Nous contacter   Recevoir nos catalogues   L'Espace Clio   La boutique Clio

 
Bibliothèque
Voyages
Conférences
Visites
Prix Clio
 


Bibliothèque en ligne
Imprimer  Imprimer   
 Un problème sur cette page ?

Auteurs Thèmes Pays

En savoir plus sur l'auteur Pour approfondir le sujet


La Dacie des Romains : des provinces éphémères

Yann Le Bohec
Professeur d’histoire romaine à l’université Paris IV-Sorbonne

L’histoire de la Roumanie sous l’Antiquité est encore mal connue hors de ses frontières. Pourtant, sur la rive gauche du Danube, dans la zone continentale du pays actuel, une région, alors appelée la Dacie, a fait l’objet de nombreuses convoitises. Écartelée entre peuples barbares et mainmise impériale, la Dacie romaine a connu une histoire mouvementée dont Yann Le Bohec nous dessine les grands traits.

La Dacie, qui correspond à la partie continentale de l’actuelle Roumanie, représente un vrai défi pour l’historien : alors que les archéologues de ce pays ont entamé depuis longtemps un travail efficace, aucun ouvrage de synthèse satisfaisant n’a encore été publié sur le sujet dans une langue répandue. Même une encyclopédie allemande récente et sérieuse comme la Neue Pauly l’a tout simplement oubliée dans son volume trois, qui date de 1997.

Au cours des siècles qui ont précédé la naissance du Christ, la rive gauche du Danube a connu un fort mouvement d’immigration en provenance de Russie du sud. Des Celtes, qui appartenaient à la grande famille des Indo-Européens, y firent un séjour plus ou moins long, tandis que des Scythes, des Asiates plus ou moins hellénisés, cherchèrent à s’y installer. Leurs religions et leur onomastique y ont perduré. À partir du milieu du Ier siècle de notre ère, le peuple le plus important de la région est connu sous le nom de Daces. L’historien russe M. Rostovtzeff note que ce sont des Thraces, un autre peuple indo-européen. En conflit avec Rome, les Daces firent subir à l’empereur Domitien (81-96) une sévère humiliation, remportant la victoire sur les légions et obtenant le versement d’un tribut.

 

La conquête de Trajan : l’Empire annexe la Dacie 

Après la mort de Domitien, l’empereur Trajan trouva là l’opportunité d’un succès facile. La conquête de la Dacie présentait pour lui une utilité politique : il lui fallait prouver sa supériorité sur son malheureux prédécesseur. De plus, elle constituait un attrait économique, car la richesse de ce peuple - « l’or des Daces » - était proverbiale, et pouvait procurer un beau butin. Enfin, elle devait lui permettre de se faire de la propagande à moindres frais : le déséquilibre des forces entre le petit royaume et le grand empire était tel qu’il ne courait aucun risque s’il faisait intervenir des forces suffisantes. En 101-102, lors de la première guerre, il n’aligna pas moins de douze légions avec leurs auxiliaires, soit quelque cent vingt mille hommes ; il se contenta alors de contrôler une partie du territoire dace. Après un temps de repos, il revint en 105-106 pour une deuxième guerre. Elle vit la défaite définitive et la mort de Décébale, roi des Daces, et entraîna l’annexion de tout le territoire. En 109, Trajan fit ériger dans ce pays un grand monument à Adam-Klissi, sans doute en l’honneur des soldats morts dans les opérations de conquête, qu’il dédia à Mars Vengeur. Dans le même temps, il faisait construire à Rome, avec l’or des vaincus, un ensemble monumental considérable, le Forum, auquel il a laissé son nom. On peut encore y voir une colonne impressionnante, la célèbre colonne Trajane, sur laquelle est racontée en images sculptées la conquête de la Dacie. Cette œuvre d’art est considérée comme la première bande dessinée de l’histoire. Il resta à Trajan assez d’argent pour faire creuser le port d’Ostie, auquel il a donné son nom.

 

L’organisation du territoire en provinces

 

La Dacie s’organisa très vite sur le modèle de toutes les régions conquises. Immédiatement après la conquête, en 118-119, elle fut divisée en deux provinces, Dacie Inférieure au sud, et Dacie Supérieure regroupant le centre et le nord. La Dacie Supérieure fut confiée à un légat impérial, un sénateur apte à commander des légions. La Dacie Inférieure fut administrée par un procurateur, un chevalier, qui n’avait sous ses ordres que des auxiliaires. En 158-159, la Dacie Porolissensis au nord et la Dacie Malvensis furent confiées à des procurateurs, la Dacie d’Apulum, au centre, restant sous les ordres d’un légat. Enfin, à partir des guerres de Marc Aurèle, après 168, les trois Dacies furent regroupées sous un légat unique.

La région attira de nombreux Italiens et provinciaux romanisés, ce qui permit d’y créer des villes. Les unes reçurent le statut de colonies, les autres de municipes ; dans une colonie, tous les habitants jouissaient de la citoyenneté romaine, dans un municipe seuls les notables, les sénateurs locaux, recevaient ce privilège. C’est ainsi que l’ancienne capitale des rois de Dacie, Sarmizegetusa, devint très vite colonie, comme Apulum. Parmi les municipes, on compte Drobeta, Napoca, Porolissum, Malva et Tibuscum. Enfin, Potaissa et Romula passèrent du rang de municipe à celui de colonie en récompense de leur fidélité à Rome. Ces villes possédaient tous les monuments habituels pour la civilisation de l’époque : un forum et une basilique ; des lieux de loisirs, théâtre, amphithéâtre, cirque, thermes ; et tous les types de temples ordinaires. L’occupation du sol fut complétée par un réseau de villas et par un habitat pauvre qui n’a malheureusement pas laissé beaucoup de traces.

 

Une région prospère 

La paix s’établit assez vite grâce à la prospérité. La Dacie, comme tous les pays de l’Antiquité, vivait du blé, et elle en produisait beaucoup ; une grande partie des habitants étaient des paysans. Elle était surtout célèbre pour ses mines. L’or, dont nous avons déjà parlé, restait abondant, notamment à Ampelum et à Alburnus Major, où ont été trouvées des inscriptions qui témoignent du fonctionnement de ces entreprises et de la vie quotidienne des ouvriers qui y étaient employés ; le plus souvent condamnés ou esclaves, ils étaient traités avec rudesse. Cet or, auquel il faut ajouter l’argent, le plomb et le fer, permettait à l’État de frapper de belles pièces de monnaies. Le sel constituait un autre élément indispensable à la nourriture humaine ; à cette époque, il était moins facile à trouver que de nos jours et la Dacie en fournissait de grandes quantités. Quant au commerce, il tirait profit d’un axe de communication majeur, la vallée du Danube, que croisaient deux grandes routes dirigées plein nord : la première allait de Drobeta à Porolissum en passant par Sarmizegetusa et Apulum, la seconde, plus à l’est, reliait Oescus à Apulum.

Il n’y a que peu à dire sur les populations et sur la société, car on rencontrait en Dacie les mêmes groupes sociaux que dans les autres provinces. Son originalité tient peut-être à sa quantité de personnes à la fois modestes et attachées à la romanisation, des vétérans, des immigrés de vieilles provinces ou d’Italie. Certes, celles-ci respectaient les dieux indigènes, mais elles avaient aussi à cœur de célébrer les dieux de Rome, notamment la triade capitoline (Jupiter, Junon et Minerve), et de pratiquer le culte impérial. Quant aux religions orientales, elles connurent un succès assez net, en particulier en raison de la présence de nombreux auxiliaires syriens, notamment des archers palmyréniens. C’est au cours du IIIe siècle, et malgré les persécutions, que la Dacie connut les premières communautés chrétiennes.

 

De la paix à la guerre : l’Empire abandonne la Dacie aux barbares

 

La sécurité de la province fut assurée par un système complexe. L’armée fut installée en garnison d’abord dans le sud, puis plus tard dans le nord, à Apulum (la legio XIIIa Gemina). Mais en fait ce sont les troupes des provinces de Pannonie et de Mésie qui eurent la responsabilité de protéger la Dacie par les flancs. Elles devaient se tenir prêtes à intervenir en cas de besoin. Le besoin se fit d’ailleurs sentir assez vite. Sous Marc Aurèle, à partir de 168, la guerre éclata sur le Danube. Elle opposa Rome et les Germains, Quades et Marcomans, alliés parfois à des Sarmates, proches parents des Scythes. La Dacie ne fut qu’un élément stratégique dans une guerre plus vaste qui embrasa la Pannonie et la Mésie, c’est-à-dire toutes les régions danubiennes.

La paix revint avec Commode (180-192), et Septime Sévère (193-211) la conforta en renforçant les fortifications de la province. Il fit construire une défense linéaire de 235 kilomètres entre le Danube et les Carpates, le long de la rivière Olt ; elle est connue sous le nom de limes Alutanus. Ces mesures se révélèrent efficaces, mais pour peu de temps. Au milieu du IIIe siècle, les Goths arrivèrent et les Carpes passèrent à l’attaque ; de nouveau, la guerre concerna toutes les régions danubiennes, et pas seulement la Dacie. Comme, au même moment, les Germains franchissaient le Rhin à l’ouest et comme les Perses traversaient le désert de Syrie à l’est, l’état-major romain ne sut plus comment réagir, la priorité étant de protéger l’Italie. Gallien (260-268) décida d’un abandon partiel de la province, et Aurélien, vers 271-272, d’un abandon total. En fait, la Dacie ne connut pas une vraie évacuation ; elle fut peu à peu submergée par les barbares.

Au début du IVe siècle furent créées deux provinces appelées Dacie, la Dacie ripuaire – de la rive du Danube – et la Dacie méditerranéenne, au sud de la précédente. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : il n’y avait point eu de reconquista. Ces deux circonscriptions administratives furent simplement des districts détachés de la Mésie, donc situés sur la rive droite du Danube. Constantin tenta une dernière manœuvre et conclut un traité avec l’ennemi en 332. Mais cet accord fut rompu en 337, à la mort du souverain, les barbares considérant qu’ils n’étaient liés qu’à un homme et pas à un État. Pourtant, les populations qui vivaient en Dacie demeuraient attachées à la romanisation, et elles surent convaincre nombre d’envahisseurs des avantages de leur culture et de leur droit. La Dacie, qui n’avait vécu comme province de l’empire que moins de deux siècles, resta pour toujours la « romaine », la Roumanie.
Yann Le Bohec
Juin 2002
Copyright Clio 2004 - Tous droits réservés

Bibliographie

John Joseph Wilkes
Les provinces danubiennes
In Rome et l'intégration de l'Empire : 44 avant J.-C.-260 après J.-C., tome 2 : Approche régionale du Haut-Empire (Nouvelle Clio)Sous la direction de Claude Lepelley
P.U.F., Paris, 1998


Victor Chapot
La Dacie dans Le Monde Romain
Albin Michel, Paris, 1951




Accueil  |  Qui sommes-nous ?  |  Clio recrute  |  Stages

Éditeur du site : Clio, tous droits réservés, copyright 2003
Plan du sitecroisieres_fluviales_europe.clio.fr croisiere_en_mediterannee.clio.fr croisieres-en-mediterranee.clio.fr croisiere-volga.clio.fr croisieres-volga.clio.fr croisierevolga.clio.fr croisieresvolga.clio.fr
/BIBLIOTHEQUE/La_Dacie_des_Romains__des_provinces_ephemeres.asp