Les OGM à l'INRA  
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Extrait du dossier publié par l'INRA en mai 1998


OGM et Santé humaine


Médicaments, aliments-santé, xénogreffes : que peut apporter la transgénèse animale ?

Dans le domaine de la santé humaine, le transfert de gène est déjà utilisé couramment pour produire certains médicaments : hormone de croissance, insuline, vaccin contre l'hépatite B... Il permet aussi désormais la production de substances médicamenteuses dans le lait de mammifères, ou dans des cellules d'insectes. La transgénèse ouvre aussi la possibilité de produire des aliments enrichis en éléments favorables pour la santé. Enfin elle permet d'envisager la greffe d'organes animaux à l'homme, qui doit être soumise à une évaluation sérieuse des risques qu'elle peut occasionner.

Louis-Marie Houdebine
Laboratoire deBiologie Cellulaire et Moléculaire, INRA Jouy-en-Josas

Jean-Claude Mercier et Jean-Luc Vilotte
Unité de Génétique Biochimique et Cytogénétique, INRA Jouy-en-Josas


La majeure partie des médicaments dont nous disposons sont des substances chimiques obtenues par synthèse. Ces molécules interfèrent de manières diverses avec les systèmes de signalisation des cellules et elles stimulent ou au contraire inhibent ainsi ces mécanismes selon ce qui est attendu. Les protéines représentent une partie essentielle des molécules portant une information biologique. C'est le cas notamment de bon nombre d'hormones, de facteurs de croissance, de facteurs sanguins de coagulation, d'anticorps etc. Les protéines sont des polymères d'acides aminés, le plus souvent de trop grande taille pour être obtenus à un coût raisonnable par synthèse chimique. Jusqu'à l'avènement du génie génétique, seules les protéines obtenues par extraction à partir des organismes vivants pouvaient être utilisées à des fins thérapeutiques. C'était le cas notamment de l'insuline extraite des pancréas de porc, des facteurs VIII et IX de coagulation extraits du sang humain, des anticorps etc.

Certaines protéines sont si peu abondantes qu'elles ne peuvent pas être obtenues en quantité suffisante par extraction. C'est le cas de l'érythropoïétine dont la fonction est de réduire l'anémie pathologique ou accidentelle en augmentant le nombre de globules rouges.

Le génie génétique permet, en principe, de faire synthétiser n'importe quelle protéine à partir d'un gène isolé transféré dans une cellule qui prend en charge son décodage et le plus souvent la sécrétion de la protéine en question. Une protéine ainsi obtenue en dehors de sa cellule d'origine est dite recombinante. Les bactéries, facilement transformables par des gènes étrangers et cultivées depuis longtemps à l'échelle industrielle, ont été les premières cellules sollicitées pour produire des protéines recombinantes.

C'est ainsi que désormais la majeure partie de l'insuline utilisée pour soigner le diabète provient de bactéries recombinantes, et non plus de pancréas de porc. La totalité de l'hormone de croissance humaine utilisée pour soigner certaines formes de nanisme, et la totalité de l'hormone de croissance bovine (BST), utilisée pour augmenter la sécrétion lactée des ruminants, proviennent également de bactéries. Ces molécules ont une excellente activité biologique et elles sont plus pures que les hormones obtenues par extraction. C'est notamment le cas de l'hormone de croissance humaine extraite d'hypophyses humaines qui a, dans certains cas, contaminé les patients par l'agent responsable de la maladie de Creutzfeld-Jacob.

Les levures et les cellules d'ovaire de hamster (CHO) sont de même utilisés industriellement pour produire le vaccin contre l'hépatite B.

Des médicaments dans le lait des animaux

Une bonne partie des protéines ayant un intérêt pharmaceutique potentiel ont en fait une structure complexe. Elles ne sont pas composées que d'une chaîne polypeptidique simple comme l'hormone de croissance. Elles sont en effet modifiées de diverses manières après l'assemblage des acides aminés. Ces modifications (des clivages spécifiques, des glycosylations, des carboxyméthylations, etc.) ne peuvent pas, dans la très grande majorité des cas, être réalisées par des cellules de bactéries ou de levures. Seules les cellules animales ont un équipement enzymatique qui permet ces modifications.

La culture des cellules animales est une réalité industrielle bien établie. Elle permet actuellement la production de protéines comme l'antigène vaccinant contre le virus de l'hépatite B, l'érythropoïétine ou le facteur VIII de coagulation. Ce mode de production est coûteux, relativement peu efficace et peu souple. L'utilisation des cellules dans le contexte naturel, qu'est l'animal entier, est apparue comme une alternative particulièrement intéressante il y a plus de 10 ans. La sécrétion dans le sang des protéines étrangères a été envisagée en premier lieu. Des lapins ayant dans le sang de l'alpha-1 antitrypsine humaine à la concentration de 1mg/ml ont ainsi été obtenus il y a plusieurs années par l'INRA. Le sang ne peut qu'exceptionnellement être une source de protéines étrangères. Ces protéines n'ont en effet que peu de chance de pouvoir s'accumuler dans le sang car elles sont rapidement éliminées par le foie et le rein. Beaucoup d'entre elles peuvent par ailleurs agir directement sur l'animal et altérer sa santé. Le lait a donc été retenu en second lieu comme source presque idéale de protéines recombinantes. Un tel but peut être atteint assez aisément en greffant le gène codant pour la protéine d'intérêt sur la région régulatrice d'un des gènes de synthèse de protéines du lait qui va diriger celle-ci spécifiquement dans la glande mammaire puis sa sécrétion dans le lait. Une nouvelle branche de l'industrie pharmaceutique basée sur ce procédé est en train de naître. Plusieurs protéines sont actuellement soumises à des tests cliniques de phase I, II et III et devraient être mises sur le marché dans les années qui viennent.

Les travaux réalisés à l'INRA sur les gènes de protéines du lait ont permis de mettre en oeuvre ce procédé. La région régulatrice des gènes des protéines du lait de lapin a été brevetée à cet effet. Plusieurs protéines ont ainsi été produites dans le lait de souris et de lapin. L'exploitation du procédé nécessite une extension à la vache ou un animal de plus petite taille (la chèvre par exemple) et la prise en charge par une structure industrielle appropriée.

Cette méthode de préparation de protéines recombinantes présente beaucoup d'avantages mais elle ne peut être couronnée de succès dans tous les cas. Certaines constructions de gène s'avèrent peu efficaces et ne permettent une sécrétion des protéines d'intérêt qu'en très faible quantité. Certaines protéines ne sont pas synthétisées sous une forme appropriée ou sont toxiques pour les animaux producteurs. Il paraît toutefois certain que des centaines de protéines recombinantes utilisées à des fins thérapeutiques et diagnostiques seront préparées ainsi au siècle prochain à un coût très compétitif. Ce procédé est également celui qui peut être utilisé pour optimiser la composition du lait destiné à la consommation humaine ou animale.

D'autres procédés peuvent conduire à la synthèse de protéines recombinantes. C'est le cas notamment des cellules d'insectes infectées par un baculovirus portant le gène qui code pour la protéine d'intérêt (voir l'encadré de Gérard Devauchelle «Des médicaments produits dans des cellules d'insectes»). La maîtrise des cellules ES de poulet acquise récemment par l'INRA laisse envisager la possibilité de préparer des protéines recombinantes dans le blanc d'oeuf. Les plantes ayant reçu un gène étranger peuvent également synthétiser massivement des protéines recombinantes. Il est vraisemblable qu'au siècle prochain, tous ces systèmes de production seront mis en oeuvre. L'utilisation d'un procédé plutôt qu'un autre sera déterminée par son efficacité au cas par cas. Des protéines pour la médecine humaine et vétérinaire, ainsi que pour le diagnostic, seront ainsi mis à la disposition des hôpitaux, des laboratoires d'analyse et des élevages.

Modification de la qualité des aliments

Il est de plus en plus admis de modifier certains de nos aliments de manière à ce qu'ils apportent des éléments favorables à la santé sans mériter pour autant le nom de médicaments. Ces produits ont pour cette raison été appelés alicaments. La transgénèse peut, en principe, puissamment contribuer à leur préparation, les modifications pouvant aller du changement de composition des lipides des plantes ou de la viande à l'addition de lactoferrine humaine, une protéine antibactérienne, dans le lait de vache.

Dans un domaine proche, il est possible d'agir par transgénèse sur la qualité du lait de vache, par exemple, pour rendre sa composition plus compatible avec l'alimentation du nouveau né, pour le «materniser» mieux encore que ce qui est réalisé actuellement, ou pour le rendre plus digestible pour les adultes. C'est sans doute un des secteurs dans lesquels l'obtention d'animaux de ferme transgéniques se réalisera en priorité. La composition du lait diffère notablement entre espèces et l'utilisation du lait de ruminants comme source de produits infantiles nécessite donc diverses modifications visant à obtenir un aliment similaire au lait humain. On remarquera en particulier, que ce dernier diffère du lait de vache par la prédominance des protéines du lactosérum, l'absence de ß-lactoglobuline (ßLG) et de caséine alpha2 et la richesse en lactoferrine (LF) et en lysozyme (LZ). Du fait des propriétés très allergéniques de la ßLG, l'idée actuelle est de l'éliminer lors de la préparation des laits maternisés. Mais est-ce réellement justifié ? Les autres lactoprotéines sont également allergènes, et la richesse de la ßLG en cystéine compense la faible teneur de la caséine en cet acide aminé essentiel.

À l'aide de la transgénèse, il est possible de faire produire une protéine humaine d'origine mammaire (lactoferrine, lysozyme,...) ou non (facteurs de la coagulation sanguine, etc.) par la glande mammaire d'un animal en intégrant dans le génome une unité de transcription ou un ADNc humain sous la dépendance du promoteur d'un gène spécifiant une lactoprotéine. À l'INRA, plusieurs gènes spécifiant des lactoprotéines ont été fortement exprimés dans des souris transgéniques : alpha lactalbumine bovine et caprine, caséine ß caprine, WAP de lapin, caséine k. Dans ce dernier cas, l'objectif est d'obtenir un ou plusieurs animaux produisant suffisamment de lait enrichi en caséine k pour en étudier les effets a priori bénéfiques sur la stabilité thermique et la digestibilité du lait. Un travail analogue est en cours aux États-Unis. D'autres travaux portent sur la digestibilité du lait par les adultes.

À l'heure actuelle, les quelques firmes privées investissant dans ce domaine paramédical en sont généralement à la première phase, à savoir les tests de faisabilité chez la souris. Citons par exemple la production de divers constituants du lait humain, tels que le lysozyme, la lactoferrine et des sucres complexes. L'objectif suivant sera l'obtention d'un ou plusieurs ruminants laitiers produisant l'un de ces produits en quantité suffisante pour procéder aux essais in vivo de nouvelles formules infantiles.


Des médicaments produits dans des cellules d'insectes

 Les baculovirus, gros virus à ADN, ne sont pathogènes que chez les invertébrés et principalement les insectes. Ce sont des parasites intracellulaires obligatoires, qui ne peuvent se reproduire que dans une cellule d'une espèce hôte. Ils synthétisent en fin de multiplication deux protéines en très grande quantité : la polyédrine et la P10. La polyédrine permet la survie des virus dans l'environnement.

Des travaux sur les baculovirus concernent la production de protéines «recombinantes», obtenues par l'expression dans un organisme de gènes d'origine étrangère. La technologie baculovirus-cellules d'insecte est maintenant de mieux en mieux maîtrisée. Elle consiste à remplacer les gènes codant pour la polyédrine et/ou la P10 par des gènes étrangers. Après cette transformation, en culture cellulaire et en fin de cycle de multiplication, les virus synthétisent en grande quantité les protéines correspondant aux gènes d'intérêt à la place de la polyédrine et de la P10. C'est de cette façon que l'on peut aujourd'hui produire des molécules humaines ou animales à usage thérapeutique de même que des vaccins ou des réactifs pour le diagnostic. De la même façon les baculovirus sont très utilisés comme outils de laboratoire. L'avantage de ce système, outre le fait qu'il produit les molécules en grande quantité, réside dans la sécurité d'emploi. En effet les virus recombinés et dépourvus de polyèdres ne peuvent plus se multiplier dans la nature, leur durée de vie dans l'environnement est très courte. Au delà, les protéines produites en culture cellulaire le sont dans des milieux de culture parfaitement déterminés et totalement dépourvus de protéines. Enfin les souches utilisées sont des pathogènes de papillons et on ne connaît aucun virus qui passe des papillons à l'homme. À titre d'exemple, on peut indiquer que plusieurs essais cliniques sont réalisés actuellement chez l'homme avec des candidats vaccins contre la grippe ou le SIDA obtenus par cette technique. Dans les années à venir c'est certainement ce genre de méthode qui permettra d'obtenir des molécules à usage thérapeutique pour remplacer celles qui aujourd'hui sont extraites d'organes.

Gérard Devauchelle
Unité de Recherches de Pathologie Comparée, INRA Montpellier


La préparation d'organes animaux pour la transplantation à l'homme

Chaque année plusieurs centaines de personnes meurent en France faute d'organes à greffer. Toutes les estimations conduisent à la conclusion que les organes d'organismes humains ne pourront jamais subvenir aux besoins des patients. L'idée d'utiliser des organes d'animaux est ancienne. Des essais non couronnés de succès ont été tentés dès le début du siècle. Les organes d'une espèce («xénogénique») sont en effet très fortement rejetés par les autres espèces. Un organe xénogénique est en effet inévitablement reconnu par les anticorps naturels du receveur qui déclenchent l'activation du «complément». Le mécanisme biologique appelé complément est un système protéique ayant pour fonction de détruire très rapidement les cellules étrangères à un organisme sans même faire intervenir le système immunitaire de défense proprement dit. Les organes greffés sont ainsi inéluctablement détruits.

La suppression complète des antigènes de l'organe greffé parait impossible. La suppression durable des anticorps du receveur ne parait pas davantage réalisable et elle ne suffirait de toute façon pas à empêcher l'induction du complément. Le porc est considéré par tous les spécialistes comme le meilleur donneur d'organes pour l'homme. Cet animal est en effet physiologiquement assez proche de l'homme et très peu de maladies sont transmises du porc à l'espèce humaine. Pour tenter de réduire l'induction du complément, des gènes humains ont été transférés à des porcs. Ces gènes, (DAF, CD59, MCP) ont pour fonction naturelle de préserver les organes contre une attaque intempestive du complément. Les coeurs et les reins des porcs transgéniques obtenus dans divers pays (Grande-Bretagne, USA, Australie) sont presque totalement protégés contre le rejet suraigu lorsqu'ils sont greffés sur des primates. Leur survie peut être de plusieurs semaines au lieu de quelques heures. D'autres mécanismes de rejet, notamment le rejet classique induit lors des allogreffes, doivent être compris et maîtrisés avant que la xénogreffe ne devienne une réalité thérapeutique.

L'INRA s'est engagé dans ces recherches en collaboration avec l'INSERM. Des souris, des lapins et des porcs portant les gènes DAF et CD59 humains ont été obtenus. Ces laboratoires étudient par ailleurs les effets d'un autre gène dont le rôle naturel semble être d'inhiber les réactions de rejet.

Ce ne sont pas seulement des organes majeurs comme le coeur et le rein qui pourraient ainsi être transplantés mais également des cellules hépatiques permettant de pallier une déficience transitoire du foie, des cellules cérébrales susceptibles de contrecarrer les effets de certaines maladies neurodégénératives, des cellules sécrétant des hormones, des facteurs de coagulation etc. Il est cependant essentiel de disposer de connaissances supplémentaires sur les risques de transmission à l'homme de virus non détectés, et les moyens de l'éviter. Cette approche thérapeutique présente un réel intérêt mais nécessite encore des travaux de recherche approfondis.

Louis-Marie Houdebine
Laboratoire de Biologie cellulaire et moléculaire,  INRA Jouy en Josas


[R] Pour en savoir plus

Mercier J.C., 1997. Transgénèse et modification quantitative et/ou qualitative de la composition du lait à de fins nutritionnelles. In Frend, G. (Ed), Intérêts nutritionnels et diététique du lait de chèvre. Niort (France), 7 novembre 1996 Ed.INRA, Paris 1997 (Les Colloques, n° 91), pp. 169-177.

Mercier J.C., & Vilotte J.L.,1997. The modification of milk protein composition through transgenesis : progress and problems. In Houdebine, L.M. (Ed), Transgenic Animals - Generation and Use. Harwood Academic Publishers, Switzerland, pp. 473-482.

Velander W., Lubon H., Drohau W., 1997. Des animaux transgéniques produisent des médicaments. Pour la Science (1997) 233 70-75.

Occaldi P., Millet A., 1996. Xénogreffe et transgénèse. Biofutur (1996) 158 17-25.


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