Le Christ n'a jamais donné comme précepte à ses disciples de se retirer du monde et de prier pour assurer leur salut et celui de l'ensemble des fidèles, même s'il a conseillé de se séparer de ses richesses (Mt, 19, 21) et si l'apôtre Paul a prêché l'abstinence sexuelle (1 Co, 7). Très tôt, des chrétiens comme Jacques le Juste, frère de Jésus, un des principaux chefs de la première Eglise, mènent une vie faite d'austérité et de piété.
Cependant, le monachisme naît au IIIe siècle en Thébaïde. Cette région de la Haute-Egypte, dont la capitale est Thèbes, attire de nombreux chrétiens fuyant les persécutions. Ils se réfugient dans les déserts pour y mener une vie ascétique, tel saint Antoine, fondateur de l'érémitisme chrétien. Les premières règles sont données par les Pères d'Orient, Pacôme et Basile de Césarée. Martin, évêque de Tours, l'introduit en Gaule au IVe siècle. Après Augustin, Jean Cassien et Césaire d'Arles, et surtout le « Maître », qui reste inconnu, Benoît de Norcia (et non plus de Nursie) fait figure de patriarche des moines d'Occident. Né à Norcia, ville épiscopale d'Ombrie, il fonde vers 529 l'abbaye du Mont-Cassin, au sud de Rome. Là, il rédige, entre 534 et 547, la règle qui aura le plus de succès en Occident, ce qui le fait choisir par l'Eglise catholique romaine comme le saint patron de l'Europe. Celui qui veut faire partie de la communauté bénédictine doit prononcer les trois voeux de stabilité, d'obéissance à la règle et à l'abbé - le père qui tient la place du Christ dans le monastère - et de conversion des moeurs (chasteté et pauvreté). L'abbé est élu à vie et à l'unanimité par les moines. Ceux-ci ne sont qu'exceptionnellement prêtres, n'ayant pas reçu les sacrements - ils ne peuvent donc ni célébrer la messe ni confesser.
Le pape Grégoire le Grand (590-604) diffuse le modèle bénédictin en le tournant vers l'évangélisation et l'encadrement des fidèles. Les moines doivent alors être prêtres et cultivés. La règle bénédictine acquiert sa notoriété en Gaule quand un moine de Fleury (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire) y rapporte les reliques du saint du Mont-Cassin en 672. Cependant, plusieurs règles avaient cours dans le royaume mérovingien, notamment celle de l'Irlandais Colomban, fondateur d'Annegray, Luxeuil et Fontaines. Les Pippinides, puis les Carolingiens ont à coeur d'unifier l'organisation monastique dans leurs domaines, mais en mettant les abbayes sous leur dépendance, particulièrement en nommant l'abbé, ce qui a pour conséquence un relâchement de la règle. La réforme est menée par Benoît d'Aniane, conseiller de Louis le Pieux, qui édicte le Capitulaire monastique en 817 : retour à la règle, aux prescriptions de stabilité, d'obéissance, de pauvreté, au travail manuel, mais avec insistance sur les prières liturgiques, et retour à l'élection libre de l'abbé.
Dans les troubles du IXe siècle - luttes fratricides des successeurs de Charlemagne, désintégration de l'Empire, invasions des Sarrasins et des Hongrois - les monastères se tournent vers les puissants qui peuvent assurer leur sauvegarde : rois, princes, ducs, comtes, et aussi le pape, protecteur lointain mais qui peut utiliser la sanction de l'anathème. Malgré cette conjoncture, des monastères, anciens ou nouveaux, situés dans les régions de refuge, Bourgogne ou Lorraine, transmettent l'esprit de la réforme à la fin du IXe et au début du Xe siècle : parmi ceux-ci, Cluny.
L'abbaye est fondée le 11 septembre 909 ou 910 par Guillaume le Pieux, « par le don de Dieu comte et duc [des Aquitains] », dans sa possession la plus orientale, le comté de Mâcon. Il la confie à Bernon, déjà fondateur des monastères réformés de Gigny et de Baume, dans le comté de Bourgogne. Il donne comme obligation aux moines de suivre la règle de Benoît de Norcia, revue par Benoît d'Aniane, afin de créer une communauté « en dialogue avec le Ciel » chargée de prier pour le salut du feu roi Eudes, des parents du fondateur, de lui-même et de son épouse, de toute sa famille, de ses fidèles, et de tous les croyants des temps passés, présents et futurs. Elle doit également s'occuper chaque jour des pauvres et des pèlerins.
Pour assurer l'intégrité du monastère, Guillaume le Pieux laisse aux moines le libre choix de leur abbé, mais surtout confie l'abbaye aux apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire au pape, qui en a la propriété éminente, tandis que les moines en ont la propriété utile. L'évêque de Mâcon ne conserve que la juridiction ecclésiastique et spirituelle concernant la discipline et la foi (le droit d'excommunication), la consécration des prêtres, des autels, des huiles saintes, du saint chrême.
Durant son histoire, Cluny n'aura de cesse de faire respecter cette sorte d'immunité en faisant régulièrement renouveler par les papes successifs la protection du Saint-Siège pour les biens qu'il reçoit et à en obtenir l'exemption complète de l'évêque de Mâcon. Ce qui cause de nombreux conflits : en 931, tous les revenus (dont la dîme) des églises paroissiales données à Cluny ne vont plus à l'évêque ; en 998, l'ordre est soustrait à son contrôle, mais l'évêque conserve les droits d'interdit et d'excommunication ; en 1024, le droit de consécration et d'ordination des prêtres et de bénédiction de l'abbé est ôté à l'évêque de Mâcon, de même que celui d'excommunication en 1025 ; puis l'ordre inclut l'exemption dans ses statuts, ce qui est confirmé par le pape dans la seconde moitié du XIe siècle ; enfin, à partir de 1088, le pape concède à titre personnel, puis au titre de la fonction, le droit à l'abbé de porter des vêtements « pontificaux » (en fait épiscopaux), tels la mitre, la dalmatique (ornement de soie porté sous la chasuble), les gants, les sandales. Cependant, face à l'opposition des évêques dont la réforme grégorienne vise à restaurer le statut, en 1120, le pape restreint l'exemption et rétablit la juridiction épiscopale sur les paroisses. Il offre une protection canonique, mais il se trouve trop éloigné pour offrir une protection temporelle à Cluny.
Quand il fonde l'abbaye, Guillaume le Pieux a des visées d'expansion vers le royaume de Bourgogne-Provence, mais sa principauté s'effondre rapidement. Le comté de Mâcon entre dans la vassalité du duché de Bourgogne, et l'avouerie (protection) de l'abbaye passe du comte de Mâcon au duc de Bourgogne. Cependant, fidèle à ses origines, Cluny cherche les protections les plus hautes possible : le roi de Bourgogne-Provence, comme l'empereur germanique. En effet, les abbés de Cluny ont toujours cultivé de bonnes relations avec l'empereur et la famille impériale, reconnaissant à celui-ci un pouvoir universel indépendant du pape. Aussi, lorsqu'éclate la querelle des Investitures (ce conflit qui oppose l'Eglise aux souverains temporels, notamment à l'empereur germanique, aux XIe et XIIe siècles, à propos de l'investiture des abbés et des évêques), l'abbé de Cluny va jouer un rôle d'intermédiaire et de conciliateur : l'abbé Hugues de Semur est présent à Canossa lorsque l'empereur Henri IV vient implorer le pardon du pape en 1077 ; l'abbé Pons de Melgueil participe aux négociations aboutissant au concordat de Worms, qui met fin à la querelle en 1122. Mais les empereurs s'intéressant moins à leurs domaines bourguignons, Cluny décide se tourner vers le roi de France. Philippe Ier, en particulier, favorise l'ordre bénédictin.
En cela, Cluny reste fidèle à la conception carolingienne d'une collaboration étroite avec les pouvoirs légitimement établis, seuls capables d'offrir une protection des biens de l'abbaye. Cependant, les structures nées de l'Empire carolingien s'effondrent, le pouvoir s'atomise, au niveau comtal, et surtout au niveau de la seigneurie châtelaine. La compétition, la concurrence entre seigneurs châtelains se traduisent par la violence, aggravée par les bandes de pillards et de brigands. Les couvents et les églises, sans défenses, sont les premiers à en souffrir, car souvent les descendants des donateurs cherchent à récupérer les biens patrimoniaux qu'ils auraient dû hériter. Sans jouer un rôle de premier plan, l'abbé Odilon (de 994 à 1049) participe aux conciles qui sont réunis par le clergé séculier pour établir la « paix de Dieu » afin de préserver de la violence les clercs et les laïcs et régler le comportement des guerriers. Une nouvelle prière est récitée à Cluny : « Nous venons à toi, Seigneur Jésus, parce que des hommes injustes et orgueilleux, confiants en leur seule force, se dressent contre nous, envahissent, ravagent et dévastent les terres de ce sanctuaire qui est tien et des églises qui lui sont sujettes. Ils contraignent les pauvres qui sont tiens et qui les cultivent à vivre dans la douleur, la faim et le dénuement. Ils les accablent de souffrances et les tuent de leurs glaives. Ils nous arrachent par la violence et emportent les biens, grâce auxquels nous vivons dans ton service et que des âmes généreuses ont donnés à ce couvent pour leur salut. Lève-toi, Seigneur Jésus, pour notre secours... »
Les hommes n'écoutant pas les prières adressées à Dieu, il faut bien composer avec eux et s'adapter à la situation nouvelle. L'abbé de Cluny ne peut pas compter sur le secours de l'empereur ou du roi de France, qui n'ont pas les moyens de lutter contre les seigneurs et leurs bandes armées de
milites
qui s'attaquent au monastère et à ses prieurés. A partir de 1015, il va se concilier l'aide des souverains en les faisant entrer dans sa vassalité pour qu'ils lui fournissent l'aide militaire ; en contrepartie, il leur offre le salut. L'abbaye elle-même peut se considérer comme un seigneur n'ayant d'autre suzerain que le pape, car elle bénéficie du « ban sacré »
(lire p. 6)
délimité par le pape Urbain II en 1095, comprenant le monastère, la ville et la campagne à l'entour. Pour les prieurés - il y a une seule abbaye, Cluny, tous les autres monastères dépendants sont des prieurés - éparpillés dans la chrétienté, leur protection est assurée par le seigneur qui a fait don du couvent, de l'église ou du domaine où ils sont construits, la donation étant faite en réparation des dommages commis et pour se réconcilier avec le Ciel. Là va se trouver le succès de Cluny : Odilon a su créer une relation profonde entre l'ordre et les lignages seigneuriaux, qui lui fournissent les moyens matériels de son développement et les ressources humaines par les enfants qu'ils donnent au monastère (oblats) qui deviennent ensuite moines.
Une osmose se crée donc entre les moines et les guerriers. L'évêque de Laon Adalbéron, qui reste attaché aux valeurs carolingiennes, ne s'y trompe pas dans sa satire. Il imagine un moine tranquille qui se rend à Cluny et en revient quelques jours plus tard équipé d'une armure, réclamant sa femme et ses enfants en disant : « Je suis maintenant un guerrier. Je resterai un moine sous une autre manière. Je ne suis pas un moine, mais je fais la guerre sur l'ordre du roi. Car mon seigneur est le roi Odilon de Cluny. » En fait, Odilon veut transposer un mode de vie monacal aux seigneurs, et même à la société tout entière, qui consiste à fuir la luxure, source de tous les maux, à rester chaste et fidèle dans le mariage. L'origine sociale des abbés de Cluny le montre : Bernon (909-927) appartient à l'aristocratie du comté de Bourgogne, Odon (927-942) à une grande famille de Touraine, Mayeul (948-994) à la famille provençale des Valensole, Odilon de Mercoeur (994-1048) à un lignage comtal d'Auvergne, Hugues de Semur (1049-1109) est le beau-frère du duc capétien de Bourgogne et sa nièce épousera le roi de Castille Alphonse VI, Pons de Melgueil (1109-1122) est apparenté aux comtes d'Auvergne et de Toulouse, Pierre de Montboissier, dit le Vénérable (1122-1156), est issu d'une famille seigneuriale d'Auvergne. Seul Aymard (942-948) est issu d'un milieu modeste.
Pour ce qui touche la violence, tout en participant aux mouvements de la paix et de la trêve de Dieu, Cluny va pousser les guerriers à tourner leur énergie contre les Infidèles, notamment dans la péninsule Ibérique. D'autre part, Odon, dans sa
Vie de saint Géraud d'Aurillac,
présente le premier modèle de chevalier chrétien qui pratique la justice, apporte son aide aux moines et « porte la croix en résistant aux vices ».
Pourtant, dans les couvents, le mode de vie est austère et ascétique. Pierre le Vénérable décrit ainsi un des moines : « Le corps certes affaibli, la figure maigre, les cheveux non peignés, dont on doit vénérer la blancheur, le visage abaissé, les yeux toujours à peine ouverts, la bouche ruminant sans repos les paroles sacrées... Il garde continuellement le silence, à moins qu'il ne soit poussé à parler par une cause certaine et grave. » Pierre Damien - qui est, avec le futur Grégoire VII, un des promoteurs de la réforme du clergé - fait l'expérience de la règle quand il est l'invité d'Hugues de Semur et se reconnaît épuisé au bout d'une semaine. Quand un enfant est présenté comme oblat au monastère, il apporte avec lui un don d'entrée correspondant à la part d'héritage que lui laisse son père (qui peut être importante, s'agissant de fils de seigneurs) et il reçoit une bénédiction de l'abbé. A quinze ans ou plus, lorsqu'il est considéré apte, il est de nouveau béni par l'abbé et est admis comme novice. Au bout de trois ans, le novice prononce ses voeux de stabilité, de conversion des moeurs et d'obéissance à la règle. Il ne peut le faire qu'à Cluny.
Dans le monastère, la vie est rythmée selon les heures canoniales sonnées par la cloche, appelant les moines à se rendre dans l'église pour les offices. A chaque office, on chante des psaumes : les laudes à l'aube, une heure plus tard prime, deux heures après tierce, à chaque fois à la suite de trois heures sexte et none, au crépuscule vêpres, après le coucher du soleil complies, enfin entre minuit et le lever du soleil, matines. Deux messes solennelles sont chantées dans la journée, après prime et après tierce. La messe du matin est précédée de litanies et de prières pour les rois et les princes, les évêques et les abbés de l'ordre, les amis et les bienfaiteurs de l'ordre, les rois de Castille (qui, depuis 1077, versent une rente de 100 000 deniers, provenant du butin fait sur les Maures), les amis et les parents des moines, tous ceux qui sont ensevelis à Cluny, tous les morts, à qui est dédiée la messe de l'après-midi. Lors des cinq grandes fêtes, Noël, Pâques, Ascension, saints Pierre et Paul, Assomption, des processions ont lieu autour du cloître. L'office divin, l'
opus Dei,
remplit presque entièrement la journée des moines. Pierre Damien, déjà cité, remarque que les offices se succèdent avec une telle rapidité que, même durant les longues journées d'été, il reste seulement une demi-heure durant laquelle les frères peuvent parler dans le cloître.
Dans les faits, les moines ne respectent pas la règle de travail édictée par Benoît de Norcia. Leurs richesses leur permettent de vivre dans ce luxe si décrié par leurs contemporains. Rien n'est assez beau pour célébrer l'office divin : l'abbatiale, la décoration sculptée - Bernard de Clairvaux fulmine contre les chapiteaux -, la décoration peinte (notamment la grande fresque du Christ de l'Apocalypse entouré des symboles des évangélistes, au-dessus des vingt-quatre Anciens), le chant avec la longue psalmodie des hymnes, sans oublier les huit tons représentés sur les chapiteaux, le luminaire. Le régime alimentaire choque les esprits sobres, tels Pierre Damien et Bernard. Ce deernier va jusqu'à décrire les différentes manières de préparer les oeufs. Le premier s'exclame : « Comment [les moines de Cluny] peuvent-ils être saints, comment peuvent-ils avoir des saints hommes pour les diriger, alors qu'ils vivent dans une telle abondance ? »
Le genre de vie des moines noirs - ainsi nommés à cause de la couleur de leur robe, par opposition aux moines blancs que sont les cisterciens - est en effet de plus en plus critiqué alors que l'ordre atteint le sommet de sa puissance sous Hugues de Semur, qui traite d'égal à égal avec le pape, l'empereur et les rois. A sa mort, Cluny compte 1 200 établissements. D'autre part, l'ordre, prisonnier de son succès et du fait qu'une institution en expansion développe de plus en plus une tendance monopolistique, ne va pas suivre la réforme menée par le pape Grégoire VII, pourtant lui-même clunisien, qui veut restaurer l'autorité des évêques. Les âmes attirées par la vie cénobitique vont chercher d'autres voies, avec un retour strict à la règle de saint Benoît. Cluny n'a d'ailleurs pas converti tous les monastères existants à sa règle, tels Saint-Victor de Marseille, la Trinité de Vendôme, le mont Saint-Michel, Landevennec, Savigny. Toutefois, le « nouveau monachisme » ne vient pas de ces centres. Au cours du XIe siècle et au début du XIIe siècle ont lieu de multiples expériences qui toutes insistent sur la pauvreté, la chasteté, la rupture totale avec le monde - ce qui montre toujours l'appel et le succès du monachisme.
En France, dès 1043, Robert de Turlande fonde la Chaise-Dieu ; en 1077 Etienne, fils du vicomte de Thiers, fonde Grandmont ; en 1084, Bruno crée la Chartreuse. D'autres retournent à la règle de saint Augustin. L'ordre qui connaît le plus grand succès, celui de Cîteaux, est fondé par un « dissident » clunisien, Robert de Molesmes, en 1098.
Robert est forcé de réintégrer son monastère d'origine dès l'année suivante, l'ordre survit difficilement jusqu'en 1112, date de l'arrivée d'un jeune noble des environs, Bernard de Fontaine, et trente de ses compagnons. Trois ans plus tard, il est envoyé fonder Clairvaux, non loin de Troyes, en Champagne. A sa mort en 1153, Cîteaux et ses « quatre filles » (La Ferté, Clairvaux, Pontigny, Morimond) sont à la tête de 345 couvents. La constitution de l'ordre est la Charte de charité, édictée en 1119 par Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux : chaque monastère a son abbé et est soumis à la juridiction de l'évêque du lieu - on ne recherche donc pas l'exemption -, sa propriété ne dépasse pas ce que les moines peuvent exploiter, chaque couvent est lié aux autres par un lien de charité (amour), l'ordre est dirigé par le chapitre général de tous les abbés ; sur le modèle du Christ, les moines mènent une vie de pauvreté et de chasteté et suivent à la lettre la règle de saint Benoît.
Mais la différence avec Cluny est-elle si grande ? Si l'on reconnaît une absence de richesse ostentatoire, les moines cisterciens laissent le travail manuel aux frères convers pour se livrer à la récitation des heures. Surtout, leur grand homme est souvent absent de son monastère. Bernard est partout, même là où il n'a pas à être : ce n'est pas un théologien, mais il fait condamner Abélard qui finit ses jours dans un prieuré clunisien. Tel un abbé de Cluny, il fréquente les grands, fait l'élection du pape (Innocent II contre Anaclet, le plus légitime) ; d'origine noble et chevaleresque, il prêche la deuxième croisade auprès de l'empereur Conrad II et du roi de France Louis VII ; il loue l'ordre du Temple, la
Nova Militia Christi,
nouvelle chevalerie du Christ. On pourrait considérer Cîteaux comme un Cluny réformé et adapté à la nouvelle situation du XIIe siècle. Quel meilleur hommage lui rendre ?