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«Le Monde» découvre le prix de la gratuité

Paru le Samedi 11 Novembre 2006
   JÉROME RIVOLLET*    

International PRESSE - Associé au groupe Bolloré, «Le Monde» ambitionnait de faire son apparition sur le marché des gratuits début novembre. Mais, faute d'accord entre les deux partenaires, le projet ne cesse d'être reporté. Cette semaine, le journaliste du «Monde» chargé de penser ce nouveau journal a démissionné.
«N'est-ce pas dévaloriser l'information que de la rendre gratuite? N'est-ce pas induire que le journalisme n'apporte aucune plus-value? Depuis le XIXesiècle, les journaux dépendent principalement de deux sources de revenus: la contribution des lecteurs et l'apport de la publicité. Renoncer à la première, c'est préparer le terrain d'une uniformité mortelle pour l'information.» Le 19 février 2002, dans un éditorial intitulé «Le prix de la gratuité», le quotidien Le Monde s'interrogeait sur les conséquences de l'arrivée des journaux gratuits dans le paysage médiatique.
Presque cinq ans plus tard, ces interrogations paraissent bien lointaines. Le journal du soir, associé au groupe Bolloré, s'apprête en effet à investir le marché du gratuit au prix d'un revirement que Jean-Marie Colombani justifiait il y a quelques semaines par «le poids et la violence de la réalité[1]». Le président du directoire de la SA Le Monde définissait cette stratégie comme la nécessité de s'accaparer un espace qui tôt ou tard aurait fini par être occupé. Il désamorçait également le risque d'un titre sans rédacteurs en affirmant que le journal compterait vingt-cinq journalistes. Baptisé Paris Plus, celui-ci deviendrait la tête de pont parisienne du réseau Ville Plus qui regroupe cinq titres gratuits créés par la presse quotidienne régionale (à Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux et Montpellier).


L'argent, nerf de la guerre

Mais l'accouchement de ce journal «haut de gamme» se révèle beaucoup plus pénible que prévu. Annoncée pour le 6 novembre, la sortie du support ne cesse d'être reportée. La faute à des tractations qui peinent à aboutir et à une ligne éditoriale toujours pas tranchée. Alors que le postulat initial prévoyait une répartition des parts à égalité entre les deux partenaires, Le Monde gardant l'initiative de la rédaction, il semblerait que le groupe Bolloré se soit découvert de nouveaux appétits et réclame aujourd'hui 70% des parts. Pour un observateur du dossier, Bolloré a surtout pris acte de la récession du marché publicitaire. «Le marché des gratuits n'est pas extensible à l'infini. Bolloré l'a découvert avec le lancement de Direct Soir (un journal gratuit du soir lancé par l'industriel, ndlr). Bolloré raisonne en marchand. Il investit, il veut garder la main.»
Une version pragmatique confirmée par Alain Faujas, délégué syndical du Monde. «Le Monde n'a pas d'argent à mettre dans ce projet et pour cette bonne raison, ce n'est pas lui qui commande. Dans cette affaire, il s'est fait dépossédé de son pouvoir.» Conséquence, selon Alain Faujas, une majorité de journalistes se demandent aujourd'hui ce que Le Monde a été faire dans cette galère. «Ce n'est pas notre projet éditorial, et nous n'avons pas la responsabilité de la publicité. De plus, vu le déroulement des événements, peu de journalistes accepteront d'aller travailler pour ce support.» Au final, Le Monde garderait pourtant la charge de l'impression, ce qui lui permettrait d'augmenter la rentabilité de ses rotatives. «Mais alors, s'interroge Faujas, pourquoi ne pas avoir passé un accord concernant simplement l'impression du journal?»


«L'enjeu de l'information n'existe plus»

Ce conflit d'intérêts a en tout cas fait une première victime cette semaine: le journaliste du Monde François Bonnet. Chargé par sa direction de penser ce gratuit, celui-ci a remis, mardi, sa démission pour des divergences de vue trop profondes. «Je me retire de ce projet, et par la même occasion je quitte le groupe Le Monde parce que je suis en désaccord total avec ce qui s'avère in fine être un projet Bolloré et non plus un projet Bolloré/Le Monde.» Et d'expliquer que l'industriel avait déjà bel et bien pensé son propre projet. Une idée «parfaitement inepte» qui équivaut, selon François Bonnet, à «une sorte de presse d'industrie pensée et formatée pour des publicitaires, où l'enjeu de l'information n'existe plus». Mardi, la direction du Monde a sobrement indiqué «comprendre la déception de François Bonnet, dont le projet de qualité n'a finalement pas été retenu». Avant d'indiquer qu'un projet plus concurrentiel était en train d'être finalisé face à 20 Minutes et à Métro.
Contactés, aucun des deux groupes n'a donné suite à nos questions. Au Monde, tout juste explique-t-on du bout des lèvres être dans l'incapacité de donner une date de lancement. «Les choses se discutent, et cela ne se fait pas sur un simple coup de fil.» Alors que la date du 6 décembre est avancée par certains organes de presse, pour d'autres le désaccord est suffisamment profond pour que le futur journal ne soit pas distribué avant l'année prochaine. I
Note :
*avec les agences
[1]Libération, le 3 octobre 2006, «Le Monde a atteint sa taille critique».



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