La
morphologie dentaire
Les dents présentent des mélanges de caractères archaïques
et dautres plus modernes. Elles sont en général de
taille modeste, bien inférieure à celle des Australopithèques,
mais plus proche de celles des chimpanzés et des hommes. Bien que
certains caractères semblent rapprocher Orrorin des grands
singes (épaulement distal de la couronne de la canine supérieure
bas, P4 avec deux racines décalées, morphologie des canines
qui toutefois sont réduites en taille par rapport à celles
des grands singes), ces derniers sont hérités des ancêtres
du Miocène, en effet ces mêmes caractères sont présents
chez les Kenyapithèques et les Proconsul, notamment. Les
dents de Kapsomin sisolent des grands singes par labsence
de forte crénulation aux molaires, un épaulement de la couronne
de la canine inférieure situé à mi-hauteur de la
couronne, face linguale des molaires verticale et symphyse mandibulaire
verticale et un émail épaissi aux molaires. Enfin, parmi
les caractères typiques dhominidés, on peut noter
labsence de diastème à la mâchoire inférieure
et la présence dun tubercule distal à la canine inférieure.
La
locomotion
Létude des os longs dOrrorin suggère
que ces derniers étaient bipèdes. Cest lanalyse
du fémur qui donne les meilleurs arguments: elle montre une combinaison
de caractères plésiomorphes dhominoïdes et dérivés
dhominidés, mais pas de caractères dérivés
de grand singe. Ainsi, la fosse trochantérienne nest pas
profonde, à la différence des chimpanzés. Los
est platymérique et la position de la ligne spirale rappellent
la morphologie observée chez les grands singes actuels et fossiles,
mais aussi chez les Australopithèques et lhomme. Ils apparaissent
donc primitifs. La projection médiale du petit trochanter se trouve
chez de nombreux hominoïdes miocènes comme Ugandapithecus,
Proconsul ou Kenyapithecus africanus. Sa morphologie identique
chez lhomme actuel est aussi probablement un caractère archaïque.
Les Australopithèques pour ce trait savère être
dérivés : le petit trochanter se projette postérieurement.
Plusieurs caractères identifiables chez Orrorin sont communs
aux Australopithèques et à lhomme : présence
dune gouttière du m. obturator externus, une encoche
supérieure peu profonde, une tubérosité glutéale
bien marquée, un col allongé et comprimé antéro-postérieurement
et une distribution asymétrique de los cortical dans le col
(le cortex apparaît plus fin à la partie supérieure
et plus épais à la partie inférieure, alors que chez
les grands singes, le cortex est épais dans toutes les directions.
Enfin, la tête fémorale est plus grande proportionnellement
que le col, et est tordue vers lavant; ces morphologies rappellent
plus nettement celles de lhomme. Chez les Australopithèques,
le diamètre de la tête fémorale est seulement un peu
plus grand que celui du col et la tête est orientée médialement
à postérieurement. Il ressort de toutes ces données
que non seulement la bipédie dOrrorin est effective,
mais aussi quelle diffère de celle des Australopithèques,
tout en se rapprochant de celle de lhomme. Les autres restes postcrâniens
suggèrent des adaptations arboricoles comme le grimper : morphologie
de lhumérus aplati, courbure et longueur de la phalange proximale.
Paléoenvironnement
Les sédiments qui ont livré Orrorin et les fossiles
qui étaient associés à ce dernier montrent que le
paysage était boisé avec des concentrations darbres
près dun lac. La faune était dominée par les
colobes et les impalas et on a signale le chevrotain deau. A Kapsomin,
les fossiles ont été récoltés au pied dune
falaise basse de basalte. Le bassin du paléolac Lukeino était
limité par des collines de faible altitude et son centre était
occupé par un lac entouré de basses plaines dinondation.
La région était bien boisée et recouverte de forêt
claire comme le suggèrent les plantes fossiles et la composition
de la faune. On y trouvait également des étendues herbeuses.
Taphonomie
Les trois fémurs ont tous été endommagés au
même endroit - le grand trochanter (insertion des muscles fessiers)
a été grignoté, probablement pour séparer
la jambe du bassin. Un des spécimens présente 3 dépressions
ovales dans los causées par les canines dun prédateur.
La plupart des restes fauniques associés aux hominidés appartiennent
à des mammifères de taille moyenne comme les impalas ou
les colobes. La concentration de fossiles suggère quun félin
de type léopard a été responsable de laccumulation
à Kapsomin. Certains spécimens sont tombés dans une
eau qui était légèrement alcaline, comme lindique
la fine pellicule de calcite algaire qui recouvre les os. Dautres
sont restés exposés au soleil et sont très craquelés.
Phylogénie
Les os dOrrorin sont une fois et demi plus grands que ceux
de lAustralopithèque éthiopienne, Lucy, mais ses molaires
sont plus petites. Ceci suggère que ses dents broyeuses étaient
petites par rapport à sa taille corporelle (microdontie) à
la différence de celles des Australopithèques dont les dents
broyeuses étaient énormes et les corps petits (mégadontie).
Les hommes plio-pléistocènes et modernes sont microdontes
et la présence de ce même caractère chez un hominidé
de 6 Ma suggère quil était déjà présent
avant 6 Ma. En fait, de nombreux grands singes africains du Miocène
inférieur et moyen (20 à 12 Ma) sont plus ou moins microdontes;
on peut donc penser que cette adaptation est la condition primitive chez
les grands singes, et quelle a été conservée
chez les Hominidés. La microdontie indique un régime riche
peut-être frugivore ou même omnivore. La mégadontie,
en revanche, semble sécarter de la frugivorie et de lomnivorie
pour sorienter vers un régime plus végétarien.
Cest plus probablement une adaptation très évoluée
qui permet de différencier les Australopithèques du reste
des hominidés et conforte lidée que les Australopithèques
ne se placent pas en ligne directe dans notre ascendance, comme le pensent
généralement les paléoanthropologues.
Nous considérons maintenant que la divergence entre hominidés
bipèdes et grands singes africains est située avant 6 Ma,
et probablement entre 9 et 8 Ma, juste après que Samburupithecus
a habité les savanes dAfrique orientale il y a 9,5 Ma. Cette
découverte suggère également que la séparation
entre la lignée des Australopithèques et celle de lhomme
sest passée bien plus anciennement quon ne le pensait,
probablement vers 8 à 7 Ma, période qui a connu un changement
important dans les communautés mammaliennes africaines.
Importance des découvertes
Orrorin possède un mélange de caractères humains
et simiesques. Il est toutefois plus humain que les Australopithèques
éthiopiens comme Lucy, bien que 3 millions dannées
plus vieux que cette dernière. Une telle découverte nous
oblige à revoir les scénarios sur les origines de lhomme
et suggèrent que les Australopithèques ne sont pas nos ancêtres
directs, mais représentent une branche latérale de notre
arbre généalogique.
Au moment de sa découverte, Orrorin était le premier
hominidé découvert antérieur à 5 millions
dannées et il suggérait que la dichotomie entre les
grand singes et lhomme devait être bien plus ancienne que
6 millions dannées.