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Le th´eor`eme fondamental de l’alg`ebre

Jean-Yves Briend

30 janvier 2006

Le but de ce texte est de donner la preuve, essentiellement dˆ

ue `a C.F. Gauß,

du th´eor`eme fondamental de l’alg`ebre, qui s’enonce ainsi :

Th´

eor`

eme 0.1.

—

Le corps des nombres complexes est alg´ebriquement clos.

Ce sera l’occasion de voir au passage quelques notions importantes d’alg`ebre, comme
celle de corps de rupture d’un polynˆome. Nous ferons quelques digressions, du cˆot´e de
la th´eorie des Â´equations par exemple (fonctions sym´etriques des racines, trnasform´ee
de Tschirnhausen), ou de l’alg`ebre lin´eaire (th´eor`eme de Cayley-Hamilton). Enfin,
nous donnerons deux autres preuves du th´eor`eme fondamentales, plus rapides mais
faisant appel `a des technologies sophistiqu´ees.

Dans toute la suite,

K

d´esignera un corps commutatif et

K

[X] son anneau des

polynˆomes `a une ind´etermin´ee. L’anneau

K

[X] est euclidien, donc principal. En

particulier, tout id´eal premier non-nul est maximal. Ainsi, un polynˆome irr´eductible
sur

K

engendre un id´eal maximal.

1

Corps alg´

ebriquement clos

Commen¸cons en douceur par quelques rappels. Soit P un polynˆome `a coefficients

dans

K

et

a

un Â´el´ement de

K

. On dit que

a

est une racine de P si P(

a

) = 0.

Lemme 1.1.

—

Le polynˆome

P

admet

a

pour racine si, et seulement si,

(X

−

a

)

divise

P

.

D´

emonstration.

— [Exercice] Si (X

−

a

) divise P, on a bien P(

a

) = (

a

−

a

)Q(

a

) = 0.

Si maintenant

a

est racine de P, consid´erons le morphisme d’´evaluation en

a

:

δ

a

:

K

[X]

−→

K

Q

7−→

Q(

a

)

Son noyau est l’id´eal (X

−

a

) (en effet, (X

−

a

) est un id´eal maximal, et le noyau de

δ

a

le contient tout en n’´etant pas

K

[X] en entier), et comme

a

est racine de P, on a

P

∈

ker(

δ

a

), c’est-`a-dire que (X

−

a

) divise P.

D´

efinition 1.1.

—

Le corps

K

est dit alg´ebriquement clos si tout polynˆome non

constant `a coefficients dans

K

admet au moins une racine dans

K

.

1

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Exemples.

[Exercice] Le corps

Q

n’est pas alg´ebriquement clos, ni

R

non-plus. Un

corps alg´ebriquement clos est n´ecessairement fini. Si

K

est alg´ebriquement clos, le

corps

K

(X) des fractions rationnelles `a coefficients dans

K

n’est pas alg´ebriquement

clos.

Lemme 1.2.

—

Le corps

K

est alg´ebriquement clos si, et seulement si, tout poly-

nˆome non constant est produit de facteurs lin´eaires (un tel polynˆome est dit scind´e).

D´

emonstration.

—[Exercice] Si

K

est alg´ebriquement clos et P est non constant,

alors P admet au moins un racine

a

∈

K

. Ainsi P(X) = (X

−

a

)Q(X), avec Q

∈

K

[X]

un polynˆome de degr´e deg(P)

−

1. En appliquant un nombre fini de fois le lemme 1.1,

on montre que P est produit de facteurs lin´eaires. La r´eciproque est une Â´evidence,
car un facteur lin´eaire a n´ecessairement une racine dans

K

.

Corollaire 1.1.

—

Le corps

K

est alg´ebriquement clos si, et seulement si, tout

polynˆome irr´eductible est lin´eaire.

2

Extension d’un corps pour scinder un polynˆ

ome

En France, on attribue souvent le th´eor`eme fondamental `a d’Alembert (vers

1750), mais sa preuve, proche de celle de Gauß, comportait un trou important :
d’Alembert supposait l’existence de racines `a tout polynˆome P `a coefficients r´eels, et
la possibilit´e de calculer avec ces racines, sans en donner une construction rigoureuse.
Il s’agissait en quelque sorte de fantˆomes dont la manipulation alg´ebrique permettait
de d´emontrer le th´eor`eme. Nous allons voir que l’on peut d´efinir rigoureusement des
racines pour n’importe-quel polynˆome, `a condition d’´etendre le corps de base. C’est
Gauß, dans sa th`ese en 1798 (il avait 23 ans !) qui combla ce trou.

Commen¸cons par le cas d’un polynˆome P suppos´e irr´eductible. S’il est lin´eaire,

il admet une racine dans

K

et tout va bien. Si deg(P) =

d

≥

2, les choses se

compliquent car P n’a alors aucune racine dans

K

. Mais comme P est irr´eductible,

l’id´eal (P) est maximal dans

K

[X], et ainsi

K

[X]

/

(P) est un corps.

Exercice.

La dimension de

K

[X]

/

(P) en tant que

K

-espace vectoriel vaut

d

.

Notons maintenant

Îą

la classe de X dans le quotient

K

[X]

/

(P). Deux faits sont `a

noter :

– la famille

{

1

, Îą, Îą

2

, . . . , Îą

d

−

1

}

forme une base du

K

-espace vectoriel

K

[X]

/

(P).

– On a la relation P(

Îą

) = 0 dans

K

[X]

/

(P). Ainsi, dans

K

[X]

/

(P), P a une

racine.

Ces deux remarques permettent d’effectuer des calculs explicites dans le corps

K

[X]

/

(P). Mais une troisi`eme remarque s’impose : l’application de

K

dans

L

=

K

[X]

/

(P) qui `a un polynˆome constant associe sa classe modulo (P) est un mor-

phisme injectif de corps. En d’autres termes, on peut identifier

K

`a un sous-corps de

L

. On dit que

L

est une

extension

du corps

K

. Cette notion est centrale en th´eorie

de Galois. D´eveloppons-l`a un tout petit peu.

2

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D´

efinition 2.1.

—

Un corps

L

qui contient le corps

K

comme sous-corps est appel´e

une extension de

K

. Le degr´e de

L

sur

K

, not´e

[

L

:

K

]

est, par d´efinition, la

dimension de

L

en tant que

K

-espace vectoriel.

Revenons `a l’extension

L

=

K

[X]

/

(P) construite ci-dessus. Si

y

est un Â´el´ement de

L

, la famille

{

1

, y, y

2

, . . . , y

n

, . . .

}

est infinie, donc li´ee sur

K

: il exite

k

≥

0 et

Îť

0

, . . . , Îť

k

∈

K

tels que

Îť

0

+

Îť

1

y

+

¡ Âˇ Âˇ

+

Îť

k

y

k

= 0

.

Ainsi

y

, Â´el´ement de

L

, est racine d’un polynˆome `a coefficients dans

K

.

D´

efinition 2.2.

—

Soit

L

une extension de

K

. Un Â´el´ement

y

de

L

est dit

alg´ebrique

sur

K

s’il est racine d’un polynˆome `a coefficients dans

K

. Dans le cas contraire, on

dit que

y

est transcendant (sur

K

). On dit que l’extension

L

est une

extension

alg´ebrique

du corps

K

si

tout

´el´ement de

L

est alg´ebrique sur

K

. Dans le cas

contraire, on dit que l’extension est transcendante.

Voici quelques exemples. Le corps

R

est une extension de

Q

, de degr´e infini, et cette

extension n’est pas alg´ebrique. En effet, le nombre

π

, par exemple, est transcendant.

En fait, il suffit de remarquer que,

Q

´etant d´enombrable, il n’admet, dans

R

, qu’un

nombre d´enombrable d’´el´ements alg´ebriques. Comme

R

est non d´enombrable, la

plupart (presque tous, par exemple) de ses Â´el´ements sont transcendants sur

Q

. En

fait, d´emontrer qu’un Â´el´ement particulier comme

π

ou e est transcendant sur

Q

est

difficile.

Exercice.

Soit

K

un corps et

K

(X) son corps des fractions rationnelles. Alors

K

(X)

est une extension transcendante. R´eciproquement, montrer que pour toute extension
transcendante

L

de

K

il existe une injection de

K

(X) dans

L

. Ainsi

K

(X) est en

quelque-sorte la plus petite extension transcendante de

K

.

Exercice.

Montrer qu’il existe une extension de

Q

qui soit alg´ebrique et de degr´e

infini.

L’exercice pr´ec´edent am`ene en fait le lemme suivant :

Lemme 2.1.

—

Si

L

est une extension de degr´e fini de

K

(on dit que

L

est une

extension finie de

K

, pour faire court), alors

L

est alg´ebrique.

Exerice.

Saurez-vous retrouver la preuve de ce lemme dans le texte ?

Avant de continuer notre odyss´ee polynomiale, faisons une remarque sur les

extensions successives. Si

L

est une extension de

K

, on peut ensuite encore Â´etendre

L

et consid´erer une extension

J

de

L

. Ainsi

J

devient une extension de

K

. Si

L

est algb´erique sur

K

et

J

l’est sur

L

, alors

J

est une extension alg´ebrique de

K

(sauriez-vous le d´emontrer dans le cas g´en´eral ? Â¸

Ca n’a rien de facile). Dans le cas

o`

u les extensions sont de degr´es finis, on a la relation suivante :

[

J

:

K

] = [

J

:

L

][

L

:

K

]

,

3

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propri´et´e que l’on nomme multiplicativit´e des degr´es. Nous vous laissons sa preuve en

exercice

d’ag`ebre lin´eaire (penser `a la notion de restriction du corps des scalaires).

Revenons `

a nos moutons :

si P est un polynˆome irr´eductible `a coefficients dans

K

, nous avons construit une extension finie (et donc alg´ebrique) de

K

dans laqelle

P admet au moins une racine. Nous allons voir que l’on peut faire beaucoup mieux
que cel`a :

Th´

eor`

eme 2.1.

—

Soit

P

un polynˆome non constant `a coefficients dans

K

. Alors

il existe une extension finie

K

′

de

K

telle que

P

se d´ecompose, dans

K

′

[X]

, en un

produit de facteurs de degr´e

1

.

Remarque.

La plus petite extension de

K

(au sens du degr´e) qui satisfait `a ces

propri´et´es est unique `a isomorphisme pr`es et s’appelle le corps de rupture de P sur

K

.

D´

emonstration.

— [Exercice] Nous allons faire une r´ecurrence sur le degr´e

d

du

polynˆome P. Si

d

= 1, alors

K

′

=

K

convient. Supposons maintenant le th´eor`eme

d´emontr´e pour toute extension de degr´e

d

−

1. Soit P un polynˆome de degr´e

d

et F

un facteur irr´eductible de P (utiliser la factorialit´e de

K

[X]). D’apr`es ce qui pr´ec`ede,

il existe une extension finie

L

=

K

[X]

/

(F) de

K

qui contienne une racine

Îą

de F.

Ainsi, (X

−

Îą

) divise F, et donc P, dans

L

[X], et donc P s’ecrit P(X) = (X

−

Îą

)Q

1

(X),

avec Q

1

∈

L

[X]. Comme Q

1

est de degr´e

d

−

1, on peut lui appliquer l’hypoth`ese de

r´ecurrence et trouver ainsi un extension finie

K

′

de

L

, telle que Q

1

se scinde dans

K

′

[X]. Mais alors

K

′

est aussi une extension finie de

K

, sur laquelle P se scinde.

Cel`a ach`eve la d´emonstration du th´eor`eme.

3

Fonctions sym´

etriques des racines, applications

Nous allons voir ici les rudiments de la th´eorie des Â´equations, telle qu’elle trouve

son expression dans la th´eorie dite de l’´elimination, qui a connu de grands d´evelop-
pements jusqu’`a la fin du 19

e

si`ecle. Apr`es Ë†etre tomb´ee en d´esu`etude, du fait de la

mont´ee en puissance des m´ethode alg´ebriques formelles, la th´eorie de l’´elimination
connait depuis quelques ann´ees un regain d’int´erˆet, notamment pour ses liens avec
le calcul formel.

Commen¸cons par les fonctions sym´etriques des racines. Soit P

∈

K

[X] un po-

lynˆome de degr´e

d

≥

1. Il existe alors une extension finie

K

′

de

K

sur laquelle P

scinde :

P(X) = (X

−

Îą

1

)

. . .

(X

−

Îą

d

)

, Îą

i

∈

K

′

.

Par ailleurs, on peut d´evelopper P est `a coefficients dans

K

, il s’´ecrit donc

P(X) =

a

0

+

a

1

X +

¡ Âˇ Âˇ

+

a

d

X

d

, a

i

∈

K

.

En d´eveloppant la premi`ere identit´e et en identifiant avec les coefficients donn´es par
la seconde, on trouve des

relations entre coefficients et racines :

X

1

≤

i

1

<

¡¡¡

<i

k

≤

d

Îą

i

1

¡ Âˇ Âˇ

Îą

i

k

= (

−

1)

k

a

d

−

k

a

d

,

4

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pour tout

k

∈ {

1

, . . . , d

}

. `

A titre d’

exercice

, vous pouvez expliciter ces relations

dans les cas des degr´e 1, 2 et 3. Comme cas particulier, on a des expressions de la
somme et du produit des racines :

Îą

1

+

¡ Âˇ Âˇ

+

Îą

d

=

−

a

d

−

1

a

d

, Îą

1

¡ Âˇ Âˇ

Îą

d

= (

−

1)

d

a

0

a

d

.

Ce qui est remarquable ici, c’est que ces expressions en les racines de P, qui sont
des Â´el´ements de

K

′

, donnent un r´esultat appartenant `a

K

, corps des coefficients de

P. Pour tout entier 1

≤

k

≤

d

, on pose

σ

k

(X

1

, . . . ,

X

d

) =

X

1

≤

i

1

<

¡¡¡

<i

k

≤

d

X

i

1

¡ Âˇ Âˇ

X

i

k

.

C’est un polynˆome `a

d

ind´etermin´ees `a coefficients dans

Z

, et donc il peut Ë†etre vu

comme Â´el´ement de

K

[X

1

, . . . ,

X

d

] pour tout corps

K

.

D´

efinition 3.1.

—

Les polynˆomes

σ

k

s’appellent les polynˆomes sym´etriques Â´el´emen-

taires (`a

d

variables).

Ces polynˆomes ont la propri´et´e d’ˆetre invariants par permutation des variables : le
groupe

S

d

des permutations sur

d

´el´ements agit sur

K

[X

1

, . . . ,

X

d

] par

g.ϕ

(X

1

, . . . ,

X

d

) =

ϕ

(X

g

(1)

, . . . ,

X

g

(

d

)

)

.

D´

efinition 3.2.

—

L’ensemble des polynˆomes invariants par l’action de tous les

´el´ements de

S

d

est un sous-anneau de

K

[X

1

, . . . ,

X

d

]

appell´e anneau des polynˆomes

sym´etriques.

Remarquons que si l’on se limite `a l’invariance par tous les Â´el´ements d’un sous-groupe
de

S

d

, on obtient aussi un anneau, plus gros. Les relations entre ces sous-anneaux et

les sous-groupes correspondants est un probl`eme int´eressant. Les polynˆomes sym´e-
triques Â´el´ementaires sont naturellement sym´etriques. Ce qui est plus remarquable,
c’est que tout polynˆomes sym´etrique s’exprimme en fonction des polynˆomes sym´e-
triques Â´el´ementaires :

Th´

eor`

eme 3.1.

—

Si

ϕ

est un polynˆome sym´etrique de

K

[X

1

, . . . ,

X

d

]

, alors il

existe un polynˆome

ÎŚ

∈

K

[X

1

, . . . ,

X

d

]

tel que

ϕ

(X

1

, . . . ,

X

d

) = ÎŚ(

σ

1

, . . . , Ďƒ

d

)

.

En choisissant convenablement la normalisation,

ÎŚ

est unique.

Exercice.

Exprimer

P

X

3

i

en fonction des polynˆomes sym´etriques Â´el´ementaires (

r´ep.

σ

3

1

−

3

σ

1

σ

2

+ 3

σ

3

).

Nous admettrons le th´eor`eme ci-dessus, mais utiliserons ce corollaire imm´ediat :

Corollaire 3.1.

—

Soient

P

∈

K

[X]

un polynˆome de degr´e

d

, et

Îą

1

, . . . , Îą

d

ses

racines dans une extension alg´ebrique idoine de

K

. Si

ϕ

est un polynˆome sym´etrique

`a

d

variables, alors

ϕ

(

Îą

1

, . . . , Îą

d

)

∈

K

.

5

background image

Ainsi, toute fonction sym´etrique des racines est Â´el´ement du corps

K

.

Exemple.

Soit

z

∈

C

. On a (X

−

z

)(X

−

ÂŻ

z

) = X

2

−

(

z

+ ÂŻ

z

)X +

z

ÂŻ

z

, et donc

z,

ÂŻ

z

sont

les racines d’un polynˆome r´eel. Plus g´en´eralement, si P(X) = X

2

−

b

X +

c

est un

polynˆome de degr´e 2 `a coefficients complexes, ses racines v´erifient

Îą

1

+

Îą

2

=

b

et

Îą

1

Îą

2

=

c,

et ainsi elles sont toutes les deux dans

C

. R´ecioproquement, si

Îą

1

et

Îą

2

sont deux

´el´ements d’une extension alg´ebrique de

C

qui v´erifient

Îą

1

+

Îą

2

∈

C

et

Îą

1

Îą

2

∈

C

,

alors

Îą

1

et

Îą

2

sont en fait Â´el´ements de

C

.

4

Digressions

Il est souvent utile de transformer les Â´equations pour les simplifier. On est

souvent amen´e, dans ce cadre, `a se poser le probl`eme en ces termes : soient P un
polynˆome `a coefficients dans

K

, de degr´e

d

≥

1, et

Îą

1

, . . . , Îą

d

ses racines dans

une extension de

K

. Soit par ailleurs Q un polynˆome (on peut, plus g´en´eralement,

consid´erer des fractions rationnelles) `a coefficients dans

K

. Existe-t-il un polynˆome

T

Q
P

, `a coefficients dans

K

, dont les racines soient Q(

Îą

1

)

, . . . ,

Q(

Îą

d

). La r´eponse est

simple : consid´erons

T

Q
P

(X) = (X

−

Q(

Îą

1

))

. . .

(X

−

Q(

Îą

d

))

.

Si on le d´eveloppe, on s’aper¸coit que ses coefficients sont des fonctions sym´etriques
des racines de P. Ainsi, T

Q
P

est `a coefficients dans

K

: on l’appelle la

transform´ee de

Tschirnhausen de

P

par

Q

.

On peut proc´eder autrement pour construire T

Q
P

. Cel`a nous am`enera a digres-

ser un peu plus encore et `a donner une preuve du th´eor`eme de Cayley–Hamilton.
Supposons le polynˆome P unitaire. Il s’´ecrit alors

P(X) = X

d

+

a

d

−

1

X

d

−

1

+

¡ Âˇ Âˇ

+

a

0

.

On d´efinit alors la

matrice compagnon

du polynˆome P, par

M

P

=












0

1

0

0

. . .

0

0

0

1

0

. . .

0

...

. .. ... ...

. ..

...

0

. . .

0

0

1

0

0

. . .

. . .

0

0

1

−

a

0

−

a

1

. . . . . .

−

a

d

−

2

−

a

d

−

1












,

qui est une matrice carr´ee

d

×

d

. L’´equation P(

t

) =

t

d

+

a

d

−

1

t

d

−

1

+

¡ Âˇ Âˇ

+

a

0

= 0 s’´ecrit

alors

t

T = M

P

T

,

6

background image

o`

u T est le vecteur colonne des puissances de

t

:

T =










1

t

t

2

...

t

d

−

1










.

Le polynˆome caract´eristique de M

P

est Â´egal (

exercice

) `a (

−

1)

d

P, donc les racines de

P sont les valeurs propres de M

P

. On peut alors prendre le polynˆome caract´eristique

de la matrice Q(M

P

), et l’on obtient ainsi T

Q
P

. Une autre matrice int´eressante associ´ee

au polynˆome P est sa matrice de Vandermonde ; soient

Îą

1

, . . . , Îą

d

les racines de P

dans le corps de rupture

K

′

de P. La matrice de Vandermonde est








1

. . .

1

Îą

1

. . .

Îą

d

...

...

Îą

d

−

1

1

. . . Îą

d

−

1

d








,

Son d´eterminant, not´e

w

P

, v´erifie l’identit´e :

w

2

P

= âˆ†(P)

,

o`

u âˆ†(P) est le discriminant de P (

i.e.

le r´esultant de P et P

′

). Rappelons que si P

,

Q

sont deux polynˆomes unitaires `a coefficients dans

K

, et si

Îą

i

,

β

i

sont les racines de

P et Q dans une extension idoine de

K

, le r´esultant s’exprimme par

Res(P

,

Q) =

Y

1

≤

i

≤

d

P

,

1

≤

j

≤

d

Q

(

Îą

i

−

β

j

)

,

et qu’ainsi le r´esultant est nul si, et seulement si, P et Q ont au moins une racine
commune. Â´

Etant une expression sym´etrique en les racines de P et Q, le r´esultant est

un Â´el´ement de

K

. On peut montrer que le r´esultant v´erifie :

Res(P

,

Q) =

Y

d

P

i

=1

Q(

Îą

i

) = (

−

1)

d

P

d

Q

Y

d

Q

j

=1

P(

β

j

)

,

et qu’on peut le calculer en utilisant des d´eterminants dits de Sylvester (

Exercice

).

Le d´eterminant

w

P

a donc son carr´e dans

K

, et on montre en th´eorie de Galois

que

w

P

est dans

K

(

i.e.

∆(P) admet une racine carr´ee dans

K

) si, et seulement si,

le groupe de Galois de P sur

K

est un sous-groupe du groupe altern´e A

d

. Dans le

cas contraire, adjoindre la racine carr´ee du discriminant au corps

K

permettra de

r´eduire le groupe de Galois `a un sous-groupe de A

d

.

Revenons `a la matrice compagnon, et utilisons cette notrion simple pour donner

une d´emonstration du th´eor`eme de Cayley–Hamilton. Soient E un

K

-espace vectoriel

de dimension

d

, et

u

un endomorphisme de E. L’anneau non-commutatif End(E) des

endomorphismes de E admet une structure de

K

[X]-module, en posant, si P(X) =

P

a

i

X

i

:

P(

u

) =

X

a

i

u

i

,

o`

u

u

i

est l’it´er´ee

i

-`eme de

u

. Rappelons le th´eor´eme de Cayley-Hamilton :

7

background image

Th´

eor`

eme 4.1.

—

Le polynˆome caract´eristique

χ

u

de

u

annule

u

.

Pr´ecisons encore un peu : on a le morphisme

δ

u

d’´evaluation d’un polynˆome sur

l’endomorphisme

u

:

δ

u

:

K

[X]

−→

End(E)

P

7−→

P(

u

)

.

Son image est la

K

-alg`ebre

K

[

u

] engendr´ee par

u

, qui est commutative. Son noyau est

engendr´e par un unique polynˆome unitaire P

u

, le polynˆome annulateur (ou minimal)

de

u

. On a la suite exacte courte de

K

[X]-modules :

0

−→

(P

u

)

−→

K

[X]

−→

K

[

u

]

−→

0

.

Le th´eor`eme de Cayley-Hamilton affirme que P

u

divise

χ

u

. Pour le d´emontrer,

prenons

x

un vecteur non-nul de E et montrons que

χ

u

(

u

)(

x

) = 0. La famille

{

x, u

(

x

)

, . . . , u

n

(

x

)

, . . .

}

est infinie, et donc elle est li´ee dans E (remarquer l’analogie

avec des raisonnements d´ej`a faits sur les extensions de degr´e fini. . .). Il existe donc
un entier

n

∈ {

0

, . . . , d

−

1

}

tel-que

{

x, u

(

x

)

, . . . , u

n

(

x

)

}

soit libre et

{

x, . . . , u

n

+1

(

x

)

}

soit li´ee. On peut donc exprimer

u

n

+1

(

x

) en fonction des

n

premi`eres it´er´ees de

u

:

u

n

+1

(

x

) =

−

a

0

x

−

a

1

u

(

x

)

− Âˇ Âˇ Âˇ âˆ’

a

n

u

n

(

x

)

.

Posons P

x

(X) = X

n

+1

+

P

n
i

=0

a

i

X

i

. On a bien Â´evidemment P

x

(

u

)(

x

) = 0. Compl´etons

la famille libre

{

x, . . . , u

n

(

x

)

}

en une base de E. La matrice de

u

dans cette base

d’´ecrit alors par blocs :

M =

M

P

x

B

0

C

,

o`

u M

P

x

est, au signe pr`es, la transpos´ee de la matrice compagnon de P

x

. On a alors

χ

u

=

χ

M

P

x

χ

C

,

soit, comme la

K

-alg`ebre

K

[

u

] est commutative,

χ

u

(

u

) = P

x

(

u

)

◦

χ

C

(

u

) =

χ

C

(

u

)

◦

P

x

(

u

)

.

En appliquant cette identit´e au vecteur

x

, on obtient

χ

u

(

u

)(

x

) =

χ

C

(

u

)(P

x

(

u

)(

x

)) =

0, ce qui montre,

x

ayant Â´et´e pris quelconque dans E, que

χ

u

(

u

) = 0.

Terminons par une digression encore plus digressive : il existe un parall`ele formel

assez frappant entre la th´eorie des Â´equations polynomiales et la th´eorie des Â´equations
diff´erentielles lin´eaires. Consid´erons `

a ce titre l’´equation diff´erentielle lin´eaire `

a coefficients

holomorphes suivantes :

L(

y

) =

y

d

+

a

d

−

1

y

d

−

1

+

¡ Âˇ Âˇ

+

a

0

y

= 0

.

On peut, comme ci-dessus, l’´ecrire sous forme matricielle

Y

′

= MY

8

background image

avec des notations Â´evidentes. Soient

f

1

, . . . , f

d

des solutions de L(

y

) = 0 engendrant le

C

-espace vectoriel des solutions. On a alors la matrice wronskienne :

W =








f

1

. . .

f

d

f

′

1

. . .

f

′

d

..

.

..

.

f

(

d

−

1)

1

. . .

f

(

d

−

1)

d








,

et son d´eterminant, le wronskien

w

L

de l’´equation diff´erentelle L(

y

) = 0. Remarquons que

W v´erifie l’´equation diff´erentielle

W

′

= MW

,

et donc en d´erivant le d´eterminant, on obtient l’´equation diff´erentielle

w

′

L

=

−

Tr(M)W =

−

a

d

−

1

w

′

L

,

et donc

w

L

est obtenu `

a partir de

C

(

t

) par extraction d’une int´egrale, analogue `

a la prise

de racine dans le cas polynomial. Comme dans le cas polynomial, le fait que le wronskien
soit dans le corps de base o`

u vivent les coefficients de l’´equation est Â´equivalent au fait que

le groupe de Galois diff´erentiel de L est un sous-groupe du groupe sp´ecial lin´eaire.

5

Preuve du th´

eor`

eme fondamental, d’apr`

es Gauß

Nous allons proc´eder par Â´etape, en commen¸cant par montrer qu’on peut se

restreindre au cas des polynˆomes r´eels.

Soit donc P

∈

C

[X] un polynˆome complexe de degr´e

d

≥

1. Posons F(X) =

P(X)ÂŻ

P(X). C’est un polynˆome `a coefficients r´eels. Si F admet une racine dans

C

,

alors soit P admet une racine dans

C

, et nous sommes contents, soit c’est ÂŻ

P qui en

admet une, disons

Îą

. Mais alors P admet ÂŻ

Îą

∈

C

pour racine, et nous sommes tout

aussi contents. Nous pouvons donc dor´enavant, et sans perte de g´en´eralit´e, supposer
que P est un polynˆome non-constant `a coefficients r´eels,et nous le supposerons aussi
unitaire.

Le degr´e de P s’´ecrit, de mani`ere unique, sous la forme

d

= 2

n

q

, avec

n

≥

0 et

q

impair. En fait

n

n’est autre que la valuation 2-adique de

d

. La preuve va maintenant

consister `a faire une r´ecurrence sur

n

.

– Si

n

= 0, P est un polynˆome r´eel de degr´e impair. Il est donc redevable du

th´eor`eme des valeurs interm´ediaires : comme P prend des valeurs de signes
oppos´es quand

x

est tr`es n´egatif et quand

x

est tr`es positif, il s’annule sur

R

. Nous avons utilis´e ici le fait que le corps ordonn´e (

R

,

≤

) est un

corps r´eel

clos.

D´

efinition 5.1.

—

Un corps ordonn´e

(

K

,

≤

)

est dit r´eel clos si, pour tout

polynˆome

P

∈

K

[X]

et tous Â´el´ements

a

≤

b

∈

K

tels que

P(

a

)P(

b

)

≤

0

, il

existe

c

∈

[

a, b

]

tel que

P(

c

) = 0

.

Ainsi, dans un corps r´eel clos, si l’on appelle un intervalle [

a, b

] sur lequel

P change de signe une

racine approch´ee

de P, alors l’existence d’une ra-

cine approch´ee implique l’existence d’une vraie racine. Dans les corps munis
d’une valuation ultram´etrique comme le corps des nombres

p

-adiques, on a

un Â´enonc´e analogue, c’est le

lemme de Hensel.

9

background image

– Soit maintenant

n

≥

1, et supposons que tout polynˆome r´eel de degr´e sa-

tisfaisant

v

2

(

d

) =

n

−

1 admet une racine complexe (

v

2

(

d

) est la valuation

2-adique de

d

). Soit P un polynˆome r´eel tel que

v

2

(

d

) =

n

, et posons

d

= 2

n

q

,

avec

q

impair. Soit

K

une extension finie de

R

dans laquelle P se scinde :

P(X) =

Y

d

i

=1

(X

−

Îą

i

)

, Îą

i

∈

K

.

Soit

c

∈

R

un nombre r´eel arbitraire. Posons, pour 1

≤

i

≤

j

≤

d

,

y

ij

(

c

) =

Îą

i

+

Îą

j

+

cÎą

i

Îą

j

.

Formons le polynˆome

Q

c

(X) =

Y

1

≤

i

≤

j

≤

d

(X

−

y

ij

(

c

))

.

Si l’on d´eveloppe Q

c

, ses coefficients s’exprimment comme des fonctions sy-

m´etriques `a coefficients r´eels (le nombre

c

∈

R

apparait) des racines

Îą

i

de P.

Le polynˆome Q

c

est donc en fait un polynˆome

r´eel.

Mais en plus son degr´e

vaut

deg(Q

c

) =

1
2

d

(

d

+ 1) = 2

n

−

1

q

(

d

+ 1)

,

et donc

v

2

(deg(Q

c

)) =

n

−

1. Il est donc redevable de l’hypoth`ese de r´ecur-

rence, et admet donc au moins une racine

complexe :

il existe

i

(

c

)

, j

(

c

) tels

que

y

i

(

c

)

j

(

c

)

(

c

) =

Îą

i

(

c

)

+

Îą

j

(

c

)

+

cÎą

i

(

c

)

j

(

c

)

∈

C

. L’ensemble des valeurs possibles

pour

i

(

c

)

, j

(

c

) est fini, alors que l’ensemble des

c

∈

R

est lui infini. On en

d´eduit donc qu’il existe

c

6

=

c

′

tels que

i

(

c

) =

i

(

c

′

) =

i

et

j

(

c

) =

j

(

c

′

) =

j

. On

obtient alors

Îą

i

+

Îą

j

+

cÎą

i

Îą

j

∈

C

et

Îą

i

+

Îą

j

+

c

′

Îą

i

Îą

j

∈

C

,

soit finalement

Îą

i

+

Îą

j

∈

C

et

Îą

i

Îą

j

∈

C

.

Les deux nombres complexes

Îą

i

, Îą

j

sont les racines d’un polynˆome complexe

de degr´e 2, ils sont donc dans

C

. Nous avons ainsi montr´e que P admet au

moins une (et mˆeme deux !) racine complexe, ce qui ach`eve la d´emonstration
du th´eor`eme fondamental.

6

Une preuve utilisant l’analyse complexe

L’analyse complexe en une variable comporte une foule d’´enonc´es qui permettent

de montrer facilement le th´eor`eme fondamental : principe du maximum, th´eor`eme
de Rouch´e, principe de l’argument, in´egalit´es de Cauchy. Nous allons donner celle
utilisant le th´eor`eme de Liouville. Rappelons qu’une fonction

f

:

C

−→

C

est dite

enti`ere si elle est holomorphe sur

C

en entier. Le th´eor`eme de Liouville s’´enonce

ainsi :

10

background image

Th´

eor`

eme 6.1.

—

Une fonction enti`ere born´ee est n´ecessairement constante.

Tout polynˆome P

∈

C

[X] d´efinit une fonction enti`ere. Soit P un tel polynˆome, et

supposons que P ne s’annule en aucun point de

C

. Alors

f

(

z

) = 1

/

P(

z

) d´efinit une

fonction enti`ere. Or, quand

z

tend vers l’infini,

|

P(

z

)

|

admet une limite non-nulle

(´eventuellement +

∞

), et donc

f

est une fonction born´ee sur

C

. D’apr`es le th´eor`eme

de Liouville, elle est constante, et donc P est constant : si P ne s’annule pas, il est
constant, ce qui d´emontre le th´eor`eme fondamental.

7

Preuve utilisant la topologie du plan

Rappelons que si

Îł

est un arc ferm´e continu du plan, et

z

0

∈

C

n’est pas sur

l’image de

Îł

, alors on peut d´efinir l’indice de

Îł

par rapport au point

z

0

, not´e Ind

Îł

(

z

0

),

en comptant le

ÂŤ

nombre de tours

Âť

que fait l’arc

Îł

autour de

z

0

quand on le parcourt

(

voir

le cours d’analyse complexe de licence, ou le cours de topologie alg´ebrique

de maˆıtrise). Cet indice d´epend continˆ

ument de l’arc

Îł

pour la topologie de la

convergence uniforme. Ainsi, si l’on d´eforme continˆ

ument

Îł

(on fait une homotopie)

en une famille d’arcs ferm´es ne passant pas par

z

0

, l’indice, qui est un nombre entier,

reste constant. Soit maintenant P un polynˆome `a coefficients dans

C

, et posons, pour

tout

r

≥

0,

C

r

= P(

∂

D(0

, r

))

.

´

Ecrivons P sous la forme

P(

z

) =

a

d

z

d

+

. . .

+

a

1

z

+

a

0

.

Si

|

z

|

est suffisament grand, P(

z

)

≈

a

d

z

d

, et donc

C

r

, pour

r

assez grand, est une

courbe telle que

– 0

/

∈ C

r

, et

– Ind

C

r

(0) =

d

.

Maintenant, si

a

0

= 0, on a P(0) = 0 et donc P admet une racine complexe. Suppo-

sons donc P(0) =

a

0

6

= 0. Cel`a entraˆıne que Ind

C

0

(0) = 0. Si, pour tout

r

∈

[0

,

+

∞

[,

on a 0

/

∈ C

r

, la continuit´e de l’indice implique que

d

= Ind

C

0

(0) = Ind

C

r

(0) =

d

pour

r

assez grand. Ainsi P est de degr´e 0, donc constant. Ainsi, si P est non-constant, il

existe un rayon

r

, et un

z

, avec

|

z

|

=

r

, tel que P(

z

) = 0. Cel`a d´emontre le th´eor`eme

fondamental.

11