; en effet, quelques
années plus tard, en 1415, furent lancées les campagnes en Afrique
du nord, avec notamment l'opération bien conçue du siège
et de la prise de Ceuta. Ainsi, était prouvée la capacité
d'intervention militaire de la jeune dynastie d'Avis, forgée dans la guerre
et taillée pour une grande destinée. c)
Je crois que la mémoire de tous ces évènements parle
d'elle-même. Il n'est plus possible de cacher l'énorme influence
militaire (y compris les aspects liés à l'armement) qui a résulté
de l'implication quasie permanente des armées portugaises et castillanes
de 1325 à 1400. Le chroniqueur portugais Fernão Lopes, qui écrit
au milieu du XVème siècle, se fait l'échos de cette situation
: dans sa "Chronique de D. Fernando", il relate les réformes menées
à bien par D. Fernando en 1373, suite à son echec dans la seconde
guerre contre la Castille. Selon
le chroniqueur, le roi a ordonné que les combattants portugais substituent
leur cotte gamboisée (ou gambeson) par un jaque (ou brigandine) et qu'au
lieu de la capeline ils utilisent le barbute avec un camail. Les mieux équipés
devaient avoir, outre le barbute, le camail et le jaque, des cuissots, des grèves
(ou braconnières) françaises de même que des gantelets. Les
hommes à pied ayant plus de vingt ans devaient avoir une ou plusieurs frondes,
une lance et deux javelots (ou javelines). Qu'avons-nous
ici ? selon moi, nous possédons une excellente occasion de suivre les suggestions
laissées par la magnifique étude de Soler Del Campo. Je vais donc
tenter de comprendre si la convergence d'informations en provenance des chroniqueurs
et des sources iconographiques disponibles nous permet d'admettre la thèse
d'un parallèlisme raisonnable entre le degré de développement
militaire castillan et portugais, à la fin du moyen âge. Je crois
avoir démontré qu'il existait des conditions historiques pour un
tel phénomème. Reste à savoir si on en trouve trace dans
les sources spécialisées. Etant dans l'impossibilité, ici,
d'aborder l'ensemble des nombreuses pièces de l'équipement militaire
médiéval, je prendrai comme exemple deux pièces qui me semblent
être deux paradigmes, le bassinet et le harnois. Dans
le premier cas, il s'agit de la forme la plus évoluée de protection
de la tête utilisée par les guerriers médiévaux, laquelle
serait apparue au cours de la première moitié du XIVème siècle,
pour substituer les vieux heaumes et les casques et autres capelines plus anciens
encore. Très probablement, l'apparition des bassinets est le résultat
des avancées réalisées dans l'utilisation de la lance, devenue
une arme de bien meilleure mobilité et plus précise. Comme tout
le monde le sait, le bassinet se caractérise par une strucuture très
fermée, avec un apex assez haut et pointu, protégeant toute la nuque
et la tête, à l'exception du visage. Le visage toutefois, était
généralement protégé par une visière mobile
liée au reste de l'ensemble par des clous fixés sur les parties
latérales. Pour faciliter la vision et la respiration, le bassinet disposait
également de petites ouvertures, qu'aucune arme ne pouvait pénétrer.
L'apparence générale du bassinet (plus commode, anatomique et pratique
que ses prédécesseurs) ne peut pas, de ce fait, être confondu
; en outre, deux autres pièces y sont intimement associés : le gorgerin
(ou gorgière) et le bavière destinés à la protection
du menton, du cou (y compris de la gorge) et des épaules des combattants.
Dans ce dernier cas, cependant, la défense n'était que partielle,
ce qui explique qu'apparaît parfois dans les documents, associé au
bassinet, un tablier pour le cou fabriqué en mailles de fer et connu sous
le nom de camail. Le
gorgerin et le bavière peuvent, toutefois, être déjà
considérés comme des pièces qui annoncent le harnois. On
le sait, ce terme est un terme générique et se rapporte à
un grand ensemble de pièces métalliques de forme anatomique qui,
au long de la deuxième moitié du XIVème siècle, substituent,
dans de nombreux royaumes militairement avancés de l'Europe occidentale,
les anciennes protections de corps fabriquées en mailles (les célèbres
haubergeons) et les protection les plus évoluées en cuir intérieurement
revêtues de lames de fer, connues sous le nom de cuirasses ou brigandines.
Ainsi, nous savons tous qu'un harnois pouvait inclure une grande quantité
de pièces indépendantes, savamment articulées entre elles
au moyen de charnières, de gonds et de courroies ou lanières de
cuir. Outre le gorgerin et le bavière qui prolongeaient le bassinet jusqu'aux
épaules, déjà cités, un harnois comportait surtout
les pièces suivantes : les plates qui protégeaient le tronc ; le
harnois de jambes (ensemble de petites pièces qui assuraient la défenses
des hanches, des jambes, des genoux et des pieds, comme les cuissots, grèves,
braconnières ou genouillères et les souliers) ; le harnois de bras
fait de plaques métalliques additionnées pour la protection des
bras, des avant-bras et des mains (désignés par brassards, garde-bras,
avant-bras, main de fer). d)
Après avoir présenté les caratéristiques des équipements
militaires les plus évolués de la fin du moyen âge, je vais
maintenant vérifier leur présence au Portugal à cette époque.
A la lecture des questions débattues lors des réunions des cortès
de Elvas en 1361, on apprend que D. Pedro I a concédé une licence
de port d'arme aux "aquantiados" c'est-à-dire, aux contingents qui, comme
nous le verrons plus tard, en conséquence de l'évaluation de leur
fortune personnelle devaient posséder certaines armes et, parfois, un cheval.
De manière très symptomatique, la concession de ce privilège
était accompagnée d'une référence minutieuse aux armes
qui devaient être acquises :
Le roi ordonnait que
les "aquantiados" possèdent gambesson et haubergeons ou cuirasses, capelines
et bassinet de même que cuissots et grèves ou braconnières. De
son côté, en 1418, l'Infant D. Duarte (fils de D. João I)
a demandé que, dans les provinces médiévales d'Estremadura,
de Trás-os-Montes et de Entre Douro-e-Minho, ceux qui avaient une fortune
personnelle d'une valeur minimale de 40 marcs d'argent possèdent un cheval
et un ensemble d'armes, dans lequel la couronne souhaitait qu'il y ait un bassinet
avec camail et bavière, un haubergeon, un pourpoint, des plates ou brigandines
des avant-bras. Concernant les "aquantiados" dont la valeur se situait entre 24
et 32 marcs, on exigeait d'eux, comme armes défensives, brigandines et
bassinets avec camail ou bavière. A Porto, toutefois, la possession du
cheval n'était pas obligatoire si l'"aquantiado" (l'individu évalué)
possédait pour le substituer deux "arneses compridos" (c'est-à-dire
deux harnois complets). De manière exemplaire, le même Infante D.
Duarte allait expliquer qu'un harnois complet devait réunir les pièces
suivantes : harnois de jambes, plates avec leur tassette, harnois de bras, gantelets
et bassinet avec bavière. Comme
on peut le constater, les sources d'archives ne laissent aucun doute quant au
caractère précoce de l'utilisation des bassinets et des harnois
au Portugal dans la seconde moitié du XIVème siècle et au
début du siècle suivant. Il faut souligner que, très tôt,
cet équipement est même exigé à la population des conseils,
et ne doit pas être considérée, pour cette raison, comme un
"luxe" ou une "exception", seulement à la disposition des veritables milites.
e)
Il semble, toutefois, que nous ayons -au sens littéral- des motifs suffisants
pour accepter cette thèse de la diffusion au Portugal, dès la deuxième
moitié du XIVème siècle, de deux des plus représentatives
et modernes armes des guerriers médiévaux, également en circulation
à cette époque en Castille. Examinons maintenant les sources non
écrites, indispensables pour aborder correctement ce thème. Même
si je continue à limiter cette étude aux harnois et aux bassinets,
je crois disposer de témoignages assez solides pour confirmer la version
des sources narratives. On
observe, par exemple, la statue du fameux "chevalier médiéval" Domingos
Joanes, sculpté en 1341, que l'on peut voir au Musée national de
Machado de Castro à Coimbra (Illustration n.º 1): l'artiste, Maître
Pêro, a représenté ce chevalier avec un bassinet avec visière
mobile, muni de souliers (ou poulaines) ! Dans
ce même musée, on peut trouver un autre témoin éloquent
de ce que nous avançons (Illustration n.º 2). Il s'agit du tombeau connu
sous le nom du "Christ au tombeau" fabriqué pendant la deuxième
moitié du XIVème siècle (probablement au cours du troisième
quart de siècle) : sur le côté gauche du tombeau sont représentés
trois soldats vêtus d'un équipement militaire moderne ; l'un d'eux,
(celui situé le plus à droite) a même un bassinet avec une
visière mobile. Dans
la région de Coimbra je connais une autre pièce utile à ma
démonstration. Il s'agit d'un rétable en calcaire de Ançã,
que l'on peut voir dans l'église de Notre Dame de la Piété,
à Eira Pedrinha (Illustration n.º 3). Cette oeuvre est située en
haut de l'autel et possède une inscription qui permet de la dater de 1398.
Elle représente Saint Georges combattant avec une longue lance un horrible
dragon, face aux murailles d'un château. Le plus important est de constater
que sur ce rétable, Saint Georges apparaît comme un cavalier complet
: non seulement il a un bassinet avec une visière muni d'un bavière
ou d'un gorgerin, complété par un camail, mais en plus, il possède
un harnois presque complet, avec plates, harnois de jambes et de bras, comme je
l'ai décrit plus haut… Je
n'ai donc aucun doute concernant la modernisation des équipements militaires,
modernisation rendue possible grâce aux très nombreux évènements
militaires auxquels le Portugal a participé. Même en nous limitant
à la deuxième moitié du XIVème siècle, les
résultats sont assez concluants. Si nous avançons un peu dans le
temps, la démonstration devient alors incontestable. Je
pense, par exemple, au tombeau de Fernão Gomes de Góis, sculpté
par le Maître João Afonso en 1339-40 que l'on peut voir dans l'église
de Oliveira do Conde dans la région de Viseu : ce chevalier apparaît
vêtu d'un harnois complet, avec plates, harnois de jambes et de bras, le
tout articulé par une grande quantité de clous, de charnières
et de chaînes stratégiquement disposés. Je
pense également au tombeau de Diogo de Azambuja, sculpté dans la
deuxième moitié du XVème siècle et qui se trouve dans
l'église du couvent de Notre Dame des Anges, à Montemor-o-Velho
(à 20km à l'ouest de Coimbra) : dans ce cas, l'observation du harnois
est signalé par les pièces antérieures ; s'y ajoute une curiosité
supplémentaire, puisqu'on observe la présence d'une tassette de
mailles, visible en dessous des plaques métalliques dans la zone du bas-ventre
et au-dessus des hanches. Pour
ne pas nous limiter à la sculpture, on pense également aux panneaux
de S. Vicente attribués à l'atelier de Nuno Gonçalves, datés
de la seconde moitié du XVème siècle (Illustration n.º 4).
Dans ce cas, on observe surtout, sur le célèbre "panneau des cavaliers"
et, notamment, la représentation de celui qu'on suppose être aujourd'hui
le "véritable" Infante D. Henrique : l'analyse faite selon la méthode
reflection par rayons infrarouges, de même que le relevé des dessins
préparatoires (la reconstitution de l'ébauche initiale de l'artiste),
ne laissent aucun doute concernant la modernité du chevalier. Enfin,
je pense aux tapisseries de Pastrana, datées de 1471 dédiées
aux thèmes liés aux campagnes militaires de D. Afonso V en Afrique
du nord (Illustration n.º 5): ici, les bavières et les gorgerins abondent,
on trouve quelques bassinets, de nombreux chapeau-de-fer et de morions et, surtout,
de très nombreuses représentations détaillées de pièces
très modernes et de protections métalliques de différents
types, sur lesquelles les guerriers mettaient ensuite leurs pourpoints colorés
(cotte d'armes). Cependant, nous entrons ici, déjà, dans le monde
des armes à feu primitives, franchissant définitivement les portes
du triomphe des armures de plaques que la renaissance consacrera. Pour
cette raison, je pense qu'il est préférable de suspendre ici ma
démonstration en ce qui concerne l'équipement des hommes de guerre
portugais à la fin du moyen âge. Nous examinerons maintenant la situation
concernant l'utilisation des armes offensives par des particuliers, dans un contexte
de paix, selon une chronologie et une géographie identiques.
- L'utilisation des armes
en temps de paix
Il
s'agit d'une question pertinente, dès lors qu'au moyen âge (non obstant
le fait que la société féodale est considérée
par certains comme une "société organisée pour la guerre")
le tempus pacis est plus fréquent que le tempus belli. Il
nous faut rappeler, par ailleurs, que le moyen âge portugais -comme dans
le reste de l'Europe- ne connaîssait pas d'armées permanentes, si
ce n'est dans une phase tardive que l'on peut considérer comme étant
de transition avant l'époque moderne. C'est dans le cadre défini
par ces deux facteurs que nous abordons maintenant la deuxième partie de
notre exposé. a)
On le sait, l'autoarmement, c'est-à-dire le principe selon lequel chaque
individu devait se présenter sur le théatre des opérations
muni de son propre équipement militaire, rendait la possession d'armes
par les particuliers pratiquement obligatoire. Tout le recrutement de la population
des conseils pour la guerre se faisait sur cette base : des officiers nommés
par le roi connus sous le nom de capitaines de gens de pieds ("coudéis")
devaient évaluer la fortune personnelle de chaque individu, et, en fonction
du résultat, l'obligeaient à posséder un certain nombres
d'armes, voire également, si sa fortune était importante, un cheval.
Ainsi, se formait un nombre important de "aquantiados" (évalués).
Par ailleurs, d'autres officiers, également nommés par la couronne
et désignés comme capitaines des francs-arbalétriers ("anadéis"),
recrutaient parmi les 300 unités réparties dans tout le royaume,
un nombre déterminé de spécialistes pour tirer à l'arbalète.
Vers 1420, on comptait près de 5.000 franc-arbalétriers, tous mobilisés
parmi les artisans ou corps de métiers des professions les plus diverses,
de manière à ne pas retirer de main d'oeuvre pour le travail des
champs. Les
hommes étaient consignés dans un registre tenu à cet effet
et la couronne se réservait le droit de procéder à des inspections
périodiques, destinées à vérifier la possession effective
des armes qui avaient été attribuées. Les évalués
des conseils défilaient alors devant leur capitaine et un greffier, exibant
leurs chevaux, leurs arbalètes, leurs lances, leurs javelines, leurs boucliers
et les autres armes qui leur avaient été attribuées. De leur
côté, les franc-arbalétriers devaient répondre à
l'appel régulier de leur capitaine arbalétrier et comparaître
dans un lieu préalablement déterminé (en général
un château, quand il y en avait un) pour montrer, non seulement leurs arbalètes
et leurs accessoires (croques, cranequins, etc.), mais aussi leurs aptitudes dans
l'exercice de l'art du tir à l'arbalète. Ainsi,
en matière d'armement la stratégie de la couronne portugaise consistait
à, en premier lieu, obliger la population à fabriquer ou à
acquérir ses propres armes et, ensuite, à vérifier leur propriété
de même que la capacité à les utiliser et un entrainement
adéquat. Ceci n'excluait pas, cependant, la possibilité pour la
monarchie de conserver ses propres dépôts de munitions. Il en existait
dans de très nombreux châteaux du royaume (notamment dans ceux qui
étaient gardés par les militaires) et, surtout, à Lisbonne,
où il y avait au milieu du XVème siècle, un "magasin central"
d'une certaine dimension, assez utilisé et avec nombre appréciable
de collaborateurs (voir, J. G. MONTEIRO, in M. J. BARROCA ET AL., 2000, pages
111-172). Probablement, c'était dans ce dépôt de Lisbonne
qu'au début du XVème siècle, étaient conservés
une grande partie des 1500 harnois que, selon le chroniqueur Fernão Lopes,
le roi D. João I avait souhaité avoir dans son royaume, comme mesure
de défense en cas d'urgence militaire. Nous pensons toutefois, que le cas
de Lisbonne était une exception et que les autres dépôts étaient,
pour la plupart, très limités, souvent en mauvais état et
ne garantissant pas, de ce fait, de bonnes conditions de conservation au rare
matériel de guerre s'y trouvant. En
guise de synthèse on peut dire qu'au Portugal, comme dans le reste de l'Europe
occidentale, le pouvoir central vivait, aux XIVème et XVème siècles,
un véritable dilemme en ce qui concerne la possession de l'armement militaire.
D'un côté, la couronne avait besoin de conserver des sujets armés,
elle avait besoin d'une armée potentielle facilement mobilisable pour la
mise en oeuvre de campagnes militaires, offensives ou défensives. Mais,
d'un autre côté, il lui fallait éviter l'utilisation indue
des armes par les particuliers qui les utilisaient aussi en temps de paix, pour
résister aux autorités, mettre à exécution de sanglantes
vengeances privées ou pour mettre en péril certaines localités.
Comme l'a écrit Claude GAIER (1979, p. 85), "la détention d'armes
par des particuliers, souvent recommandée voire exigée par les autorités
politiques dans le but d'assurer la défense commune, contribue à
modeler la société médiévale et ses rapports de forces.
La résistance individuelle à l'autorité publique, la persistance
de la vengeance privé, l'hétérogénité et parfois
le manque de cohésion des forces militaires, la pratique des armes considérée
comme un privilège, autant d'éléments qui s'opposent aux
conceptions apparues dès le XVème siècle, dans les Etats
centralisés, monopolistes et organisateurs de la guerre et de la justice". Au
cours de la période que nous analysons, les limites du pouvoir central
en matière de police et de sécurité interne étaient,
bien évidemment, très nettes. Même dans un petit royaume comme
le Portugal, la couronne n'avait pas la capacité de garantir un minimum
de sécurité aux personnes et aux biens, notamment dans les localités
les plus éloignées. Comme dans de nombreux domaines, la monarchie
était obligée de se soumettre aux réalités locales,
sociales et militaires de l'époque et, de cette manière, son ambition
visant à monopoliser l'action militaire n'était qu'une illusion.
Comme l'a écrit Philippe CONTAMINE (1986, p. 396), "sur le long terme,
la volonté des pouvoirs fut évidente d'éliminer ces manifestations
spontanées afin de se réserver le monopole de l'action militaire
: lutte contre les guerres privées, promulgation des landfrieden,
interdiction du port d'armes, etc. Cependant, cette volonté se trouva freinée
par tous les obstacle qui, au moyen âge, pouvaient s'interposer entre les
décisions des pouvoirs et leur application, mais plus profondément,
par l'existence d'une sorte de contradiction : d'un côté, les Etats
souhaitaient réprimer les désordres, cantonner ou supprimer la violence
diffuse, mais de l'autre, il leur était avantageux de disposer de sujets
armés et habitués aux exercices martiaux". b)
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de constater que, dans le Portugal
des XIVème, XVème et XVIème siècles, la possession
d'armes ait été généralisée. De nombreux règlements
locaux, d'ordonnances royales et d'autres textes normatifs confirment cette supposition,
prévoyant expressèment la possession d'armes par les particuliers,
sur leurs lieux de travail ou même dans leurs maisons. Prenons comme exemple
le "Règlement de la ville de Evora rédigé par le préfet
de la cour João Mendes, au temps du roi D. João I" (1385-1433).
Ce texte détermine que parce qu'en cas de désordre dans la ville
le commandant de la place ("alcaide") et les hommes de justice n'arrivent pas
toujours assez rapidement sur place, à partir de maintenant, tous les corps
de métiers (notamment, les cordonniers, les armuriers, les orfèvres
et les fourbisseurs, entre autres), devront posséder, chacun d'entre eux,
un bouclier et une lance près de la porte de leur local de travail. Les
marchands, de leur côté, devront avoir des lances dans leurs magasins.
Ainsi, lorsqu'il entendront les appels au secours, des cris ou des clameurs, les
uns et les autres devront sortir immédiatement de leurs lieux de travail
ou de leurs maisons, prenant avec eux leurs armes et aidant à capturer
les malfaiteurs en utilisant ces dernières ! La couronne avait en effet
besoin, de la collaboration des population pour le maintien de l'ordre public
et exigeait, pour cela, la possession de certaines armes. Les
actes des réunions des cortès constituent une autre excellente source
d'information concernant le port d'armes des particuliers. D'après ce que
nous savons, entre l'élection de D. João I (1385) et la mort de
D. João II (1495), ce thème a été discuté au
moins en douze occasions. Dans ces moments, les procureurs du tiers état,
de manière contradictoire, faisaient pression sur le roi pour qu'il exige
de ces officiers l'application des normes très restrictives dans ce domaine,
demandaient l'élargissement de l'interdiction de port d'armes à
d'autres individus, demandaient des explications concernant les privilèges
spéciaux concédés par la couronne à certains particuliers,
demandaient la non application de la dîme pour l'importation d'armes, revendicaient
l'extension des licences de port d'armes déjà concédées
aux citoyens de Lisbonne et Porto à tous les "citoyens honnorés"
du royaume (de même qu'aux vassaux et représentants des localités
aux réunions des cortès), demandaient de restreindre le port d'armes
de ceux qui se rendaient à Ceuta à la seule durée du voyage,
etc., etc. (voir L. M. DUARTE, 1999, pp. 287-289). L'ensemble
n'est pas homogène, ni même entièrement cohèrent, à
l'instar des réponses apportées par les différents monarques
de l'époque (D. João I, D. Duarte, Infante D. Pedro, D. AfonsoV
et D. João II). On sent toutefois que le thème était conflictuel
et qu'il demeurait actuel ce qui, entre autres choses, nous permet de déduire
que… presque tous le monde était armé ou, à tout le moins,
avait un accès rapide et facile aux armes, notamment aux armes de type
offensif. Cette
impression est clairement confirmée par la consultation d'un autre type
de document, les "lettres de rémission", concédées par les
monarques à des individus ayant des problèmes avec la justice, pour
avoir mal utilisé leurs armes. Ce genre de documents a été
l'objet d'une étude très large et véritablement exemplaire
de Luís Miguel Duarte, étude qui a été récemment
publiée et qui concerne la période située entre les années
1459 et 1481 (voir DUARTE, 1999, notamment, pp.285-369). Les lettres de pardon
offrent un "monde" d'informations concernant la mauvaise utilisation de l'armement
offensif de la part des particuliers en temps de paix, généralement
dans un cadre de vie local, animé par des rixes et de disputes très
révélatrices. Nous utiliserons cette informations pour nourrir les
considérations que nous formulerons un peu plus tard. Enfin,
une analyse, même superficielle, du fonctionnement des places fortes ("alcaidarias")
portugaises à la fin du moyen âge permet de constater combien les
amendes pour utilisation illicites d'armes ou crime de sang pesaient très
lourd sur le budget des droits de ses seigneuries. Bien plus que les taxes payés
par les prisonniers pour leur mise au cachot ou les amendes infligées aux
prostituées, aux maures et aux juifs voire au tavernes, les revenus issus
de la confiscation des armes et des amendes données en raison de leur utilisation
illégale constituaient, de loin, la partie la plus substantielle des droits
des places portugaises aux XIVème, XVème et XVIème siècles.
On peut même dire que pour ce qui est des rondes de police diurnes et nocturnes
dans les localités, il reignait un véritable climat de "chasse à
l'amende" avec les "rendeiros das armas" (personnes qui payaient un loyer au roi
ou au commandant de la place pour pouvoir effectuer le recouvrement des amendes
pour possession ou utilisation illégales d'armes) qui recueillaient les
amendes pour conduites illégales, les greffiers d'armes qui consignaient
sur un livre spécial les noms des voisins autorisés à porter
des armes, les greffiers des faits d'armes qui notaient les amendes et les disputes
liées au port illégal d'armes, etc. (L.M. DUARTE, 2000, p.182). Ceci
révèle, précisément, qu'une grande partie de la population
était armée (sans pour autant posséder une autorisation pour
cela), qu'elle utilisait ces armes de manière impropre et que les sanctions
pour cela étaient lourdes. A Evora, en 1306, nous savons qu'il fallait
payer 3 maravedis au roi pour toute arme empoignée sans justification ;
une amende était également prévue pour avoir dégainé
couteaux ou épées, de même que pour l'utilisation non conforme
d'une lance, d'un javelot ou d'une arbalète, entre autres armes offensives
(L. M. DUARTE, 2000, pp. 182-183). Avançons
d'un siècle et demi pour nous situer dans la très importante ville
de Santarém, en 1440. A cette date, l'Infant D. Pedro, régent du
Portugal, répond à une plainte représentative du commandant
("alcaide") de ce château. Rui Borges de Sousa, alléguait qu'a cause
de l'ordre du roi qui autorisait le port d'arme à tout le monde, il s'en
trouvait, lui, commandant, très lésé : c'est que les armes
étaient la plus grande source de revenu du commandant de Santarém,
et avec l'entrée en vigueur de cette ordonnance qui lui interdisait de
donner des amendes et de confisquer les armes de ses voisins, il subissait une
grande perte. De cette manière, il prétendait ne plus avoir les
moyens de payer les coûts liés à sa place (voir J. G. MONTEIRO,
1999, p. 256)…! Un
autre document intéressant concernant le poids des peine liées aux
armes pendant le XVème siècle, date de 1463 et a été
étudié par Luís Miguel Duarte. Il s'agit d'une lettre de
quittance dans laquelle un trésorier de la maison royale enregistre les
sommes prises à Diogo Anes, un "rendeiros de armas" qui avait l'habitude
d'accompagner la cour du roi. Le trésorier estimait que Diogo Anes devait
45.000 reais au monarque. C'était une forte somme, mais le fermier ("rendeiro")
paya sans hésiter : "faire la chasse aux armes non autorisée était
apparemment une activité suffisamment lucrative" (L. M. DUARTE, 1994, p.
31). En
guise de synthèse, et pour concrétiser un peu mieux nos idées,
on peut analyser un exemple concret, bien que plus tardif. Prenons le cas d'un
bourg tranquille, Redinha (dans les environs de Coimbra), dans une chronologie
qui est déjà celle du XVIème siècle (1545). D'après
Luís Miguel Duarte, 98 des 104 habitants (94,2%) de Redinha (qui n'était
même pas un lieu frontalier) possédaient leurs propres armes à
cette époque. Il y avait en tout 180 armes pour 104 habitants (1,73 armes
par habitant). Parmi ces armes, les lances étaient les plus nombreuses
(80 sur 180) suivies des épées (64). La combinaison lance-épée
équipait, en 1545, 41,3% des habitants de Redinha et des territoires adjacents.
Armes assez peu chères, faciles à fabriquer et très utiles
dans les situations d'autodéfense. Quant aux arbalètes, peu d'habitants
en possédait (6 cas), alors que seulement 4 personnes, certainement les
plus riches, disposaient de casques et de cuirasses (L. M. DUARTE, 1999, pages
291-292). Il n'y a donc aucun doute que celui qui le voulait, pouvait avoir accès
aux armes offensives, armes qu'il gardait chez lui en prévision d'une convocation
pour la guerre ou, plus simplement, d'une rixe de rue, possible à tout
moment. Au
cours de ces rixes, la lance était, certainement, l'arme offensive la plus
utilisée. De fabrication simple, elle pouvait être gardée
derrière une porte ou au-dessus de celle-ci. Elle pouvait être utilisée
pour maintenir un adversaire à distance ou pour l'attaquer, soit avec la
pointe soit avec la partie arrière de la hampe. Parfois, on sait qu'elle
était envoyée en l'air, mais ce n'était pas très fréquent.
Pour cette fonction on utilisait des javelines ou des lances plus courtes d'origine
africaine ("azagaias"). L'utilisation des lances pour donner des coups, en battant
avec la hampe, pour blesser mais non tuer, était assez fréquente
(L. M. DUARTE, 2000, pages 192-194). Après
la lance, comme le montre clairement le document de Redinha, l'arme offensive
la plus utilisée en temps de paix était l'épée (qui
bien souvent était accompagnée d'une petite dague). Dégainer
totalement ou partiellement une épée, constituait une véritable
"déclaration de guerre". Courtes et légères, faciles à
transporter, attachées à la ceinture, les épées étaient
surtout utilisées pour couper latéralement, grâce à
leurs tranchants éffilés, plutôt que comme arme d'estocade
pour perforer le corps de l'adversaire. Elles pouvaient également être
lancées en l'air, avec une redoutable efficacité, mais ceci était
plus rare. Il était assez fréquent de donner une épée
à un fugitif qui réussissait ainsi à se libérer de
son oppositeur (ibid, pages 194-195). Vient
ensuite, mais à distance, l'utilisation de javelines et de "azagaias",
lancées à distance, en nombre varié et destinées à
traverser le corps de l'oppositeur. Toutefois, comme pour les lances, ces armes
pouvaient être utilisées pour "battre" l'ennemi, en utilisant la
hampe. Quant aux arbalètes (peu nombreuses à Redinha en 1545), c'étaient
des armes chères et difficiles à préparer, ce qui fait que
leur utilisation par des particuliers en dehors d'un contexte guerrier ou de chasse,
était très rare. Il en va différemment avec une infinité
de ressources belliqueuses comme les pierres, les bâtons, les outils de
travail, les ustensiles agricoles, etc., dont l'utilisation domestique, en cas
de danger, pouvait fort bien être adaptée et mise à disposition
d'un particulier menacé. C'est exactement ce que révèlent
de nombreuses lettres de pardon : "une femme attaque l'agresseur de son mari et
lui casse le bras avec une faucille ; un juge d'Alpalhão blesse son collègue
avec un bâton et un homme en agresse un autre avec un projectile en plomb
; (…)un habitant de Estremoz s'est plaint d'avoir été attaqué
sur un chemin et gravement blessé par deux frères qui l'ont agressé
avec une corne de boeuf . (…) L'épée qui nous rappelle l'Excalibur
du Roi Arthur, la lance qui nous rappelle les glorieuses charges de Lancelot ou
d'Ivanhoe pouvaient être utilisées de manière plus simple
et plus prosaïque comme des bâtons, avec lesquels les portugais du
XVème siècle tapaient sur la tête d'une voisine insolente
ou d'un esclave peu enclin à obéir. Si en temps de guerre on ne
nettoie pas les armes, les temps médiévaux sont presque toujours
l'occasion d'une guerre, avec un ennemi ou un ami, avec un danger qui nous attend,
dans la nuit, au coin de la rue" (ibid, pages 197-199). c)
Il convient maintenant d'examiner d'un peu plus près qui contrôlait,
et comment, en temps de paix, la possession d'armes pour les particuliers, à
la fin du moyen âge au Portugal. Il
faut commencer par dire que la politique de la couronne en matière de concession
de port d'armes était très peu transparente, sujette à la
conjoncture, à la géographie des influences de pouvoirs locaux et
régionaux et, de manière plus large, à ses propres limites
en matière de réserve du monopole de l'utilisation de la force des
armes. Ainsi, entre la concession ouverte et généralisée
du droit de port d'armes et sa restriction pure et simple, il existait diverses
possibilités que la monarchie gérait comme elle le pouvait mais
toujours dans un contexte arbitraire voire même avec des contradictions.
Alors que le port d'armes était restreint (voir la législation de
D. Fernando, 1369-1383, dans ce domaine), la royauté était obligée
de concéder un nombre sans fin de concessions spéciales : personnes
qui se considéraient comme menacées par des tiers, habitants de
zones frontalières, personnes qui, en raison de leurs activités
professionnelles (prêtres, bergers, vendeurs ambulants, paysans, etc.),
passaient une grande partie de leur temps en dehors de la maison (circulant à
des heures tardives dans des endroits dangereux), milieux sociaux privilégiés,
marchands étrangers, citoyens dans des lieux importants (comme Lisbonne
et Porto) et un nombre important de "cas particuliers", demandaient avec succès
la concession de licences de port d'armes, à condition, toutefois, de ne
les utiliser que d'une forme adéquate. La conséquence normale de
cette conjoncture a été l'affirmation d'une tendance progressive,
à la fin du moyen âge, à la dépénalisation de
l'utilisation des armes, ce que le règne de D. Duarte (1433-1438) annonçait
déjà et que la régence de l'Infant D. Pedro (1439-1448) allait
clairement confirmer. Si
l'on synthétise un peu cette matière, pour une meilleure compréhension
du problème (suivant en cela la suggestion de Luís Miguel DUARTE,
1999, pages 290-291), on peut dire que les licences de port d'armes en temps de
paix sont concédées par la couronne portugaise aux particuliers
entre 1459 et 1481 de la forme suivante :
- Licences
comprises dans des privilèges généraux (normalement liés
à des exemptions de charges dans les conseils) ;
- Licences
ad hoc visant la seule utilisation des armes ;
- Licences
totales, incluant toutes les armes, dans tout le royaume, de nuit comme
de jour ;
- Licences
partielles, les limites d'utilisation pouvant être de types différents
: autorisation de port d'armes pour les seules armes défensives ; autorisation
de port d'armes pour une localité déterminée ; autorisation
de port d'armes seulement valable le jour ou en certaines occasions ;
- Licences
individuelles (relatives à une seule personne) ;
- Licences
collectives, valables non seulement pour une personne, mais aussi pour
ceux qui l'accompagnent (par exemple : "quatre hommes avec qui il se déplacera").
Simultanément,
les raisons qui amenaient les monarques à concéder de telles autorisations
étaient diverses : volonté personnelle ; désir de récompenser
ou de privilégier quelqu'un (par exemple : étrangers, maures, juifs,
à qui ce privilège était interdit) ; conscience que le demandeur
du privilège était en danger de mort et que la couronne ne pouvait
lui garantir sa sécurité, etc. Il est curieux d'observer, qu'en
règle générale, les monarques n'aimaient pas qu'un particulier
porte sur lui les armes de guerre dans le lieu où se trouvait la cour du
roi, et même dans un rayon de 5 lieues. La violation de cette règle
constituait une source de revenus importante pour les "rendeiros de armas" de
la cour royale, comme Diogo Anes que nous avons mentionné tout à
l'heure… En
ce qui concerne la garantie de l'exécution de ces dispositions, elle incombait
surtout aux commandants des places ("alcaides"), ou plus exactement, aux sous-commandants
("alcaides-pequenos"), leurs représentants en matière de police
urbaine. En effet, généralement, le commandant de la place (souvent
un officier nommé par le roi) choisissait, parmis ses hommes de grande
confiance, un individu pour devenir sous-commandant. Ce dernier était accompagné
d'un groupe d'homme qui le suivait jour et nuit, pour assurer les fonctions de
police dans les villes, les bourgs et les localités, pendant les rondes
sur les murailles et, très souvent, pour la garde des prisonniers. Ainsi,
toutes les nuits, après que la cloche du soir eût sonnée,
le sous-commandant réunissait ses hommes et surveillait les rues, les places,
les abattoirs, prévenait les incendies, interpellant tout suspect se déplaçant
sans lumière ou transportant des armes interdites. Le principe voulait
que les hommes qui accompagnaient les sous-commandants (et dont l'équipement
était renouvellé tous les deux ans, comme c'était le cas
à Lisbonne) devaient être désignés par les villages
ou les bourgs qui les choisissaient parmis les habitants de la localité
en cause et les obligeaient à prêter serment, les inscrivant ensuite
sur un registre spécial. Par ailleurs, pendant les rondes, le sous-commandant
était accompagné en permanence par un écuyer et un greffier,
ou par un notable, qui se chargeaient de garantir le recouvrement des droits appartenant
à la place. Parmi ceux-ci, nous le savons, se distinguaient les amendes
liées au port d'armes ou à la mauvaise utilisation d'armes. En
réalité, toutefois, ces normes étaient loin d'être
respectées d'une manière scrupuleuse : fréquemment, les sous-commandants
choisissaient eux-mêmes ceux qui les accompagnaient (engageant des galiciens,
des castillans, des aventuriers, des vagabons, ou d'autres, engagés temporairement
sans aucun lien avec la localité). Par ailleurs, ils permettaient à
ces personnes d'aller au delà de leurs compétences, les laissant
user et abuser des lances qu'ils possédaient, faisant des accords avec
eux en raison des amendes données pour les armes confisquées ou
des blessures enregistrées, tentant d'influencer les juges pendant les
audiences ou commettant un grand nombre d'autres irrégularités (cf.
J.G. MONTEIRO, 1999, pages 287-297). En
somme, avec tous leurs défauts, les commandants des places (ou les sous-commandant
et leurs hommes) constituaient l'instance principale de contrôle de possession
d'armes par les particuliers dans le Portugal des XIVème et XVème
siècles. Comme nous l'avons vu, toutes les conditions étaient réunies
pour que ce contrôle s'effectue dans un climat arbitraire très prononcé.
Comme nous le disent de nombreuses lettres de rémission ou certains actes
des cortès, il était habituel que les sous-commandants favorisent
les membres de leurs familles ou les puissants locaux ; qu'ils exercent des représailles
et des vendettas sur les particuliers avec qui ils étaient en litige
; qu'ils outrepassent leurs compétences en raison de leur cupidité
dans le recouvrement des amendes ; qu'ils laissent circuler d'autres hommes armés,
qui selon les ordonnances, n'en avaient pas le statut ; qu'ils retirent les armes
à ceux qui pouvaient légitimement les porter ; etc. Comme l'a montré
Luís Miguel DUARTE (1999, p.322), il existe même de nombreuse lettres
de pardon concédées à des hommes ayant insulté et
agressé physiquement les sous-commandants ou leurs hommes. Une
des situations au cours desquelles ce climat de tension et d'arbitraire était
probablement évident figure dans certains actes des cortès et a
trait à des désordres de rue. Etant obligés de comparaître
à l'appel "Au secours" ("Aqui d'El Rei"), les particuliers (marchands,
artisants) accouraient avec les armes qu'ils possédaient pour aider les
forces de l'ordre. Très souvent, cependant, en guise de récompense
pour leur zèle ils étaient l'objet d'une grande ingratitude : une
fois l'ordre rétabli, les sous-commandants et leurs hommes en profitaient
pour faire une véritable razzia sur les armes apparues au cours des évènements
(L. M. DUARTE, 2000, p. 185)… Dans ce cas, le préjudice pouvait être
important. En effet, si une arme couramment utilisée était peu chère
(une lance coûtait, en 1475, 10 reais), d'autres équipements avaient
un prix très élevé : une arbalète avec des griffes
pour bander la corde, de fabrication nationale, coûtait à la même
époque, 800 reais, sans parler d'un harnois complet qui pouvait atteindre
alors 6.600 reais. Il
y avait, bien évidemment, de grandes différences parmi les particuliers.
Le plus pauvre possédait une lance, peut-être un poignard ou un couteau.
L'épée, surtout faite dans un acier bien trempé par un forgeur
expérimenté, n'était pas accessible à toutes les bourses.
En ce qui concerne les équipements offensifs plus sophistiqués,
le bassinet et, surtout, le harnois, ils n'étaient accessibles qu'aux plus
riches. Comme l'a bien fait observé Angel BERNAL ESTEVEZ (1988, pages 21-30)
en étudiant le cas de Ciudad Rodrigo en 1459, la lance, le javelot et les
petites lances étaient utilisés par les plus humbles ; le bouclier
et l'épée par les classes intermédiaires ; les classes sociales
les plus élevées disposaient d'arbalète en fer à 12
passants et d'une épée. Etre pauvre pouvait permettre une exonération
d'impôts mais pas d'armes. Ces dernières étaient considérées,
non seulement comme une obligation, mais aussi comme une propriété
inaliénable que même le débiteur insolvable ne pouvait aliéner
(L. M. DUARTE, 1999, p. 296). Si,
à la fin du moyen âge portugais, il y avait, come en Castille, une
relation directe entre la fortune de chacun et les armes qu'il possédait,
la relation qui s'établissait entre l'exercice de la guerre par le pouvoir
monarchique et la possession d'armes par les particuliers était également
très claire (évalué [aquantiados], franc-arbalétrier
[besteiro do conto]). Sans eux, aucune cour royale n'osait s'engager dans
une aventure militaire. Le problème était qu'une fois la paix signée,
ni les armes ni les guerriers ne restaient inactifs comme cela aurait été
souhaitable. C'est dans ce contexte, sorte de cercle vicieux, contradictoire et
incontournable, que s'est développée la relation si caractéristique
de la fin fin du moyen âge portugais avec le monde des armes. J'espère
avoir réussi à identifier certains de ses principaux aspects. Merci
beaucoup de votre attention. Références
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– La evolucion del armamento medieval en el reino castellano-leones y al-andalus
(siglos XII-XIV). Madrid, Servicio de Publicaciones del E.M.E. (Colección
"Adalid"). Retroceder | |