Remise de décorations par Frédéric Mitterrand à Stéphane Martin, Gérard Devos, Catherine d'Argoubet, Sarah Maldoror, Gérard Jourd'hui et Alain Guillon Discours
Le Jeudi 03 Mars 2011

Remise de décorations par Frédéric Mitterrand à Stéphane Martin, Gérard Devos, Catherine d'Argoubet, Sarah Maldoror, Gérard Jourd'hui et Alain Guillon

Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la
Communication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise
des insignes d'officier dans l'ordre de Légion d'honneur à Stéphane
Martin, de chevalier dans l'ordre de Légion d'honneur à Gérard Devos,
d'officier dans l'ordre national du Mérite à Catherine d'Argoubet, de
chevalier dans l'ordre national du Mérite à Sarah Maldoror, d'officier
dans l'ordre des Arts et des Lettres à Gérard Jourd'hui et à Alain
Guillon

Cher Stéphane Martin,
C’est avec un immense plaisir que je partage aujourd’hui avec vous ce qui
est sans nul doute un moment de grande fierté, à la fois pour vous, pour
l’ensemble du musée du Quai Branly dont vous êtes le Président, mais
aussi pour le ministère de la Culture, qui a la chance de pouvoir s’appuyer
sur votre engagement pour la cause du dialogue interculturel. Cette
dernière, en effet, ne prend sens que si elle parvient à dépasser le seuil
des seules bonnes volontés pour s’ancrer dans les institutions et dans les
pratiques.

La Rue de Valois vous est bien familière, puisque vous y avez travaillé aux
côtés de mon prédécesseur, Philippe Douste-Blazy, il y a quinze ans. Votre
attachement personnel au service de la Culture a déjà une longue histoire.
Car si l’on remonte le fil de votre carrière, on voit qu’avant de prendre vos
fonctions de directeur de cabinet ici-même, vous êtes passé par les
institutions culturelles françaises les plus prestigieuses. Dès 1989, vous
êtes nommé délégué général du Centre Pompidou. La créativité, la
diversité et l’originalité qui caractérisent ce lieu unique dans le paysage
culturel sont alors à la source de tous vos projets. Grâce à votre
polyvalence reconnue, vous passez du musée à la radio, en intégrant en
1990 la grande Maison de Radio France comme directeur-adjoint auprès
de Claude Samuel, puis en devenant directeur de la musique et de la
danse entre 1993 et 1995.

Les deux années que vous passez rue de Valois sont alors un tournant
dans votre vie professionnelle, car elles vous amènent à repenser
entièrement la place des arts premiers dans le paysage muséographique
français. Dès la fin de l’année 1995, vous vous attachez à mettre en
oeuvre un projet qui, tout en répondant à une ambition chère au Président
de la République Jacques Chirac, correspond aussi chez vous à une
passion personnelle. Vous partagez notamment un attachement particulier
pour l’Afrique avec Jacques Kerchache. Quel meilleur apprentissage
qu’une expérience de travail en commun avec un collectionneur qui a fait
du voyage un sacerdoce, et qui a fait sien le souci de la rencontre des
cultures ? Ce spécialiste des arts dits « primitifs », auteur d’un inventaire
critique de près de 10 000 pièces, en introduisant le vocable « arts
premiers », a en effet inspiré un processus essentiel : une requalification
complète de l’importance à la fois ethnologique et artistique des oeuvres
issues des civilisations non-occidentales.

En 1998, l’établissement public du Quai Branly est créé. La confiance du
Président de la République et votre rôle dans la construction du projet font
de votre nomination, comme président-directeur général de cette
institution, une évidence. Trois ans après le lancement de son chantier, le
Musée du Quai Branly ouvre ses portes et offre au public en février 2006,
grâce au regard audacieux de Jean Nouvel, une déambulation colorée
dans un espace cubiste envahi par la forêt, que vous aimez décrire comme
« une immense cabane ». On parle aujourd’hui du Quai Branly comme on
parle du Louvre, d’Orsay ou du Centre Pompidou, parce que son
enveloppe architecturale et les trésors qu’elle contient constituent d’ores et
déjà des repères cardinaux, en France comme à l’étranger. En cinq ans
seulement, la légitimité du musée s’est très vite imposée, grâce à votre
dynamisme et celui de vos équipes, qui forcent l’admiration. Vous êtes le
visage de cette réussite, et votre reconduction récente à la tête du musée
est venue en témoigner.

Cher Stéphane Martin, vous couronnez par là un attachement et un
engagement pour les arts premiers qui remonte sans doute à une enfance
marquée par des voyages réguliers au Gabon. Ces voyages vous ont
amené à construire un imaginaire propre, où le décentrement du regard
occupe une place majeure. Après votre baccalauréat, vous prenez la route,
aux côtés de votre père, de Paris à Abidjan. Plus tard, après un service
militaire dans les Îles Marquises et des études brillantes à l’Ecole nationale
d’administration, même quand vous vous spécialisez dans le domaine
budgétaire et financier, vous ne perdez pas de vue l’Afrique, puisque vous
passez trois ans à Dakar, de 1986 à 1989, comme président de la
commission de vérification des comptes et de contrôle des établissements
publics sénégalais.

Aujourd’hui, cette passion est toujours présente dans la programmation du
Musée du Quai Branly, mais aussi dans son développement au-delà de
ses murs. J’aimerais insister, parce qu’il me tient particulièrement à coeur,
sur votre soutien aux institutions muséales africaines. Le Quai Branly a
participé dès ses premiers mois d’existence à la construction du musée de
la culture Konso en Ethiopie, auquel vous avez apporté un expertise
scientifique et technique, afin de contribuer à sa valorisation et à sa
préservation face notamment à la prédation de collectionneurs peu
regardants. Je reconnais là votre sens du partage et de la transmission du
savoir-faire, qui vous a aussi conduit à gérer, avec l’Ecole du patrimoine
africain de Porto-Novo, au Bénin, une aide à la mise en place de
programmes de formation des futurs conservateurs africains, ou à
consentir au prêt d’objets issus du trésor de Behanzin à la Fondation
Zinsou, à Cotonou.

C’est aussi le fruit de votre engagement pour une réappropriation de la
mémoire qui passe par la valorisation des rites sur les sites où ils sont
pratiqués. Cette perspective est complémentaire de la présentation
proposée par le Musée du Quai Branly de cultures non-européennes à un
public européen, dans le respect de leur expression, en refusant que leur
soient appliqués des systèmes de pensée propres à la culture occidentale.
Au sein de ce musée, vous avez repris l’acquis du Musée de l’Homme,
mais en choisissant une approche à la fois anthropologique et historique,
plutôt que strictement muséale, des civilisations.
Le Quai Branly est bien plus qu’un musée de collections ethnologiques. Il
offre une approche pluridisciplinaire, où l’anthropologie et la sociologie,
l’histoire, la musicologie et la linguistique trouvent toute leur place, aux
côtés de ce que le cinéma, le théâtre et la danse peuvent aussi leur
apporter. Pour vous, le musée se pense et se développe comme une
« plate-forme d’échanges » et un « forum social ». Il instaure un dialogue
entre les disciplines et les époques, entre les peuples et leurs expressions.
Au coeur de cette cité, l’amphithéâtre Claude Lévi-Strauss accueille une
programmation qui permet de faire rayonner, dans l’ensemble de l’espace
du Quai Branly, l’expérience vivante des altérités.

Le Quai Branly, c’est aussi la qualité scientifique de ses activités de
recherche et de pédagogie. Son amphithéâtre, ses salles de cours et de
séminaires permettent l’existence d’une Université populaire gratuite qui
participe activement à l’attraction de nouveaux publics vers le musée en
même temps qu’à l’évolution de notre regard sur les arts premiers. Des
programmes de recherche s’y développent grâce à une politique très
active de partenariats avec les universités américaines, japonaises ou
encore brésiliennes. Vous avez su tisser un réseau de recherche
international qui s’enrichit chaque jour de nouvelles collaborations
professionnelles, et qui permet l’épanouissement d’une interdisciplinarité
bénéfique.

Cher Stéphane Martin, la force de votre établissement réside également
dans la qualité remarquable de vos expositions temporaires. Certaines ont
connu un immense succès et demeurent dans les mémoires. On se
souvient encore de « Planète Métisse », « Le siècle du Jazz », de
« Tarzan » ou encore de la « Fabrique des images ». Avec « L’Orient des
Femmes », vous avez sollicité Hana Chidiac et Christian Lacroix pour
redécouvrir l’histoire de l’art vestimentaire des femmes du Moyen-Orient.
Avec « Dogon », vous inaugurerez bientôt la plus grande manifestation
jamais réalisée sur un peuple dont la culture a rayonné, entre autres par
l’entremise de Marcel Griaule et de Jean Rouch, bien au-delà des
frontières du Mali.

Cher Stéphane Martin, vous nous offrez les regards du monde pour nous
aider à changer notre regard sur le monde. Au nom du président de la
République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Officier dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Cher Gérard Devos,
Né d’un père violoniste et d’un mère harpiste, le sort vous destinait à la
musique. Mais le talent et la réussite avec lesquels vous avez accompli ce
destin, vous ne les devez qu’à vous-même. Votre réussite commence dès
vos études au conservatoire national supérieur de musique de Paris, où
vous suivez les cours de professeurs prestigieux, comme Tony Aubin,
Marcel Tournier et Olivier Messiaen, et où vous recevez de nombreux
premiers prix : de harpe, d’harmonie, de fugue et de contrepoint. S’ajoutent
à cela un second prix de composition et un premier prix de harpe au
concours international de Prague. Ces distinctions ne font pas que signaler
votre excellence, elles marquent aussi la diversité de vos compétences.
Toute votre vie, vous n’aurez en effet de cesse de mener de front plusieurs
carrières : chef d’orchestre, harpiste, professeur, compositeur. Je tiens à
saluer cette rare diversité qui témoigne de votre amour immodéré pour la
musique.

En vous adonnant d’abord à la harpe seule, vous vous inscrivez dans une
grande tradition française dont témoignent le célèbre concerto de
Boieldieu et les doigts enchantés de Lily Laskine. Comme harpiste, vous
intégrez successivement l’orchestre de la Garde Républicaine et
l’Orchestre Pasdeloup. Mais votre passion pour la harpe n’est pas
seulement celle d’un interprète, c’est aussi celle d’un remarquable
pédagogue. Soucieux de transmettre votre art aux jeunes générations,
vous dirigez la classe de harpe au CNSM de Paris pendant plus de trente
ans, où vous avez toujours été très apprécié de vos élèves – ceux que,
dans le métier, on appelle les « petits Devos ». Cependant, vous vous
intéressez à d’autres instruments et, par votre participation au jury de
prestigieux concours, vous en récompensez les meilleurs talents.

Cher Gérard Devos, c’est en fait davantage comme chef d’orchestre que le
grand public vous connaît. Votre brillante carrière de chef a pourtant
commencé un peu par hasard, grâce aux encouragements de votre
entourage professionnel. Au concours international de direction d’orchestre
de Besançon en 1956, vous remportez le premier prix sans avoir jamais
étudié la direction d’orchestre, preuve extraordinaire de votre maîtrise et de
votre polyvalence. Déterminé par ce succès, vous dirigez plusieurs
représentations lyriques au théâtre de Rouen, avant de prendre la viceprésidence,
puis la présidence de l’Orchestre Pasdeloup, que vous
conserverez pendant vingt ans. J’aime à rappeler le rôle de cet orchestre
et donc le vôtre dans la démocratisation du plaisir musical et dans la
promotion des concerts populaires. Leur 150e anniversaire sera fêté en
novembre prochain au cirque d’Hiver, berceau de leur naissance, à
l’initiative de Jules Pasdeloup, en 1861, mais aussi de leur renaissance en
1918 grâce au mécénat de Serge Sandberg, le producteur de Sacha
Guitry.

Parallèlement, en tant que chef d’orchestre invité, vous participez à la vie
artistique en région, ainsi qu’au rayonnement du savoir-faire culturel
français à l’étranger, dans toute l’Europe, mais aussi en Amérique et au
Japon.

Cher Gérard Devos, vous êtes l’un des derniers chefs français à avoir
dirigé un orchestre parisien, et vous avez beaucoup défendu la musique
française, à travers des oeuvres du répertoire comme à travers les
compositions contemporaines, de Debussy à Messiaen, de Berlioz à
Milhaud. Auteur vous-même de quelques oeuvres pour diverses
formations, de l’orchestre symphonique à la musique de chambre, vous
avez créé des oeuvres de compositeurs français comme Henri Sauguet ou
Henri Tomasi. Car la musique, cher Gérard Devos, est pour vous le
partage d’une passion commune : votre épouse, pianiste émérite, a été la
première a vous accompagner lors de vos tournées à l’étranger, en tant
que pianiste soliste.

Cher Gérard Devos, sans l’interprétation, la musique reste virtuelle,
silencieuse, car les partitions sont muettes. Elles sont ces « musiciennes
du silence » dont parle Stéphane Mallarmé. L’interprète de talent que vous
êtes les fait parler, nous fait vivre la musique et nous la fait aimer. Au nom
du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont
conférés, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Chère Catherine d’Argoubet,
C’est la deuxième fois que vous êtes conviée dans les salons du ministère
de la Culture et de la Communication à recevoir les distinctions
honorifiques dont votre passion, votre engagement dans toute la région
Midi-Pyrénées, et enfin votre inventivité sont seuls responsables. A l’instar
de mon prédécesseur Renaud Donnedieu de Vabres, je souhaite en vous
accueillant aujourd’hui, saluer la détermination et l’audace de vos actions
en faveur du rayonnement de la musique classique auprès de tous les
publics, régionaux et internationaux.

Vous êtes une des personnalités qui a participé à la valorisation du
rayonnement international de la région toulousaine et qui a oeuvré, aux
côtés de Paul-Arnaud Péjouan-Cassanelli, pour faire du premier festival
français de piano à Toulouse, Piano aux Jacobins, un moment
emblématique pour des générations d’interprètes et de spectateurs, un
rendez-vous incontournable, où la fidélité des artistes a su, au fil des ans,
faire naître un véritable « esprit de famille ».

La passion de Piano aux Jacobins pour le clavier est aussi une passion de
la découverte de nouveaux talents tels que Ramin Bahrami ou Martin
Helmchen qui ont fait leur première apparition au Festival il y a deux ans.
Au-delà de la prestigieuse suite de grands pianistes qui se sont succédés
dans l’enceinte du Cloître des Jacobins, parmi lesquels Horzowski, Cziffra,
Ciccolini, Lugansky ou encore Anne-Marie McDermott, vous avez toujours
cherché à ouvrir votre programmation à la diversité des genres et à des
pianistes de jazz. Je pense en particulier à Franck Avitabile, Jacky
Terrasson et Lorraine Desmarais. Le succès de votre festival est tel que
depuis décembre 2005, il s’exporte à Pékin, Paris et plus récemment à
Shanghaï où vos compétences furent sollicitées par l’Union Européenne
pour organiser de nombreux concerts à l’occasion de l’Exposition
Universelle.

Le festival Piano aux Jacobins est également le lieu de rencontre entre
différentes expressions artistiques. La musique, l’architecture et les arts
plastiques s’invitent au gré des automnes dans un dialogue des arts intitulé
« Tableaux-Concerts », où tour à tour, Paul Andreu, Marc
Desgrandchamps, Karol Beffa, Simon Zaoui, font planer dans un ciel
ouvert les correspondances baudelairiennes.

En 1985 vous lancez la série Grands interprètes dont la qualité n’a d’égale
que l’ambition de sensibilisation et de partage. Préoccupée par la diversité
de la programmation et par l’objectif d’élargir le public de mélomanes, votre
association Grands Interprètes, travaille en collaboration avec le service
des actions éducatives de la Région et le Conseil régional des jeunes.
Ainsi, chaque saison, dans le souci de faire dialoguer les générations et de
provoquer de nouvelles vocations, plusieurs répétitions sont ouvertes aux
lycéens. Il en va de même pour rencontres avec les artistes. En janvier
2010, par exemple, des lycéens ont pu approcher le monde musical
auprès du chef d’orchestre hongrois Ivan Fischer. Je n’oublie pas que
parallèlement aux multiples responsabilités artistiques et culturelles que
vous assumez depuis 1980, vous avez été directrice de la communication
de l’orchestre national de chambre de Toulouse, entre 1990 et 1995.

Chère Catherine d’Argoubet, votre passion et votre enthousiasme ont porté
leurs fruits. Depuis plus de trente ans vous avez offert aux citoyens
et mélomanes de très grands moments de bonheur, je veux pour cela vous
exprimer ma reconnaissance. Au nom du Président de la République, nous
vous faisons Officier dans l’ordre national du Mérite.

Chère Sarah Maldoror,
Baudelaire, qui, dans Mon coeur mis à nu écrivait : « Il n’y a de grand parmi
les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante,
l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour
le fouet ». Si vous dites ne pas savoir écrire vous-même, votre oeuvre
cinématographique a pourtant fait connaître comme aucune autre, à
travers les mots des autres et leur poésie, les idées qui ont porté la lutte
pour les indépendances africaines, et les grandes voix de la réalité
postcoloniale et de la diversité.

Dans l’univers du cinéma noir antillais et africain, vous êtes l’une des
seules cinéastes qui soit parvenue avec autant de force et de caractère à
porter à l’écran les voix des persécutés et des insoumis. Pour vous, la
lutte, le cinéma et la libération constituent autant de points cardinaux de
l’Afrique d’aujourd’hui. Vous inscrivez ainsi la création cinématographique,
et plus largement culturelle, dans une démarche militante qui dénonce
pour toujours les colonialismes. Je vous cite, si vous le permettez : « Pour
beaucoup de cinéastes africains, le cinéma était un outil de la révolution,
une éducation politique pour transformer les consciences. Il s’inscrivait
dans l’émergence d’un cinéma du Tiers Monde cherchant à décoloniser la
pensée pour favoriser des changements radicaux dans la société ».

Vous auriez voulu être tragédienne. Après quelques essais au théâtre,
vous participez à la création en 1956 de la première troupe noire à Paris,
« Les Griots », puis partez à Moscou dans le début des années 60 pour
apprendre le métier de cinéaste sous la direction de Gherassimov et
Donskoï au studio Gorki, où vous rencontrez le grand Ousmane Sembène,
qui nous a quitté il y a 4 ans déjà. Votre premier documentaire en 1968,
Monagambé, inspiré par le scénario de l’écrivain angolais Luandino Vieira,
alors emprisonné par le pouvoir colonial portugais, raconte l’histoire d’un
Angolais en prison et traite de la torture en Algérie. Votre coup de maître
se voit décerner plusieurs prix, dont celui de meilleur réalisateur, par le
Festival de Carthage. Dans Sambizanga, que vous tournez avec des
acteurs non professionnels affiliés au Mouvement de Libération du Peuple
Angolais et au Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap
Vert, vous faites un portrait sans retouche de la résistance angolaise, dont
les réalités vous ont été plus que familières, vous qui avez été l’épouse de
Mário de Andrade. Ce film, vivement récompensé, assoit votre réputation
d’artiste engagée.

Vous privilégiez alors le format du documentaire car il vous permet de
définir au travers de portraits d’artistes, de portraits de précurseurs - je
pense en particulier à Aimé Césaire, Le masque des mots, de 1987 -
l’horizon d’attente nécessaire à la réhabilitation de l’histoire noire et de ses
figures les plus marquantes. Parmi la trentaine de documentaires et films
que vous réalisez, plusieurs thèmes majeurs sont à retenir : les guerres
africaines contemporaines de libération, l’entrée des femmes dans la lutte.
Vous avez d’ailleurs fortement contribué à combler le déficit d’images de
femmes africaines tant derrière que devant la caméra. Vous mettez
également l’acuité de votre regard au service de la lutte contre les
intolérances et les stigmatisations de tous types, comme notamment dans
votre documentaire de 1984 Le racisme au quotidien. Vous accordez aussi
une importance fondamentale à la solidarité entre les opprimés, à la
répression politique, aux atrocités et exactions commises en temps de
paix. Enfin, vous célébrez l’engagement de l’artiste et l’art comme acte de
liberté, avec des portraits de Léon Gontran Damas, de Louis Aragon, ou
encore de Toto Bissainthe.

Chère Sarah Maldoror, vous êtes une révoltée au franc-parler, une
combattante des injustices, une humaniste résolue. Tout au long de votre
carrière vous n’avez eu de cesse de fustiger, d’informer et de montrer les
réalités les plus dures à l’objectif de votre caméra à la fois réaliste et
poétique. Votre regard sur la mémoire de l’esclavage et du fait colonial a
pour nous tous une valeur unique. Au nom du Président de la République,
nous vous faisons Chevalier dans l’ordre national du Mérite.

Cher Gérard Jourd’hui,
Si je vous ai invité aujourd’hui dans les salons du ministère de la Culture et
de la Communication, c’est que je tiens particulièrement à saluer
l’indéniable renouvellement que vous avez opéré ces dernières décennies
au sein de la télévision française. Vous êtes véritablement un homme
orchestre qui a oeuvré depuis les années 80 en faveur d’une diversification
de la programmation et d’un accès plus large à un cinéma de qualité sur
les grandes chaînes nationales.

Cinéphile averti, vous avez consacré votre vie à vous démarquer d’une
uniformité générale en créant des émissions, en produisant des films, en
participant à un cinéma populaire, où se mêlait pour le plus grand bonheur
des téléspectateurs, la découverte des classiques américains, les
plongées dans les époques les plus florissantes de la musique rock, les
feuilletons, et les adaptions des classiques de la BD. Je pense à « Adèle
Blanc Sec », projet qui voit le jour avec votre société privée Blue Dalhia.
Tour à tour acteur, producteur, réalisateur, scénariste, journaliste, avec
l’ambition forte de dynamiser et de toucher un public de tous âges par des
programmes modernes adaptés aux demandes des téléspectateurs, votre
carrière a décollé en 1981 avec la création de l’émission culte « La
dernière séance » présentée par votre ami et complice Eddy Mitchell. Si
l’émission est restée à l’antenne pendant une quinzaine d’années, c’est
qu’elle a donné à l’ensemble des Français la possibilité de découvrir des
films incontournables du répertoire, du western au film noir, qui n’étaient
alors réservés qu’au rare public des cinémathèques parisiennes.

De 1985 à 1988 Dominique Bigle vous confie l’émission « Le Disney
Channel » sur FR3, destinée à la jeunesse et qui diffusait les aventures de
Zorro, de Davy Crockett, mais aussi des cartoons américains. En 1985
cette émission est récompensée par le 7 d’or de la meilleure émission pour
la jeunesse.
Vous êtes ensuite sollicité par votre ami Patrice Blanc Francart pour
assurer la direction sur TV6 de la programmation « cinéma » d’une part, et
d’autre part pour mener à bien une émission sur ces « Sixties » qui vous
ont façonné. La chaîne gardera de votre passage une ouverture
remarquable aux genres et cinémas étrangers, je pense aux séries
américaines de l’âge d’or des années 50/60 comme « Les envahisseurs »,
« La Grande Vallée » ou encore « Au coeur des temps » ; mais aussi aux
thrillers, aux comédies musicales, aux films de sabres hong-kongais, aux
péplums italiens et à la science fiction qui permettait selon vous d’utiliser
l’outil télévision pour favoriser l'innovation technologique à destination des
nouvelles générations.

C’est sur la Cinq qu’en 1987 vous créez le programme de l’après-midi
« Vive la Télé » réunissant plusieurs séries américaines ou françaises dont
notamment « Max la menace », la célèbre série américaine d’espionnage
humoristique, « une combinaison folle de James Bond et de mes
comédies » comme la définissait son créateur Mel Brooks, ou encore, la
série culte française, « Les Saintes chéries », avec Micheline Presle qui
mettait en scène avec humour les mésaventures d’un couple de français
modestes dans les années 60.
Votre amour du cinéma indépendant vous pousse à fonder avec votre ami
Eddy Mitchell une société de production qui peut se vanter d’avoir vu naître
les films de cinéastes tels que Richard Berry, Laurent Heynemann,
Philippe Garrel, Ronan Girre, Jacques Weber, Anne-Marie Etienne pour
n’en citer que quelques uns.

Dans un souci permanent de divertissement et d’éducation, vous avez
concentré votre énergie à rendre accessible des chefs-d’oeuvre du
répertoire classique : Molière, Simenon et Maupassant sont devenus, sous
votre impulsion, aussi populaires que « Salut les copains ». Vous êtes un
« enfant du rock », un « enfant de la télé », mais aussi un enfant du XXe
siècle, qui a baigné dans l'univers de l'image et qui a transmis et légué un
patrimoine à travers cette « étrange lucarne » aux ressources
inépuisables.

Cher Gérard Jourd’hui, grâce à votre audace, à vos compétences et votre
inventivité sans cesse renouvelée, vous avez marqué le paysage
audiovisuel français, et c’est une personnalité marquante de l’univers
audiovisuel et cinématographique que je tiens à saluer.
Au nom de la République française, nous vous faisons Officier dans l’ordre
des Arts et des Lettres.

Cher Alain Guillon,
« Une vraie rencontre, une rencontre décisive, c'est quelque chose qui
ressemble au destin » : ainsi s’exprime Tahar Ben Jelloun, ainsi pourrait
être résumé votre vie et votre parcours. Vous êtes en effet un orfèvre dans
le domaine du mécénat et de l’organisation d’événements culturels. Et
votre parcours remarquable a été jalonné de rencontres décisives et de
personnalités marquantes, au premier rang desquelles vos parents,
décédés dans des circonstances douloureuses, mais aussi votre frère,
dont vous êtes très proche, et auquel vous souhaitez dédier cette remise
d’insignes. Je sais toute l’attention et tout le prix que vous attachez pour
libérer son corps de la « prison de l’esprit » dans laquelle il se trouve
enfermé.

Dès vos débuts professionnels, vous marquez un intérêt prononcé pour le
spectacle vivant. Après un passage au théâtre des Champs Elysées, vous
devenez Secrétaire au théâtre de l’Odéon, alors dirigé par Madeleine
Renaud et Jean Louis Barrault, inoubliable Baptiste des Enfants du
Paradis, qui sut au même titre que Jean Vilar, porter la culture théâtrale au
coeur de la société, celui qui fut un interprète intense, immense mais aussi
un « éveilleur » pour de nombreux spectateurs.. Alors que les événements
de mai 68 font entrer ce lieu dans la tourmente de l’histoire, vous passez
quelques semaines avec eux, pour ainsi dire prisonniers du théâtre. Et
lorsque la compagnie Renaud-Barrault renaît de ses cendres, vous êtes
nommé administrateur du théâtre Récamier ; vous êtes alors le plus jeune
administrateur de théâtre de France.

Né au théâtre, vous trouvez sur les planches votre vocation : ce sera la vie
culturelle. Vous êtes devenu un homme du spectacle et rejoignez alors les
productions Sunny Music, qui produisent des Comédies musicales et qui
sont alors dirigées par Annie Fargue. C’est l’époque des seventies, des
mouvements de libération dont des comédies musicales comme Oh
Calcutta ou Godspell expriment les aspirations. Vous participez à ses
côtés à la transformation de l’Elysée Montmartre, jusqu’alors plus connue
pour accueillir des combats de catch ou de boxe, en salle de spectacles.

C’est la rencontre avec Pierre Cardin qui marque un tournant dans votre
carrière : vous rejoignez l’Espace Cardin comme Directeur des relations
publiques et des relations extérieures. Vous y faites vos premières armes
dans l’organisation de spectacles, d’expositions, de lancement de films :
c’est dans ce cadre que je fais votre connaissance, alors que j’étais
l’exploitant d’une salle de cinéma d’art et d’essai. De cette période
naissent ces « grandes amitiés » dont parle Jacques et Raïssa Maritain,
celles qui façonnent une vie, celles qui forgent un individu.

Violoniste de formation, mélomane averti, vous ne pouviez qu’être attiré
par le monde de la musique, celui qui vibre à l’ouverture du rideau de
scène, celui qui murmure à l’écoute du vibrato subtil d’une cantatrice. En
1975, vous intégrez le Bureau des concerts de Valmalète : vous
coordonnez et organisez les tournées d’artistes désirant se produire à
Paris. D’acteur culturel vous devenez agent d’artistes, dont vous préparez,
avec la précision que l’on vous connaît, les séjours. Vous tissez alors des
liens profonds et durables avec des artistes de renommée internationale.
Vous apprenez un métier, vous créez un réseau de confiance et d’amitié ;
fort de cette riche expérience, ayant beaucoup appris au contact de
madame de Valmalète, vous décidez de créer votre propre agence
artistique.

L’homme d’initiatives et de projets qui sommeille en vous devient ainsi
entrepreneur. De 1978 à 1985, avec le soutien de la famille Bruni-
Tedeschi, dont on connaît le lien intime avec la musique et la création
musical – et je tiens à saluer la présence de madame Marisa Bruni
Tedeschi parmi nous – vous créez votre propre bureau de concerts,
Mondial Musique, dont vous devenez le Président directeur général avec
Monique Perruchon comme associée. Des artistes prestigieux vous
rejoignent : Aldo Ciccolini, Jean-Pierre Wallez, Gabriel Tacchino, Erik
Berchot et tant d’autres. Vous courez le monde, vous sollicitez les plus
grands opéras et les salles prestigieuses pour valoriser les quelque 200
artistes dont vous êtes l’agent. Alors, « la musique vous prend comme une
mer » et vous emporte dans le tourbillon des concerts, des galas, des
soirées, avec une attention soutenue au bien être et à la qualité d’accueil
des artistes qui vous accordent leur confiance.

C’est fort de cette expérience d’entrepreneur, que vous mettez vos
compétences reconnues au service d’institutions publiques. Pendant plus
de 10 ans, vous êtes Secrétaire général puis administrateur général en
même temps que directeur du mécénat de l’Ensemble orchestral de Paris.
Vous vous attachez alors à renouveler l’image de l’Ensemble, à préparer
l’arrivée du nouveau directeur musical et à tisser des liens avec le
Ministère de la Culture et la Ville de Paris. Pendant plus de 14 ans, vous
contribuez au rayonnement de l’Ensemble orchestral, en mettant en place
une politique de mécénat exemplaire et une politique active
d’élargissement des publics. C’est à cette occasion que vous rencontrez
Jean-Jacques Aillagon, avec lequel vous collaborez dans le cadre de la
Mission interministérielle 2000 en France, dont il est alors le Président.

À cette occasion, en tant que directeur-adjoint du programme culturel, vous
exprimez pleinement vos qualités d’organisateur. Avec une équipe
pourtant réduite, vous étudiez 3000 dossiers et labellisez les
manifestations les plus remarquables. Vous assurez alors le succès de la
manifestation Les Portes de l’an 2000, lancée par le Ministère de la Culture
pour l’entrée dans le XXIe siècle. Vous devenez dès lors un de ses
nombreux talents de la rue de Valois, où vous apportez votre
connaissance des artistes et des enjeux du mécénat. Vous rejoignez le
château de Versailles, vous travaillez auprès de la présidente Christine
Albanel et vous fondez le Cercle des Amis du Centre de musique baroque
de Versailles, ce pôle de rayonnement et d’excellence qui a tant fait pour la
redécouverte du répertoire de la musique ancienne, cette institution dont
Philippe Beaussant a su incarner à la fois l’esprit et la lettre. Là encore,
vos talent d’organisateur et de « facilitateur » font merveille, avec le
soutien renouvelé de la famille Bruni-Tedeschi qui vous accompagne dans
cette belle aventure.

Poursuivant votre passion pour la musique, vous êtes aujourd’hui, à la
demande de Pierre Traversac, leur fondateur (1964), responsable de la
programmation artistique des Rendez-vous musicaux des Grandes Etapes
françaises. En associant un dîner à un concert dans le cadre prestigieux
d’un château-hôtel, elles témoignent de la nécessité toujours actuelle de
faire découvrir le patrimoine à travers la création et le spectacle vivant.
Depuis 1964, plus de 1300 concerts se sont tenus, dans tous les genres
musicaux et vous participez ainsi à inscrire dans la durée cette belle idée.

Cher Alain Guillon, pour l’attention profonde que vous portez aux artistes,
pour l’action généreuse que vous avez conduite dans les entreprises et les
institutions culturelles où vous avez exercé vos talents, pour votre rôle
dans le rayonnement international de très nombreux artistes français, au
nom de la République française, nous vous faisons Officier dans l’ordre
des Arts et Lettres.

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