La musique change. Tout change. J'aime une femme et je dois m'en éloigner. Demain on m'attend en Allemagne, à Offenburg, au
43ème Régiment Blindé d'Infanterie de Marine
(43ème RBIMa), pour accomplir mon service militaire. Un rendez-vous obligé ...
Le vendrdi 8 mai 1964, au petit matin, je monte dans une
voiture noire banalisée... Direction le centre de
recrutement de Rueil-Malmaison avant de partir pour
Offenburg...
Salut Johnny Hallyday...
Bonjour deuxième classe Smet...
Dès
1962, même si la vie de Johnny est chamboulée et que la France est a ses pieds, demeure l'immuable :
il est temps que Jean-Philippe Smet honore son devoir de jeune homme, (presque) majeur et vacciné, envers l'armée française, puisque c'est la nation qu'il a choisie a 18
ans. Convoqué au conseil de révision au Fort de Vincennes, il est jugé apte. Evidemment, un beau grand garçon comme lui ! Johnny ne déborde pas
d'enthousiasme à l'idée de mettre une carrière bien engagée de coté pendant plus d'un an. Les phénomènes de mode si changeants lui font craindre qu'à son retour, plus personne ne se souvienne du nom d'Hallyday. Cependant, il n'a aucune intention de se défiler. Préférant encore avoir à lutter pour un come-back - ce qu'il fera effectivement - que passer pour un dégonflé.
Le 15 janvier 1964, on a sonné à la porte de l'appartement où j'habitais à Neuilly. C'était le facteur. Avec une nouvelle formidable : le citoyen Jean-Philippe Léon Smet venait de recevoir ses papiers militaires. Le service, très franchement je n'avais pas envie d'y aller. Mais alors pas du tout... J'aurais pu y échapper si, à dix-huit ans, j'avais choisi la nationalité belge, celle de mon père. Seulement j'ai préféré être français, et faire comme Elvis, Eddy Mitchell et des centaines de milliers de garçons de mon âge. Je ne voulais surtout pas qu'on puisse dire : « Hallyday c'est une lopette, une couille molle, il a eu peur qu'à l'armée on lui passe la bite au cirage. » À vrai dire j'étais un peu inquiet parce que quelques mois plus tôt, lors d'un nouveau scandale dans un hôtel, j'avais dérouillé un très important gradé. Il faut dire qu'il m'avait insulté et bousculé. Sa dernière phrase ? « Jeune homme, nous nous reverrons pendant votre service militaire. À l'armée, les voyous de votre espèce, nous les brisons! »
Mais Johnny Stark a trouvé une ruse, encore une. Considéré comme chef d'entreprise - rock'n'roll - j'ai ainsi bénéficié d'un sursis de quatre mois et de l'autorisation de remplir mes contrats.
En
mai 1964, avant son départ à l'armée, sous l'objectif de
Jean-Marie Périer, Johnny pose en tenue militaire devant le
drapeau tricolore pour la couverture de "Salut les
copains". A quelques jours de son départ, il prend
livraison de sa première Harley-Davidson, une Electra Glide
rouge et blanche à laquelle il fait ajouter des sacoches de
cow-boy.
Cette
lettre signée Johnny (à lire en cliquant ICI) est parue dans
Salut les Copains en août 1964 (N° 25). Le journaliste
de S.L.C. qui l'a écrite n'y est pas allé de main
morte avec les violons et le choeur des vierges. Soldat
modèle, d'accord, mais la réalité est un peu différente...
Jour J. Heure H. Mon coiffeur est venu me couper les cheveux très court. Assis sur le canapé, mes potes eux non plus n'ont pas un gros moral. Carlos, Jean-Pierre et
Claude Pierre-Bloch essaient de plaisanter sans succès. Je suis malheureux et jaloux. Fou de
jalousie…
Sylvie Vartan va commencer à tourner Patate, avec Jean Marais et plein d'autres acteurs, je ne peux pas m'empêcher de penser au pire... Jaloux comme un tigre.J'ai dit au revoir à mes potes. Je suis monté dans une voiture noire banalisée...
Depuis deux jours la petite bourgade d'Offenburg est en effervescence. Des dizaines de journalistes et de photographes - déguisés en pompiers, en flics, en curés et même en militaires - planquent devant la caserne, sans parler des fans. Pour éviter les émeutes, «
on » a décidé que j'arriverais de nuit à Offenburg, au 43e régiment blindé d'infanterie de marine, commandé par le colonel Revault d'Alone. Toujours pour éviter les troubles, « on » a également décrété que je passerais ma première nuit dans un dortoir réservé aux quillards qui partent le
lendemain.
Surprise... Mon lit est en portefeuille et les draps sont passés au cirage. Mais oui,
c'était bien du cirage... Les braves quillards croyaient que le visiteur nocturne serait un engagé, alors ils l'avaient soigné. Le lendemain, à l'aube, fou rire dans la chambrée. Un type se lève tout doucement, me regarde sous le nez et dit à ses potes
:
- Merde, c'est Johnny Hallyday!
Soldat modèle, d'accord mais... chouchou des femmes de gradés : c'est l'épouse du colonel qui, en cachette, coud mes boutons d'uniforme. Ils sont tellement bien cousus que lors d'une revue l'adjudant Jean Collet - que nous avions surnommé « la main au collet » - fait sauter les boutons à la pointe de la dague.
- Soldat Smet, puisque vous êtes si doué vous allez les recoudre. Devant moi. Maintenant. Exécution !
Un carnage. Huit jours de corvées, patates, chiottes, gardes de nuit, lustrage de rangers...
Soldat modèle, d'accord mais... si le 11 juin 1993 vous avez regardé « La nuit Hallyday » sur Canal +, vous vous souvenez certainement du soldat Smet en train de viander un char d'assaut dans un étang, le canon planté dans la boue. Le plus drôle c'est que ce film était réalisé pour la promotion de l'armée française, genre : « Vous les jeunes antimilitaristes, regardez ! Johnny Hallyday, le voyou qui a allumé les plus beaux incendies du rock, n'est pas un planqué ! Il fait son service, il a changé. C'est un bon soldat. Alors faites comme lui! »
Très rapidement, l'adjudant Jean Collet est devenu un ami. Après les classes, j'ai loué un studio dans une auberge de Durbach, à quelques kilomètres d'Offenburg. Un pied-à-terre pour recevoir mes amis et surtout Sylvie. Le tenancier est une sorte de maniaque obsédé par les escalopes. En pleine Forêt-Noire, dans l'ancien duché de Bade, l'aubergiste nous propose chaque jour, matin et soir, des escalopes. Escalopes milanaises, escalopes à la crème, escalopes panées... Si bien que Gill Paquet l'avait surnommé « Herr Escalope ».
Cette auberge peinte en blanc, avec des volets jaunes et rouges, est vite devenue notre Q.G. Chaque week-end, Sylvie débarquait en Allemagne accompagnée d'une horde de « freaks » : Carlos, Long Chris, Gill Paquet, Larry Gréco, Hubert, les frères Pierre-Bloch, sans parler des musiciens.
Je me souviens de soirées épiques où l'adjudant Jean Collet chantait l'hymne de l'infanterie de marine - « Quand Jésus Christ créa la Coloniale il décréta qu'il fallait des hommes costauds, des hommes costauds... »
- face à des musicos complètement stoned fumant des cônes longs comme l'avant-bras.
Tout ce beau monde faisait des concours de boissons. Un matin, « la main au collet » oublia même de faire l'appel.
Merveilleux adjudant Collet, qui prit pour moi tous les risques. Nous surnommions aussi cet ancien de l'Indochine « Kirk Douglas », à cause d'une fossette due à une blessure. Ce mec, je ne l'oublierai jamais. Sa fille était demoiselle d'honneur quand j'ai épousé Sylvie Vartan. Et Jean fut l'invité surprise d'une émission de Jean-Pierre Foucault en 1993.
Et je suis devenu soldat de première classe ! Un soldat de première classe modèle, d'accord mais... pour franchir la frontière du pont de Kehl et me rendre à Strasbourg, j'avais trouvé une ruse : m'habiller en soldat jusqu'à la taille, et en rocker - jean délavé et bottes western - en bas. Un soir, un douanier plus scrupuleux que les autres me fit sortir de la voiture. Je m'en suis tiré en lui offrant mes bottes rouges et un autographe.
En fait, l'armée se servait de moi comme je me servais d'elle. Le ministre m'avait donné l'autorisation de répéter, d'enregistrer des disques et de donner des concerts bénévoles. Moi, de mon côté, je jouais le jeu à fond en posant en bidasse pour
Salut les copains, Paris-Match ou sur des couvertures de disques.
Nous avons même fait un show télévisé à la caserne pour les fêtes de Noël 1964.
Un soldat de première classe modèle d'accord, mais...
Nous répétons dans la salle de bal jouxtant la cuisine de « Herr Escalope ». « Joey and the Showmen » dissous, j'ai fait venir des musiciens anglais ainsi que Jean Tosan et Raymond Donnez.
À l'automne, en octobre 1964, j'enregistre une version de House of the rising sun de mon pote Eric Burdon et ses « Animals ». Le Pénitencier est une adaptation extraordinaire d'Hugues Aufray qui, le premier en France, avait senti la force et le talent diabolique de Bob Dylan. Le Pénitencier : ce titre collait à mon humeur du moment, que j'aurais pu appeler «
le blues du bidasse ». Je suis parti à l'armée en pleine gloire. Celle que j'aime et que je veux épouser est loin de moi. La nouvelle vague anglaise, Beatles, Rolling Stones, Animals, déferle sur le monde. Et moi je fais le clown dans mes uniformes en tergal retaillés sur mesure…
Soldat de première classe modèle, d'accord mais... le colonel m'a demandé de garer ma nouvelle Porsche loin de sa vieille Peugeot. Le jour où je suis arrivé à la caserne avec mon nouveau jouet, une super Harley Davidson Electra-Glide rouge et blanche, toute la garnison a applaudi. Il faut dire que
cette bécane était sublime : j'avais rajouté des sacoches de cow-boy et le changement de vitesse était
prolongé d'un gros dé à jouer.
À Offenburg, je n'ai jamais eu de problèmes relationnels avec les soldats, ni les gradés. Tout le monde
a profité de mon affectation. Pour dépanner des amis
j'ai monté la garde, de nuit, plus souvent qu'à
mon
tour. J'ai même emmené des bidasses en perm’ à
Paris, pour leur faire découvrir l'univers rock et
radical de la bande des castors. (Johnny
a aussi aidé J. C. Germain, en savoir plus ICI)
Soldat de première classe modèle, mais... juste avant de devenir sergent (Quand j'ai été nommé
sergent, j'étais presque devenu aussi vache qu'un militaire de carrière!), mon passé me rattrape une fois de plus.
Un jour, un gradé vient me voir:
- Soldat Smet, votre père vous attend devant l'entrée principale !
Mon père ? Qu'est-ce que c'est que cette galère ? Mon père, je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais vu.
Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il m'a abandonné quand j'avais huit mois. Je refuse d'y aller.
- Soldat Smet, c'est un ordre !
J'y vais. Je traverse la cour. Le planton ouvre le portail… Je vois un grand type pas rasé, vêtu d'un long manteau. Il a l'air fatigué. On se regarde. Il porte un paquet sous le bras. En s'avançant vers moi, il enlève le papier et sort un ours en peluche. Il me serre dans ses bras en disant : « Mon fils! » Soudain cinq ou six photographes, qui s'étaient cachés, sortent de derrière une voiture et nous mitraillent. Après vingt et un ans d'absence, Léon Smet, mon père, avait vendu cinq mille francs à
Ici Paris les
retrouvailles avec son fils devenu une star. Sans un mot, j'ai tourné les talons. Toute ma vie, j'avais rêvé de retrouver mon
père. Maintenant, il me faisait honte !
- Tu parles d'un mariage secret... dit Carlos à Hubert Wayaffe.
Dès avril 1964, dans France Dimanche, « SYLVIE… EH BIEN, JE SUIS MUR POUR LE MARIAGE ».
Ce lundi 12 avril 1965, Loconville l’endormie ressemble à un faubourg ultra-speedé de
Rock-City la déconneuse.
Dire que Sylvie rêvait d’un mariage familial et intime, loin du stress, des paillettes et des grandes illusions du tout Paris.
Ma douce en a les larmes aux yeux.
Du calme, chérie : «
It’s only rock’n’roll. » Mais je voudrais
bien connaître l'identité de l'enfoiré qui a balancé
ou vendu cette info confidentielle...
Je regarde Sylvie. Elle porte une robe de mariée style « Restauration », confectionnée dans vingt mètres d'organdi et quatre cents mètres de valenciennes. Son visage, presque entièrement dissimulé par un ample capuchon d'organdi blanc, me bouleverse.
Pour l'occasion, Revault d'Alone, le colonel du 43e Régiment Blindé d'Infanterie de Marine (RBIMa), a octroyé douze jours de permission au sergent Smet ainsi qu'une autorisation exceptionnelle : se marier en costume civil, et quitter le territoire pour son voyage de noces.
En jaquette noire, chemise blanche, cravate de soie crème et pantalon gris, je n' en mène pas large. Parce que, dehors, ça bastonne
salement.
Deux jours plus tard, mercredi, 23h27, Sylvie et moi embarquons à Orly. Destination Las Palmas via l'aéroport Barajas de Madrid. Une semaine de vacances au soleil avec la femme que j'aime.
Cette fille-là, mon vieux, elle est terrible!
Hélas, les bonnes choses ont toujours une fin. Après une semaine de roucoulades intenses, le cœur en berne, nous retournons, chacun de son côté, vers les tristes réalités de la vie quotidienne. Sylvie entame une nouvelle tournée. Le sergent Smet reprend la route d'Offenburg pour les traditionnelles manœuvres de printemps.
La galère.
Mais la quille approche...
À bord de nos jolis chars, nous affrontons les forces de l'OTAN. Pas triste. J'en profite pour déglinguer un second char d'assaut. L'adjudant Collet rit jaune. Ses
putains de tanks, je ne peux plus les voir en peinture. C'est le cas de le dire. L'hiver
dernier, « la main au Collet » m'avait ordonné de repeindre tous les blindés en blanc. Afin qu'on ne se fasse pas repérer dans la neige. Tu parles ! À la première sortie, on s'était planté dans trois mètres de
poudreuse !
L'été approche. Ma libération aussi. Avant que je reprenne la vie civile, le ministre des Armées me demande de participer à un gala de charité à Toulouse pour célébrer le centenaire de la Légion. Collet est de la fête. Dès notre arrivée à l'aéroport, ça commence à dégager sec : attroupement, haie d'honneur, cortège sauvage jusqu'à l'hôtel, les bouteilles de gnole qui circulent. Nous arrivons dans une salle immense où Maurice Chevalier me présente au public. C'est bourré à craquer. Il y a Tino Rossi, les Compagnons de la Chanson. Et tout le monde chante gratuitement. Après le concert, Maurice Chevalier nous a invités à dîner - mais oui, vous lisez bien – et là, rideau ! Je me souviens de
concours de vodka avec des légionnaires qui descendaient les bouteilles cul sec, des pros de la bibine. J'ai aussi quelques images confuses de Jean Collet trinquant avec Jean-Pierre Broussole, l'un des Compagnons de la Chanson. Il commençait à être sérieusement mûr à point. Prêt à tomber. Mais il m'a tout de même ramené dans ma chambre, ivre mort, avec un képi de légionnaire sur la tronche.
Un enterrement de première classe pour un sergent casseur de chars. Avec son adjudant en plus. Collet, surnommé « l'adjudant au grand verre de
de rouge » !
Libre...
Le lendemain même de ma quille, je repartais en tournée.
On the road again. Oui, mon cher !
Pas de répit. Offenbourg – Colmar à fond la caisse. Full speed. La botte au plancher et tous les compteurs dans le rouge. Ceux qui ont assisté au concert de Colmar sont des petits veinards. Devant Sylvie et trente mille fans, j’ai chanté plus de trois heures. Je retrouvais mes marques, mes sensations, mon public.
Je retrouvais la scène.
La scène qui me bouffe les tripes et l’âme.
Pour
leurs photos, MERCI à Comunrock, Hallyzim, Jérôme59,
Marco et Philou67...
...
Et ici une petite vidéo de Johnny à l'armée...