Didier Deschamps-Aimé Jacquet : "Le foot est pris dans une spirale de folie"

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Dix ans après, ils sont de retour au stade de France. "Le Monde 2" a réuni l'entraîneur et le capitaine de l'équipe de France victorieuse de la coupe du monde 1998. Depuis, le football a radicalement changé : plus de bons joueurs et plus d'argent, mais moins de cohésion et moins de passion. A la veille de l'euro, le diagnostic sans détour d'Aimé Jacquet et Didier Deschamps.

Aimé Jacquet a fait l'essentiel de sa carrière de joueur professionnel à l'AS Saint-Etienne de 1960 à 1973. Il y a remporté cinq titres de champion de France (1964, 1967, 1968, 1969, 1970) et trois Coupes de France (1962, 1968, 1990), avant de rejoindre l'Olympique lyonnais, en tant que joueur jusqu'en 1975, puis comme entraîneur jusqu'en 1980. Il poursuit à Bordeaux où il remporte trois titres de champion de France (1984, 1985, 1987) et deux Coupes de France (1986, 1987). En 1992, le sélectionneur de l'équipe de France, Gérard Houllier, le prend comme adjoint. En 1993, à la suite du calamiteux France-Bulgarie (l'équipe rate la qualification pour la Coupe du monde 1994), il remplace Houllier. Après la victoire de 1998, il devient directeur technique national, jusqu'à sa retraite en 2006.

Didier Deschamps a 14 ans quand il rejoint le centre de formation du FC Nantes, en 1983. Il rejoint l'équipe de première division en 1985. En 1989, il est transféré à Marseille, premier club français, en 1993, à décrocher une Coupe d'Europe. En 1994, il part à la Juventus Turin, jusqu'en 1999. Il y remporte, notamment, une nouvelle Coupe d'Europe, en 1996. Avec l'équipe de France (103 sélections), il gagne la Coupe du monde 1998 et l'Euro 2000. Il débute en 2001 sa carrière d'entraîneur à l'AS Monaco, qu'il emmène en finale de la Ligue des champions en 2004, puis à la Juventus (2006-2007), à laquelle il assure un retour en Serie A. Depuis, il est consultant (pour Canal+, entre autres).

Dix ans jour pour jour après la finale de la Coupe du monde remportée par les Bleus (3-0 face au Brésil), un match anniversaire est organisé au Stade de France, le 12 juillet. Les champions du monde 1998 – à l'exception d'Emmanuel Petit qui a décidé de bouder l'événement – affronteront une "sélection mondiale" dans laquelle devraient figurer le Néerlandais Edgar Davids, le Danois Michael Laudrup, le Portugais Pedro Miguel Pauleta, l'Espagnol Fernando Hierro ou encore le Camerounais Samuel Eto'o. Le seul Brésilien à avoir donné son accord est l'ex-Lyonnais Sonny Anderson (qui ne participait pas au Mondial 1998).

L'idée d'un "remake"  France-Brésil a vite été abandonnée en raison du peu d'enthousiasme de l'équipe sud-américaine de revivre le cauchemar d'il y a dix ans. La sélection mondiale sera conduite par Arsène Wenger. L'équipe de France 1998 sera menée par Aimé Jacquet. "France 98-Sélection mondiale. 12 juillet, l'émotion intacte", au Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), à 21 heures (ouverture des portes à 18 heures), places de 10 € à 50 €. Tél. : 0892-700-900 (0,34 € / min)


La question ne s'est pas posée un seul instant. Quand Aimé Jacquet et Didier Deschamps ont accepté, chacun de leur côté, le principe d'une discussion croisée afin de "parler football" dix ans après la victoire de l'équipe de France en Coupe du monde, le Stade de France pour lieu de rendez-vous est apparu comme une évidence. Quel autre endroit symbolise mieux l'épopée de 1998 ? Où "refaire le match", sinon ici ? Les Bleus ont disputé quatre rencontres à Saint-Denis pendant le Mondial : un match de poule (contre l'Arabie saoudite), un quart de finale (contre l'Italie), une demi-finale (contre la Croatie) et bien sûr la finale, face au Brésil, un 12 juillet gravé dans toutes les mémoires. Une décennie plus tard, que reste-t-il de cet événement dont le retentissement avait alors largement dépassé le cadre purement sportif ? Des joueurs, d'abord.

Trois champions du monde sont encore en activité au sein de l'équipe de France : Lilian Thuram, Thierry Henry et Patrick Vieira – tous trois sélectionnés en vue de l'Euro 2008 qui débute samedi 7 juin en Suisse et en Autriche (jusqu'au 29 juin). Des souvenirs ensuite. Ceux du sélectionneur et du capitaine de l'époque n'ont pas de prix. Aimé Jacquet et Didier Deschamps avaient respectivement 56 ans et 29 ans en juillet 1998. Le premier est devenu directeur technique national (DTN) au lendemain du sacre mondial. Le second a raccroché les crampons il y a sept ans et marche dans les pas de son mentor : devenu entraîneur, il a dirigé l'AS Monaco puis la Juventus Turin (lors de sa saison en série B). Petite information à l'attention de nos lecteurs fans de ballon rond : actuellement sans club, Didier Deschamps sera le consultant du Monde pendant l'Euro, prenant – là aussi – le relais d'Aimé Jacquet dont les chroniques ont enrichi notre journal lors des deux dernières Coupes du monde et du précédent Euro.

Tout concourait donc à réunir les deux hommes. Le maître et l'élève se sont claqué une bise vigoureuse et sincère en se retrouvant, ce dimanche matin de mai, dans les vestiaires du Stade de France. Là où tout a commencé…

Aimé Jacquet. Revenir dans ce vestiaire est toujours une émotion. Il s'est passé des moments tellement importants ici. Et le contexte était si particulier : jouer une Coupe du monde en France, c'est quelque chose qu'on ne verra peut-être plus de notre vivant. Cela étant, c'est bizarre mais… je ne peux pas dire que je ressens " plus " d'émotion ici que dans les autres vestiaires que j'ai connus dans ma carrière de joueur ou d'entraîneur. A chaque fois que je reviens à Saint-Etienne [où il a joué de 1960 à 1973] par exemple, c'est également très fort. C'est parce que le vestiaire est un endroit universel, neutre, préservé du dehors. Personnellement, j'ai toujours veillé à ce que n'y soient présents que ceux qui ont à y travailler. C'est d'ailleurs le combat permanent de tout entraîneur : protéger son vestiaire de l'extérieur.

Didier Deschamps. Le vestiaire, c'est l'intimité d'une équipe. Moi qui ai pas mal bourlingué, j'en ai vu un certain nombre. Mais celui-ci restera toujours différent des autres car c'est celui de la consécration. Qui aurait cru, dix ans après, qu'on organiserait encore des visites dans ce vestiaire ? A. J. Tu te souviens du premier match qu'on a joué ici ? D. D. Oui, c'était contre l'Espagne, six mois avant la Coupe du monde. On avait visité le stade un an auparavant, avec Zizou, pendant sa construction. Mais c'est vraiment ce jour-là, contre l'Espagne, qu'on a pris possession du lieu. Ceux qui ont joué ce match ont ensuite gardé leur place dans le vestiaire. Moi, par exemple, j'ai toujours été assis là, au bout du banc. On avait gagné, c'était notre premier match ici : pas question de changer quoi que ce soit à ce qui allait devenir nos habitudes. On avait nos repères.

A. J. Toi qui es devenu entraîneur, tu le sais maintenant : un vestiaire, c'est aussi un endroit infernal pour un coach. Avant le match, tu tournes en rond pendant deux heures et tu en as vite ras le bol. Tu peux toujours discuter avec un joueur, certes, mais c'est surtout pour te rassurer toi-même. En fait, tout le monde se sécurise mutuellement dans un vestiaire.

D. D. En plus, tu ne peux pas sortir car il y a trop de sollicitations à l'extérieur : on te demande tout de suite des autographes, de faire une photo, un commentaire… L'entraîneur n'a pas d'autre choix que de rester enfermé dans son vestiaire. Et comme il n'y a pas de dépense physique, c'est effectivement très long.

A. J. Mais quand arrive le moment de rentrer sur le terrain, alors là c'est fantastique. C'est ce qui me manque le plus aujourd'hui : l'instant où les joueurs reviennent de l'échauffement et où tout le monde plonge dans une concentration maximale. On se regarde, on se touche, on est impatient de confirmer sur le terrain ce qu'on a mis en place avant le match…

D.D. …la température monte graduellement. Il y a des joueurs qui sont très concentrés, d'autres qui plaisantent, d'autres qui préfèrent écouter… En équipe de France, on plaisantait pas mal, on se chambrait même beaucoup. On savait qu'il fallait être concentré et décontracté en même temps, et surtout pas l'inverse : si tu es déconcentré et contracté avant un match, t'es mort.

Avec le recul, comment expliquer la victoire de l'équipe de France ?

A. J. Il est important, je crois, de revenir à l'origine, c'est-à-dire en 1995, lorsque j'ai décidé de me séparer de toute une génération de joueurs – les Cantona, Ginola, Papin, Le Guen… – pour lancer une autre génération, celle des Zidane, Thuram, Lizarazu, Barthez… J'aurais été fou, imbécile, de prendre une décision comme celle-ci si je n'avais pas eu la certitude, dès le début, d'avoir là un groupe de joueurs exceptionnels. A l'époque, je connaissais tous les footballeurs français par cœur. Je mettais mon groupe en place et je savais ce que je faisais, contrairement à ce que certains ont alors pu penser.

Propos recueillis par Frédéric Potet
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Paolo Verzone / Agence VU pour Le Monde 2 / DR / Stade de France / Adagp, Paris 2008 / Macary, Zubléna, Regembal et Constantini, Architectes.
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