S u d - O u e s t
A q u i t a i n e
P
araĂźtre Autre,
soit disparaĂźtre,
afinâŠ
de ne pas disparaĂźtre.
Marranes
Nous remercions
toutes les personnes
qui ont participĂ© Ă lâĂ©laboration
de ces livrets
et Ă lâorganisation
du premier dĂźner
du Crif Sud-Ouest Aquitaine.
ĂditĂ© par le
Crif Sud-Ouest Aquitaine,
11, rue Poquelin-MoliĂšre
33000 Bordeaux - France
TĂ©l. 00 (33) 5 56 52 62 69
Direction Ă©ditoriale :
Hervé Rehby
Imprimé en mai 2005
sur les presses
de FabrĂšgue imprimeur
Saint-Yrieix-la-Perche.
Graphisme et réalisation, intérieur :
Bernard Lhoumeau
www.lhoumeau.com
SIRET 319 153 326 00040
La mémoire du portail
, huile sur toile
et matériaux, Alain Kleimann
Couverture : photos Richard ZĂ©boulon - Zapa Bordeaux
Sommaire
Livret « Marranes »
GĂ©rard Nahon :
Ă Bayonne et Ă Bordeaux :
un refuge pour les â Portugais â
p. 2
Balade marrane
p. 3
Hervé Rehby :
Aux sources du marranisme
p. 8
Hervé Rehby :
FlĂąnerie juive dans Bordeaux
p. 9
Ădit dâexpulsion des juifs dâEspagne 1492
p. 10
Moshé-Haï Riviah
Vidouy (confession marrane)
p. 11
Hervé Rehby :
De lâidentitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral
et du marranisme en particulier
p. 13
Quelques ouvrages de référence
sur les Marranes
p. 15
Vocabulaire
p. 16
Livret Crif
2005
Le Crif en France
Le Crif Sud-Ouest Aquitaine
Les actions du Crif Sud-Ouest Aquitaine
La marche des vivants 2005
La mémoire de la Shoah
BrĂšves
Au fil des mots
Vocabulaire
Le 28 janvier 1698, lâArmorial de
Guyenne emploie lâexpression
« communauté de la nation judaïque
ou portugaise » pour dĂ©signer lâen-
semble des Juifs de Bayonne. Câest
en effet dans cette ville, ainsi quâĂ
Bordeaux, que les nouveaux Chré-
tiens - ainsi appelés aprÚs leur
conversion forcée au catholicisme et
pourchassés par les Inquisitions
espagnole et portugaise (aprĂšs 1536)
- ont trouvé refuge aux XVI
e
et XVII
e
siĂšcles.
Dans ces deux citĂ©s, mais aussi Ă
Saint-Jean-de-Luz, Bidache, Toulouse,
Labastide-Clairence, Peyrehorade,
Bayonne, ou encore Ă La Rochelle,
Nantes, Rouen, Le Havre et jusquâĂ
Paris, ceux quâon appelle les « Portu-
gais » ont trouvé un havre leur per-
mettant de pratiquer en secret leur
religion ancestrale, de nouer des
liens avec la diaspora, notamment
dâAmsterdam et de Terre sainte.
Amsterdam est la destination rĂȘvĂ©e
de ces « nouveaux Chrétiens » aspi-
rant Ă revenir au judaĂŻsme.
Pour les « nations juives » du Sud-
Ouest, les XVII
e
et XVIII
e
siĂšcles
reprĂ©sentent un Ăąge dâor dans le roy-
aume de France, dont ils ont été
chassés en 1394, sur ordre de Char-
les VI. Mais le 21 février 1722, un
arrĂȘt du Conseil du roi dĂ©couvre
« quâun nombre considĂ©rable de Juifs
se sont installés en Guyenne et dans
le BĂ©arn, et y exercent mĂȘme ouver-
tement la religion judaïque ». Cet
arrĂȘt prĂ©voit lâĂ©tablissement dâun
inventaire et une saisie de leurs
biens. Les nations de Bayonne et de
Bordeaux exhibent alors les Lettres
de naturalité et dispenses obtenues
dâHenri II en 1550, vĂ©ritable charte
les « autorisant à vivre dans le roy-
aume avec familles, domestiques et
marchandises [...] ». En juin 1723, un
nouveau texte est rédigé en leur
faveur : en Ă©change du versement Ă
la Couronne de 100 000 livres, plus
deux sols par livre, ces communautés
obtiennent la rĂ©vocation de lâarrĂȘt de
1722 et lâoctroi de Lettres patentes
pour les « Juifs connus et établis sous
le titre de Portugais ». Ces commu-
nautés ont maintenant les coudées
franches.
Au voisinage immĂ©diat de lâEspa-
gne, en contact avec des parents,
amis, et partenaires commerciaux,
ces « Portugais » parlent... lâespagnol.
Ils diffĂšrent en cela des commu-
nautĂ©s sĆurs dâOccident dont le...
portugais demeure la langue verna-
culaire.
Ces nations obĂ©issent chacune Ă
un « gouvernement » dont les déci-
sions sont couchées sur un registre
depuis le 11 mai 1710. On se conforme
à des rÚglements réunis en corpus le
21 décembre 1752 à Bayonne et le 14
décembre 1760 à Bordeaux.
Dans le modĂšle bayonnais, lâes-
sentiel du pouvoir appartient au
gabay
(trésorier) et à trois
parnassim
(syndics) dont chacun exerce Ă tour
de rÎle la présidence, quatre mois
par an.
Parnassim
et
gabay,
choisis
parmi les membres fortunés de la
communauté, sont élus chaque
année le dimanche avant la Pùque,
par un collÚge restreint appelé les
Treize Vocaux. Ces
parnassim
gouver-
nent la nation, convoquent les
assemblées. Ils régentent les secours
aux pauvres, veillent Ă lâapplication
des rĂšglements, assurent la police
intérieure, supervisent les synago-
gues. Ils fixent lâassiette des impĂŽts,
taxes et redevances, dont une frac-
tion est reversée au fisc royal et à des
ChassĂ©e dâEspagne, puis du Portugal,
la communautĂ© sĂ©farade se replie en âGuyenne et BĂ©arnâ.
Elle y prospĂšre, entretient des relations
avec Amsterdam, Londres et la Terre sainte.
Elle y conquiert surtout une reconnaissance officielle,
qui lâamĂšne Ă jouer un rĂŽle important
pour son Ă©mancipation en 1789.
2
Ă Bayonne et Ă Bordeaux : un
ChassĂ©s par lâInquisition.
Ă partir de 1478,
lâInquisition espagnole
pourchasse les Juifs convertis
qui sâexilent dâabord
au Portugal avant dâen ĂȘtre
également expulsés.
Ils trouvent refuge
dans le Sud-Ouest de la France.
Gérard Nahon, spécialiste
du judaïsme médiéval et moderne,
est lâauteur de nombre dâouvrages
dont
Les Nations juives portugaises du
Sud-Ouest de la France. 1684-1791
(Fondation C. Gulbenkian, 1981),
Inscriptions hébraïques
et juives de France médiévale
(Les Belles Lettres, 1986),
et derniĂšrement
Juifs et judaĂŻsme Ă Bordeaux
(Mollat, 2003).
Il est lauréat
du prix JĂ©rusalem 1995.
repĂšres
Itinéraire,
huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann
protecteurs locaux, le plus clair Ă©tant
affecté aux charges communautaires.
Les Treize Vocaux se réunissent
au moins une fois par mois. Ils assis-
tent les
parnassim
et le
gabay
, votent
les charités et contrÎlent les comp-
tes. Cette assemblée établit le rÎle de
la capitation (imposition créée en
1695 par Louis XIV), procĂšde Ă lâadju-
dication des fermes, de la boucherie
rituelle, des pains azymes, de la
poste, contrÎle la gestion des confré-
ries, administre la synagogue princi-
pale, fulmine les excommunica-
tionsâŠ
Une deuxiÚme assemblée dite des
Vingt-Six, comprenant les Treize
Vocaux en exercice et treize anciens
syndics, se réunit à intervalles irré-
guliers et amende le cas échéant les
dĂ©libĂ©rations et arrĂȘts des Vocaux.
Une troisiĂšme autoritĂ©, lâAssemblĂ©e
générale de la nation, se tient dans
les grandes occasions. Y prennent
part les anciens syndics et la majeure
partie du peuple. Ă celle de janvier
1703, assistent « les an-
ciens du peuple et chefs
de famille qui composent
la majeure partie du
lieu ». à celle du 19 avril
1789, prennent part 97
particuliers. Ainsi au fil
du temps, la « nation juda-
ïque » se façonne un sys-
tÚme collégial - renforcé
en 1741 par une réforme
royale. Elle se réclame
dâun principe dĂ©mocra-
tique dans la mesure oĂč
lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale - la
nation en son entier -
dĂ©tient la source de lâau-
torité.
Cette nation salarie des secrétai-
res, valets communaux, sacrifica-
teurs rituels, archivistes et un agent
national résidant à Paris, chargé de
dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts. Dans la secon-
de moitié du XVIII
e
siĂšcle, le titulaire
de cette fonction, le Bordelais Jacob
Rodrigues-Pereire invente une
mĂ©thode dâĂ©ducation des sourds-
muets - une premiĂšre - qui lui vaut
une pension de Louis XV. Il utilise ses
relations personnelles et obtient, Ă
titre gratuit, de nouvelles Lettres
patentes en 1776. Le lieutenant de
police le reconnaĂźt comme syndic
des Juifs portugais de Paris et confir-
me en 1780 son acquisition Ă La
Villette (aujourdâhui, 44 avenue de
Flandre dans le 19
e
arrondisse-
ment) dâun cimetiĂšre.
Le rabbin, rétribué par la nation,
nâa pas de statut officiel, la monar-
chie affectant jusquâĂ la veille de la
Révolution de considérer les Juifs
portugais comme des nouveaux
ChrĂ©tiens. Tandis quâen Alsace et en
Lorraine, le rabbin est nommé par le
roi, Ă Bayonne et Ă Bordeaux, il
dépend du bon vouloir des laïcs, qui
lui mĂšnent la vie dure. Un article du
rĂšglement bayonnais de 1752
stipule : « Le rabbin ne prendra aucu-
ne part aux affaires de la nation et se
contentera de tout ce qui regarde son
ministÚre ». Plusieurs de ces docteurs
de la Loi, dont Abraham Vaez, Yshak
de Acosta, Isaac Abravanel de Souza
ont reçu leur formation à Amster-
dam ; Raphaël ben Eléazar Meldola
vient dâItalie ; Joseph Falcon est ori-
ginaire de JĂ©rusalem.
Ces rabbins rendent leur Ă©lan cultu-
rel et spirituel à ces communautés.
Ceux de Bayonne composent, en
espagnol, des livres pour
leurs fidÚles, imprimés
probablement dans la
clandestinitĂ©, Ă lâexemple
dâ
Historia Sacra Real
dâYs-
hak de Acosta qui paraĂźt
en 1691. Le mĂȘme rĂ©dige
encore
Via de SalvaciĂłn
, Ă
lâusage des malades et
des mourants, et son
grand ouvrage
Conjetu-
ras Sagradas sobre los pri-
meros profetas
(Conjectures
sacrées sur les premiers
prophĂštes), un commen-
taire biblique dans la
grande tradition ibérique.
Son collĂšgue Abraham
Vaez publie
Arbol de Vidas
(Arbre de
vies) en 1692, expliquant les précep-
tes quotidiens et, en 1710,
Discursos
predicables y avisos spirituales
, recueil
de sermons.
Raphaël Meldola compose en hébreu
des ouvrages qui atteignent Ă©galement
une audience internationale. Il approuve
aussi les travaux dâautres rabbins, publiĂ©s
Ă Amsterdam ou Ă Venise.
Le culte est célébré dans des ora-
toires, dits «
esnogas »
(synagogues).
On y récite la priÚre publique chaque
jour, mais pas forcĂ©ment Ă la mĂȘme
heure. à Bayonne, elle est chantée
tĂŽt le matin dans la synagogue
« connue sous le nom de
Faro
qui ne
servait guĂšre quâĂ quelques pauvres
3
refuge pour les âPortugaisâ
Lâespace bordelais
a gravé le judaïsme sur les
plaques de ses rues, de ses Ă©quipements, de ses
commerces. Non content de prolonger la rue
JudaĂŻque
jusquâĂ la barriĂšre JudaĂŻque, il a bĂąti
des Halles JudaĂŻques et une Piscine JudaĂŻque.
Encore fait-il mine dâoublier quâau Moyen-Ăge la
rue des Bahutiers sâappelait la rue du Puits des
Juifs, que la rue de Cheverus remplace la rue
Juive mĂ©diĂ©vale et quâen 1753 on inaugura la
nouvelle
Porte-Dijeaux
sur lâemplacement
mĂȘme dâune Porta di Jeus, c'est-Ă -dire « Porte des
Juifs ». Celle-ci figure sur le plan reconstitué par
LĂ©o Drouyn dans son livre
Bordeaux vers 1450,
description topographique
(Bordeaux, 1874).
Modernes et contemporaines, personnalisées,
dâautres rues et places prĂ©servent la mĂ©moire du
grand rabbin Joseph Cohen, de René Cassin (né
Ă Bayonne) pĂšre de la DĂ©claration universelle
des droits de lâhomme, dâĂdouard Colonne,
dâAbraham
Furtado,
de
David Gradis,
dâĂ-
mile Pereire, de Jacob
Rodrigues-Pereire, de
Louis-Francia de Beau-
fleury, de David Ray-
nal, du docteur Sabatino Schinazi, de GĂ©o
Delvaille, dâAmĂ©lie Raba LĂ©on, de Georges Man-
del (né à Chatou), de Catulle MendÚs.
Extrait de
Juifs et judaĂŻsme Ă Bordeaux,
GĂ©rard Nahon, Ă©d. Mollat, 2003
Instant musical
,
huile sur toile et matériaux.
Alain Kleimann
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
B
a
lade
m
a
rr
a
n
e
par GĂ©rard Nahon
qui avaient besoin, pour ne pas per-
dre le temps de leur travail, de faire
leurs priĂšres de meilleure heure
que les gens aisés ».
En 1755, de passage Ă Bayonne,
Hayyim-Joseph-David Azulay, ori-
ginaire dâHĂ©bron, prĂȘche dans les
treize
esnogas
de la ville. La nation
portugaise de Bordeaux dispose,
elle, de six lieux de culte. Il faut
compter encore les synagogues de
Peyrehorade et de Bidache, et celle
de la rue des Boucheries Ă Paris.
Les particuliers qui les ont fon-
dées, pourvoient à leur entretien et
arrĂȘtent des dispositions testa-
mentaires en leur faveur. Le
Bayonnais Moïse GuÚdes prévoit
ainsi dans son testament du 10 sep-
tembre 1756, des legs pour le lumi-
naire et pour les gages des
hazanim
(chantres) de sa
congrega
. De la
mĂȘme façon, Isaac MendĂšs France,
testant Ă Bordeaux le 13 septembre
1785, déclare : « Je veux et entends
que mes dits héritiers ci-aprÚs nom-
més payent et distribuent le jour de
mon décÚs la somme de cent livres
aux pauvres de la nation portugaise
et autres cent livres un mois aprĂšs,
applicables Ă la petite synagogue
que jâai fondĂ©e situĂ©e rue des
Augustins. »
Mais la pratique religieuse
concerne surtout la charitĂ© et lâen-
seignement. La communauté assu-
re lâentretien des pauvres et prend
en charge leur loyer. Elle tient Ă
jour un rĂŽle des personnes assis-
tées, prévoit des distributions de
viande, de pain azyme et de
bouillon aux nécessiteux. Elle rétri-
bue le médecin qui les soigne et
paie Ă lâapothicaire les remĂšdes
prescrits. Des confréries complÚ-
tent ces actions charitables. Ă
Bayonne, la
JĂ©bera
procĂšde au der-
nier devoir (la toilette des défunts
et les funérailles) ;
la Frairie des pau-
vres malades
nourrit les nécessi-
teux ; le
Malbish Arumim
pourvoit Ă
leur habillement ; la
Frairie des
orphelines
dote les filles pauvres,
condition
sine qua non
Ă leur maria-
ge. Aux miséreux de la commu-
nautĂ© sâajoutent ceux de passage.
Lâenseignement incombe en
principe à des maßtres privés. Au
niveau élémentaire, la confrérie du
Talmud Torah
finance et réglemente
son fonctionnement. Au niveau
supérieur, le rabbin enseigne le
Tal-
mud
dans sa
yeshiva
(Ă©cole). La qua-
lité des études de Bayonne est si
prisée à Bordeaux que David Lindo
met son fils en pension chez son ami
bayonnais Jacob Pereyre Brandon.
Bayonne et Bordeaux font réci-
ter des priÚres pour la guérison de
Louis XV ou pour lâaccouchement
de Marie-Antoinette. Traduites en
français, ces priÚres sont communi-
quĂ©es Ă la Cour. Lâexistence de la
synagogue de PaĂ«z, rue Bouhaut Ă
Bordeaux, est officialisée le 30 juin
1780 par la présence des princes de
Condé et de Bourbon qui assistent
au service. Ă Bayonne les fĂȘtes Ă
lâoccasion de la naissance du Dau-
phin le 12 décembre 1781, rassem-
blent Juifs, ChrĂ©tiens et mĂȘme les
soldats du roi.
Cette tolérance relative du pou-
voir sâexplique par lâutilitĂ© Ă©cono-
mique des Juifs. Ă Bordeaux, plu-
sieurs firmes pratiquent lâarme-
ment maritime, le négoce colonial,
la banque. David Gradis (1665-1751)
Ă©tend ses opĂ©rations Ă lâAngleterre,
au Canada, aux Antilles françaises.
Son neveu Abraham Gradis (1699-
1780) intensifie les activitĂ©s de lâen-
treprise au service de l'Ătat. Il fonde
en 1778 la Société du Canada et
lance quatorze navires pendant la
guerre contre lâAngleterre. Heureux
en affaires, certains investissent
leurs bénéfices en hÎtels en ville ou
en biens de campagne. Ă Bayonne
comme Ă Bordeaux, on trouve des
Juifs jouissant dâune honnĂȘte aisan-
ce qui, aprÚs une carriÚre réussie,
vivent des revenus de leurs terres.
Ils peuvent acquérir terres et mai-
sons, et les redevances féodales ne
les Ă©crasent pas. On retrouve cette
relative liberté dans la classe
moyenne des artisans.
Les Ă©chevins de Bayonne inter-
disent pourtant aux Juifs le com-
merce de détail. Les marchands en
gros font le négoce du tabac, du
cacao, du textile, du sel, des cuirs,
des peaux avec lâEspagne, les Pays-
Bas, les colonies. On retrouve des
Juifs banquiers, porte balles, cor-
donniers, serruriers, perruquiers,
barbiers, bouchers, chocolatiers,
confiseurs, orfĂšvres, apothicaires,
chirurgiens, teneurs de livres, chan-
geurs, courtiers, médecins, musi-
ciens, maĂźtres Ă danser, joueurs pro-
fessionnels.
à cÎté de la classe aisée et des
artisans, survit une classe pauvre.
Pour leur venir en aide la nation
sollicite réguliÚrement des réduc-
tions dâimpĂŽts, afin de leur consac-
rer une portion plus large de ses
ressources.
Dans le troisiĂšme tiers du XVIII
e
siÚcle le déclin économique, plus
sensible Ă Bayonne quâĂ Bordeaux
entraĂźne une Ă©migration vers Pau,
Paris et les colonies. Le nombre des
synagogues bayonnaises se réduit
alors Ă quatre en 1776.
Autre différence entre Bordeaux
et Bayonne : la nation juive borde-
laise, forte dâun millier dâĂąmes tout
au plus, ne constitue pas un problĂš-
me tandis que celle de Bayonne,
quelque 2 500 personnes confinées
au faubourg Saint-Esprit, représente
un cinquiĂšme de la population tota-
le et les Ă©chevins de la ville lui liv-
rent une guerre sans merci.
Ces nations juives du Sud-Ouest
se rattachent à la diaspora séfarade
par des relations suivies avec les
autres communautĂ©s et dâabord
celle dâAmsterdam. Les Ă©changes
avec la cité hollandaise touchent
des problÚmes privés, communau-
taires et rabbiniques. Avec les
parents et amis, on Ă©change lettres
et marchandises. Des Juifs dâAms-
terdam sâinstallent Ă Bayonne ou Ă
Bordeaux ; dâautres font le voyage
inverse. Abraham Lopés Colaso
arrive dâAmsterdam Ă Peyrehorade
en 1722 alors que son frĂšre Benja-
min reste aux Pays-Bas. En 1720,
François RoblÚs de Bayonne lÚgue
300 livres Ă sa fille Judicq, Ă©pouse
de David Loppes de Pas, qui habite
Amsterdam.
Les rabbins consultent ceux
4
Ă Bayonne et Ă Bordeaux : un
La petite sĆur,
huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann
repĂšres
dâAmsterdam et ces derniers compo-
sent des réponses détaillées. Le 21
mai 1684, Jacob ben Aaron Sasportas,
rabbin dâAmsterdam, adresse un long
responsum
Ă son confrĂšre HaĂŻm de
Mercado Ă Bayonne, au sujet dâune
affaire survenue Ă Bidache. Vers
1690, le mĂȘme Sasportas rĂ©pond Ă
Isaac de Acosta, ministre du culte Ă
Peyrehorade sur lâobservance des
fĂȘtes et du shabbat. Le 15 dĂ©cembre
1692, Yshac Aboab de Fonseca
approuve les
Discursos predicables
(Discours de prédication) de son
homologue bayonnais Abraham
Vaez. Vers 1737, David-Israël Atias et
Isaac-HaĂŻm Abendana de Brito
approuvent le recueil,
MaĂŻm Rabbim
,
de Raphaël Meldola, rabbin de
Bayonne. Amsterdam contribue lar-
gement au processus de rejudaĂŻsation
des Marranes de France.
Les relations sâintensifient aussi
avec Londres. Des Juifs de la capitale
anglaise prennent femme dans le
Sud-Ouest, dâautres viennent sây
installer. De la mĂȘme façon, des capi-
taux londoniens sont investis dans le
négoce à Bayonne : fin 1685, Louis
dâAndrade finance partiellement une
expĂ©dition de pĂȘche Ă la baleine Ă
Terre-Neuve.
Il existe aussi des relations avec
les communautés portugaises des
colonies françaises, hollandaises et
anglaises dâoutre-Atlantique, Saint-
Domingue, Curaçao, la Jamaïque, le
Surinam. Isaac Goutiéres, Abraham
Delvalle, Isaac Sossa, David Lopez,
Salomon LopĂ©s-Dias embarquent Ă
Bayonne en 1770 et 1771. Des Bayon-
nais se marient à Curaçao et, fortune
faite, rentrent au pays.
DâAfrique du Nord des familles
gagnent Bordeaux. MĂ©ir Cresques
ben Nathanaël, rabbin à Alger, séjour-
ne Ă Bayonne et Ă Bordeaux en 1739 ;
Isaac Nahon, rabbin Ă TĂ©touan, siĂšge
au
beit din
(tribunal) de Bordeaux le
25 juin 1783. FernandĂšs de Medina
« né à Bayonne, ùgé de trente ans,
ayant été choisi par la synagogue
dâAmsterdam pour ĂȘtre envoyĂ© au
Levant et y Ă©tudier la langue et les
livres des Hébreux » fait, lui, le che-
min inverse et embarque Ă Marseille
en 1723.
Depuis la fin du XVII
e
siĂšcle, Bor-
deaux et Bayonne reçoivent réguliÚ-
rement la visite de rabbins de Terre
sainte, délégués par les
yeshivot
de
JĂ©rusalem, dâHĂ©bron, de Safed et de
TibĂ©riade pour quĂȘter en «
Frankia
»,
câest-Ă -dire en Occident. Ils lĂšvent
des fonds dans les synagogues,
recueillent donations et legs. Ces
envoyĂ©s prĂȘchent dans les synago-
gues, approuvent les
ascamot
(consti-
tutions) locales, vérifient la
cacherout
(loi concernant lâalimentation) de la
boucherie, interviennent dans les
conflits conjugaux.
La nation les consulte aussi dans
des circonstances graves. En 1773,
Yom Tov Algazi et Jacob Lebet Hazan
se trouvent Ă Bordeaux oĂč gronde
une émeute provoquée par la cherté
du pain. Les Juifs participent aux
patrouilles bourgeoises de maintien
de lâordre. Mais peuvent-ils porter les
armes durant le
shabbat,
une fois que
les démarches pour obtenir une
dispense des autorités municipales
auront échoué ? à titre exceptionnel,
les rabbins de Terre sainte autorisent
cette entorse au
shabbat
.
BientÎt, les communautés de Bor-
deaux et Bayonne, aux prises avec
des difficultés financiÚres, jugent ces
tournées trop coûteuses et demande
que lâon nâenvoie un Ă©missaire quâu-
ne fois tous les dix ans. Les rabbins
de Terre sainte nâen ont cure et conti-
nuent ces missions permettant de
maintenir un contact avec la diaspora
et à réinsérer les familles marranes
dans la communauté séfarade.
Ă la veille de la RĂ©volution et de
la disparition politique des nations
du Sud-Ouest, quel est leur degré de
cohésion structurelle, religieuse et
5
refuge pour les âPortugaisâ
23, rue Leyteire
: on remarque une belle bĂątisse
classique, dont l'une des fenĂȘtres surmontĂ©es de
clefs de voûte est sculptée, en guise de mascaron,
d'une
Maguen David.
Certains l'appellent la
Maison Carrée d'Arlac
;
d'autres, le
chĂąteau de Peychotte ou Peixotte
.
C'est en 1720 que la maison de Pey d'Arlac entre
dans le patrimoine des familles alliées Peixotto et
MendÚs, négociants et banquiers.
Samuel
Peixotto
fait d'abord construire une belle et
grande villa Ă
Talence
, devenue
l'hĂŽtel de
ville,
. puis la
Maison Carrée
dont le style est
proche de la Maison Blanche Ă Washington ou
du chĂąteau de Rastignac en PĂ©rigord.
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
B
a
lade
m
a
rr
a
n
e
Transmission
huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann
morale ? LâautoritĂ© des
parnassim
est
mal ressentie Ă Bordeaux et Ă Bayon-
ne. Le 24 juin 1764, 24 Juifs bordelais
formulent un réquisitoire violent
contre leur administration. Le 27
décembre 1789, 12 Juifs bayonnais
prennent une délibération contre
leur syndic. Le pouvoir de la nation
se sait contesté et réagit. Bordeaux
présente en 1788 au ministre Guillau-
me Lamoignon de Malesherbes un
projet de réforme du statut des Juifs
du royaume. La Nation réclame le
maintien, voire le renforcement du
dispositif communautaire - non seu-
lement lâĂ©tat civil resterait sous son
contrĂŽle mais celle-ci serait seule en
droit dâaccorder ou de refuser Ă des
particuliers le droit de résidence.
Sur le plan religieux et intellec-
tuel, la situation se présente autre-
ment. Les LumiĂšres nâentament pas
la piĂ©tĂ©. Lâexamen des testaments
révÚle un fort sentiment religieux
sâexprimant par des legs et des com-
mandes de priÚres. Ce regain de piété
sâaccommode aussi de lâadhĂ©sion Ă
la loge maçonnique bayonnaise, la
« Zélée ». Et dans les cimetiÚres de
Bidache, de Labastide-Clairence, de
Peyrehorade, les Ă©pitaphes portent
des dates hébraïques et chrétiennes.
Un processus dâacculturation sâamor-
ce sans entamer lâidentitĂ© religieuse.
La premiĂšre phase de ce proces-
sus se déroule au printemps 1788.
InfluencĂ© par lâĂ©volution des idĂ©es
sur les Juifs, Louis XVI, aprĂšs avoir
rendu en 1787 un Ă©dit en faveur des
protestants, charge Malesherbes de
préparer une réforme. Le ministre de
la Maison du roi recueille les avis de
Lacretelle, Roederer, Target, de lâan-
cien intendant de Guyenne et de
Nicolas Dupré de Saint-Maur. Il pres-
sent des représentants des commu-
nautĂ©s dâAlsace, de Lorraine et du
Sud-Ouest. Abraham Furtado, Salo-
mon Lopés-Dubec, Louis Francia de
Beaufleury pour Bordeaux, Fonseca
pour Bayonne prennent une part pré-
pondérante à ces travaux. En avril
1788, ils se rendent Ă Paris et remet-
tent au ministre un mémoire.
Pour la nation sĂ©farade, il nâest
toutefois pas question de se diluer
dans un ensemble oĂč les ashkĂ©nazes
seraient majoritaires. Dans cet esprit,
les dĂ©lĂ©guĂ©s bordelais Ă©crivent Ă
leurs mandants, relatant leurs ren-
contres avec Cerf Berr, pour lâAlsace,
et Berr Isaac Berr, pour la Lorraine, le
19 avril 1789 : « Nous ne ferons
cependant pas cause commune avec
eux pour ne pas nous Ă©carter des
principes de notre nation de se main-
tenir sâil est possible dans cet Ă©tat de
sĂ©paration qui lâa distinguĂ©e jusquâĂ
présent des autres Juifs. » Mais les
choses en restent lĂ car le royaume
connaĂźt une crise financiĂšre abyssale.
La deuxiĂšme phase sâouvre avec
les élections aux états généraux du
printemps 1789, convoqués par Louis
XVI. LâabbĂ© GrĂ©goire, ardent dĂ©fen-
seur des Juifs, Ă©crit Ă IsaĂŻe Bing de
Nancy : « à la veille des états géné-
raux, ne devriez-vous pas vous
concerter avec dâautres membres de
votre nation pour réclamer les droits
et les avantages des citoyens ? » Mais
les Juifs du royaume avancent en
ordre dispersé. Les Ashkénazes sont
écartés des assemblées primaires qui
doivent désigner les grands électeurs.
Bordelais et Bayonnais, au contraire
y participent. Il sâagit pour ces
nations, Ă travers trois niveaux de
consultation (corporation, disctrict,
sĂ©nĂ©chaussĂ©e), dâĂ©lire leurs dĂ©putĂ©s
au tiers Ă©tat.
Comme le font les Juifs de Bayon-
ne le 19 avril 1789, ceux de Bordeaux
rédigent leur cahier de doléances.
Finalement, il ne manquera que
quelques voix Ă David Gradis, pour
ĂȘtre lâun des dĂ©putĂ©s de Bordeaux.
Les Juifs se retrouvent défendus au
tiers état par des députés catholiques
et protestants de Bordeaux, parmi
lesquels le docteur Paul Victor de
6
Ă Bayonne et Ă Bordeaux : un
Drame Ă Saint-Jean-de-Luz.
La
communauté de Saint-Jean-de-Luz,
deux cents ùmes, bénéficie de la
protection du duc de Gramont, gou-
verneur héréditaire de Bayonne et
du Labourd. Plaque tournante de lâĂ©-
migration néo-chrétienne, elle four-
nit aux fugitifs une premiĂšre halte
sur la route dâAmsterdam. Mais une
horrible tragédie sonne le glas de ce
groupement. Le 19 mars 1619, un
prĂȘtre distribuant lâeucharistie dans
lâĂ©glise sâaperçoit que Catherine de
FernandĂšs, une Portugaise de 60
ans, cache lâhostie dans son mou-
choir au lieu de lâavaler. Il la fait
incarcérer comme sacrilÚge. Une
foule sâameute sur la place, arrache
la prisonniĂšre, lâenfourne dans un
tonneau bourré de paille et de gou-
dron, y met le feu : la malheureuse
est brûlée vive. Terrifiés, les Portu-
gais quittent la ville.
Lâescalier
,
huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann
repĂšres
SĂšze. Mais le fait pour les Portugais
dâavoir pu participer au processus
électoral est déjà une reconnaissance
de fait de leurs droits civiques et poli-
tiques. En quelque sorte de leur
citoyenneté.
La troisiĂšme phase du processus
se déroule entre le 14 août 1789 et le
28 janvier 1790. Les Portugais enten-
dent sauvegarder leurs nouveaux
acquis. Ils repoussent ainsi lâidĂ©e
dâun statut particulier : la DĂ©claration
des droits de lâhomme en prĂ©paration
sâappliquera aux Juifs comme Ă tous
les Français. « Câest par la libertĂ© de
leurs personnes et de leurs biens que
les Juifs de toutes les provinces du
Royaume deviendront libres et
utiles », Ă©crivent-ils Ă lâabbĂ© GrĂ©goire
le 14 août 1789. Ils souhaitent une
Ă©mancipation implicite, tandis que
les Ashkénazes attendent un texte
explicite leur « décernant le titre et
les droits de citoyens ». Mais à Paris,
Séfarades et Ashkénazes envoient, le
26 août 1789, une délégation commu-
ne Ă lâAssemblĂ©e nationale pour
réclamer dans les décrets « une men-
tion particuliÚre de la nation juive »
qui permettrait de « consacrer [leurs]
titres et [leurs] droits de citoyens ».
Reste à définir ces droits. Les Juifs
de Bordeaux envoient dans la capita-
le des représentants qui, entre le 4
janvier et le 13 février 1790, se
concertent avec leurs homologues
dâAlsace et de Lorraine. Sâapercevant
que les Ashkénazes se contenteraient
de simples droits civils, les Portugais
prĂ©sentent une adresse Ă lâAssemblĂ©e
nationale. Pour eux, il sâagit moins
dâacquĂ©rir que de ne pas perdre.
Ă lâissue dâun long dĂ©bat des 27 et 28
janvier 1790, la représentation fran-
çaise décrÚte que : « Tous les Juifs
connus en France sous le nom de
Juifs portugais, espagnols, avignon-
nais, continueront de jouir des droits
de citoyens actifs, dont ils avaient
joui jusquâĂ prĂ©sent. »
Officialisés dans leur statut de
citoyens actifs, le terme désigne alors
les Ă©lecteurs qui paient un impĂŽt Ă©gal
à trois puis dix journées de travail, les
Séfarades ont donc gagné et perdu la
bataille, car leur nation disparaĂźt. Les
Bordelais en prennent acte le 18
février 1790 : « Les Juifs de Bordeaux
ne pouvant plus ĂȘtre considĂ©rĂ©s
comme nation, lâAssemblĂ©e des
anciens qui les reprĂ©sentait sâest aus-
sitÎt dissoute »
Les séfarades français
sont les premiers Juifs au monde
Ă sâĂȘtre Ă©mancipĂ©s : le judaĂŻsme
dâOccident adoptera leur modĂšle.
LâĂ©mancipation gĂ©nĂ©rale des Juifs
de France est dĂ©crĂ©tĂ©e par lâAssem-
blée nationale le 2 septembre 1791, et
confirme la disparition de la Nation :
elle concerne en effet « les individus
juifs qui prĂȘteront le serment civique
qui sera regardé comme une renon-
ciation Ă tous les privilĂšges et excep-
tions introduits précédemment en
leur faveur ».
En lâespace de trois siĂšcles, les
descendants des nouveaux Chrétiens
ont fait resurgir en France des
communautés traditionnelles. Ils ont
participé à son essor économique,
intellectuel, religieux. Ils dessinent,
concrétisent et répandent un modÚle
dâinsertion du judaĂŻsme dans la sociĂ©-
té façonnée par les LumiÚres.
© Historia Thématique - 01/01/2004 - N
o
087 -
Les Juifs en France
En complément :
Histoire des Juifs de Bayonne
, de Henry LĂ©on
(1893, réimpr. Laffitte Reprints, 1976).
Métropoles et périphéries séfarades
dâOccident. Kairouan, Amsterdam,
Bayonne, Bordeaux, JĂ©rusalem
,
de GĂ©rard Nahon (Ă©d. du Cerf, 1993).
Le Registre des délibérations de la nation
juive portugaise de Bordeaux (1710-1787)
,
de Simon Schwarzfuchs,
(Fondation Calouste Gulbenkian,
Centre culturel portugais, 1981).
7
refuge pour les âPortugaisâ
Inaugurée le 5 septembre 1882,
la synagogue
de Bordeaux
venait remplacer celle de la rue
Causserouge incendiée en 1873. Construite par
André Burguet et Charles Durand dans un style
romano-byzantin orientalisĂ©, câest une des plus
grandes de France. Sur la façade, un haut
pignon couronné par
les tables de la Loi
, sou-
ligné par des séries d'arceaux, est enserré de
deux tours. La synagogue de Bordeaux multiplie
les
maguen David
décoratives : sur le sol, les
vitraux, le tympan central et la façade. Profanée
durant lâOccupation, son mobilier fut dĂ©vastĂ©, et
elle servit mĂȘme de prison aux dĂ©portĂ©s. Elle fut
restaurée aprÚs la guerre. Elle a été classée
Monument Historique en 1998.
Le 15 janvier 1529, Ă Toulouse, le notaire Man-
dinelli prépare, rédige et délivre un contrat de
mariage Ă Pierre Eyquem, seigneur de Montai-
gne et Anthonie de Lopez. De cette union naĂźtra
4 ans plus tard
Michel Eyquem de Montaigne
,
futur maire de Bordeaux entre 1581 et 1585, et
auteur
des Essais.
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
La bibliothĂšque
huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann
B
a
lade
m
a
rr
a
n
e
La survie des Juifs en diaspora
ne fut jamais végétative. Ils ne res-
tĂšrent jamais, Ă quelques rares
exceptions prÚs, figés dans leur
identitĂ©. Ils durent sâadapter aux
exigences du moment et du lieu
pour se faire les plus discrets, les
moins dérangeant, adoptant ici les
vĂȘtements et les patronymes, lĂ
encore les langues, les coutumes et
lâart culinaire. Mais conservent par-
tout une maniĂšre juive de repenser.
Ces phénomÚnes adaptatifs font
apparaĂźtre une marranisation cultu-
relle inverse de celle habituelle-
ment décrite pour les individus
eux-mĂȘmes. LâextĂ©rioritĂ© des pra-
tiques culturelles est encore repé-
rée comme spécifiquement juive,
comme le vĂȘtement des Juifs ortho-
doxes, la musique klezmer, le cous-
cous-boulette ; mais comme chacun
feint de lâignorer, tout cela nâest
quâemprunt au monde non-juif.
Outre la pratique du texte de la
Torah
et du
Talmud
, le peuple juif
dans sa diasporisation nâa stricte-
ment rien emporté. Il a tout ou
presque réinventé en cours de
route, de si longue route.
Il en va tout autrement pour les
individus. La marranisation des
Juifs espagnols et portugais, cor-
respondit Ă lâadoption en public de
la foi et des rites chrétiens ou musul-
mans, souvent sous la contrainte,
alors mĂȘme que dans lâintimitĂ© des
maisons et des
juderĂas
, ils retrou-
vaient les gestes et les mots de leurs
ancĂȘtres. LâintĂ©rieur du marrane,
son cĆur et sa psychĂ© restaient
fidĂšles au judaĂŻsme, quand tout, Ă
lâextĂ©rieur, en surface et dans le for-
mel, jurait la conversion sincĂšre.
Cette volonté de se cacher pour
survivre semble trĂšs ancienne dans
la tradition littéraire juive.
Repus du fruit de la connaissan-
ce du Bien et du Mal, Adam et Ăve
découvrent leur nudité, et se confec-
tionnent des ceintures-pagnes en
feuilles de figuier ; puis ils se
cachent pour échapper, réflexe déri-
soire, Ă la voix de Dieu. La question
de Dieu est tout aussi directe et
significative : «
Ayéka
? », un seul
mot en guise de question juive,
câest-Ă -dire de question humaine
ultime et radicale : « oĂč (en) es-tu ? ».
LĂ est la question des Marranes jus-
quâĂ nos jours, avec des formula-
tions variables quâon imagine aisĂ©-
ment.
Le « oĂč est ton frĂšre Abel ? » est
encore dans cette veine, mais ici
câest lâaltĂ©ritĂ© qui Ă©choue brutale-
ment. CaĂŻn nâa pas laissĂ© Ă Abel la
chance de se marraniser, de se tra-
vestir en caĂŻnite ; il lâa tuĂ© tout sim-
plement. CaĂŻn sera condamnĂ© Ă
lâerrance mais portera un signe de
protection contre ceux qui vou-
draient le tuer. Le Juif a été mani-
festement une figure caĂŻnique
durant longtemps en Diaspora,
errant et porteur de signes, rouelle
ou Ă©toile jaune, toutefois plus infa-
mants que protecteurs.
Menacé de famine, Abram déci-
de de descendre en Ăgypte. Il
demande alors Ă sa femme de dire
quâelle est sa sĆur, de taire le rap-
port dâunion conjugale entre eux.
Cette logique marranique (avant la
lettre) dâAbram a dĂ» marquer les
esprits juifs durant les longues heu-
res de méditation quotidiennes des
textes sacrés.
MoĂŻse lui-mĂȘme dissimule une
identité juive incertaine disant aux
filles de Jethro quâil est Ă©gyptien. Il
venait de fuir l'Ăgypte prĂ©cisĂ©ment
pour avoir tué un chef de corvée
occupé à frapper un esclave hébreu.
Le
Midrash Rabba
explique que lâex-
tériorité de Moïse était égyptienne,
mais quâen lui-mĂȘme il Ă©tait hĂ©b-
reu. Que rajouter à cette présenta-
tion marranique ! Le peuple juif,
héritier de la
Torah
de MoĂŻse, ne
pouvait quâintĂ©grer cette dissimula-
tion, vraisemblablement incons-
ciemment, comme recours ultime
au péril de la disparition.
LâexpĂ©rience de la dissimulation,
de lâenfouissement identitaire va
trouver sa pleine expression dans le
Livre dâEsther
, racontant comment
les Juifs de Perse Ă©chappĂšrent Ă la
premiÚre tentative de génocide pro-
grammé par un prototype antisémi-
te nommé Haman. Tout ici est
masqué, ou à peine discernable.
Esther (qui cache sa judéité au roi
Assuérus) et Mardochée, héros juifs
par excellence, portent les noms de
deux divinités assyriennes, Ishtar et
Marduk. Dieu lui-mĂȘme se cache,
joue Ă celui quâil est depuis la sortie
d'Ăgypte : lâabsent formel de lâHis-
toire de lâhomme. Tout ce rĂ©cit dâEs-
ther a nourri et continue de nourrir
des générations de Juifs dispersés,
et leur propose en filigrane la solu-
tion marranique comme issue tem-
poraire Ă leur difficultĂ© dâĂȘtre. Se
fondre dans la culture commune,
sâassimiler en dâautres termes, tout
en gardant lâessentiel juif du quant
Ă soi, et ce pour Ă©chapper Ă lâeffort
constant de devoir ĂȘtre soi, de
devoir justifier dâĂȘtre. Cette assimi-
lation est trÚs différente de son
homonyme moderne, en ce quâelle se
fait sans reniement intime de lâiden-
titĂ© juive ; elle nâest quâun Ă©cran de
protection.
La destruction du Temple en 70
apr. J-C par les armées romaines de
Titus va tout changer. Le christia-
nisme naissant nâĂ©tait Ă lâorigine
quâun messianisme juif accompli
parmi dâautres. Le destin du monde
allait basculer avec la conversion de
Constantin et lâaccĂšs du catholicis-
8
Aux sources
Livres
huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann
Peintre chinois
huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann
repĂšres
9
FlĂąnerie juive dans Bordeaux
NĂ© le 20 mai 1849,
Georges de Porto-Riche
sâa-
donne dâabord Ă la poĂ©sie, puis au thĂ©Ăątre. Il est
Ă©lu Ă lâAcadĂ©mie française en 1923.
Les fontaines Wallace.
Un mécÚne juif
Osiris
(Daniel Iffla)
a offert Ă la fin du XIX
e
siĂšcle six
fontaines Wallace Ă la ville de Bordeaux, don
assorti d'une condition essentielle, que l'une d'el-
les soit installée dans son quartier de naissance,
place du Général-Sarrail, prÚs de la Victoire.
ChĂąteau La Tour Blanche
Ă Bommes. Cons-
truit au XVIII
e
siĂšcle, câest au dĂ©but du XX
e
que
lâhistoire de ce prestigieux domaine prend toute
son originalité. Son dernier propriétaire,
Daniel
Iffla
, surnommé «
Osiris
», décide de léguer cette
propriĂ©tĂ© Ă lâĂtat, Ă condition quâune Ă©cole de viti-
culture et de vinification soit créée sur les terres.
Ainsi en 1909, le ministĂšre de
lâAgriculture accepte la dona-
tion, et deux ans plus tard, il
fait construire lâ
Ăcole de
Viticulture et dâĆnologie
La Tour Blanche
.
me au rang de religion triomphante,
expression de la vérité enfin incar-
nĂ©e. Lâascension du catholicisme au
firmament de la puissance mondiale
allait malheureusement se compli-
quer dâantisĂ©mitisme de plus en plus
marquĂ© avec le temps et lâinattendue
résistance des Juifs. Quelle outrecui-
dance aprĂšs tout ! Ils donnaient au
monde un messie tout Ă fait accepta-
ble pour aussitĂŽt le refuser pour eux-
mĂȘmes.
Le judaĂŻsme espagnol puis portu-
gais paiera le prix fort de ce bras de
fer avec le Vatican et son bras armé,
la Sainte Inquisition. Sur fond de
Reconquista
et donc de guerre avec
les musulmans almohades, le juda-
ïsme espagnol va devoir se décider :
se maintenir juif et mourir, fuir et
tout perdre, se convertir et en finir
apparemment avec la persécution.
Le marranisme officiel se profilait Ă
lâhorizon. Une partie importante de
ce judaĂŻsme converti continua en
secret Ă pratiquer rites et priĂšres, Ă
transmettre vaille que vaille des lam-
beaux de mémoire.
Quelquâun
sur qui se fonder
Il fallait pourtant une caution
morale, un aval officiel justifiant cette
position intenable, quasi schizoĂŻde.
Nous pensons que MaĂŻmonide, le
Rambam de Cordoue, servit de pivot
à cette métamorphose du judaïsme
hispano-portugais. Il Ă©crivit en 1162
une lettre dite « ĂpĂźtre sur la persĂ©cu-
tion ou sur la contrainte (
Igeret Hash-
mad
) ». Dans ce texte dâune rare
force, aux accents vibrants, MaĂŻmoni-
de sâoppose farouchement aux rab-
bins de son Ă©poque qui interdisaient
catégoriquement la posture marra-
nique, la considérant comme idolù-
trie et apostasie pures. Certes, de son
temps, la contrainte venait des
Musulmans et pas encore des Chré-
tiens ; mais le propos de MaĂŻmonide
est suffisamment explicite et inclusif
pour que le message soit entendu : « il
(un rabbin) ne fait pas de différence
entre l'idolĂątrie commise volontaire-
ment, et le mĂȘme acte idolĂątre com-
mis par nécessité et par peur de la
mort ».
ParaĂźtre Autre, soit disparaĂźtre,
afin⊠de ne pas disparaßtre.
Au fil des heures, du temps qui passe
Au gré du vent, du souffle qui anime
Au long des cours qui sâentrecroisent
Marche sur les traces de lâespoir
Sur les pas des antiques parias
PromĂšne ton regard et lis
Lis et interprĂšte le sens des choses
CachĂ©es depuis lâorient du passĂ©
Ils sont
Venus du fond des Ăąges
Des abĂźmes de lâHistoire
Avec
Lâenvie de continuer encore un peu
Et déambuler dans les jardins du temps
Qui efface tous les outrages
Plus de juderĂa ! Ni ghetto, ni mellah !
Ici la judaïque se pare de respectabilité
La porte Dijeaux est celle des Juifs
Comme si on disait celle de Sion
Dans la JĂ©rusalem assise, dĂ©solĂ©e, Ă lâĂ©cart
Ils ne sont plus
Eux, les fiers conversos
Revenus ici de leur hébétude
Pour vivre lĂ , dans le miroir
De leur mémoire meurtrie,
Cachée, souillée à jamais
Ici
Personne ne songea à vérifier leur pureté de sang
Tout redevenait alors possibleâŠ
Ils ne sont plus, presque plus
Un reste, un reliquat
Pas plus ici que partout
Ou mĂȘme ailleurs
La trace, elle,
La leur, est partout
Elle crypte la pierre qui tombe
La porte qui sâentrouvre
En épitaphe, en médaillon
Elle sâinsinue encore en noms gravĂ©s
Celui des acteurs qui firent un peu de la gloire
De Bordeaux
Celle du bord des eaux, des deux rives
Qui se font face pour se faire place
Mieux
Toujours
M
agie de lâaccueil, de la tolĂ©rance
A
rche des diversités humaines
R
ichesse des Ă©changes culturels
R
ĂȘves de rĂ©pit, de pause provisoire
A
ppel des LumiĂšres naissantes
N
asci(mĂ©)mento dâune nouvelle vie
E
spagnols, portugais puis Juifs bordelai
S
Hervé Rehby
du marranisme
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
ph. X
par Hervé Rehby
B
a
lade
m
a
rr
a
n
e
10
A
U PRINCE DON JUAN, NOTRE
TRĂS CHER & TRĂS AIMĂ ïŹLS,
& aux infants, prélats, marquis,
comtes, maĂźtres des Ordres, etc., etc., salut & grĂące !
S
ACHEZ QUE NOUS AVONS ĂTĂ INFORMĂS
QU
â
IL EXISTE
&
QU
â
IL EXISTAIT
dans notre
royaume de trÚs mauvais chrétiens qui judaïsaient de
n o t r e s a i n t e f o i s c a t h o l i q u e, & c e r t e s t r Ăš s
p r Ă© j u d i c i a b l e p o u r l e s c h r Ă© t i e n s q u e c e t t e
communication avec les juifs. DĂ©jĂ dans les CortĂšs
que nous avons tenus lâannĂ©e derniĂšre Ă TolĂšde, nous
avions ordonnĂ© dâaccorder aux juifs des juiveries dans
toutes les villes oĂč ils pussent vivre dans leur pĂ©chĂ©.
En outre, nous avions ordonnĂ© dâĂ©tablir dans nos
royaumes & seigneuries dâInquisition, laquelle existe,
comme vous le savez, depuis douze ans, durant
lesquels elle a trouvé beaucoup de coupables, ainsi que
nous en avons été informés par les inquisiteurs & par
dâautres personnes religieuses, qui par leurs relations,
leurs entretiens & leur communication avec les juifs,
se sont laissés entraßner par ces derniers.
C
EUX
-
CI USENT DE PLUSIEURS MOYENS
&
MANIĂRES POUR SOUSTRAIRE
les ïŹdĂšles Ă
notre sainte foi catholique & les instruire dans leur
dangereuse croyance & les cérémonies de leur foi (loi
juive), les invitant Ă des rĂ©unions oĂč ils leur expliquent
les fĂȘtes juives quâil est dâusage dâobserver, essayant
de les circoncire eux & leur enfants, leur donnant des
livres de priÚres, les avertissant des jeûnes importants,
leur enseignant Ă transcrire des copies de la foi, leur
annonçant les PĂąques avant quâelles arrivent, leur
expliquant la façon de les célébrer & de les faire, leur
donnant & leur portant de leurs pains azymes & de
leurs viandes égorgées suivant leurs rites, les mettant
en garde contre les choses prohibées par leur foi, les
persuadant de la supériorité de la Loi de Moïse, leur
expliquant quâil nây a point dâautre loi, ni dâautre vĂ©ritĂ©
que celle-là ; ce qui porte préjudice, détriment &
opprobre Ă notre sainte foi catholique.
Pour obvier & remédier à cet état de chose,
pour faire cesser cet opprobre & cette offense Ă la
religion catholique, nous avons convoqué en conseil
les prélats, les grands & les chevaliers de nos
royaumes & autres personnes de sciences &
conscience.
AprÚs mûre délibération, nous ordonnons de
renvoyer de nos royaumes tous les juifs, & que jamais
ils nây reviennent.
Câ
EST POURQUOI
,
PAR LE PRĂSENT ĂDIT
,
nous ordonnons Ă tous les juifs & juives, quel que soit
leur Ăąge, qui vivent, demeurent & sont dans les
royaumes & seigneuries susmentionnĂ©s dâen sortir au
plus tard jusquâĂ la ïŹn de juillet prochain annĂ©e
courante, eux, leurs ïŹls & leur ïŹlles, serviteurs,
servantes & familiers juifs, petits & grands, quel que
soit leur Ăąge. Il ne leur sera pas permis de revenir dans
nos états soit délibérément, soit de passage, soit de
nâimporte quelle maniĂšre. En cas de contravention au
prĂ©sent Ă©dit, si lâon trouve des juifs dans nos royaumes,
au cas oĂč ils y reviendraient dâune maniĂšre quelconque,
ils encourront la peine de mort & la conïŹscation de
tous leurs biens pour notre chambre de ïŹsc.
N
O U S
M A N D O N S
&
O R D O N N O N S
QU
â
AUCUN
,
NI PERSONNE DANS NOS
ROYAUMES
susmentionnés, quelles que soient sa
condition & sa dignitĂ©, nâait lâaudace de recevoir, ni
accueille, ni défende publiquement ni secrÚtement juif
& juive, passĂ© la date de ïŹn de juillet & au-delĂ , Ă
jamais, à perpétuité dans ses terres ni dans ses
maisons, ni sur aucun de ses points des susdits
royaumes & seigneuries.
Toute contravention Ă cet ordre entraĂźnera
pour le coupable la perte de tous ses biens, vaisseaux,
forteresses & autres héritages.
ET QUE POUR LESDITS JUIFS PUISSENT
PRENDRE LEURS MESURES DURANT CE DĂLAI
qui leur est accordĂ© jusquâĂ la ïŹn juillet, nous leur
accordons dÚs à présent notre protection royale à eux
& Ă leurs biens pour que, durant cet intervalle &
jusquâau jour ïŹxĂ©, ils puissent vaquer Ă leur affaires en
toute sécurité, vendre, échanger & se défaire de tous
leurs biens, meubles & immeubles & en disposer Ă
leur volonté. Nous permettons donc & accordons
pleine facultĂ© audits juifs & juives pour quâils fassent
sortir desdits royaumes & seigneuries leurs biens &
trĂ©sors par la mer & par la terre, Ă lâexception de lâor,
de lâargent & de toute espĂšce de monnaie monnayĂ©e,
& de toutes les choses défendues par les lois de nos
royaumes ; sauf aussi les denrĂ©es dont lâexportation
est prohibée. Nous faisons savoir à tous les conseils,
tribunaux, rĂ©gidors & chevaliers ainsi quâaux hommes
bons de nos dits royaumes & seigneuries & Ă nos
vassaux de mettre en exécution notre mandement &
son contenu & dây prĂȘter aide & assistance en cas de
besoin. Tout contrevenant encourra la peine de
conïŹscation de ses biens par notre ïŹsc. & pour que
nos ordres parviennent Ă la connaissance de tout le
monde & pour que personne ne prétende les ignorer,
nous mandons que la présente lettre soit annoncée
publiquement dans les places, marchés & autres
endroits par le crieur public & par-devant lâĂ©crivain
public.
E
N
ïŹ
N
,
NOUS ORDONNONS Ă TOUS CEUX
DONT ON AURA REQUIS SERVICES DE LE FAIRE
, sous
peine dâĂȘtre traduits devant notre cour dans les quinze
premiers jours & dâencourir la peine susmentionnĂ©e.
Tout écrivain public invité à témoigner en cas de
contravention à nos ordre le fera sous seing privé, de la
sorte nous saurons comment nos ordres sont exécutés.
F
AIT DANS LA VILLE DE
G
RENADE
,
LE TRENTE
&
UNIĂME JOUR DU MOIS DE MARS
,
L
â
AN MIL QUATRE
CENT QUATRE
-
VINGT DOUZE DE
N.-S. J
ĂSUS
-C
HRIST
.
ĂDIT DâEXPULSION DES JUIFS DâESPAGNE
1492
DOCUMENT
S HIST
ORIQUES
repĂšres
11
HĂŽtel Gradis
, cours Victor-Hugo Ă Bordeaux.
David Gradis
(1665-1751) pratique lâarmement
maritime, le négoce colonial et la banque. Il
Ă©tend ses opĂ©rations Ă lâAngleterre, au Canada et
aux Antilles françaises et devient un « bourgeois »
de Bordeaux.
HĂŽtel Peixotto - Bordeaux.
Pour un nouveau-chrétien portugais au XVI
e
siĂš-
cle, Ă©migrer revient Ă fuir un royaume oĂč sĂ©vit
depuis 1536 l'Inquisition afin de rejoindre un ter-
ritoire extérieur à sa juridiction. La France
ayant expulsé les juifs depuis le 17 septembre
1394, s'y réfugier à visage découvert reste hors
de question. Les fugitifs se disent donc mar-
chands portugais ou nouveaux chrétiens encore
que trĂšs vite l'opinion publique les regarde indis-
tinctement comme des juifs. Leur présence en
nombre s'accentue vers la fin du XVI
e
siĂšcle et au
commencement du XVII
e
. Ils s'installent, soit
sous forme de groupements de quelques familles
dans des localités moyennes voisines des frontiÚ-
res de l'Espagne, Saint-Jean-de-Luz, Biarritz,
Vieux Boucau, soit sous forme de communautés
Ă Bayonne, Ă Labastide-Clairence, Ă Peyre-
horade, à Bordeaux. Des « colonies » portugaises
remontent le littoral atlantique vers des cités por-
tuaires comme La Rochelle, Nantes et Rouen.
On trouve aussi des familles portugaises Ă Mar-
seille et à Paris. Cette immigration « sauvage »
s'effectue, pour les plus démunis par les cols
pyrénéens, pour les nantis par la voie maritime.
Tiré de
"
D'un singulier désir à la Loi du Dieu
d'Israël : les Nouveaux-chrétiens portugais
en France - XVI
e
-XVII
e
s.
"
de GĂ©rard Nahon
HĂŽtel Francia. Louis Francia de Beaufleury
,
(1743-1817) auteur en 1800 dâune
Histoire de
lâĂ©tablissement des Juifs Ă Bordeaux et Ă
Bayonne depuis 1550.
Avec ce livre, et pour la
premiÚre fois en France, une communauté juive
se penche sur sa propre histoire.
Vidouy
(confession marrane)
Je mâappelle Miguel Martinez, nĂ©
Mikhaël Ben Mordekhaï dans une
famille de JudĂos de Catalogne le 7
sivan 5228 (15 mai 1466) et jâhabite
pour quelques heures encore la ville
de Girona au bord du fleuve Ebro,
que les Chrétiens appellent le fleuve
des
JudĂos
, des HĂ©breux.
Il est deux heures de lâaprĂšs midi
et le soleil de ce 31 juillet plombe
comme jamais, Ă©crasant les ĂȘtres et
les choses, les
JudĂos
et les Chrétiens,
pour une fois unis dans une commu-
nauté de destin.
Pourtant, câest officiellement fini :
les
JudĂos
et les Chrétiens séparent
leurs chemins ; le décret du roi Ferdi-
nand prend effet aujourdâhui, avant-
veille du 9 av, date anniversaire de la
destruction du temple de JĂ©rusalem.
Les
JudĂos
restés fidÚles ouvertement
ou secrĂštement au judaĂŻsme sont
expulsĂ©s du royaume dâEspagne.
Je sors Ă lâinstant de cette grande
et sinistre bĂątisse, oĂč jâai endurĂ© un
mois de torture, de souffrance phy-
sique et morale. Mes bourreaux vien-
nent de me jeter dehors Ă coup de
pied et de martinet. Pourtant je suis
comme eux dĂ©sormais. Ils me lâont
suffisamment répété. « Renie ton
judaïsme et tu vivras ». Qui se sou-
vient encore, dans cette promesse
dâavenir radieux, de lâĂ©cho Ă peine
intelligible de la femme de Job :
« Maudis le Seigneur et meurs ». Ici, le
JudĂo
est pris dans ce piĂšge sans issue,
entre la vie et la mort, la vie dâun mort
vivant ou la mort tout court.
Je sais. Dâautres ont encore choisi
la fuite. Mon ami Yehouda-LĂ©on a fui ;
mais il est mort assassiné par des bri-
gands, avec beaucoup dâautres Juifs
sur une embarcation miteuse qui
nâarriva jamais en Italie. Mon ami
Salomon, parti pour Constantinople,
dit-on, et dont je nâai pas de nouvel-
les. Faut-il accepter ce destin de
connaĂźtre ses frĂšres pour mourir avec
le souvenir de leur existence fugitive,
irrémédiablement ? Oui, le Diable
doit y ĂȘtre pour quelque chose dans
cette affaire. Et Dieu dans tout cela ?
Que mâimporte aprĂšs tout ! Je ne sais
plus son nom dâantan. Lâineffable
inconnu Ă©tait plus mon voisin que ce
dĂ©nommĂ© PĂšre qui mâest dâautant
plus Ă©tranger quâil a pris le visage de
nos grands-pĂšres. Que le dieu dâAbra-
ham et de JĂ©sus me pardonne ces
paroles de rébellion.
Jâai pourtant fait tous les efforts
possibles pour ĂȘtre un bon ChrĂ©tien,
pour oublier que jâĂ©tais
judĂo
, oublier
jusquâĂ mon nom et celui de mon
pĂšre. Quâil me le pardonne dans sa
tombe. Mais voilĂ ! Rien Ă faire. Je ne
peux cesser dâĂȘtre ce que je suis en
passe dâĂȘtre, un
JudĂo
en devenir. Je
suis certain aujourdâhui que les apĂŽt-
res, que JĂ©sus lui-mĂȘme, me com-
prennent. Ătre chrĂ©tien est devenu
pour moi la fin du chemin. Mais ce
messie, je ne lâai pas Ă©lu ! Je me suis
juste rendu Ă lui, ou plutĂŽt Ă ses ado-
rateurs par peur de la mort, par
lĂąchetĂ©, par facilitĂ© aussi, peut-ĂȘtre.
Je lâai fait aussi pour Gracia, ma
jeune Ă©pouse, que je continue dâap-
peler dans lâintimitĂ© de notre maison
par son nom, le vrai, le juif, Sarah -
princesse en hébreu - ma princesse,
souveraine dĂ©risoire dâun royaume
imaginaire, qui fut jadis la splendeur
de son temps, et qui gßt désormais
anéantie, à jamais perdu.
Jâai choisi dâĂȘtre
converso
et dâes-
sayer sincĂšrement dâadopter cette reli-
gion qui procĂšde de la mienne. Si le
Messie dâIsraĂ«l venait demain, il res-
semblerait Ă sây mĂ©prendre Ă JĂ©sus,
venu peut-ĂȘtre trop tĂŽt au goĂ»t des
JudĂos
. Un maĂźtre dâAndalousie ne di-
sait-il pas « le Messie vient toujours
trop tÎt ». Ne procéderait-il pas aux
mĂȘmes rĂ©formes que Paul a mises en
place pour que sâaccomplisse lâHistoi-
re dâIsraĂ«l. Le porc ne deviendrait-il
pas licite Ă la consommation ?
Un prĂȘtre, Don Pedro, sâest occu-
pé de moi, aprÚs ma conversion. Il
venait souvent me voir Ă la maison,
pour vérifier que je ne judaïsais pas
en secret. Avec mon jeune frĂšre Yo-
shua-José et ma femme, nous nous
cachions le vendredi soir, derriĂšre
nos volets clos pour allumer les
mĂšches Ă huile du
Shabat
. Ma mĂšre
les avait naguÚre disposées dans une
petite armoire encastrée dans le mur.
Ce souvenir me dit aujourdâhui que
les
JudĂos
sont comme ces lampes Ă
huile enfermées dans un réduit, clos
sur un autre espace clos, entourés
dâune menace environnante sourde
et aveugle.
Don Pedro vint un soir de
Shabat
Ă la maison et sâinquiĂ©ta des odeurs
de propre et de parfum sur nos corps,
de ces chemises blanches sans tache,
de ces plats disposés sur la table dres-
sĂ©e « un soir de semaine ». Sâil avait
AdaptĂ© du tĂ©moignage incertain dâune mĂ©moire vacillante
par Moshé-Haï Riviah
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
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e
12
Vidouy
(confession marrane)
vu ces lumiĂšres de
Shabat
! La suspi-
cion était permanente et justifiée,
jâen atteste. Mais, aprĂšs tout Don
Pedro savait de quoi nous souf-
frions. NâĂ©tait-il pas lâun dâentre
nous, un renégat lui aussi, un apos-
tat comme nous. Son zĂšle Ă©tait Ă la
mesure de sa peur dâĂȘtre lui-mĂȘme
accusé de complaisance et de laxis-
me par les sectateurs de la Foi, ou
tout simplement Ă la merci dâune
dénonciation malveillante de nos
voisins. Ce qui dâailleurs ne tarda
pas. Il fut, dit-on, soumis Ă la ques-
tion et écartelé par la Sainte Inqui-
sition un peu plus tard.
Ce mĂȘme vendredi soir, il sâinvi-
ta Ă dĂźner. Quel ne fut pas son Ă©ton-
nement de voir sur la table une
magnifique volaille rĂŽtie. Quoi ? De
la volaille chez des « bons Chré-
tiens » un vendredi ?
« Cher don Pedro, lui dis-je. Câest
un poisson que voilĂ ! Seulement il
ressemble Ă une volaille. Nous
avons fait, en bons Chrétiens,
comme il est recommandé de faire
en pareil cas par notre Sainte MĂšre
lâĂglise ! Comme vous lâavez fait
pour convertir les
JudĂos
. Nous
avons pris une volaille, lâavons
aspergĂ©e dâeau bĂ©nite et voilĂ le
rĂ©sultat. Nâest-il pas magnifique ce
poisson qui ressemble à une volaille?».
Jâeus droit Ă un sourire inquiet de la
part de celui quâon appelait encore
Rabbi Isshâaq, il y a peu.
Tel est notre drame ! Celui de
devoir paraĂźtre sous la contrainte ce
que nous ne sommes pas, ne vou-
lons pas ĂȘtre. Comment sâĂ©tonner
que nous en arrivions Ă vomir les
Chrétiens et leur conception de
lâhomme et de Dieu. Se pourrait-il
quâils aient agi de telle maniĂšre
pour en arriver à cette conséquen-
ce. Je nâai pas de rĂ©ponse. GrĂące Ă
Dieu, je reste ainsi
JudĂo
.
Nous nâavons pas encore dâen-
fant avec Sarah, et nâen aurons pro-
bablement jamais. La vie est ainsi.
Je ne prendrai pas une autre Ă©pou-
se pour autant. Ai-je tort ? La question
nâa plus beaucoup dâimportance. La
Sainte Inquisition mâarrĂȘta pour
vĂ©rifier ma fidĂ©litĂ© Ă lâĂglise. Quâavais-
je Ă me reprocher ? En apparence
rien du tout, et je clamais toute
mon innocence de toute la sincéri-
té⊠feinte dont jâĂ©tais porteur au
nom de la survie. Ils nâĂ©taient pas
dupes, mes bourreaux. Ils savaient
bien que jâallais Ă l'Ă©glise rĂ©guliĂšre-
ment, que je communiais, que je
me confessais mĂȘme ! Ce quâils vou-
laient me faire avouer, câĂ©tait la
vĂ©ritĂ© nue dont jâĂ©tais secrĂštement
le dépositaire : « un
JudĂo
fut-il
pĂ©cheur, et mĂȘme apostat, reste
malgré tout
judĂo
» Je nâavais pas osĂ©
leur dire que câest prĂ©cisĂ©ment ce
quâils refusaient dâappliquer Ă
JĂ©sus, le Messie, Ă Paul-SaĂŒl, Ă Pier-
re-Simon, Ă Jean-Yohanan et la liste
est encore longue. Ă leurs yeux, je
nâĂ©tais ni un frĂšre ni un ĂȘtre
humain. Tout juste « une bĂȘte
immonde à forme humaine », bro-
cardĂ©e de lâinsultante appellation
de
marrano
« porc », véritable cra-
chat de dégoût pour un sale
JudĂo
.
Combien de temps cultiverons-nous
cette lùcheté, cette passivité qui
semble nous constituer ? Qui sait oĂč
elle nous mĂšnera si un Goy plus
avisé que les autres en la matiÚre,
ou peut-ĂȘtre un de ces
JudĂos
convertis avec zĂšle, dĂ©cidait dâen
finir vraiment avec le reste de notre
malheureux peuple ?
Je crois sincĂšrement que Dieu a
abandonné son élu, renié son
alliance et détourné ses regards de
nos plaies suintantes. « Réponds-
nous, au jour oĂč nous tâappelons », Ă
quoi servent encore nos priĂšres ?
Qui de nous croit encore dans le
fond de son Ăąme, quâ « Il ne som-
meille pas et ne sâassoupit pas, le
Gardien dâIsraĂ«l ». La seule issue
pour le salut des personnes réside
dans notre conversion. Mais voilĂ !
la Sainte Inquisition a inventé
depuis 1449 la «
limpieza de sangre
»
qui empĂȘche les
JudĂos conversos
mĂȘme sincĂšres dâĂȘtre des ChrĂ©tiens
Ă part entiĂšre. LâEspagne est aujour-
dâhui tachĂ©e, souillĂ©e par notre sang
Ă jamais impur, mĂȘme si ce sang est
assez pur pour ĂȘtre bu comme celui
dâun Christ
judĂo
rĂ©dempteur. Jâai
enfin compris que le sang du
JudĂo
nâest pur que lorsquâil est enfin
versé « pour la multitude », entraß-
nant du mĂȘme coup le rachat des
nations. Faut-il que je meure pour
ĂȘtre aimĂ©, pour aider enfin les aut-
res Ă se disculper de leurs fautes,
collectives et personnelles ?
Jâai compris maintenant que le
JudĂo
attend, toujours et encore, ne
touche jamais au but, se tient tou-
jours un peu en arriĂšre de lâHistoire,
du temps qui vient, et de Dieu lui-
mĂȘme. Toute dissimulation, tout
simulacre, tout effort dâĂ©vanouisse-
ment, de dissolution dans la masse
chrétienne ne servent plus à rien.
Le
JudĂo
nâa dâavenir quâincertain.
Alors Ă quoi bon faire des
enfants Ă qui il faudra cacher enco-
re autre chose, sur leurs origines,
leurs ancĂȘtres, leur nom et leur lan-
gue. Ils seront toujours des impurs,
le mélange des sangs ne faisant que
renforcer la surenchĂšre du mythe
de la pureté originelle. Qui de nous
peut attester de quoi que ce soit
quant Ă ses origines les plus obscu-
res, les plus immémoriales ? Qui
Ă©tait MoĂŻse ? Et qui Ă©tait JĂ©sus ? Qui
Ă©tait lâenfant de Dina ? De quelle
fange naĂźtra le Messie dâIsraĂ«l ? De
lâinceste, de lâadultĂšre, de la convoi-
tise et de la jalousie, et du mélange
des origines juives et non juives. Le
Messie des
JudĂos
est précisément
celui qui revendique le mélange des
sangs, et discrédite à jamais la pure-
té du sang.
Le judaĂŻsme nâest plus quâun
souvenir. Autant quâil soit respectĂ©
dans sa disparition, adoré pour son
sacrifice, que honni dans son obsti-
nation Ă perdurer.
Je suis fatigué, las de vivre. Ma
femme Sarah, qui ne sait combien
je lâai aimĂ©e, pourra refaire sa vie
avec un vrai ChrĂ©tien, et peut-ĂȘtre
lui donner les enfants que le Sei-
gneur mâa refusĂ©s.
«
La vida es un gorro; unos se lo
ponen, otros se lo quitan
» (La vie est un
bonnet de nuit ; les uns le mettent,
les autres lâenlĂšvent) disaient nos
anciens !
Jâai dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă mes
jours de
marrano
, de sale
JudĂo
. Que
le Dieu qui mâimposa dâĂȘtre celui que
grossiĂšrement jâai tentĂ© dâĂȘtre me
pardonne cette folie pour lâĂ©ternitĂ©.
ShĂ©maâ IsraĂ«l, Adonay ĂlohĂ©nou,
Adonay Ehad.
Mikhael ben MordekhaĂŻ
(Miguel Martinez de Girona)
7 av 5252 (31 juillet 1492)
Note du compilateur M.-H. Riviah : Sarah Ă©tait encein-
te dâun mois Ă la disparition de MikhaĂ«l. Elle enfanta
dâun garçon quâelle prĂ©nomma Victor-Nissim (vain-
queur et miracles). Le judaĂŻsme du marrane Miguel
Martinez a survĂ©cu Ă Salonique et Ă Sofia. Lâobstina-
tion de ses descendants Ă rester des
JudĂos
a conduit
ceux qui survécurent à la Shoah, en Israël du cÎté
dâAshkelon.
14 mars 2005, Afridar, Israël
repĂšres
13
Le premier HĂ©breu,
IVRI
, fut
Abraham, dit la Bible. Il est celui qui
« passa, qui traversa » lâEuphrate pour
« aller vers lui-mĂȘme », Ă la quĂȘte
dâune authenticitĂ© et dâune singulari-
té ontologique que le monde babé-
lien de Ur et de Sumer ne semblait
pas permettre. LâHĂ©breu est ainsi en
rupture avec un monde mésopota-
mien oĂč lâidolĂątrie est associĂ©e Ă la
toute puissance de la prédestination
inscrite dans les astres. LâHĂ©breu
affirme dĂ©jĂ que le destin de lâhom-
me est devant lui dans lâespace
ouvert oĂč ses pas le conduiront, en
tout cas dans « lâau-delĂ du fleuve ».
Pourtant le traversant, le passant
quâil tend Ă ĂȘtre est aussi un trans-
gressant, celui qui lie son sort et sa
vie Ă celle de tous les transgressants,
comme lâaffirme la proclamation
dâexergue de la priĂšre de
Yom Kipour
:
« nous nous permettons de prier avec
les transgressants ». Aucune évoca-
tion dâune quelconque puretĂ© idĂ©ale
des hommes, de leurs actes ou de
leurs intentions.
Installé en terre de Canaan, il en
repart pour l'Ăgypte avec Jacob deve-
nu ISRAEL et devient un fils (ou une
fille) dâIsraĂ«l,
BNE ISRAEL
, ce nou-
veau nom bouleverse son identité et
sa domesticité. Il doit assumer, aprÚs
avoir dĂ©busquĂ© dans lâHistoire le
« DIEU UN », le rÎle plus ingrat et
délicat de « celui qui a combattu avec
Dieu », et qui continue de combattre
avec lui, quelquefois, mais le plus
souvent de débattre avec et contre
lui, pour la plus grande joie dâun
Dieu qui dit dans le
Talmud
: « Mes
enfants mâont (con)vaincu ». Lâhuma-
nitĂ© nâest pas Ă la veille de pardonner
aux enfants dâIsraĂ«l une telle libertĂ©,
une telle audace.
Ătre un fils dâIsraĂ«l signifie aussi
la capacitĂ© de sortir d'Ăgypte, câest-Ă -
dire sâarracher de lâaliĂ©nation, de lâex-
ploitation de lâhomme par lâhomme
et de lâesclavage pour aspirer Ă une
liberté dans la Loi, « brisant les Tables
de la Loi » pour en « tailler à sa mesu-
re » des secondes « semblables aux
premiÚres », semblables aux autres,
oĂč le semblable redĂ©finit lâautre dans
son idéal à jamais perdu. Cette libé-
ration est encore liée à une double
traversée ; celle de la mer Rouge pour
quitter l'Ăgypte et celle du Jourdain
pour entrer en terre dâIsraĂ«l, « pays
oĂč coulent le lait et le miel », pays qui
« dévore ses habitants » aussi.
FĂ©dĂ©rĂ©es en nation, les tribus dâIs-
raël vont connaßtre la judicature de
Josué à Samuel, puis la royauté à par-
tir de SaĂŒl et David. Un schisme se
produira Ă la mort de Salomon, avec
deux royaumes frÚres, Israël et Juda.
La ruine du royaume dâIsraĂ«l sous les
coups rĂ©pĂ©tĂ©s de lâAssyrie laissera
Juda assumer seul le destin et lâiden-
tité future du peuple hébreu parti de
MĂ©sopotamie et sorti d'Ăgypte. Le
mythe des dix tribus perdues dâIsraĂ«l
commence lĂ . On cherche encore et
toujours la trace de leur dissolution
ici en Inde ou en Ethiopie, lĂ en pays
Khazar ou mĂȘme en Chine ! Force est
de constater que lâidentitĂ© juive est
déjà liée, dÚs le VIII
e
s. av. J-C au
thĂšme de la dissimulation, Ă lâĂ©va-
nouissement, Ă la disparition, du
moins en apparence. Lâaccusation
viendra plus tard : « ils sont partout »,
donc nulle part.
Devenu judéen,
YEHOUDI
, comme
citoyen du royaume de Juda, il devra
prendre Ă son compte lâhĂ©ritage col-
lectif des tribus naufragĂ©es dâIsraĂ«l,
et se redéfinir une identité qui émer-
gera aprĂšs la destruction du premier
temple de JĂ©rusalem en 586 av. J-C,
et la déportation des judéens en
Babylonie par Nabuchodonosor. DĂ©s
lors, les judéens seront décrits par les
premiers antisémites du
Livre dâEs-
ther
comme « un peuple uni, dispersé
et infiltré parmi les nations, aux lois
De la condition de
IVRI
(hébreu ou passant) à celle
de
YĂ©houdi
(judĂ©en ou juif) lâidentitĂ© juive a beaucoup variĂ©
durant 3500 ans. Des rives de lâEuphrate aux quatre coins
de la planĂšte, le juif nâen fini pas dâĂȘtre un errant en quĂȘte
dâun inaccessible havre de paix et de stabilitĂ©. Les vicissitudes
de son histoire et les anathÚmes répétitifs de ses prédateurs
successifs ont largement contribuĂ© Ă forger lâimage durable
dâun Ă©ternel nomade, colportant avec lui son cortĂšge dâĂ©trangetĂ©
et dâinquiĂ©tude et pour le monde sĂ©dentaire, institutionnel.
La judéité a fini par y croire, tout comme elle a fini par adhérer
Ă tous les clichĂ©s que lâHistoire a bien voulu faire dâelle.
HĂŽtel Raba
, cours Victor Hugo.
Les
Raba
illustre une aventure familiale typique.
Issus de nouveaux Chrétiens de Bragance au
nord du Portugal, ils embarquent sur un bateau
anglais et, aprĂšs une escale Ă Londres, ils sâins-
tallent Ă Bordeaux. Ils bĂątirent en 1775, Ă Talen-
ce, le
ChĂąteau Raba
. En 1793 ils achĂštent
lâhĂŽtel
29 rue du Mirail
.
Bas-relief de la façade du MusĂ©e dâAquitaine
cours Pasteur à Bordeaux, anciennement faculté
de lettres, de sciences et de théologie.
par Hervé Rehby
ph. Richar
d ZĂ©boulon - Z
apa Bor
deaux
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rr
a
n
e
De lâidentitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral
et du marranisme en particulier
14
différentes et qui ne respectent pas
les lois des pays qui les accueillent ».
Cette définition calomnieuse attri-
buée à Haman, Premier ministre du
roi perse Assuérus, a suscité tous
les fantasmes, y compris les plus
criminels, et continue de « justifier »
jusquâĂ aujourdâhui les exactions les
plus folles contre les judéens, deve-
nus juifs par déformation populaire
et péjorative, en français comme
dans beaucoup dâautres langues,
occidentales ou orientales. Cette
thématique de la déloyauté des
judĂ©ens va se complĂ©ter, Ă lâĂ©mer-
gence du christianisme au sein du
judaĂŻsme, de lâaccusation de fourbe-
rie et de traĂźtrise et de trahison. Par
malchance, lâapĂŽtre qui « livra »
JĂ©sus sâappelait Juda. Le Juif
moderne diasporique était né pour
longtemps traĂźnant comme un
boulet sa trahison, condamnĂ© Ă
errer irrémédiablement dans un
univers « justement et logique-
ment » à lui hostile. Et pourtant
Juda,
YEHOUDA
, et donc le judéen,
YEHOUDI
, (trans)porte dans sa
structure sémantique le tétragram-
me divin, un viatique témoignant
quâune porte est ouverte dans lâinef-
fable, une brĂšche dans la compaci-
té, un pont entre la terre et le ciel.
Déportés en masse par les
Romains sur le pourtour méditerra-
néen les judéens devenus juifs vont
connaßtre des lieux de répit et
mĂȘme de prospĂ©ritĂ© comme dans
lâAndalousie mĂ©diĂ©vale. LâEspagne
islamisée sera reconquise par les
Chrétiens qui refouleront les Almo-
hades au Maghreb, donneront aux
Juifs le choix entre la conversion,
lâexil ou la mort, et fonderont les tri-
bunaux de la Sainte Inquisition. Un
tiers des Juifs dâEspagne mourra
des persécutions et des procÚs de
lâInquisition. Un tiers se convertira
au christianisme, mais trĂšs vite il
apparaĂźtra que ces
conversos
ne se
conduisent pas toujours comme de
bons et sincĂšres ChrĂ©tiens, loin sâen
faut. Ils sont appelés
marranos
ou
Marranes, terme péjoratif et mépri-
sant voulant probablement dire
« porcs ». Ces Marranes se compor-
tent en fait comme de parfaits Chré-
tiens en surface et en public, allant
Ă lâĂ©glise, se confessant et commu-
niant ; mais en secret, dans lâintimi-
té de leur maison et de leur quartier
ils continuent de judaïser, et « res-
pectent » les principales fĂȘtes juives
et certains rites sabbatiques et ali-
mentaires, encouragés par leurs frÚ-
res restés farouchement juifs. En
1492, les Juifs sont expulsĂ©s dâEspa-
gne par décret royal, puis quelques
années plus tard également du Por-
tugal. Un tiers des Juifs partira donc
vers dâautres cieux, notamment
vers lâAfrique du Nord et la Turquie.
Beaucoup de ces Marranes fuiront
aussi lâEspagne et le Portugal au
cours du XVI
e
siĂšcle. Une importan-
te communauté marrane redeve-
nue juive va sâimplanter dans le
Sud-Ouest, principalement Ă Bayon-
ne et Bordeaux. Elle sây dĂ©veloppe-
ra de façon trÚs importante avec
une réussite remarquable, notam-
ment dans le commerce maritime.
Les rites liturgiques de la commu-
nautĂ© de Bordeaux restent jusquâĂ
présent ceux de la communauté
hispano-portugaise originairement
marranique.
LâidentitĂ© juive sâest donc enri-
chie et complexifiée de la figure
marranique, dont lâĂ©mergence, Ă
bien des Ă©gards, Ă©tait manifeste-
ment prévisible depuis la période
Ă©xilique. Ce marranisme nâest pas
seulement un phénomÚne histo-
rique qui marque lâhistoire de telle
ou telle communautĂ©. Il sâagit dâune
posture, dâune maniĂšre dâĂȘtre au
monde lorsquâon est juif et que lâon
a conscience de la difficultĂ© de lâaf-
firmer, Ă la face dâun monde hostile.
Les mensonges par omission sur la
religion, les changements de nom,
les renoncements Ă toute pratique
extérieure, à toute référence expli-
cite Ă la culture ou Ă lâhĂ©ritage juifs
sont, entre autres, des formes dâex-
pression dâun marranisme du
deuxiĂšme type. Malheureusement,
il est certain que ces formes de
cryptage ont fait le lit des accusa-
tions de complot juif contre un
monde vivant dans la clarté et dans
la vérité, comme le
Protocole des
Sages de Sion
, pamphlet antisémite
attribuĂ©, comble de perversion, Ă
des auteurs juifs, peut aisément le
démontrer. Il est vrai aussi que le
peuple juif a un contrat moral avec
ses ancĂȘtres, celui de la survie et de
la traversĂ©e de lâHistoire.
La Shoah a montré que les atti-
tudes marraniques restaient de
puissants ressorts de survie et de
résistance à la barbarie. Mais la
considĂ©ration de lâampleur de la
destruction industrielle de Juifs par
les nazis a fait Ă©galement prendre
conscience de lâextrĂȘme fragilitĂ© de
ce systÚme de défense. En sortant
des camps, les Juifs ont levĂ© la tĂȘte
et tenté de regarder le monde en
face, les yeux dans les yeux, pour
en finir dâune certaine maniĂšre
avec le bandeau sur les yeux de la
statue personnifiant la Synagogue Ă
la cathédrale de Strasbourg.
Le sionisme, dĂšs la fin du XIX
e-
siĂšcle, et la crĂ©ation de lâĂ©tat dâIsraĂ«l
ont Ă©galement et largement contri-
buĂ© Ă modifier lâidentitĂ© juive, du
moins à la décomplexer, à la décul-
pabiliser, et somme toute Ă la
« dĂ©marraniser ». Tout devait ĂȘtre
fait pour que les Juifs prennent
enfin leur destin en main, sans
subir le bon vouloir dâun prince,
sans ĂȘtre obligĂ© de quĂ©mander une
protection souvent bien peu effica-
ce. « On ne doit pas compter sur le
miracle » disait déjà le
Talmud
.
Herzl, Pinsker et Ben YĂ©houda rajou-
teront en substance « le miracle naßt
de la volonté des hommes ».
Pourtant cette nouvelle posture
reste précaire, aléatoire, fragile. Quel-
ques attentats antisémites en France
ou ailleurs, sur fond de conflit tra-
gique apparemment sans issue au
Proche-Orient, ont trĂšs rapidement
fait retrouver aux Juifs de Diaspora
leurs vieux réflexes marraniques.
Le plus Ă©tonnant et le plus inatten-
du, câest que ce rĂ©flexe se soit Ă©ga-
lement fait jour en IsraĂ«l, mĂȘme de
façon plus discrÚte. Le marranisme
est toujours fille, entre autres cau-
ses, de la peur.
Il semble dĂ©sormais que lâidenti-
tĂ© juive se doive dâemprunter une
voie médiane entre revendication
ostentatoire et dissimulation marra-
nique. Ce pourrait ĂȘtre la rejuda-
ĂŻsation culturelle, passant par la
connaissance et lâĂ©tude, par lâinter-
prĂ©tation questionnante de lâhĂ©ri-
tage hébraïque, tant il est vrai que
lâon nâaccĂšde Ă lâuniversel quâen tra-
versant le particulier et le singulier.
De lâidentitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral
et du marranisme en particulier
Les Ă©crits restent
huiles sur toile et matériaux, Alain Kleimann
repĂšres
15
Quelques ouvrages de référence sur les Marranes
AYOUN, Richard, « Un médecin
juif à la Cour de France au début
du XVII
e
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in
Yod, Revue des Ă©tudes
hébraïques et juives modernes
et contemporaines,
n
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26, 1987
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BLAMONT, Jacques,
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au XVII
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XII
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-XIII
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ZIMLER, Richard,
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16
A
LYA
: « montée ». Qualifiant
lâimmigration des Juifs de
Diaspora vers Israël. Dérivé
dâun emploi biblique, mĂȘme
si les Juifs qui « montent en
IsraĂ«l » ne sont porteurs dâau-
cune aspiration religieuse.
A
SHKĂNAZE
: « Allemagne » en
hébreu médiéval. Juif dont
lâaire gĂ©ographique diaspo-
rique dâorigine se situe en
Europe de lâEst.
C
ASHER
: rituellement pur, en
parlant des aliments ; la
cash-
rout
constitue lâensemble des
lois alimentaires juives.
D
IASPORA
: mot grec signifiant
« dispersion », utilisé en réfé-
rence à la déportation forcée
des Judéens par les Romains
aprĂšs la destruction de JĂ©ru-
salem par Titus en 70 apr. J-C.
Disséminés, les Juifs ont pré-
servé leur particularisme iden-
titaire, culturel et religieux.
D
IX COMMANDEMENTS OU
T
ABLES
DE LA LOI
: constituent la quin-
tessence de la loi juive, Ă©qui-
librés entre les devoirs envers
Dieu et envers le prochain ;
ont valeur dâuniversaux,
comme lâinterdit de tuer, dâin-
ceste, de faux témoignage ou
lâobligation dâun repos hebdo-
madaire. Texte gravé sur pier-
re remis Ă MoĂŻse sur le mont
SinaĂŻ.
G
HETTO
: structure dâenfer-
mement des communautés
juives apparues Ă la fin du
Moyen Ăge. Ătymologie liĂ©e
semble-t-il Ă lâitalien
ghetto
(fonderie qui jouxtait la quar-
tier des Juifs Ă Venise), cou-
ramment mis en relation
avec lâhĂ©breu
Ghet
« acte de
divorce », soulignant bien le
problÚme de la présence des
Juifs en milieu chrétien. Les
plus célÚbres ghettos sont
ceux de Venise et de Varsovie.
J
ĂRUSALEM
: capitale unifiée
de lâĂ©tat dâIsraĂ«l depuis 1980.
Conquise par David sur les
JĂ©busĂ©ens vers lâan 1000 av.
J-C, la ville devient immédia-
tement le centre de la royau-
té et du futur sanctuaire. La
littérature biblique chante
ses louanges, sa gloire et sa
ruine, lieu de presque toutes
les expériences humaines,
patrie des prophĂštes et
témoin de la Passion de
JĂ©sus, lieu mythique du
sacrifice dâIsaac et jardin eni-
vrant du
Cantique des Can-
tiques
. Aujourdâhui pomme
de discorde du rĂšglement du
conflit israélo-palestinien.
J
UDĂEN
: dans la Bible, issu de
la tribu de Juda, ou habitant
de la Judée, ou citoyen du
royaume de Juda, aprĂšs le
schisme en 933 av. J-C.
J
UDĂITĂ
: tend Ă trouver sa
place dans le vocabulaire
moderne comme relatif au
contenu identitaire, culturel
et symbolique de lâapparte-
nance au judaĂŻsme.
J
UDĂO
-
ESPAGNOL
(
OU DJUDEZMO
)
:
langue, encore parlée par des
descendants de marranes, trĂšs
proche du castillan du XV
e
s.,
au vocabulaire influencé par
l'hébreu, puis par les langues
avec lesquels elle s'est trouvée
en contact aprÚs le départ
d'Espagne (turc, roumain,
bulgare, serbe, grec).
K
ABALE
:
« tradition reçue » en
hébreu. Ensemble des doctri-
nes et des préceptes du mysti-
cisme juif. Ce terme est sou-
vent utilisé pour désigner la
magie ou la sorcellerie, inter-
dits et abhorrés du judaïsme.
L
ADINO
: langue qui rempla-
ce, par leur traduction en
espagnol, l'ordre des mots et
la syntaxe des textes sacrés
en hébreu pour l'enseigne-
ment. Contrairement au
JUDĂO
-
ESPAGNOL
, le ladino n'est pas
une langue parlée.
M
A R R A N E
: (
marrano
ou
converso
) qualifie les Juifs
espagnols et portugais conver-
tis sous la contrainte, et prati-
quant en secret le judaĂŻsme.
M
ESSIANISME
: doctrine juive
de sortie de lâHistoire, postu-
lant une durée du monde
fixĂ©e par Dieu, et lâavĂšne-
ment dâune Ăšre nouvelle de
félicité et de concorde entre
les hommes, fondĂ©e sur lâĂ©ga-
lité, le pardon de toutes les
fautes passées, la disparition
des conduites délictueuses, et
sur la résurrection des Morts.
M
ESSIE
: de lâhĂ©breu
Mashiahâ
,
signifiant « oint », et quali-
fiant le personnage régalien,
de la lignée davidique, qui
incarnera lâĂšre nouvelle du
« monde qui vient ». Le juda-
ïsme attend le Messie, «
tou-
jours pour demain
» comme le
dit E. Wiesel.
M
ONT DU TEMPLE
: traduction
de lâhĂ©braĂŻque antique
Har
Bayt
. DĂ©signe le lieu de cons-
truction du Temple unique
consacré par Israël au culte
du Dieu ineffable. Ce temple,
construit par Salomon en 976
av. J-C, a été détruit 2 fois : en
586 av. J-C par Nabuchodono-
sor et en 70 apr. J-C par Titus.
Reste le mur dâenceinte extĂ©-
rieure ouest « Mur des Lamen-
tations » devenu lieu de priÚres
et de pĂšlerinage. En surplomb
du Mur, les Musulmans ont
Ă©difiĂ©, sur le lieu mĂȘme du
Saint des Saints du Temple
des Juifs, deux mosquées.
P
ĂQUE
-P
ESSAH
: « passage ».
FĂȘte majeure du calendrier
juif, coĂŻncidant avec le prin-
temps, commémorant la Sor-
tie d'Ăgypte et la libĂ©ration
des esclaves Juifs et non-juifs.
R
ABBIN
,
RABBI
,
REB
,
REBBE
:
maĂźtre de transmission des
savoirs en matiĂšre de
Torah
et de
Talmud
. Les rabbins,
non consacrĂ©s, nâont aucune
fonction sacerdotale. Cer-
tains courants du judaĂŻsme
orthodoxe ou Hassidique ont
élevé les figures rabbiniques
à des niveaux de vénération,
dâintouchabilitĂ© parfaitement
Ă©trangers Ă la tradition juive.
S
ANHEDRIN
: (du grec hébraïsé,
« tribunal ») assemblée de 71
membres siégeant au Temple
de JĂ©rusalem, et ayant pou-
voir de juger les affaires poli-
tiques, religieuses, judiciaires
et législatives. Cité dans le
Nouveau Testament
comme
juridiction ayant condamné
JĂ©sus pour blasphĂšme. Le
nom sera repris par Napo-
léon qui convoquera en 1807
un grand Sanhédrin pour
Ćuvrer Ă la normalisation et
Ă lâintĂ©gration des Juifs.
S
CHISME
: scission du roy-
aume unitaire des 12 tribus
dâIsraĂ«l, Ă la mort de Salo-
mon en 933 av. J-C, en deux
royaumes rivaux : le roy-
aume de Juda (tribus de
Juda, de Benjamin et des prĂȘ-
tres - capitale JĂ©rusalem) et le
royaume dâIsraĂ«l (les 10 aut-
res tribus - capitale Sichem
aujourdâhui Naplouse).
S
ĂFARADE
: « Espagnol » en
hébreu. Juif des pays du
pourtour méditerranéen.
S
ĂMITE
: désigne le descen-
dant de Sem (fils de Noé),
câest-Ă -dire aujourdâhui les
Juifs et les Arabes.
S
ĂMITIQUES
: groupe de langues
rĂ©unissant lâhĂ©breu, lâarabe,
lâamrilheâŠ
S
HABAT
: jour de repos hebdo-
madaire chez les Juifs, oĂč ils
sâabstiennent de travailler et
de faire du feu, entre autres
interdits ; 7
e
jour de la semai-
ne. Ce mot est aussi employé
péjorativement pour parler
dâune rĂ©union de sorciĂšres ou
dâune cĂ©rĂ©monie de magie noire.
S
ION
: nom poĂ©tique dâIsraĂ«l,
dans la Bible celui de JĂ©rusa-
lem, plein de lâespoir en un
avenir meilleur et porteur
dâaspirations messianiques.
S
YNAGOGUE
: lieu de priĂšres
pour les Juifs réunis en quo-
rum minimal de 10 person-
nes, ouvert Ă tous, juifs et
non juifs. Le lieu nâest pas
sacrĂ©, pouvant donc ĂȘtre uti-
lisé à des « fins profanes ».
T
ALMUD
: « étude ». Commen-
taire exhaustif (plus de 50
volumes
in folio
) de la
Torah
,
appelé aussi Loi orale, compi-
lĂ© par Ă©crit depuis lâĂšre chrĂ©-
tienne. Constitué de la
Mish-
na
, inventaire thématique de
lâunivers juridique et rituel de
la
Torah
et de la
Guémara
sâat-
tachant à développer sous
forme de dialogue critique, et
contradictoire la
Mishna
. Ăcrit
en partie en araméen, langue
elliptique, le
Talmud
a long-
temps été mécompris, voire
raillé et méprisé par les Chré-
tiens. Ă plusieurs reprises, il
a été brûlé en place publique
comme lâ
autodafé
de Sala-
manque en 1490, organisé
par le grand Inquisiteur Tor-
quemada ou Ă Berlin en 1933.
T
ORAH
: « enseignement ». 1
re
partie de la Bible juive
(« Ancien Testament »), com-
posée de 5 livres ou Penta-
teuque, encore appelée Loi
Ă©crite. DonnĂ©e par Dieu Ă
MoĂŻse au mont SinaĂŻ Ă la sor-
tie d'Ăgypte (env. 1200 av. J-C),
riche dâinformations mytho-
logiques, historiques et juri-
diques, constituant un vérita-
ble lieu de la mémoire struc-
turelle du peuple juif. La
Torah
, lue dans toutes les
synagogues, principalement
le
Shabat
, est Ă©crit sur un rou-
leau de parchemin, le
Sefer
Torah
. Chaque Juif se doit dâĂ©-
tudier la
Torah
et le
Talmud
.
Y
OM
K
IPPOUR
: fĂȘte majeure
appelé aussi « Grand Pardon »,
reprise en Islam sous le nom
dâ
Achoura
(dizaine en arabe),
en correspondance avec la
date hĂ©braĂŻque de la fĂȘte,
fixée au 10
e
jour du mois de
Tishri
(septembre-octobre).
Vocabulaire
« La perversion de la cité commence par la fraude des mots »
Platon (AthĂšnes, 427 - 347 av. J-C)
élaboré par Hervé Rehby