“Ardoise” suspendu : quelles garanties pour l’avenir ?


article communiqué de la LDH  de la rubrique Big Brother > les fichiers de police : Stic, Judex ...
date de publication : dimanche 27 avril 2008


Le logiciel Ardoise a fait l’objet de nombreuses critiques pour les rubriques qu’il comportait. Mais on n’a pas suffisamment insisté sur un autre aspect : le logiciel était déjà en application dans 694 commissariats, sans avoir fait l’objet de la moindre déclaration à la Cnil [1].

On remarquera également que, une fois de plus, ce sont des citoyens et des associations — en l’occurrence le Collectif contre l’homophobie —, et non les institutions (la Cnil ... ) qui en sont chargées, qui auront su veiller au respect de nos libertés.

[Première mise en ligne le 24 avril 2008, complétée le 27 avril]

COMMUNIQUÉ LDH

Paris, le 24 avril 2008

« Ardoise » suspendu : quelles garanties pour l’avenir ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a décidé mardi de suspendre l’expérimentation du logiciel de police « Ardoise » qui avait fait l’objet de vives critiques associatives et syndicales.

Ce logiciel « Ardoise », destiné à alimenter un futur fichier « Ariane » commun à la police et à la gendarmerie, comportait des rubriques d’informations sur les personnes mettant notamment en cause leurs orientations sexuelles ou leur engagement syndical, et ne pouvait dès lors être considéré que comme une incitation à la discrimination.

La Ligue des droits de l’Homme note avec intérêt l’annonce de la suspension de l’expérimentation du logiciel « Ardoise ». Cependant, au-delà de cette mesure salutaire mais provisoire, il importe d’expurger cet outil informatique de tout contenu contraire à l’égalité devant la loi.

Au-delà de ce logiciel et du fichier qui lui est associé, la Ligue des droits de Homme alerte chaque citoyen sur la multiplication des fichiers et de leurs possibles croisements, décidée sans garantie efficace de protection de la vie privée ni concertation avec les associations de défense des droits.

Michèle Alliot-Marie suspend l’expérimentation du fichier Ardoise

par Isabelle Mandraud, Le Monde du 24 avril 2008

La décision a été prise, mardi 22 avril, par la ministre de l’intérieur Michèle Alliot-Marie, de suspendre l’expérimentation du logiciel de police "Ardoise", contesté par des associations. "J’ai entendu les craintes qui se sont exprimées à ce sujet, dit-elle au Monde. J’ai, comme je l’ai toujours dit, la ferme volonté de concilier protection des Français et respect des libertés individuelles. J’ai donc décidé de suspendre ce logiciel afin d’examiner au vu de ces deux impératifs la pertinence des critères retenus, notamment ceux relatifs à “l’état de la personne”". Depuis plusieurs semaines, Ardoise, acronyme pour "Application de recueil de la documentation opérationnelle et d’information statistique sur les enquêtes" est l’objet d’une polémique en raison de mentions sensibles qui y figurent comme "homosexuel", "sans domicile fixe", l’appartenance syndicale ou religieuse.

Dans plusieurs départements, des policiers sont aujourd’hui en cours de formation pour se familiariser avec ce logiciel censé alimenter la future base de données commune à la police et à la gendarmerie, baptisée Ariane. C’est le cas notamment en Rhône-Alpes, où la sécurité publique, la police judiciaire, la police de l’air et des frontières et les CRS ont commencé à être équipés.

A terme, Ardoise doit se substituer au Logiciel de rédaction des procédures (LPR), utilisé depuis 1995, en liaison avec le fichier de police STIC (Système de traitement des infractions constatées).

Dès octobre 2007, alerté par l’un de ses adhérents, l’association de policiers gays et lesbiennes Flag !, rejoint, plus tard, par le Collectif contre l’homophobie, a interpellé, à plusieurs reprises, le ministère de l’intérieur sur le sujet. "Chaque fonctionnaire de police se servait du LPR s’il le jugeait utile. Avec Ardoise, cela devient un point de passage obligé. Et cela va peut-être permettre de sortir des statistiques", affirme son président, Jérôme Vicart.

SUSPENSION TEMPORAIRE

"Oui, ce logiciel peut permettre d’établir des statistiques, concède un responsable de la hiérarchie policière, mais les pouvoirs publics nous demandent toujours plus de statistiques. Soit nous les fournissons, et on nous le reproche, soit on ne le fait pas et on dit que la police est nulle !"

Pour Bruno Pereira-Coutinho, sous-directeur à la police technique et scientifique, dépendant de la direction centrale de la police judiciaire, chargé de l’application d’Ardoise, Ardoise permettra surtout de réduire "les risques d’erreur". "L’ancien logiciel ne donnait plus satisfaction, il fallait faire autant de saisies que de procédures, ce qui favorisait les redondances et les possibilités d’erreur", assure-t-il. Ardoise, insiste M. Pereira-Coutinho, "est d’abord un outil d’aide à l’enquête, car le policier a besoin de faire des rapprochements".

Aux yeux de ses partisans, le logiciel n’est pas plus liberticide que ses prédécesseurs, voire moins. Le LPR contiendrait ainsi 84 items de renseignements personnels contre 28 dans Ardoise. Or, dans le cas du LPR, les items ont été validés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à la condition expresse que ces données ne figurent que lorsqu’elles ont un lien direct avec l’affaire - ce que le ministère de l’intérieur n’a pas manqué de rappeler dans un communiqué daté du 15 avril. Ariane et Ardoise, ajoutait la Place Beauvau, sont appelés à intégrer "les mêmes informations que celles saisies dans le STIC, à partir des procédures établies par le LPR". Toutefois, le caractère systématique d’Ardoise a fait naître des inquiétudes bien plus fortes.

La CNIL a ainsi demandé des "précisions" et des "éclaircissements", rappelant que la mise en place d’un nouveau logiciel de police ne pouvait se faire sans un décret en Conseil d’Etat après qu’elle a rendu son avis.

Plusieurs policiers en formation ont aussi fait part de leurs critiques sur la "lourdeur" de son utilisation, comme par exemple le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière. Des syndicats comme l’UNSA-police et Alliance ont ainsi fait part de leurs réserves et réclamé des "améliorations". Mardi, Jean-Claude Delage, secrétaire général d’Alliance, se disait "satisfait" de la suspension temporaire d’Ardoise.

Isabelle Mandraud

Un logiciel "Icare" chez les gendarmes

Les gendarmes, qui disposent de leur propre fichier "généraliste" baptisé Judex, jumeau du STIC dans la police, n’utiliseront pas le logiciel "Ardoise". Ils ont "Icare", dont une nouvelle version est aussi en cours d’installation dans les unités de gendarmerie.

Ce logiciel, qui récupère automatiquement des données issues d’autres fichiers (des véhicules volés, des personnes recherchées...) intègre aujourd’hui la plainte en ligne. Il permet de fournir des informations personnelles, mais la direction de la communication de la gendarmerie s’empresse de souligner qu’il ne contient pas de données sensibles comparables à celles qui figurent dans Ardoise, le logiciel de la police...

Le logiciel Ardoise en cours de modification par le ministère de l’Intérieur

[AP - vendredi 25 avril 2008 13:07]

La ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a confirmé vendredi que le logiciel Ardoise (Application de recueil de la documentation opérationnelle et d’information statistique sur les enquêtes), critiqué par plusieurs associations de défense des droits de l’Homme, était "en cours de modification" afin de permettre la seule "caractérisation de l’infraction" et non des victimes.

Souhaitant "lever les craintes sur le droit de la personne", Mme Alliot-Marie a précisé que la nouvelle mouture du logiciel allait "distinguer entre ce qui relève d’une qualification de l’infraction et ce qui relève de la personne" victime. "L’idée, c’est d’avoir dans ce fichier deux entrées : une entrée qui permet la caractérisation de l’infraction et une deuxième entrée qui permet la caractérisation de la personne".

"Par exemple, on ne fera plus apparaître que quelqu’un est homosexuel, cela ne nous regarde pas", a expliqué la ministre à l’issue d’une rencontre avec le président de la HALDE Louis Schweitzer. "En revanche, si le délit, l’agression, est homophobe alors cela apparaîtra dans la qualification de l’acte et non plus dans la qualification de la personne".

Dans la nouvelle version d’Ardoise, "les seuls éléments qui interviendront" sur la personne "sont ceux qui manifestent, d’une façon très objective, une fragilité particulière qu’il faut pouvoir prendre en compte pour mieux protéger la personne", a-t-elle ajouté, citant l’exemple d’un délégué syndical qui, "s’il est attaqué en tant que tel, c’est quelqu’un qu’il faut protéger".

"Il ne s’agit pas de ficher ou d’avoir des fuites ou un manque de discrétion sur un certain nombre de caractéristiques des personnes", a assuré la locataire de la place Beauvau, reconnaissant "la difficulté de l’exercice". Son ministère souhaite en fait "avoir un suivi des caractéristiques de l’évolution de tels crimes ou de tels délits" pour mieux les prévenir.

Le logiciel "va être mis au point puis testé dans les toutes prochaines semaines, et ensuite nous le présenterons à la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) pour que celle-ci puisse nous donner son avis", a déclaré Mme Alliot-Marie, avançant que "cela ne devrait pas poser de problèmes majeurs".

"La clarification technique à laquelle nous allons procéder doit nous permettre de lever toutes les craintes en la matière", a assuré MAM au côté du président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Louis Schweitzer a rappelé que la HALDE avait fait part de sa "préoccupation qui était l’usage qui pouvait être fait de telles données : les propos de la ministre sont de nature à nous rassurer sur ce point". Mais "il appartiendra à la CNIL, le moment venu, de statuer sur ce fichier et de sa constitution".

Le Collectif contre l’homophobie, à l’origine de la saisine de la CNIL, "prend acte avec satisfaction et vigilance" des modifications annoncées par la ministre, ce qui "valide a posteriori (ses) critiques relatives à l’inutilité, la dangerosité et l’illégalité des rubriques litigieuses".

Mais le CCH demande dans son communiqué à MAM "d’apporter les preuves que les éléments personnels qui ont été collectés dans les 694 commissariats de police nationale dans lesquels le logiciel Ardoise a été illicitement utilisé, ont été détruits".

Le secrétaire général de la LICRA Richard Sérero, joint par l’AP, s’est déclaré "ravi que cette partie de l’ardoise soit effacée". "Tous les critères à connotation ethnique, religieuse, sexuelle doivent être supprimés des fichiers".

Quant au MRAP, son président Mouloud Aounit s’est montré plus mitigé, estimant que c’est un "geste qui n’en est pas un : c’est une vrai réalité de notre société le développement permanent du fichage, avec parfois l’agrément de la CNIL". Cela "pourrait être un faire-valoir pour dire que le gouvernement défend les libertés individuelles, mais on est dans une société où les libertés de chacun sont remises en cause chaque jour".

Notes

[1] Depuis la révision de la loi Informatique et Libertés en juillet 2004, l’avis de la Cnil sur la création d’un fichier de sécurité est purement consultatif. Mais cet avis reste obligatoire.


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