background image

S u d - O u e s t

A q u i t a i n e

P

araĂźtre Autre,

soit disparaĂźtre, 

afin


de ne pas disparaĂźtre.

Marranes

background image
background image

Nous remercions 

toutes les personnes 

qui ont participĂ© Ă  l’élaboration

de ces livrets 

et Ă  l’organisation 

du premier dĂźner 

du Crif Sud-Ouest Aquitaine.

ÉditĂ© par le 

Crif Sud-Ouest Aquitaine,

11, rue Poquelin-MoliĂšre

33000 Bordeaux - France

TĂ©l. 00 (33) 5 56 52 62 69

Direction Ă©ditoriale : 

Hervé Rehby

ImprimĂ© en mai 2005 

sur les presses 

de FabrĂšgue imprimeur

Saint-Yrieix-la-Perche. 

Graphisme et rĂ©alisation, intĂ©rieur : 

Bernard Lhoumeau

www.lhoumeau.com

SIRET 319 153 326 00040

La mémoire du portail

, huile sur toile 

et matériaux, Alain Kleimann

Couverture : photos Richard ZĂ©boulon - Zapa Bordeaux

Sommaire

Livret « Marranes Â»

GĂ©rard Nahon :

À Bayonne et Ă  Bordeaux : 
un refuge pour les “ Portugais â€ 

p. 2

Balade marrane

p. 3

HervĂ© Rehby :

Aux sources du marranisme

p. 8

HervĂ© Rehby :

FlĂąnerie juive dans Bordeaux

p. 9

Édit d’expulsion des juifs d’Espagne 1492

p. 10

Moshé-Haï Riviah

Vidouy (confession marrane)

p. 11

HervĂ© Rehby :

De l’identitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral 
et du marranisme en particulier

p. 13

Quelques ouvrages de rĂ©fĂ©rence 
sur les Marranes

p. 15

Vocabulaire

p. 16

Livret Crif 

2005

Le Crif en France

Le Crif Sud-Ouest Aquitaine

Les actions du Crif Sud-Ouest Aquitaine

La marche des vivants 2005

La mémoire de la Shoah

BrĂšves

Au fil des mots

Vocabulaire

background image

Le 28 janvier 1698, l’Armorial de

Guyenne emploie l’expression
« communautĂ© de la nation judaĂŻque
ou portugaise Â» pour dĂ©signer l’en-
semble des Juifs de Bayonne. C’est
en effet dans cette ville, ainsi qu’à
Bordeaux, que les nouveaux Chré-
tiens - ainsi appelés aprÚs leur
conversion forcée au catholicisme et
pourchassés par les Inquisitions
espagnole et portugaise (aprĂšs 1536)
- ont trouvé refuge aux XVI

e

et XVII

e

siĂšcles.

Dans ces deux cités, mais aussi à

Saint-Jean-de-Luz, Bidache, Toulouse,
Labastide-Clairence, Peyrehorade,
Bayonne, ou encore Ă  La Rochelle,
Nantes, Rouen, Le Havre et jusqu’à
Paris, ceux qu’on appelle les « Portu-
gais Â» ont trouvĂ© un havre leur per-
mettant de pratiquer en secret leur
religion ancestrale, de nouer des
liens avec la diaspora, notamment
d’Amsterdam et de Terre sainte.
Amsterdam est la destination rĂȘvĂ©e
de ces « nouveaux ChrĂ©tiens Â» aspi-
rant Ă  revenir au judaĂŻsme.

Pour les « nations juives Â» du Sud-

Ouest, les XVII

e

et XVIII

e

siĂšcles

reprĂ©sentent un Ăąge d’or dans le roy-
aume de France, dont ils ont été
chassés en 1394, sur ordre de Char-
les VI. Mais le 21 fĂ©vrier 1722, un
arrĂȘt du Conseil du roi dĂ©couvre
« qu’un nombre considĂ©rable de Juifs
se sont installés en Guyenne et dans
le BĂ©arn, et y exercent mĂȘme ouver-
tement la religion judaĂŻque Â». Cet
arrĂȘt prĂ©voit l’établissement d’un
inventaire et une saisie de leurs
biens. Les nations de Bayonne et de
Bordeaux exhibent alors les Lettres
de naturalité et dispenses obtenues
d’Henri II en 1550, vĂ©ritable charte
les « autorisant Ă  vivre dans le roy-
aume avec familles, domestiques et
marchandises [...] Â». En juin 1723, un
nouveau texte est rédigé en leur
faveur : en Ă©change du versement Ă 
la Couronne de 100 000 livres, plus
deux sols par livre, ces communautĂ©s
obtiennent la rĂ©vocation de l’arrĂȘt de
1722 et l’octroi de Lettres patentes
pour les « Juifs connus et Ă©tablis sous

le titre de Portugais Â». Ces commu-
nautés ont maintenant les coudées
franches.

Au voisinage immĂ©diat de l’Espa-

gne, en contact avec des parents,
amis, et partenaires commerciaux,
ces « Portugais Â» parlent... l’espagnol.
Ils diffĂšrent en cela des commu-
nautĂ©s sƓurs d’Occident dont le...
portugais demeure la langue verna-
culaire.

Ces nations obéissent chacune à

un « gouvernement Â» dont les dĂ©ci-
sions sont couchées sur un registre
depuis le 11 mai 1710. On se conforme
à des rÚglements réunis en corpus le
21 dĂ©cembre 1752 Ă  Bayonne et le 14
décembre 1760 à Bordeaux.

Dans le modùle bayonnais, l’es-

sentiel du pouvoir appartient au

gabay

(trĂ©sorier) et Ă  trois 

parnassim

(syndics) dont chacun exerce Ă  tour
de rÎle la présidence, quatre mois
par an. 

Parnassim 

et 

gabay, 

choisis

parmi les membres fortunés de la
communauté, sont élus chaque
année le dimanche avant la Pùque,
par un collÚge restreint appelé les
Treize Vocaux. Ces 

parnassim

gouver-

nent la nation, convoquent les
assemblées. Ils régentent les secours
aux pauvres, veillent à l’application
des rĂšglements, assurent la police
intĂ©rieure, supervisent les synago-
gues. Ils fixent l’assiette des impîts,
taxes et redevances, dont une frac-
tion est reversée au fisc royal et à des

ChassĂ©e d’Espagne, puis du Portugal, 
la communautĂ© sĂ©farade se replie en “Guyenne et BĂ©arn”. 
Elle y prospĂšre, entretient des relations 
avec Amsterdam, Londres et la Terre sainte. 
Elle y conquiert surtout une reconnaissance officielle, 
qui l’amĂšne Ă  jouer un rĂŽle important 
pour son Ă©mancipation en 1789. 

2

À Bayonne et Ă  Bordeaux : un 

ChassĂ©s par l’Inquisition. 

À partir de 1478, 

l’Inquisition espagnole

pourchasse les Juifs convertis 

qui s’exilent d’abord 

au Portugal avant d’en ĂȘtre

Ă©galement expulsĂ©s. 

Ils trouvent refuge 

dans le Sud-Ouest de la France. 

GĂ©rard Nahon, spĂ©cialiste 

du judaĂŻsme mĂ©diĂ©val et moderne, 

est l’auteur de nombre d’ouvrages

dont 

Les Nations juives portugaises du

Sud-Ouest de la France. 1684-1791

(Fondation C. Gulbenkian, 1981), 

Inscriptions hĂ©braĂŻques 

et juives de France mĂ©diĂ©vale 

(Les Belles Lettres, 1986), 

et derniĂšrement 

Juifs et judaĂŻsme Ă  Bordeaux 

(Mollat, 2003). 

Il est laurĂ©at 

du prix JĂ©rusalem 1995. 

repĂšres

ItinĂ©raire, 

huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann

background image

protecteurs locaux, le plus clair Ă©tant
affecté aux charges communautaires.

Les Treize Vocaux se réunissent

au moins une fois par mois. Ils assis-
tent les 

parnassim

et le 

gabay

, votent

les charités et contrÎlent les comp-
tes. Cette assemblée établit le rÎle de
la capitation (imposition créée en
1695 par Louis XIV), procĂšde Ă  l’adju-
dication des fermes, de la boucherie
rituelle, des pains azymes, de la
poste, contrÎle la gestion des confré-
ries, administre la synagogue princi-
pale, fulmine les excommunica-
tions


Une deuxiÚme assemblée dite des

Vingt-Six, comprenant les Treize
Vocaux en exercice et treize anciens
syndics, se réunit à intervalles irré-
guliers et amende le cas échéant les
dĂ©libĂ©rations et arrĂȘts des Vocaux.
Une troisiĂšme autoritĂ©, l’AssemblĂ©e
générale de la nation, se tient dans
les grandes occasions. Y prennent
part les anciens syndics et la majeure
partie du peuple. À celle de janvier
1703, assistent « les an-
ciens du peuple et chefs
de famille qui composent
la majeure partie du
lieu Â». À celle du 19 avril
1789, prennent part 97
particuliers. Ainsi au fil
du temps, la « nation juda-
ĂŻque Â» se façonne un sys-
tÚme collégial - renforcé
en 1741 par une réforme
royale. Elle se réclame
d’un principe dĂ©mocra-
tique dans la mesure oĂč
l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale - la
nation en son entier -
dĂ©tient la source de l’au-
torité.

Cette nation salarie des secrétai-

res, valets communaux, sacrifica-
teurs rituels, archivistes et un agent
national résidant à Paris, chargé de
dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts. Dans la secon-
de moitié du XVIII

e

siĂšcle, le titulaire

de cette fonction, le Bordelais Jacob
Rodrigues-Pereire invente une
mĂ©thode d’éducation des sourds-
muets - une premiĂšre - qui lui vaut
une pension de Louis XV. Il utilise ses
relations personnelles et obtient, Ă 
titre gratuit, de nouvelles Lettres
patentes en 1776. Le lieutenant de
police le reconnaĂźt comme syndic
des Juifs portugais de Paris et confir-
me en 1780 son acquisition Ă  La
Villette  (aujourd’hui, 44 avenue de

Flandre  dans le 19

e

arrondisse-

ment) d’un cimetiĂšre.

Le rabbin, rétribué par la nation,

n’a pas de statut officiel, la monar-
chie affectant jusqu’à la veille de la
Révolution de considérer les Juifs
portugais comme des nouveaux
ChrĂ©tiens. Tandis qu’en Alsace et en
Lorraine, le rabbin est nommé par le
roi, Ă  Bayonne et Ă  Bordeaux, il
dépend du bon vouloir des laïcs, qui
lui mĂšnent la vie dure. Un article du
rĂšglement bayonnais de 1752 
stipule : « Le rabbin ne prendra aucu-
ne part aux affaires de la nation et se
contentera de tout ce qui regarde son
ministĂšre Â». Plusieurs de ces docteurs
de la Loi, dont Abraham Vaez, Yshak
de Acosta, Isaac Abravanel de Souza
ont reçu leur formation à Amster-
dam ; RaphaĂ«l ben ElĂ©azar Meldola
vient d’Italie ; Joseph Falcon est ori-
ginaire de JĂ©rusalem.

Ces rabbins rendent leur Ă©lan cultu-
rel et spirituel Ă  ces communautĂ©s.
Ceux de Bayonne composent, en

espagnol, des livres pour
leurs fidÚles, imprimés
probablement dans la
clandestinitĂ©, Ă  l’exemple
d’

Historia Sacra Real 

d’Ys-

hak de Acosta qui paraĂźt
en 1691. Le mĂȘme rĂ©dige
encore 

Via de SalvaciĂłn

, Ă 

l’usage des malades et
des mourants, et son
grand ouvrage 

Conjetu-

ras Sagradas sobre los pri-
meros profetas 

(Conjectures

sacrĂ©es sur les premiers
prophĂštes), un commen-
taire biblique dans la
grande tradition ibérique.
Son collĂšgue Abraham

Vaez publie 

Arbol de Vidas 

(Arbre de

vies) en 1692, expliquant les précep-
tes quotidiens et, en 1710, 

Discursos

predicables y avisos spirituales

, recueil

de sermons. 
RaphaĂ«l Meldola compose en hĂ©breu
des ouvrages qui atteignent Ă©galement
une audience internationale. Il approuve
aussi les travaux d’autres rabbins, publiĂ©s
Ă  Amsterdam ou Ă  Venise.

Le culte est célébré dans des ora-

toires, dits «

esnogas Â»

(synagogues).

On y récite la priÚre publique chaque
jour, mais pas forcĂ©ment Ă  la mĂȘme
heure. Ă€ Bayonne, elle est chantĂ©e
tĂŽt le matin dans la synagogue
« connue sous le nom de 

Faro

qui ne

servait guùre qu’à quelques pauvres

3

refuge pour les “Portugais” 

L’espace bordelais

a gravé le judaïsme sur les

plaques de ses rues, de ses Ă©quipements, de ses
commerces. Non content de prolonger la rue

JudaĂŻque 

jusqu’à la barriùre Judaïque, il a bñti

des Halles JudaĂŻques et une Piscine JudaĂŻque.
Encore fait-il mine d’oublier qu’au Moyen-Âge la
rue des Bahutiers s’appelait la rue du Puits des
Juifs, que la rue de Cheverus remplace la rue
Juive mĂ©diĂ©vale et qu’en 1753 on inaugura la
nouvelle 

Porte-Dijeaux 

sur l’emplacement

mĂȘme d’une Porta di Jeus, c'est-Ă -dire « Porte des

Juifs Â». Celle-ci figure sur le plan reconstituĂ© par
LĂ©o Drouyn dans son livre 

Bordeaux vers 1450,

description topographique

(Bordeaux, 1874).

Modernes et contemporaines, personnalisĂ©es,
d’autres rues et places prĂ©servent la mĂ©moire du
grand rabbin Joseph Cohen, de René Cassin (né
Ă  Bayonne) pĂšre de la DĂ©claration universelle
des droits de l’homme, d’Édouard Colonne,

d’Abraham 

Furtado,

de 

David Gradis, 

d’É-

mile Pereire, de Jacob
Rodrigues-Pereire, de
Louis-Francia de Beau-
fleury, de David Ray-

nal, du docteur Sabatino Schinazi, de GĂ©o
Delvaille, d’AmĂ©lie Raba LĂ©on, de Georges Man-
del (nĂ© Ă  Chatou), de Catulle MendĂšs. 

Extrait de 

Juifs et judaĂŻsme Ă  Bordeaux,

GĂ©rard Nahon, Ă©d. Mollat, 2003

Instant musical

huile sur toile et matériaux.

Alain Kleimann

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

apa Bor

deaux

B

a

lade

m

a

rr

a

n

e

par GĂ©rard Nahon

background image

qui avaient besoin, pour ne pas per-
dre le temps de leur travail, de faire
leurs priĂšres de meilleure heure
que les gens aisĂ©s Â».

En 1755, de passage Ă  Bayonne,

Hayyim-Joseph-David Azulay, ori-
ginaire d’HĂ©bron, prĂȘche dans les
treize 

esnogas 

de la ville. La nation

portugaise de Bordeaux dispose,
elle, de six lieux de culte. Il faut
compter encore les synagogues de
Peyrehorade et de Bidache, et celle
de la rue des Boucheries Ă  Paris.

Les particuliers qui les ont fon-

dées, pourvoient à leur entretien et
arrĂȘtent des dispositions testa-
mentaires en leur faveur. Le
Bayonnais Moïse GuÚdes prévoit
ainsi dans son testament du 10 sep-
tembre 1756, des legs pour le lumi-
naire et pour les gages des 

hazanim

(chantres) de sa 

congrega

. De la

mĂȘme façon, Isaac MendĂšs France,
testant Ă  Bordeaux le 13 septembre
1785, dĂ©clare : Â« Je veux et entends
que mes dits héritiers ci-aprÚs nom-
més payent et distribuent le jour de
mon décÚs la somme de cent livres
aux pauvres de la nation portugaise
et autres cent livres un mois aprĂšs,
applicables Ă  la petite synagogue
que j’ai fondĂ©e situĂ©e rue des
Augustins. Â»

Mais la pratique religieuse

concerne surtout la charitĂ© et l’en-
seignement. La communauté assu-
re l’entretien des pauvres et prend
en charge leur loyer. Elle tient Ă 
jour un rĂŽle des personnes assis-
tées, prévoit des distributions de
viande, de pain azyme et de
bouillon aux nécessiteux. Elle rétri-
bue le médecin qui les soigne et
paie à l’apothicaire les remùdes
prescrits. Des confréries complÚ-
tent ces actions charitables. À
Bayonne, la 

JĂ©bera

procĂšde au der-

nier devoir (la toilette des défunts
et les funĂ©railles) ; 

la Frairie des pau-

vres malades 

nourrit les nécessi-

teux ; le 

Malbish Arumim 

pourvoit Ă 

leur habillement ; la 

Frairie des

orphelines 

dote les filles pauvres,

condition 

sine qua non 

Ă  leur maria-

ge. Aux miséreux de la commu-
nautĂ© s’ajoutent ceux de passage.

L’enseignement incombe en

principe à des maßtres privés. Au
niveau Ă©lĂ©mentaire, la confrĂ©rie du

Talmud Torah 

finance et réglemente

son fonctionnement. Au niveau

supĂ©rieur, le rabbin enseigne le 

Tal-

mud 

dans sa 

yeshiva 

(Ă©cole). La qua-

lité des études de Bayonne est si
prisée à Bordeaux que David Lindo
met son fils en pension chez son ami
bayonnais Jacob Pereyre Brandon.

Bayonne et Bordeaux font réci-

ter des priÚres pour la guérison de
Louis XV ou pour l’accouchement
de Marie-Antoinette. Traduites en
français, ces priÚres sont communi-
quĂ©es Ă  la Cour. L’existence de la
synagogue de Paëz, rue Bouhaut à
Bordeaux, est officialisée le 30 juin
1780 par la présence des princes de
Condé et de Bourbon qui assistent
au service. À Bayonne les fĂȘtes Ă 
l’occasion de la naissance du Dau-
phin le 12 décembre 1781, rassem-
blent Juifs, ChrĂ©tiens et mĂȘme les
soldats du roi.

Cette tolérance relative du pou-

voir s’explique par l’utilitĂ© Ă©cono-
mique des Juifs. Ă€ Bordeaux, plu-
sieurs firmes pratiquent l’arme-
ment maritime, le négoce colonial,
la banque. David Gradis (1665-1751)
Ă©tend ses opĂ©rations Ă  l’Angleterre,
au Canada, aux Antilles françaises.
Son neveu Abraham Gradis (1699-
1780) intensifie les activitĂ©s de l’en-
treprise au service de l'État. Il fonde
en 1778 la Société du Canada et
lance quatorze navires pendant la
guerre contre l’Angleterre. Heureux
en affaires, certains investissent
leurs bénéfices en hÎtels en ville ou
en biens de campagne. À Bayonne
comme Ă  Bordeaux, on trouve des
Juifs jouissant d’une honnĂȘte aisan-
ce qui, aprÚs une carriÚre réussie,
vivent des revenus de leurs terres.
Ils peuvent acquérir terres et mai-
sons, et les redevances féodales ne
les Ă©crasent pas. On retrouve cette
relative liberté dans la classe
moyenne des artisans. 

Les Ă©chevins de Bayonne inter-

disent pourtant aux Juifs le com-
merce de détail. Les marchands en
gros font le négoce du tabac, du
cacao, du textile, du sel, des cuirs,
des peaux avec l’Espagne, les Pays-
Bas, les colonies. On retrouve des
Juifs banquiers, porte balles, cor-
donniers, serruriers, perruquiers,
barbiers, bouchers, chocolatiers,
confiseurs, orfĂšvres, apothicaires,
chirurgiens, teneurs de livres, chan-
geurs, courtiers, mĂ©decins, musi-
ciens, maĂźtres Ă  danser, joueurs pro-
fessionnels.

À cĂŽtĂ© de la classe aisĂ©e et des

artisans, survit une classe pauvre.
Pour leur venir en aide la nation
sollicite réguliÚrement des réduc-
tions d’impĂŽts, afin de leur consac-
rer une portion plus large de ses
ressources.

Dans le troisiĂšme tiers du XVIII

e

siÚcle le déclin économique, plus
sensible à Bayonne qu’à Bordeaux
entraĂźne une Ă©migration vers Pau,
Paris et les colonies. Le nombre des
synagogues bayonnaises se réduit
alors Ă  quatre en 1776.

Autre différence entre Bordeaux

et Bayonne : la nation juive borde-
laise, forte d’un millier d’ñmes tout
au plus, ne constitue pas un problĂš-
me tandis que celle de Bayonne,
quelque 2 500 personnes confinĂ©es
au faubourg Saint-Esprit, représente
un cinquiĂšme de la population tota-
le et les Ă©chevins de la ville lui liv-
rent une guerre sans merci.

Ces nations juives du Sud-Ouest

se rattachent à la diaspora séfarade
par des relations suivies avec les
autres communautĂ©s et d’abord
celle d’Amsterdam. Les Ă©changes
avec la cité hollandaise touchent
des problÚmes privés, communau-
taires et rabbiniques. Avec les
parents et amis, on Ă©change lettres
et marchandises. Des Juifs d’Ams-
terdam s’installent à Bayonne ou à
Bordeaux ; d’autres font le voyage
inverse. Abraham Lopés Colaso
arrive d’Amsterdam à Peyrehorade
en 1722 alors que son frĂšre Benja-
min reste aux Pays-Bas. En 1720,
François RoblÚs de Bayonne lÚgue
300 livres Ă  sa fille Judicq, Ă©pouse
de David Loppes de Pas, qui habite
Amsterdam. 

Les rabbins consultent ceux

4

À Bayonne et Ă  Bordeaux : un 

La petite sƓur, 

huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann

repĂšres

background image

d’Amsterdam et ces derniers compo-
sent des réponses détaillées. Le 21
mai 1684, Jacob ben Aaron Sasportas,
rabbin d’Amsterdam, adresse un long

responsum 

Ă  son confrĂšre HaĂŻm de

Mercado à Bayonne, au sujet d’une
affaire survenue Ă  Bidache. Vers
1690, le mĂȘme Sasportas rĂ©pond Ă 
Isaac de Acosta, ministre du culte Ă 
Peyrehorade sur l’observance des
fĂȘtes et du shabbat. Le 15 dĂ©cembre
1692, Yshac Aboab de Fonseca
approuve les 

Discursos predicables

(Discours de prédication) de son
homologue bayonnais Abraham
Vaez. Vers 1737, David-IsraĂ«l Atias et
Isaac-HaĂŻm Abendana de Brito
approuvent le recueil, 

MaĂŻm Rabbim

,

de Raphaël Meldola, rabbin de
Bayonne. Amsterdam contribue lar-
gement au processus de rejudaĂŻsation
des Marranes de France.

Les relations s’intensifient aussi

avec Londres. Des Juifs de la capitale
anglaise prennent femme dans le

Sud-Ouest, d’autres viennent s’y
installer. De la mĂȘme façon, des capi-
taux londoniens sont investis dans le
nĂ©goce Ă  Bayonne : fin 1685, Louis
d’Andrade finance partiellement une
expĂ©dition de pĂȘche Ă  la baleine Ă 
Terre-Neuve.

Il existe aussi des relations avec

les communautés portugaises des
colonies françaises, hollandaises et
anglaises d’outre-Atlantique, Saint-
Domingue, Curaçao, la Jamaïque, le
Surinam. Isaac Goutiéres, Abraham
Delvalle, Isaac Sossa, David Lopez,
Salomon Lopés-Dias embarquent à
Bayonne en 1770 et 1771. Des Bayon-

nais se marient à Curaçao et, fortune
faite, rentrent au pays.

D’Afrique du Nord des familles

gagnent Bordeaux. MĂ©ir Cresques
ben Nathanaël, rabbin à Alger, séjour-
ne Ă  Bayonne et Ă  Bordeaux en 1739 ;
Isaac Nahon, rabbin Ă  TĂ©touan, siĂšge
au 

beit din 

(tribunal) de Bordeaux le

25 juin 1783. FernandĂšs de Medina
« nĂ© Ă  Bayonne, ĂągĂ© de trente ans,
ayant été choisi par la synagogue
d’Amsterdam pour ĂȘtre envoyĂ© au
Levant et y Ă©tudier la langue et les
livres des HĂ©breux Â» fait, lui, le che-
min inverse et embarque Ă  Marseille
en 1723.

Depuis la fin du XVII

e

siĂšcle, Bor-

deaux et Bayonne reçoivent réguliÚ-
rement la visite de rabbins de Terre
sainte, dĂ©lĂ©guĂ©s par les 

yeshivot 

de

JĂ©rusalem, d’HĂ©bron, de Safed et de
TibĂ©riade pour quĂȘter en «

Frankia

»,

c’est-à-dire en Occident. Ils lùvent
des fonds dans les synagogues,
recueillent donations et legs. Ces
envoyĂ©s prĂȘchent dans les synago-
gues, approuvent les 

ascamot 

(consti-

tutions) locales, vĂ©rifient la 

cacherout

(loi concernant l’alimentation) de la
boucherie, interviennent dans les
conflits conjugaux.

La nation les consulte aussi dans

des circonstances graves. En 1773,
Yom Tov Algazi et Jacob Lebet Hazan
se trouvent Ă  Bordeaux oĂč gronde
une émeute provoquée par la cherté
du pain. Les Juifs participent aux
patrouilles bourgeoises de maintien
de l’ordre. Mais peuvent-ils porter les
armes durant le 

shabbat, 

une fois que

les démarches pour obtenir une
dispense des autorités municipales
auront Ă©chouĂ© ? À titre exceptionnel,
les rabbins de Terre sainte autorisent
cette entorse au 

shabbat

.

BientÎt, les communautés de Bor-

deaux et Bayonne, aux prises avec
des difficultés financiÚres, jugent ces
tournées trop coûteuses et demande
que l’on n’envoie un Ă©missaire qu’u-
ne fois tous les dix ans. Les rabbins
de Terre sainte n’en ont cure et conti-
nuent ces missions permettant de
maintenir un contact avec la diaspora
et à réinsérer les familles marranes
dans la communauté séfarade.

À la veille de la RĂ©volution et de

la disparition politique des nations
du Sud-Ouest, quel est leur degré de
cohésion structurelle, religieuse et

5

refuge pour les “Portugais” 

23, rue Leyteire

: on remarque une belle bĂątisse

classique, dont l'une des fenĂȘtres surmontĂ©es de
clefs de voûte est sculptée, en guise de mascaron,
d'une 

Maguen David.

Certains l'appellent la 

Maison Carrée d'Arlac

;

d'autres, le 

chĂąteau de Peychotte ou Peixotte

.

C'est en 1720 que la maison de Pey d'Arlac entre
dans le patrimoine des familles alliées Peixotto et
MendĂšs, nĂ©gociants et banquiers. 

Samuel

Peixotto

fait d'abord construire une belle et

grande villa Ă  

Talence

, devenue 

l'hĂŽtel de

ville,

. puis la 

Maison Carrée

dont le style est

proche de la Maison Blanche Ă  Washington ou
du chĂąteau de Rastignac en PĂ©rigord. 

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

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Transmission

huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann

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morale ? L’autoritĂ© des 

parnassim 

est

mal ressentie Ă  Bordeaux et Ă  Bayon-
ne. Le 24 juin 1764, 24 Juifs bordelais
formulent un réquisitoire violent
contre leur administration. Le 27
décembre 1789, 12 Juifs bayonnais
prennent une délibération contre
leur syndic. Le pouvoir de la nation
se sait contesté et réagit. Bordeaux
présente en 1788 au ministre Guillau-
me Lamoignon de Malesherbes un
projet de réforme du statut des Juifs
du royaume. La Nation réclame le
maintien, voire le renforcement du
dispositif communautaire - non seu-
lement l’état civil resterait sous son
contrĂŽle mais celle-ci serait seule en
droit d’accorder ou de refuser à des
particuliers le droit de résidence.

Sur le plan religieux et intellec-

tuel, la situation se présente autre-
ment. Les Lumiùres n’entament pas
la piĂ©tĂ©. L’examen des testaments
révÚle un fort sentiment religieux
s’exprimant par des legs et des com-
mandes de priÚres. Ce regain de piété
s’accommode aussi de l’adhĂ©sion Ă 
la loge maçonnique bayonnaise, la
« ZĂ©lĂ©e Â». Et dans les cimetiĂšres de
Bidache, de Labastide-Clairence, de
Peyrehorade, les Ă©pitaphes portent
des dates hébraïques et chrétiennes.
Un processus d’acculturation s’amor-
ce sans entamer l’identitĂ© religieuse.

La premiĂšre phase de ce proces-

sus se déroule au printemps 1788.
InfluencĂ© par l’évolution des idĂ©es
sur les Juifs, Louis XVI, aprĂšs avoir
rendu en 1787 un Ă©dit en faveur des

protestants, charge Malesherbes de
préparer une réforme. Le ministre de
la Maison du roi recueille les avis de
Lacretelle, Roederer, Target, de l’an-
cien intendant de Guyenne et de
Nicolas Dupré de Saint-Maur. Il pres-
sent des représentants des commu-
nautĂ©s d’Alsace, de Lorraine et du
Sud-Ouest. Abraham Furtado, Salo-
mon Lopés-Dubec, Louis Francia de
Beaufleury pour Bordeaux, Fonseca
pour Bayonne prennent une part pré-
pondérante à ces travaux. En avril
1788, ils se rendent Ă  Paris et remet-
tent au ministre un mémoire.

Pour la nation sĂ©farade, il n’est

toutefois pas question de se diluer
dans un ensemble oĂč les ashkĂ©nazes
seraient majoritaires. Dans cet esprit,
les délégués bordelais écrivent à
leurs mandants, relatant leurs ren-
contres avec Cerf Berr, pour l’Alsace,
et Berr Isaac Berr, pour la Lorraine, le
19 avril 1789 : « Nous ne ferons
cependant pas cause commune avec
eux pour ne pas nous Ă©carter des
principes de notre nation de se main-
tenir s’il est possible dans cet Ă©tat de
sĂ©paration qui l’a distinguĂ©e jusqu’à
prĂ©sent des autres Juifs. Â» Mais les
choses en restent lĂ  car le royaume
connaĂźt une crise financiĂšre abyssale.

La deuxiùme phase s’ouvre avec

les élections aux états généraux du
printemps 1789, convoqués par Louis
XVI. L’abbĂ© GrĂ©goire, ardent dĂ©fen-
seur des Juifs, Ă©crit Ă  IsaĂŻe Bing de
Nancy : « Ă€ la veille des Ă©tats gĂ©nĂ©-
raux, ne devriez-vous pas vous
concerter avec d’autres membres de
votre nation pour réclamer les droits
et les avantages des citoyens ? Â» Mais
les Juifs du royaume avancent en
ordre dispersé. Les Ashkénazes sont
écartés des assemblées primaires qui
doivent désigner les grands électeurs.
Bordelais et Bayonnais, au contraire
y participent. Il s’agit pour ces
nations, Ă  travers trois niveaux de
consultation (corporation, disctrict,
sĂ©nĂ©chaussĂ©e), d’élire leurs dĂ©putĂ©s
au tiers Ă©tat.

Comme le font les Juifs de Bayon-

ne le 19 avril 1789, ceux de Bordeaux
rédigent leur cahier de doléances.
Finalement, il ne manquera que
quelques voix Ă  David Gradis, pour
ĂȘtre l’un des dĂ©putĂ©s de Bordeaux.
Les Juifs se retrouvent défendus au
tiers état par des députés catholiques
et protestants de Bordeaux, parmi
lesquels le docteur Paul Victor de

6

À Bayonne et Ă  Bordeaux : un 

Drame Ă  Saint-Jean-de-Luz. 

La

communauté de Saint-Jean-de-Luz,

deux cents ùmes, bénéficie de la

protection du duc de Gramont, gou-

verneur héréditaire de Bayonne et

du Labourd. Plaque tournante de l’é-

migration néo-chrétienne, elle four-

nit aux fugitifs une premiĂšre halte

sur la route d’Amsterdam. Mais une

horrible tragédie sonne le glas de ce

groupement. Le 19 mars 1619, un

prĂȘtre distribuant l’eucharistie dans

l’église s’aperçoit que Catherine de

FernandĂšs, une Portugaise de 60

ans, cache l’hostie dans son mou-

choir au lieu de l’avaler. Il la fait

incarcérer comme sacrilÚge. Une

foule s’ameute sur la place, arrache

la prisonniĂšre, l’enfourne dans un

tonneau bourré de paille et de gou-

dron, y met le feu : la malheureuse

est brĂ»lĂ©e vive. TerrifiĂ©s, les Portu-

gais quittent la ville. 

L’escalier

huile sur toile et matériaux. Alain Kleimann

repĂšres

background image

SĂšze. Mais le fait pour les Portugais
d’avoir pu participer au processus
électoral est déjà une reconnaissance
de fait de leurs droits civiques et poli-
tiques. En quelque sorte de leur
citoyenneté.

La troisiĂšme phase du processus

se déroule entre le 14 août 1789 et le
28 janvier 1790. Les Portugais enten-
dent sauvegarder leurs nouveaux
acquis. Ils repoussent ainsi l’idĂ©e
d’un statut particulier : la DĂ©claration
des droits de l’homme en prĂ©paration
s’appliquera aux Juifs comme à tous
les Français. « C’est par la libertĂ© de
leurs personnes et de leurs biens que
les Juifs de toutes les provinces du
Royaume deviendront libres et
utiles Â», Ă©crivent-ils Ă  l’abbĂ© GrĂ©goire
le 14 août 1789. Ils souhaitent une
Ă©mancipation implicite, tandis que
les Ashkénazes attendent un texte
explicite leur « dĂ©cernant le titre et
les droits de citoyens Â». Mais Ă  Paris,
Séfarades et Ashkénazes envoient, le
26 août 1789, une délégation commu-
ne Ă  l’AssemblĂ©e nationale pour
rĂ©clamer dans les dĂ©crets « une men-
tion particuliĂšre de la nation juive Â»
qui permettrait de « consacrer [leurs]
titres et [leurs] droits de citoyens Â».

Reste à définir ces droits. Les Juifs

de Bordeaux envoient dans la capita-
le des représentants qui, entre le 4
janvier et le 13 février 1790, se
concertent avec leurs homologues
d’Alsace et de Lorraine. S’apercevant
que les Ashkénazes se contenteraient
de simples droits civils, les Portugais
prĂ©sentent une adresse Ă  l’AssemblĂ©e
nationale. Pour eux, il s’agit moins

d’acquĂ©rir que de ne pas perdre.
À l’issue d’un long dĂ©bat des 27 et 28
janvier 1790, la représentation fran-
çaise dĂ©crĂšte que : Â« Tous les Juifs
connus en France sous le nom de
Juifs portugais, espagnols, avignon-
nais, continueront de jouir des droits
de citoyens actifs, dont ils avaient
joui jusqu’à prĂ©sent. Â»

Officialisés dans leur statut de

citoyens actifs, le terme dĂ©signe alors
les Ă©lecteurs qui paient un impĂŽt Ă©gal
à trois puis dix journées de travail, les
Séfarades ont donc gagné et perdu la
bataille, car leur nation disparaĂźt. Les
Bordelais en prennent acte le 18
fĂ©vrier 1790 : « Les Juifs de Bordeaux
ne pouvant plus ĂȘtre considĂ©rĂ©s
comme nation, l’AssemblĂ©e des
anciens qui les reprĂ©sentait s’est aus-
sitĂŽt dissoute Â» 

Les sĂ©farades français 

sont les premiers Juifs au monde 

Ă  s’ĂȘtre Ă©mancipĂ©s : le judaĂŻsme

d’Occident adoptera leur modùle.

L’émancipation gĂ©nĂ©rale des Juifs

de France est dĂ©crĂ©tĂ©e par l’Assem-
blée nationale le 2 septembre 1791, et
confirme la disparition de la Nation :
elle concerne en effet « les individus
juifs qui prĂȘteront le serment civique
qui sera regardé comme une renon-
ciation Ă  tous les privilĂšges et excep-
tions introduits précédemment en
leur faveur Â».

En l’espace de trois siùcles, les

descendants des nouveaux Chrétiens
ont fait resurgir en France des
communautés traditionnelles. Ils ont
participé à son essor économique,
intellectuel, religieux. Ils dessinent,
concrétisent et répandent un modÚle
d’insertion du judaĂŻsme dans la sociĂ©-
té façonnée par les LumiÚres.

© Historia Thématique - 01/01/2004 - N

o

087 -

Les Juifs en France

En complĂ©ment : 

Histoire des Juifs de Bayonne

, de Henry LĂ©on 

(1893, réimpr. Laffitte Reprints, 1976).

MĂ©tropoles et pĂ©riphĂ©ries sĂ©farades 
d’Occident. Kairouan, Amsterdam, 
Bayonne, Bordeaux, JĂ©rusalem

de GĂ©rard Nahon (Ă©d. du Cerf, 1993).

Le Registre des dĂ©libĂ©rations de la nation 
juive portugaise de Bordeaux (1710-1787)

de Simon Schwarzfuchs, 
(Fondation Calouste Gulbenkian, 
Centre culturel portugais, 1981).

7

refuge pour les “Portugais” 

InaugurĂ©e le 5 septembre 1882, 

la synagogue

de Bordeaux 

venait remplacer celle de la rue

Causserouge incendiée en 1873. Construite par
André Burguet et Charles Durand dans un style
romano-byzantin orientalisĂ©, c’est une des plus
grandes de France. Sur la façade, un haut
pignon couronnĂ© par 

les tables de la Loi

, sou-

lignĂ© par des sĂ©ries d'arceaux, est enserrĂ© de

deux tours. La synagogue de Bordeaux multiplie
les 

maguen David

dĂ©coratives : sur le sol, les

vitraux, le tympan central et la façade. Profanée
durant l’Occupation, son mobilier fut dĂ©vastĂ©, et
elle servit mĂȘme de prison aux dĂ©portĂ©s. Elle fut
restaurĂ©e aprĂšs la guerre. Elle a Ă©tĂ© classĂ©e
Monument Historique en 1998.

Le 15 janvier 1529, Ă  Toulouse, le notaire Man-
dinelli prĂ©pare, rĂ©dige et dĂ©livre un contrat de
mariage Ă  Pierre Eyquem, seigneur de Montai-
gne et Anthonie de Lopez. De cette union naĂźtra
4 ans plus tard 

Michel Eyquem de Montaigne

,

futur maire de Bordeaux entre 1581 et 1585, et
auteur 

des Essais.

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

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deaux

La bibliothĂšque

huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann

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La survie des Juifs en diaspora

ne fut jamais vĂ©gĂ©tative. Ils ne res-
tĂšrent jamais, Ă  quelques rares
exceptions prÚs, figés dans leur
identitĂ©. Ils durent s’adapter aux
exigences du moment et du lieu
pour se faire les plus discrets, les
moins dérangeant, adoptant ici les
vĂȘtements et les patronymes, lĂ 
encore les langues, les coutumes et
l’art culinaire. Mais conservent par-
tout une maniĂšre juive de repenser.

Ces phénomÚnes adaptatifs font

apparaĂźtre une marranisation cultu-
relle inverse de celle habituelle-
ment décrite pour les individus
eux-mĂȘmes. L’extĂ©rioritĂ© des pra-
tiques culturelles est encore repé-
rée comme spécifiquement juive,
comme le vĂȘtement des Juifs ortho-
doxes, la musique klezmer, le cous-
cous-boulette ; mais comme chacun
feint de l’ignorer, tout cela n’est
qu’emprunt au monde non-juif.
Outre la pratique du texte de la

Torah

et du 

Talmud

, le peuple juif

dans sa diasporisation n’a stricte-
ment rien emporté. Il a tout ou
presque réinventé en cours de
route, de si longue route.

Il en va tout autrement pour les

individus. La marranisation des
Juifs espagnols et portugais, cor-
respondit à l’adoption en public de
la foi et des rites chrétiens ou musul-
mans, souvent sous la contrainte,
alors mĂȘme que dans l’intimitĂ© des
maisons et des 

juderĂ­as

, ils retrou-

vaient les gestes et les mots de leurs
ancĂȘtres. L’intĂ©rieur du marrane,
son cƓur et sa psychĂ© restaient
fidĂšles au judaĂŻsme, quand tout, Ă 
l’extĂ©rieur, en surface et dans le for-
mel, jurait la conversion sincĂšre. 

Cette volonté de se cacher pour

survivre semble trĂšs ancienne dans
la tradition littĂ©raire juive. 

Repus du fruit de la connaissan-

ce du Bien et du Mal, Adam et Éve
découvrent leur nudité, et se confec-
tionnent des ceintures-pagnes en
feuilles de figuier ; puis ils se
cachent pour Ă©chapper, rĂ©flexe dĂ©ri-
soire, Ă  la voix de Dieu. La question
de Dieu est tout aussi directe et
significative : Â«

Ayéka

? Â», un seul

mot en guise de question juive,
c’est-à-dire de question humaine
ultime et radicale : « oĂč (en) es-tu ? Â».
LĂ  est la question des Marranes jus-
qu’à nos jours, avec des formula-

tions variables qu’on imagine aisĂ©-
ment.

Le « oĂč est ton frĂšre Abel ? Â» est

encore dans cette veine, mais ici
c’est l’altĂ©ritĂ© qui Ă©choue brutale-
ment. CaĂŻn n’a pas laissĂ© Ă  Abel la
chance de se marraniser, de se tra-
vestir en caĂŻnite ; il l’a tuĂ© tout sim-
plement. Caïn sera condamné à
l’errance mais portera un signe de
protection contre ceux qui vou-
draient le tuer. Le Juif a été mani-
festement une figure caĂŻnique
durant longtemps en Diaspora,
errant et porteur de signes, rouelle
ou Ă©toile jaune, toutefois plus infa-
mants que protecteurs. 

Menacé de famine, Abram déci-

de de descendre en Égypte. Il
demande alors Ă  sa femme de dire
qu’elle est sa sƓur, de taire le rap-
port d’union conjugale entre eux.
Cette logique marranique (avant la
lettre) d’Abram a dĂ» marquer les
esprits juifs durant les longues heu-
res de méditation quotidiennes des
textes sacrés.

MoĂŻse lui-mĂȘme dissimule une

identité juive incertaine disant aux
filles de Jethro qu’il est Ă©gyptien. Il
venait de fuir l'Égypte prĂ©cisĂ©ment
pour avoir tué un chef de corvée
occupé à frapper un esclave hébreu.
Le 

Midrash Rabba 

explique que l’ex-

tériorité de Moïse était égyptienne,
mais qu’en lui-mĂȘme il Ă©tait hĂ©b-
reu. Que rajouter à cette présenta-
tion marranique ! Le peuple juif,
hĂ©ritier de la 

Torah 

de MoĂŻse, ne

pouvait qu’intĂ©grer cette dissimula-
tion, vraisemblablement incons-
ciemment, comme recours ultime
au péril de la disparition.

L’expĂ©rience de la dissimulation,

de l’enfouissement identitaire va
trouver sa pleine expression dans le

Livre d’Esther

, racontant comment

les Juifs de Perse Ă©chappĂšrent Ă  la
premiÚre tentative de génocide pro-
grammé par un prototype antisémi-
te nommé Haman. Tout ici est
masqué, ou à peine discernable.
Esther (qui cache sa judéité au roi
Assuérus) et Mardochée, héros juifs
par excellence, portent les noms de
deux divinités assyriennes, Ishtar et
Marduk. Dieu lui-mĂȘme se cache,
joue à celui qu’il est depuis la sortie
d'Égypte : l’absent formel de l’His-
toire de l’homme. Tout ce rĂ©cit d’Es-
ther a nourri et continue de nourrir
des générations de Juifs dispersés,
et leur propose en filigrane la solu-
tion marranique comme issue tem-
poraire Ă  leur difficultĂ© d’ĂȘtre. Se
fondre dans la culture commune,
s’assimiler en d’autres termes, tout
en gardant l’essentiel juif du quant
Ă  soi, et ce pour Ă©chapper Ă  l’effort
constant de devoir ĂȘtre soi, de
devoir justifier d’ĂȘtre. Cette assimi-
lation est trÚs différente de son
homonyme moderne, en ce qu’elle se
fait sans reniement intime de l’iden-
titĂ© juive ; elle n’est qu’un Ă©cran de
protection.

La destruction du Temple en 70

apr. J-C par les armées romaines de
Titus va tout changer. Le christia-
nisme naissant n’était Ă  l’origine
qu’un messianisme juif accompli
parmi d’autres. Le destin du monde
allait basculer avec la conversion de
Constantin et l’accùs du catholicis-

8

Aux sources 

Livres

huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann

Peintre chinois

huile sur toile et matériaux, Alain Kleimann

repĂšres

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9

FlĂąnerie juive dans Bordeaux

NĂ© le 20 mai 1849, 

Georges de Porto-Riche 

s’a-

donne d’abord Ă  la poĂ©sie, puis au thĂ©Ăątre. Il est
Ă©lu Ă  l’AcadĂ©mie française en 1923.

Les fontaines Wallace. 

Un mĂ©cĂšne juif 

Osiris

(Daniel Iffla) 

a offert Ă  la fin du XIX

e

siĂšcle six

fontaines Wallace Ă  la ville de Bordeaux, don
assorti d'une condition essentielle, que l'une d'el-
les soit installée dans son quartier de naissance,
place du GĂ©nĂ©ral-Sarrail, prĂšs de la Victoire. 

ChĂąteau La Tour Blanche 

Ă  Bommes. Cons-

truit au XVIII

e

siĂšcle, c’est au dĂ©but du XX

e

que

l’histoire de ce prestigieux domaine prend toute
son originalitĂ©. Son dernier propriĂ©taire, 

Daniel

Iffla

, surnommé «

Osiris

», décide de léguer cette

propriĂ©tĂ© Ă  l’État, Ă  condition qu’une Ă©cole de viti-
culture et de vinification soit crĂ©Ă©e sur les terres. 

Ainsi en 1909, le ministĂšre de
l’Agriculture accepte la dona-
tion, et deux ans plus tard, il
fait construire l’

École de

Viticulture et d’ƒnologie
La Tour Blanche

.

me au rang de religion triomphante,
expression de la vérité enfin incar-
nĂ©e. L’ascension du catholicisme au
firmament de la puissance mondiale
allait malheureusement se compli-
quer d’antisĂ©mitisme de plus en plus
marquĂ© avec le temps et l’inattendue
rĂ©sistance des Juifs. Quelle outrecui-
dance aprĂšs tout ! Ils donnaient au
monde un messie tout Ă  fait accepta-
ble pour aussitĂŽt le refuser pour eux-
mĂȘmes. 

Le judaĂŻsme espagnol puis portu-

gais paiera le prix fort de ce bras de
fer avec le Vatican et son bras armé,
la Sainte Inquisition. Sur fond de

Reconquista

et donc de guerre avec

les musulmans almohades, le juda-
ĂŻsme espagnol va devoir se dĂ©cider :
se maintenir juif et mourir, fuir et
tout perdre, se convertir et en finir
apparemment avec la persécution.
Le marranisme officiel se profilait Ă 
l’horizon. Une partie importante de
ce judaĂŻsme converti continua en
secret Ă  pratiquer rites et priĂšres, Ă 
transmettre vaille que vaille des lam-
beaux de mémoire.

Quelqu’un 
sur qui se fonder

Il fallait pourtant une caution

morale, un aval officiel justifiant cette
position intenable, quasi schizoĂŻde.
Nous pensons que MaĂŻmonide, le
Rambam de Cordoue, servit de pivot
à cette métamorphose du judaïsme
hispano-portugais. Il Ă©crivit en 1162
une lettre dite « Ă‰pĂźtre sur la persĂ©cu-
tion ou sur la contrainte (

Igeret Hash-

mad

) Â». Dans ce texte d’une rare

force, aux accents vibrants, MaĂŻmoni-
de s’oppose farouchement aux rab-
bins de son Ă©poque qui interdisaient
catégoriquement la posture marra-
nique, la considérant comme idolù-
trie et apostasie pures. Certes, de son
temps, la contrainte venait des
Musulmans et pas encore des ChrĂ©-
tiens ; mais le propos de MaĂŻmonide
est suffisamment explicite et inclusif
pour que le message soit entendu : « il
(un rabbin) ne fait pas de différence
entre l'idolĂątrie commise volontaire-
ment, et le mĂȘme acte idolĂątre com-
mis par nécessité et par peur de la
mort Â». 

ParaĂźtre Autre, soit disparaĂźtre, 

afin
 de ne pas disparaütre.

Au fil des heures, du temps qui passe
Au grĂ© du vent, du souffle qui anime
Au long des cours qui s’entrecroisent

Marche sur les traces de l’espoir
Sur les pas des antiques parias
PromĂšne ton regard et lis
Lis et interprĂšte le sens des choses
CachĂ©es depuis l’orient du passĂ©

Ils sont
Venus du fond des Ăąges
Des abümes de l’Histoire

Avec
L’envie de continuer encore un peu
Et déambuler dans les jardins du temps
Qui efface tous les outrages

Plus de juderĂ­a ! Ni ghetto, ni mellah !
Ici la judaïque se pare de respectabilité
La porte Dijeaux est celle des Juifs 
Comme si on disait celle de Sion
Dans la JĂ©rusalem assise, dĂ©solĂ©e, Ă  l’écart

Ils ne sont plus
Eux, les fiers conversos
Revenus ici de leur hĂ©bĂ©tude 
Pour vivre lĂ , dans le miroir
De leur mémoire meurtrie,
Cachée, souillée à jamais
Ici
Personne ne songea à vérifier leur pureté de sang
Tout redevenait alors possible


Ils ne sont plus, presque plus
Un reste, un reliquat
Pas plus ici que partout
Ou mĂȘme ailleurs

La trace, elle, 
La leur, est partout
Elle crypte la pierre qui tombe
La porte qui s’entrouvre
En épitaphe, en médaillon
Elle s’insinue encore en noms gravĂ©s 
Celui des acteurs qui firent un peu de la gloire
De Bordeaux
Celle du bord des eaux, des deux rives
Qui se font face pour se faire place
Mieux
Toujours

M

agie de l’accueil, de la tolĂ©rance

A

rche des diversités humaines

R

ichesse des Ă©changes culturels

R

ĂȘves de rĂ©pit, de pause provisoire

A

ppel des LumiĂšres naissantes

N

asci(mĂ©)mento d’une nouvelle vie

E

spagnols, portugais puis Juifs bordelai

S

Hervé Rehby

du marranisme

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

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ph. X

par Hervé Rehby

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10

A

U PRINCE DON JUAN, NOTRE 

TRÈS CHER & TRÈS AIMÉ ïŹLS,

& aux infants, prélats, marquis,

comtes, maĂźtres des Ordres, etc., etc., salut & grĂące ! 

S

ACHEZ QUE NOUS AVONS Ă‰TÉ INFORMÉS

QU

’

IL EXISTE

QU

’

IL EXISTAIT

dans notre

royaume de trÚs mauvais chrétiens qui judaïsaient de
n o t r e   s a i n t e   f o i s   c a t h o l i q u e,   &   c e r t e s   t r Ăš s
p r Ă© j u d i c i a b l e   p o u r   l e s   c h r Ă© t i e n s   q u e   c e t t e
communication avec les juifs. DĂ©jĂ  dans les CortĂšs
que nous avons tenus l’annĂ©e derniĂšre Ă  TolĂšde, nous
avions ordonnĂ© d’accorder aux juifs des juiveries dans
toutes les villes oĂč ils pussent vivre dans leur pĂ©chĂ©.
En outre, nous avions ordonnĂ© d’établir dans nos
royaumes & seigneuries d’Inquisition, laquelle existe,
comme vous le savez, depuis douze ans, durant
lesquels elle a trouvé beaucoup de coupables, ainsi que
nous en avons été informés par les inquisiteurs & par
d’autres personnes religieuses, qui par leurs relations,
leurs entretiens & leur communication avec les juifs,
se sont laissĂ©s entraĂźner par ces derniers. 

C

EUX

-

CI USENT DE PLUSIEURS MOYENS

&

MANIÈRES POUR SOUSTRAIRE

les ïŹdĂšles Ă 

notre sainte foi catholique & les instruire dans leur
dangereuse croyance & les cérémonies de leur foi (loi
juive), les invitant Ă  des rĂ©unions oĂč ils leur expliquent
les fĂȘtes juives qu’il est d’usage d’observer, essayant
de les circoncire eux & leur enfants, leur donnant des
livres de priÚres, les avertissant des jeûnes importants,
leur enseignant Ă  transcrire des copies de la foi, leur
annonçant les Pñques avant qu’elles arrivent, leur
expliquant la façon de les célébrer & de les faire, leur
donnant & leur portant de leurs pains azymes & de
leurs viandes égorgées suivant leurs rites, les mettant
en garde contre les choses prohibées par leur foi, les
persuadant de la supériorité de la Loi de Moïse, leur
expliquant qu’il n’y a point d’autre loi, ni d’autre vĂ©ritĂ©
que celle-là ; ce qui porte préjudice, détriment &
opprobre Ă  notre sainte foi catholique. 

Pour obvier & remédier à cet état de chose,

pour faire cesser cet opprobre & cette offense Ă  la
religion catholique, nous avons convoqué en conseil
les prĂ©lats, les grands & les chevaliers de nos
royaumes & autres personnes de sciences &
conscience. 

AprÚs mûre délibération, nous ordonnons de

renvoyer de nos royaumes tous les juifs, & que jamais
ils n’y reviennent. 

C’

EST POURQUOI

PAR LE PRÉSENT Ă‰DIT

,

nous ordonnons Ă  tous les juifs & juives, quel que soit
leur Ăąge, qui vivent, demeurent & sont dans les
royaumes & seigneuries susmentionnĂ©s d’en sortir au
plus tard jusqu’à la ïŹn de juillet prochain annĂ©e
courante, eux, leurs ïŹls & leur ïŹlles, serviteurs,
servantes & familiers juifs, petits & grands, quel que
soit leur Ăąge. Il ne leur sera pas permis de revenir dans

nos états soit délibérément, soit de passage, soit de
n’importe quelle maniùre. En cas de contravention au
prĂ©sent Ă©dit, si l’on trouve des juifs dans nos royaumes,
au cas oĂč ils y reviendraient d’une maniĂšre quelconque,
ils encourront la peine de mort & la conïŹscation de
tous leurs biens pour notre chambre de ïŹsc. 

N

O U S

M A N D O N S

&  

O R D O N N O N S

QU

’

AUCUN

NI PERSONNE DANS NOS

ROYAUMES

susmentionnés, quelles que soient sa

condition & sa dignitĂ©, n’ait l’audace de recevoir, ni
accueille, ni défende publiquement ni secrÚtement juif
& juive, passĂ© la date de ïŹn de juillet & au-delĂ , Ă 
jamais, Ă  perpĂ©tuitĂ© dans ses terres ni dans ses
maisons, ni sur aucun de ses points des susdits
royaumes & seigneuries. 

Toute contravention Ă  cet ordre entraĂźnera

pour le coupable la perte de tous ses biens, vaisseaux,
forteresses & autres hĂ©ritages. 

ET QUE POUR LESDITS JUIFS PUISSENT
PRENDRE LEURS MESURES DURANT CE DÉLAI

qui leur est accordĂ© jusqu’à la ïŹn juillet, nous leur
accordons dÚs à présent notre protection royale à eux
& Ă  leurs biens pour que, durant cet intervalle &
jusqu’au jour ïŹxĂ©, ils puissent vaquer Ă  leur affaires en
toute sécurité, vendre, échanger & se défaire de tous
leurs biens, meubles & immeubles & en disposer Ă 
leur volonté. Nous permettons donc & accordons
pleine facultĂ© audits juifs & juives pour qu’ils fassent
sortir desdits royaumes & seigneuries leurs biens &
trĂ©sors par la mer & par la terre, Ă  l’exception de l’or,
de l’argent & de toute espĂšce de monnaie monnayĂ©e,
& de toutes les choses défendues par les lois de nos
royaumes ; sauf aussi les denrĂ©es dont l’exportation
est prohibée. Nous faisons savoir à tous les conseils,
tribunaux, rĂ©gidors & chevaliers ainsi qu’aux hommes
bons de nos dits royaumes & seigneuries & Ă  nos
vassaux de mettre en exécution notre mandement &
son contenu & d’y prĂȘter aide & assistance en cas de
besoin. Tout contrevenant encourra la peine de
conïŹscation de ses biens par notre ïŹsc. & pour que
nos ordres parviennent Ă  la connaissance de tout le
monde & pour que personne ne prétende les ignorer,
nous mandons que la présente lettre soit annoncée
publiquement dans les places, marchés & autres
endroits par le crieur public & par-devant l’écrivain
public. 

E

N

ïŹ

N

NOUS ORDONNONS Ă€ TOUS CEUX

DONT ON AURA REQUIS SERVICES DE LE FAIRE

, sous

peine d’ĂȘtre traduits devant notre cour dans les quinze
premiers jours & d’encourir la peine susmentionnĂ©e.
Tout écrivain public invité à témoigner en cas de
contravention à nos ordre le fera sous seing privé, de la
sorte nous saurons comment nos ordres sont exĂ©cutĂ©s. 

F

AIT DANS LA VILLE DE

G

RENADE

LE TRENTE

&

UNIÈME JOUR DU MOIS DE MARS

L

’

AN MIL QUATRE

CENT QUATRE

-

VINGT DOUZE DE

N.-S. J

ÉSUS

-C

HRIST

.

ÉDIT D’EXPULSION DES JUIFS D’ESPAGNE 

1492

DOCUMENT

S HIST

ORIQUES 

repĂšres

background image

11

HĂŽtel Gradis

, cours Victor-Hugo Ă  Bordeaux.

David Gradis

(1665-1751) pratique l’armement

maritime, le négoce colonial et la banque. Il
Ă©tend ses opĂ©rations Ă  l’Angleterre, au Canada et
aux Antilles françaises et devient un « bourgeois Â»
de Bordeaux.

HĂŽtel Peixotto - Bordeaux.

Pour un nouveau-chrétien portugais au XVI

e

siĂš-

cle, Ă©migrer revient Ă  fuir un royaume oĂč sĂ©vit
depuis 1536 l'Inquisition afin de rejoindre un ter-
ritoire extérieur à sa juridiction. La France
ayant expulsé les juifs depuis le 17 septembre
1394, s'y réfugier à visage découvert reste hors
de question. Les fugitifs se disent donc mar-
chands portugais ou nouveaux chrétiens encore
que trĂšs vite l'opinion publique les regarde indis-
tinctement comme des juifs. Leur prĂ©sence en
nombre s'accentue vers la fin du XVI

e

siĂšcle et au

commencement du XVII

e

. Ils s'installent, soit

sous forme de groupements de quelques familles
dans des localités moyennes voisines des frontiÚ-
res de l'Espagne, Saint-Jean-de-Luz, Biarritz,
Vieux Boucau, soit sous forme de communautés
Ă  Bayonne, Ă  Labastide-Clairence, Ă  Peyre-
horade, Ă  Bordeaux. Des « colonies Â» portugaises
remontent le littoral atlantique vers des citĂ©s por-
tuaires comme La Rochelle, Nantes et Rouen.
On trouve aussi des familles portugaises Ă  Mar-
seille et Ă  Paris. Cette immigration « sauvage Â»
s'effectue, pour les plus démunis par les cols
pyrĂ©nĂ©ens, pour les nantis par la voie maritime.

TirĂ© de 

"

D'un singulier désir à la Loi du Dieu

d'IsraĂ«l : les Nouveaux-chrĂ©tiens portugais 

en France - XVI

e

-XVII

e

s.

de GĂ©rard Nahon

HĂŽtel Francia. Louis Francia de Beaufleury

,

(1743-1817) auteur en 1800 d’une 

Histoire de

l’établissement des Juifs Ă  Bordeaux et Ă 
Bayonne depuis 1550. 

Avec ce livre, et pour la

premiÚre fois en France, une communauté juive
se penche sur sa propre histoire. 

Vidouy 

(confession marrane)

Je m’appelle Miguel Martinez, nĂ©

Mikhaël Ben Mordekhaï dans une
famille de JudĂ­os de Catalogne le 7
sivan 5228 (15 mai 1466) et j’habite
pour quelques heures encore la ville
de Girona au bord du fleuve Ebro,
que les Chrétiens appellent le fleuve
des 

JudĂ­os

, des HĂ©breux.

Il est deux heures de l’aprùs midi

et le soleil de ce 31 juillet plombe
comme jamais, Ă©crasant les ĂȘtres et
les choses, les 

JudĂ­os

et les Chrétiens,

pour une fois unis dans une commu-
nautĂ© de destin. 

Pourtant, c’est officiellement fini :

les 

JudĂ­os 

et les Chrétiens séparent

leurs chemins ; le dĂ©cret du roi Ferdi-
nand prend effet aujourd’hui, avant-
veille du 9 av, date anniversaire de la
destruction du temple de JĂ©rusalem.
Les 

JudĂ­os 

restés fidÚles ouvertement

ou secrĂštement au judaĂŻsme sont
expulsĂ©s du royaume d’Espagne.

Je sors à l’instant de cette grande

et sinistre bĂątisse, oĂč j’ai endurĂ© un
mois de torture, de souffrance phy-
sique et morale. Mes bourreaux vien-
nent de me jeter dehors Ă  coup de
pied et de martinet. Pourtant je suis
comme eux dĂ©sormais. Ils me l’ont
suffisamment rĂ©pĂ©tĂ©. « Renie ton
judaĂŻsme et tu vivras Â». Qui se sou-
vient encore, dans cette promesse
d’avenir radieux, de l’écho Ă  peine
intelligible de la femme de Job :
« Maudis le Seigneur et meurs Â». Ici, le

JudĂ­o

est pris dans ce piĂšge sans issue,

entre la vie et la mort, la vie d’un mort
vivant ou la mort tout court.

Je sais. D’autres ont encore choisi

la fuite. Mon ami Yehouda-LĂ©on a fui ;
mais il est mort assassiné par des bri-
gands, avec beaucoup d’autres Juifs
sur une embarcation miteuse qui
n’arriva jamais en Italie. Mon ami
Salomon, parti pour Constantinople,
dit-on, et dont je n’ai pas de nouvel-
les. Faut-il accepter ce destin de
connaĂźtre ses frĂšres pour mourir avec
le souvenir de leur existence fugitive,
irrĂ©mĂ©diablement ? Oui, le Diable
doit y ĂȘtre pour quelque chose dans
cette affaire. Et Dieu dans tout cela ?
Que m’importe aprĂšs tout ! Je ne sais
plus son nom d’antan. L’ineffable
inconnu Ă©tait plus mon voisin que ce
dĂ©nommĂ© PĂšre qui m’est d’autant
plus Ă©tranger qu’il a pris le visage de
nos grands-pùres. Que le dieu d’Abra-
ham et de JĂ©sus me pardonne ces

paroles de rébellion.

J’ai pourtant fait tous les efforts

possibles pour ĂȘtre un bon ChrĂ©tien,
pour oublier que j’étais 

judĂ­o

, oublier

jusqu’à mon nom et celui de mon
pĂšre. Qu’il me le pardonne dans sa
tombe. Mais voilĂ  ! Rien Ă  faire. Je ne
peux cesser d’ĂȘtre ce que je suis en
passe d’ĂȘtre, un 

JudĂ­o 

en devenir. Je

suis certain aujourd’hui que les apît-
res, que JĂ©sus lui-mĂȘme, me com-
prennent. Être chrĂ©tien est devenu
pour moi la fin du chemin. Mais ce
messie, je ne l’ai pas Ă©lu ! Je me suis
juste rendu Ă  lui, ou plutĂŽt Ă  ses ado-
rateurs par peur de la mort, par
lĂąchetĂ©, par facilitĂ© aussi, peut-ĂȘtre.
Je l’ai fait aussi pour Gracia, ma
jeune Ă©pouse, que je continue d’ap-
peler dans l’intimitĂ© de notre maison
par son nom, le vrai, le juif, Sarah -
princesse en hébreu - ma princesse,
souveraine dĂ©risoire d’un royaume
imaginaire, qui fut jadis la splendeur
de son temps, et qui gßt désormais
anéantie, à jamais perdu.

J’ai choisi d’ĂȘtre 

converso 

et d’es-

sayer sincùrement d’adopter cette reli-
gion qui procĂšde de la mienne. Si le
Messie d’IsraĂ«l venait demain, il res-
semblerait Ă  s’y mĂ©prendre Ă  JĂ©sus,
venu peut-ĂȘtre trop tĂŽt au goĂ»t des

JudĂ­os

. Un maütre d’Andalousie ne di-

sait-il pas « le Messie vient toujours
trop tĂŽt Â». Ne procĂ©derait-il pas aux
mĂȘmes rĂ©formes que Paul a mises en
place pour que s’accomplisse l’Histoi-
re d’IsraĂ«l. Le porc ne deviendrait-il
pas licite Ă  la consommation ?

Un prĂȘtre, Don Pedro, s’est occu-

pé de moi, aprÚs ma conversion. Il
venait souvent me voir Ă  la maison,
pour vérifier que je ne judaïsais pas
en secret. Avec mon jeune frĂšre Yo-
shua-José et ma femme, nous nous
cachions le vendredi soir, derriĂšre
nos volets clos pour allumer les
mĂšches Ă  huile du 

Shabat

. Ma mĂšre

les avait naguÚre disposées dans une
petite armoire encastrée dans le mur.
Ce souvenir me dit aujourd’hui que
les 

JudĂ­os 

sont comme ces lampes Ă 

huile enfermées dans un réduit, clos
sur un autre espace clos, entourés
d’une menace environnante sourde
et aveugle.

Don Pedro vint un soir de 

Shabat

Ă  la maison et s’inquiĂ©ta des odeurs
de propre et de parfum sur nos corps,
de ces chemises blanches sans tache,
de ces plats disposés sur la table dres-
sĂ©e « un soir de semaine Â». S’il avait

AdaptĂ© du tĂ©moignage incertain d’une mĂ©moire vacillante 

par Moshé-Haï Riviah

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

apa Bor

deaux

B

a

lade

m

a

rr

a

n

e

background image

12

Vidouy 

(confession marrane)

vu ces lumiĂšres de 

Shabat

! La suspi-

cion était permanente et justifiée,
j’en atteste. Mais, aprĂšs tout Don
Pedro savait de quoi nous souf-
frions. N’était-il pas l’un d’entre
nous, un renĂ©gat lui aussi, un apos-
tat comme nous. Son zĂšle Ă©tait Ă  la
mesure de sa peur d’ĂȘtre lui-mĂȘme
accusé de complaisance et de laxis-
me par les sectateurs de la Foi, ou
tout simplement à la merci d’une
dénonciation malveillante de nos
voisins. Ce qui d’ailleurs ne tarda
pas. Il fut, dit-on, soumis Ă  la ques-
tion et écartelé par la Sainte Inqui-
sition un peu plus tard.

Ce mĂȘme vendredi soir, il s’invi-

ta Ă  dĂźner. Quel ne fut pas son Ă©ton-
nement de voir sur la table une
magnifique volaille rĂŽtie. Quoi ? De
la volaille chez des « bons ChrĂ©-
tiens Â» un vendredi ?

« Cher don Pedro, lui dis-je. C’est

un poisson que voilĂ  ! Seulement il
ressemble Ă  une volaille. Nous
avons fait, en bons Chrétiens,
comme il est recommandé de faire
en pareil cas par notre Sainte MĂšre
l’Église ! Comme vous l’avez fait
pour convertir les 

JudĂ­os

. Nous

avons pris une volaille, l’avons
aspergĂ©e d’eau bĂ©nite et voilĂ  le
rĂ©sultat. N’est-il pas magnifique ce
poisson qui ressemble à une volaille?».
J’eus droit Ă  un sourire inquiet de la
part de celui qu’on appelait encore
Rabbi Issh’aq, il y a peu.

Tel est notre drame ! Celui de

devoir paraĂźtre sous la contrainte ce
que nous ne sommes pas, ne vou-
lons pas ĂȘtre. Comment s’étonner
que nous en arrivions Ă  vomir les
Chrétiens et leur conception de
l’homme et de Dieu. Se pourrait-il
qu’ils aient agi de telle maniùre
pour en arriver à cette conséquen-
ce. Je n’ai pas de rĂ©ponse. GrĂące Ă 
Dieu, je reste ainsi 

JudĂ­o

.

Nous n’avons pas encore d’en-

fant avec Sarah, et n’en aurons pro-
bablement jamais. La vie est ainsi.
Je ne prendrai pas une autre Ă©pou-
se pour autant. Ai-je tort ? La question
n’a plus beaucoup d’importance. La
Sainte Inquisition m’arrĂȘta pour
vĂ©rifier ma fidĂ©litĂ© Ă  l’Église. Qu’avais-
je Ă  me reprocher ? En apparence
rien du tout, et je clamais toute
mon innocence de toute la sincéri-
té  feinte dont j’étais porteur au
nom de la survie. Ils n’étaient pas
dupes, mes bourreaux. Ils savaient
bien que j’allais Ă  l'Ă©glise rĂ©guliĂšre-

ment, que je communiais, que je
me confessais mĂȘme ! Ce qu’ils vou-
laient me faire avouer, c’était la
vĂ©ritĂ© nue dont j’étais secrĂštement
le dĂ©positaire : Â« un 

JudĂ­o

fut-il

pĂ©cheur, et mĂȘme apostat, reste
malgrĂ© tout 

judĂ­o

» Je n’avais pas osĂ©

leur dire que c’est prĂ©cisĂ©ment ce
qu’ils refusaient d’appliquer à
JĂ©sus, le Messie, Ă  Paul-SaĂŒl, Ă  Pier-
re-Simon, Ă  Jean-Yohanan et la liste
est encore longue. À leurs yeux, je
n’étais ni un frĂšre ni un ĂȘtre
humain. Tout juste « une bĂȘte
immonde Ă  forme humaine Â», bro-
cardĂ©e de l’insultante appellation
de 

marrano

« porc Â», vĂ©ritable cra-

chat de dĂ©goĂ»t pour un sale 

JudĂ­o

.

Combien de temps cultiverons-nous
cette lùcheté, cette passivité qui
semble nous constituer ? Qui sait oĂč
elle nous mĂšnera si un Goy plus
avisé que les autres en la matiÚre,
ou peut-ĂȘtre un de ces 

JudĂ­os

convertis avec zĂšle, dĂ©cidait d’en
finir vraiment avec le reste de notre
malheureux peuple ? 

Je crois sincĂšrement que Dieu a

abandonné son élu, renié son
alliance et détourné ses regards de
nos plaies suintantes. « RĂ©ponds-
nous, au jour oĂč nous t’appelons Â», Ă 
quoi servent encore nos priĂšres ?
Qui de nous croit encore dans le
fond de son Ăąme, qu’ « Il ne som-
meille pas et ne s’assoupit pas, le
Gardien d’IsraĂ«l Â». La seule issue
pour le salut des personnes réside
dans notre conversion. Mais voilĂ  !
la Sainte Inquisition a inventé
depuis 1449 la «

limpieza de sangre

»

qui empĂȘche les 

JudĂ­os conversos

mĂȘme sincĂšres d’ĂȘtre des ChrĂ©tiens
Ă  part entiĂšre. L’Espagne est aujour-
d’hui tachĂ©e, souillĂ©e par notre sang
Ă  jamais impur, mĂȘme si ce sang est
assez pur pour ĂȘtre bu comme celui
d’un Christ 

judĂ­o 

rĂ©dempteur. J’ai

enfin compris que le sang du 

JudĂ­o

n’est pur que lorsqu’il est enfin
versĂ© « pour la multitude Â», entraĂź-
nant du mĂȘme coup le rachat des
nations. Faut-il que je meure pour
ĂȘtre aimĂ©, pour aider enfin les aut-
res Ă  se disculper de leurs fautes,
collectives et personnelles ?

J’ai compris maintenant que le

JudĂ­o 

attend, toujours et encore, ne

touche jamais au but, se tient tou-
jours un peu en arriùre de l’Histoire,
du temps qui vient, et de Dieu lui-
mĂȘme. Toute dissimulation, tout
simulacre, tout effort d’évanouisse-

ment, de dissolution dans la masse
chrétienne ne servent plus à rien.
Le 

JudĂ­o 

n’a d’avenir qu’incertain.

Alors Ă  quoi bon faire des

enfants Ă  qui il faudra cacher enco-
re autre chose, sur leurs origines,
leurs ancĂȘtres, leur nom et leur lan-
gue. Ils seront toujours des impurs,
le mélange des sangs ne faisant que
renforcer la surenchĂšre du mythe
de la pureté originelle. Qui de nous
peut attester de quoi que ce soit
quant Ă  ses origines les plus obscu-
res, les plus immĂ©moriales ? Qui
Ă©tait MoĂŻse ? Et qui Ă©tait JĂ©sus ? Qui
Ă©tait l’enfant de Dina ? De quelle
fange naĂźtra le Messie d’IsraĂ«l ? De
l’inceste, de l’adultĂšre, de la convoi-
tise et de la jalousie, et du mélange
des origines juives et non juives. Le
Messie des 

JudĂ­os 

est précisément

celui qui revendique le mélange des
sangs, et discrédite à jamais la pure-
té du sang.

Le judaïsme n’est plus qu’un

souvenir. Autant qu’il soit respectĂ©
dans sa disparition, adoré pour son
sacrifice, que honni dans son obsti-
nation Ă  perdurer.

Je suis fatiguĂ©, las de vivre. Ma

femme Sarah, qui ne sait combien
je l’ai aimĂ©e, pourra refaire sa vie
avec un vrai ChrĂ©tien, et peut-ĂȘtre
lui donner les enfants que le Sei-
gneur m’a refusĂ©s. 

«

La vida es un gorro; unos se lo

ponen, otros se lo quitan

» (La vie est un

bonnet de nuit ; les uns le mettent,
les autres l’enlĂšvent) disaient nos
anciens !

J’ai dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă  mes

jours de 

marrano

, de sale 

JudĂ­o

. Que

le Dieu qui m’imposa d’ĂȘtre celui que
grossiĂšrement j’ai tentĂ© d’ĂȘtre me
pardonne cette folie pour l’éternitĂ©. 

ShĂ©ma’ IsraĂ«l, Adonay ÉlohĂ©nou,

Adonay Ehad.

Mikhael ben MordekhaĂŻ

(Miguel Martinez de Girona)

7 av 5252 (31 juillet 1492)

Note du compilateur M.-H. Riviah : Sarah Ă©tait encein-
te d’un mois Ă  la disparition de MikhaĂ«l. Elle enfanta
d’un garçon qu’elle prĂ©nomma Victor-Nissim (vain-
queur et miracles). Le judaĂŻsme du marrane Miguel
Martinez a survĂ©cu Ă  Salonique et Ă  Sofia. L’obstina-
tion de ses descendants Ă  rester des 

JudĂ­os

a conduit

ceux qui survécurent à la Shoah, en Israël du cÎté
d’Ashkelon. 

14 mars 2005, Afridar, Israël

repĂšres

background image

13

Le premier HĂ©breu, 

IVRI

, fut

Abraham, dit la Bible. Il est celui qui
« passa, qui traversa Â» l’Euphrate pour
« aller vers lui-mĂȘme Â», Ă  la quĂȘte
d’une authenticitĂ© et d’une singulari-
té ontologique que le monde babé-
lien de Ur et de Sumer ne semblait
pas permettre. L’HĂ©breu est ainsi en
rupture avec un monde mésopota-
mien oĂč l’idolĂątrie est associĂ©e Ă  la
toute puissance de la prédestination
inscrite dans les astres. L’HĂ©breu
affirme dĂ©jĂ  que le destin de l’hom-
me est devant lui dans l’espace
ouvert oĂč ses pas le conduiront, en
tout cas dans « l’au-delĂ  du fleuve Â».
Pourtant le traversant, le passant
qu’il tend Ă  ĂȘtre est aussi un trans-
gressant, celui qui lie son sort et sa
vie Ă  celle de tous les transgressants,
comme l’affirme la proclamation
d’exergue de la priĂšre de 

Yom Kipour

:

« nous nous permettons de prier avec
les transgressants Â». Aucune Ă©voca-
tion d’une quelconque puretĂ© idĂ©ale
des hommes, de leurs actes ou de
leurs intentions.

Installé en terre de Canaan, il en

repart pour l'Égypte avec Jacob deve-
nu ISRAEL et devient un fils (ou une
fille) d’IsraĂ«l, 

BNE ISRAEL

, ce nou-

veau nom bouleverse son identité et
sa domesticité. Il doit assumer, aprÚs
avoir dĂ©busquĂ© dans l’Histoire le
« DIEU UN Â», le rĂŽle plus ingrat et
dĂ©licat de « celui qui a combattu avec
Dieu Â», et qui continue de combattre
avec lui, quelquefois, mais le plus
souvent de débattre avec et contre
lui, pour la plus grande joie d’un
Dieu qui dit dans le 

Talmud

: « Mes

enfants m’ont (con)vaincu Â». L’huma-
nitĂ© n’est pas Ă  la veille de pardonner
aux enfants d’IsraĂ«l une telle libertĂ©,
une telle audace.

Être un fils d’IsraĂ«l signifie aussi

la capacitĂ© de sortir d'Égypte, c’est-Ă -
dire s’arracher de l’aliĂ©nation, de l’ex-
ploitation de l’homme par l’homme

et de l’esclavage pour aspirer à une
libertĂ© dans la Loi, « brisant les Tables
de la Loi Â» pour en « tailler Ă  sa mesu-
re Â» des secondes « semblables aux
premiĂšres Â», semblables aux autres,
oĂč le semblable redĂ©finit l’autre dans
son idéal à jamais perdu. Cette libé-
ration est encore liée à une double
traversĂ©e ; celle de la mer Rouge pour
quitter l'Égypte et celle du Jourdain
pour entrer en terre d’IsraĂ«l, « pays
oĂč coulent le lait et le miel Â», pays qui
« dĂ©vore ses habitants Â» aussi.

FĂ©dĂ©rĂ©es en nation, les tribus d’Is-

raël vont connaßtre la judicature de
Josué à Samuel, puis la royauté à par-
tir de SaĂŒl et David. Un schisme se
produira Ă  la mort de Salomon, avec
deux royaumes frÚres, Israël et Juda.
La ruine du royaume d’IsraĂ«l sous les
coups rĂ©pĂ©tĂ©s de l’Assyrie laissera
Juda assumer seul le destin et l’iden-
tité future du peuple hébreu parti de
MĂ©sopotamie et sorti d'Égypte. Le
mythe des dix tribus perdues d’IsraĂ«l
commence lĂ . On cherche encore et
toujours la trace de leur dissolution
ici en Inde ou en Ethiopie, lĂ  en pays
Khazar ou mĂȘme en Chine ! Force est
de constater que l’identitĂ© juive est
déjà liée, dÚs le VIII

e

s. av. J-C au

thĂšme de la dissimulation, Ă  l’éva-
nouissement, Ă  la disparition, du
moins en apparence. L’accusation
viendra plus tard : « ils sont partout Â»,
donc nulle part.

Devenu judĂ©en, 

YEHOUDI

, comme

citoyen du royaume de Juda, il devra
prendre Ă  son compte l’hĂ©ritage col-
lectif des tribus naufragĂ©es d’IsraĂ«l,
et se redéfinir une identité qui émer-
gera aprĂšs la destruction du premier
temple de JĂ©rusalem en 586 av. J-C,
et la déportation des judéens en
Babylonie par Nabuchodonosor. DĂ©s
lors, les judĂ©ens seront dĂ©crits par les
premiers antisĂ©mites du 

Livre d’Es-

ther

comme « un peuple uni, dispersĂ©

et infiltré parmi les nations, aux lois

De la condition de 

IVRI

(hĂ©breu ou passant) Ă  celle 

de 

YĂ©houdi

(judĂ©en ou juif) l’identitĂ© juive a beaucoup variĂ© 

durant 3500 ans. Des rives de l’Euphrate aux quatre coins 
de la planĂšte, le juif n’en fini pas d’ĂȘtre un errant en quĂȘte 
d’un inaccessible havre de paix et de stabilitĂ©. Les vicissitudes 
de son histoire et les anathÚmes répétitifs de ses prédateurs
successifs ont largement contribuĂ© Ă  forger l’image durable
d’un Ă©ternel nomade, colportant avec lui son cortĂšge d’étrangetĂ©
et d’inquiĂ©tude et pour le monde sĂ©dentaire, institutionnel. 
La judĂ©itĂ© a fini par y croire, tout comme elle a fini par adhĂ©rer
Ă  tous les clichĂ©s que l’Histoire a bien voulu faire d’elle.

HĂŽtel Raba

, cours Victor Hugo. 

Les 

Raba

illustre une aventure familiale typique.

Issus de nouveaux Chrétiens de Bragance au
nord du Portugal, ils embarquent sur un bateau
anglais et, aprùs une escale à Londres, ils s’ins-
tallent Ă  Bordeaux. Ils bĂątirent en 1775, Ă  Talen-
ce, le 

ChĂąteau Raba

. En 1793 ils achĂštent

l’hĂŽtel 

29 rue du Mirail

Bas-relief de la façade du MusĂ©e d’Aquitaine
cours Pasteur à Bordeaux, anciennement faculté
de lettres, de sciences et de théologie.

par HervĂ© Rehby 

ph. Richar

d ZĂ©boulon - Z

apa Bor

deaux

B

a

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a

rr

a

n

e

De l’identitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral 

et du marranisme en particulier

background image

14

différentes et qui ne respectent pas
les lois des pays qui les accueillent Â».
Cette définition calomnieuse attri-
buée à Haman, Premier ministre du
roi perse Assuérus, a suscité tous
les fantasmes, y compris les plus
criminels, et continue de « justifier Â»
jusqu’à aujourd’hui les exactions les
plus folles contre les judĂ©ens, deve-
nus juifs par déformation populaire
et pĂ©jorative, en français comme
dans beaucoup d’autres langues,
occidentales ou orientales. Cette
thématique de la déloyauté des
judĂ©ens va se complĂ©ter, Ă  l’émer-
gence du christianisme au sein du
judaĂŻsme, de l’accusation de fourbe-
rie et de traĂźtrise et de trahison. Par
malchance, l’apĂŽtre qui « livra Â»
JĂ©sus s’appelait Juda. Le Juif
moderne diasporique était né pour
longtemps traĂźnant comme un
boulet sa trahison, condamné à
errer irrémédiablement dans un
univers « justement et logique-
ment Â» Ă  lui hostile. Et pourtant
Juda, 

YEHOUDA

, et donc le judéen,

YEHOUDI

, (trans)porte dans sa

structure sémantique le tétragram-
me divin, un viatique témoignant
qu’une porte est ouverte dans l’inef-
fable, une brĂšche dans la compaci-
té, un pont entre la terre et le ciel.

Déportés en masse par les

Romains sur le pourtour méditerra-
néen les judéens devenus juifs vont
connaßtre des lieux de répit et
mĂȘme de prospĂ©ritĂ© comme dans
l’Andalousie mĂ©diĂ©vale. L’Espagne
islamisée sera reconquise par les
Chrétiens qui refouleront les Almo-
hades au Maghreb, donneront aux
Juifs le choix entre la conversion,
l’exil ou la mort, et fonderont les tri-
bunaux de la Sainte Inquisition. Un
tiers des Juifs d’Espagne mourra
des persécutions et des procÚs de
l’Inquisition. Un tiers se convertira
au christianisme, mais trĂšs vite il
apparaĂźtra que ces 

conversos

ne se

conduisent pas toujours comme de
bons et sincĂšres ChrĂ©tiens, loin s’en
faut. Ils sont appelĂ©s 

marranos

ou

Marranes, terme péjoratif et mépri-
sant voulant probablement dire
« porcs Â». Ces Marranes se compor-
tent en fait comme de parfaits Chré-
tiens en surface et en public, allant
Ă  l’église, se confessant et commu-
niant ; mais en secret, dans l’intimi-
té de leur maison et de leur quartier
ils continuent de judaĂŻser, et « res-
pectent Â» les principales fĂȘtes juives
et certains rites sabbatiques et ali-

mentaires, encouragés par leurs frÚ-
res restĂ©s farouchement juifs. En
1492, les Juifs sont expulsĂ©s d’Espa-
gne par décret royal, puis quelques
annĂ©es plus tard Ă©galement du Por-
tugal. Un tiers des Juifs partira donc
vers d’autres cieux, notamment
vers l’Afrique du Nord et la Turquie.
Beaucoup de ces Marranes fuiront
aussi l’Espagne et le Portugal au
cours du XVI

e

siĂšcle. Une importan-

te communauté marrane redeve-
nue juive va s’implanter dans le
Sud-Ouest, principalement Ă  Bayon-
ne et Bordeaux. Elle s’y dĂ©veloppe-
ra de façon trĂšs importante avec
une réussite remarquable, notam-
ment dans le commerce maritime.
Les rites liturgiques de la commu-
nautĂ© de Bordeaux restent jusqu’à
présent ceux de la communauté
hispano-portugaise originairement
marranique.

L’identitĂ© juive s’est donc enri-

chie et complexifiée de la figure
marranique, dont l’émergence, Ă 
bien des Ă©gards, Ă©tait manifeste-
ment prévisible depuis la période
Ă©xilique. Ce marranisme n’est pas
seulement un phénomÚne histo-
rique qui marque l’histoire de telle
ou telle communautĂ©. Il s’agit d’une
posture, d’une maniĂšre d’ĂȘtre au
monde lorsqu’on est juif et que l’on
a conscience de la difficultĂ© de l’af-
firmer, à la face d’un monde hostile.
Les mensonges par omission sur la
religion, les changements de nom,
les renoncements Ă  toute pratique
extĂ©rieure, Ă  toute rĂ©fĂ©rence expli-
cite Ă  la culture ou Ă  l’hĂ©ritage juifs
sont, entre autres, des formes d’ex-
pression d’un marranisme du
deuxiĂšme type. Malheureusement,
il est certain que ces formes de
cryptage ont fait le lit des accusa-
tions de complot juif contre un
monde vivant dans la clarté et dans
la vĂ©ritĂ©, comme le 

Protocole des

Sages de Sion

, pamphlet antisémite

attribué, comble de perversion, à
des auteurs juifs, peut aisĂ©ment le
dĂ©montrer. Il est vrai aussi que le
peuple juif a un contrat moral avec
ses ancĂȘtres, celui de la survie et de
la traversĂ©e de l’Histoire. 

La Shoah a montré que les atti-

tudes marraniques restaient de
puissants ressorts de survie et de
résistance à la barbarie. Mais la
considĂ©ration de l’ampleur de la
destruction industrielle de Juifs par
les nazis a fait Ă©galement prendre

conscience de l’extrĂȘme fragilitĂ© de
ce systÚme de défense. En sortant
des camps, les Juifs ont levĂ© la tĂȘte
et tenté de regarder le monde en
face, les yeux dans les yeux, pour
en finir d’une certaine maniùre
avec le bandeau sur les yeux de la
statue personnifiant la Synagogue Ă 
la cathédrale de Strasbourg.

Le sionisme, dĂšs la fin du XIX

e-

siĂšcle, et la crĂ©ation de l’état d’IsraĂ«l
ont Ă©galement et largement contri-
buĂ© Ă  modifier l’identitĂ© juive, du
moins Ă  la dĂ©complexer, Ă  la dĂ©cul-
pabiliser, et somme toute Ă  la
« dĂ©marraniser Â». Tout devait ĂȘtre
fait pour que les Juifs prennent
enfin leur destin en main, sans
subir le bon vouloir d’un prince,
sans ĂȘtre obligĂ© de quĂ©mander une
protection souvent bien peu effica-
ce. « On ne doit pas compter sur le
miracle Â» disait dĂ©jĂ  le 

Talmud

.

Herzl, Pinsker et Ben YĂ©houda rajou-
teront en substance « le miracle naĂźt
de la volontĂ© des hommes Â».

Pourtant cette nouvelle posture

reste prĂ©caire, alĂ©atoire, fragile. Quel-
ques attentats antisémites en France
ou ailleurs, sur fond de conflit tra-
gique apparemment sans issue au
Proche-Orient, ont trĂšs rapidement
fait retrouver aux Juifs de Diaspora
leurs vieux réflexes marraniques.
Le plus Ă©tonnant et le plus inatten-
du, c’est que ce rĂ©flexe se soit Ă©ga-
lement fait jour en IsraĂ«l, mĂȘme de
façon plus discrÚte. Le marranisme
est toujours fille, entre autres cau-
ses, de la peur.

Il semble dĂ©sormais que l’identi-

tĂ© juive se doive d’emprunter une
voie médiane entre revendication
ostentatoire et dissimulation marra-
nique. Ce pourrait ĂȘtre la rejuda-
ĂŻsation culturelle, passant par la
connaissance et l’étude, par l’inter-
prĂ©tation questionnante de l’hĂ©ri-
tage hébraïque, tant il est vrai que
l’on n’accùde à l’universel qu’en tra-
versant le particulier et le singulier.

De l’identitĂ© juive en gĂ©nĂ©ral 

et du marranisme en particulier

Les Ă©crits restent

huiles sur toile et matériaux, Alain Kleimann

repĂšres

background image

15

Quelques ouvrages de référence sur les Marranes

AYOUN, Richard, « Un mĂ©decin
juif à la Cour de France au début
du XVII

e

siĂšcle : Elie de Montalto Â»,

in 

Yod, Revue des Ă©tudes 

hĂ©braĂŻques et juives modernes 
et contemporaines, 

n

o

26, 1987

BAER, Yitzhak F., 

Galout. L’imagi-

naire de l’exil dans le judaïsme

,

Paris, Ă©d. Calmann-LĂ©vy, 2000

BENARD-OUKHEMA-
NOU, Anne, 

La communauté juive de
Bayonne au XIX

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siĂšcle, 

Anglet, Ă©d Atlantica,
2001

BENBASSA, Esther, dir., 

MĂ©moires

juives d'Espagne et du Portugal

,

Paris, Ă©d. Publisud, 1996

BENBASSA, Esther et RODRIGUE,
Aron, 

Histoire des juifs sépharades

de TolĂšde

, Paris, Ă©d. Le Seuil, 

coll. Points Histoire, 2002

BLAMONT, Jacques, 

Le lion et le moucheron - 
Les marranes de Toulouse 
au XVII

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siĂšcle

Paris, Ă©d. Odile Jacob,
2000

CARDAILLAC, Louis, dir., 

TolĂšde,

XII

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-XIII

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siĂšcles : Musulmans, 

ChrĂ©tiens et Juifs, le savoir et la tolĂ©-
rance

, Paris, Ă©d. Autrement, 1991

CAVIGNAC, Jean,

Dictionnaire 

du judaĂŻsme bordelais aux XVIII

e

et XIX

e

siĂšcles

, Bordeaux, 

Archives départementales, 1987

CORMAN, Claude, 

Sur la piste 

des marranes, De Sefarad Ă  Seattle,

BÚgles, coll. Poches de résistance,
Ă©d. du Passant, 2000

GOETSCHEL, Roland, dir., 

1492.

L'expulsion des juifs d'Espagne

, Paris,

Ă©d. Maisonneuve & Larose, 1996

KAPLAN, Yosef, 

Les Nouveaux-Juifs

d'Amsterdam. Essais sur l’histoire
sociale et intellectuelle du judaĂŻsme
séfarade au XVII

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siĂšcle

Paris, Ă©d. Chandeigne, 1999

LEON, Henry, 

Histoire des Juifs 

de Bayonne

, Paris, 1893, réimpr.

Bayonne, Ă©d. Segot, 1987

LEVY, Joseph et COHEN, Yolande,

Itinéraires sépharades

Paris, Ă©d. Jacques Grancher, 1992

LEVY, Lionel, 

La Nation Juive 

Portugaise, Livourne, Amsterdam,
Tunis, 1591-1951

Paris, Ă©d. L’Harmattan, 1999

MALINO, FrancĂšs, Â« Les Juifs
sĂ©pharades de Bordeaux : assimila-
tion et Ă©mancipation dans la Fran-
ce rĂ©volutionnaire et impĂ©riale Â»,
trad. de Jean CAVIGNAC 
in 

Les Cahiers de l'Institut Aquitain

d'Études Sociales

, n

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5, 1984

MALVEZIN, ThĂ©ophile, 

Histoire

des Juifs Ă  Bordeaux

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Ă©d. Charles Lefebvre, 1875, rĂ©impr.
Pau, Ă©d. Princi Neguer, 1997

MECHOULAN, Henry,
dir., 

Les Juifs

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1992

, Paris, Ă©d. Liana

Levi, 1992

MECHOULAN,
Henry, 

Les Juifs du silence 
au siùcle d’or espagnol

Paris, Ă©d. Albin Michel,
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MOLINA, 
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SĂ©farade, 

Paris, Ă©d. Seuil, 
coll. Cadre Vert, 2001

NAHON, GĂ©rard, 
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CXXVII, 1968 ;
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au XVIII

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Histoire et Société,

n

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3, 2003 ;

Juifs et judaĂŻsme Ă  Bordeaux

Bordeaux, Ă©d. Mollat, 2003

POLIAKOV, LĂ©on, 

Histoire de

l’antisĂ©mitisme
- De Mahomet 
aux marranes

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tome 2, Paris, 
Ă©d. du Seuil,
1981

POLO, Anne-Lise, 

La nef marrane

Essai sur le retour du
JudaĂŻsme aux portes
de l’Occident

Québec, PUQ, 2001

RÉVAH, I.-S., 
« Autobiographie d'un marrane Â»,
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Revue des Études juives

CXIX, 1963 ;

Des marranes Ă  Spinoza

Paris, Ă©d. Vrin, 1995

ROTEN, HervĂ©, 

Les Traditions 
musicales 
judĂ©o-portugaises 
en France

Paris, 
Ă©d. Maisonneuve 
& Larose, 2000

ROTH, Cecil,

Histoire 

des Marranes

Paris, 

Ă©d. Liana Levi, 1992

SCHOLEM, Gershom, 
« Marranisme et sabbatianisme Â»,
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Cahiers Spinoza

, n

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Paris, Ă©d. RĂ©plique, 1979-80

TRIGANO, Shmuel, 
« Le Juif cachĂ©. Marranisme 
et modernitĂ© Â», 
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Revue PardĂšs

, n

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29, 

In Press Ed., 2000

WACHTEL, Nathan,

La foi du souvenir,

Labyrinthes marranes

Paris, 

Ă©d. du Seuil, 2001 

YERUSHALMI, Yosef
Hayim, 

Sefardica.

Essais sur l’histoire
des Juifs, des
marranes et des
nouveaux-chrétiens
d’origine hispano-
portugaise

, Paris, Ă©d.

Chandeigne, 1998

ZIMLER, Richard, 

Le dernier kabbaliste de Lisbonne

Paris, Ă©d. Cherche-Midi, 2005

background image

16

A

LYA

: « montĂ©e Â». Qualifiant

l’immigration des Juifs de
Diaspora vers IsraĂ«l. DĂ©rivĂ©
d’un emploi biblique, mĂȘme
si les Juifs qui « montent en
IsraĂ«l Â» ne sont porteurs d’au-
cune aspiration religieuse.

A

SHKÉNAZE

: « Allemagne Â» en

hébreu médiéval. Juif dont
l’aire gĂ©ographique diaspo-
rique d’origine se situe en
Europe de l’Est.

C

ASHER

: rituellement pur, en

parlant des aliments ; la 

cash-

rout

constitue l’ensemble des

lois alimentaires juives.

D

IASPORA

: mot grec signifiant

« dispersion Â», utilisĂ© en rĂ©fĂ©-
rence à la déportation forcée
des Judéens par les Romains
aprĂšs la destruction de JĂ©ru-
salem par Titus en 70 apr. J-C.
Disséminés, les Juifs ont pré-
servé leur particularisme iden-
titaire, culturel et religieux. 

D

IX COMMANDEMENTS OU

T

ABLES

DE LA LOI

: constituent la quin-

tessence de la loi juive, Ă©qui-
librés entre les devoirs envers
Dieu et envers le prochain ;
ont valeur d’universaux,
comme l’interdit de tuer, d’in-
ceste, de faux tĂ©moignage ou
l’obligation d’un repos hebdo-
madaire. Texte gravé sur pier-
re remis Ă  MoĂŻse sur le mont
SinaĂŻ.

G

HETTO

: structure d’enfer-

mement des communautés
juives apparues Ă  la fin du
Moyen Âge. Ă‰tymologie liĂ©e
semble-t-il Ă  l’italien 

ghetto

(fonderie qui jouxtait la quar-
tier des Juifs Ă  Venise), cou-
ramment mis en relation
avec l’hĂ©breu 

Ghet

« acte de

divorce Â», soulignant bien le
problÚme de la présence des
Juifs en milieu chrétien. Les
plus célÚbres ghettos sont
ceux de Venise et de Varsovie.

J

ÉRUSALEM

: capitale unifiée

de l’état d’IsraĂ«l depuis 1980.
Conquise par David sur les
JĂ©busĂ©ens vers l’an 1000 av.
J-C, la ville devient immédia-
tement le centre de la royau-
tĂ© et du futur sanctuaire. La
littérature biblique chante
ses louanges, sa gloire et sa
ruine, lieu de presque toutes
les expériences humaines,
patrie des prophĂštes et
témoin de la Passion de
JĂ©sus, lieu mythique du
sacrifice d’Isaac et jardin eni-
vrant du 

Cantique des Can-

tiques

. Aujourd’hui pomme

de discorde du rĂšglement du

conflit israélo-palestinien.

J

UDÉEN

: dans la Bible, issu de

la tribu de Juda, ou habitant
de la Judée, ou citoyen du
royaume de Juda, aprĂšs le
schisme en 933 av. J-C.

J

UDÉITÉ

: tend Ă  trouver sa

place dans le vocabulaire
moderne comme relatif au
contenu identitaire, culturel
et symbolique de l’apparte-
nance au judaĂŻsme.

J

UDÉO

-

ESPAGNOL

(

OU DJUDEZMO

)

:

langue, encore parlée par des
descendants de marranes, trĂšs
proche du castillan du XV

e

s.,

au vocabulaire influencĂ© par
l'hĂ©breu, puis par les langues
avec lesquels elle s'est trouvée
en contact aprÚs le départ
d'Espagne (turc, roumain,
bulgare, serbe, grec).

K

ABALE

« tradition reçue Â» en

hébreu. Ensemble des doctri-
nes et des préceptes du mysti-
cisme juif. Ce terme est sou-
vent utilisé pour désigner la
magie ou la sorcellerie, inter-
dits et abhorrés du judaïsme.

L

ADINO

: langue qui rempla-

ce, par leur traduction en
espagnol, l'ordre des mots et
la syntaxe des textes sacrés
en hĂ©breu pour l'enseigne-
ment. Contrairement au 

JUDÉO

-

ESPAGNOL

, le ladino n'est pas

une langue parlée.

M

A R R A N E

: (

marrano

ou

converso

) qualifie les Juifs

espagnols et portugais conver-
tis sous la contrainte, et prati-
quant en secret le judaĂŻsme. 

M

ESSIANISME

: doctrine juive

de sortie de l’Histoire, postu-
lant une durée du monde
fixĂ©e par Dieu, et l’avĂšne-
ment d’une ùre nouvelle de
félicité et de concorde entre
les hommes, fondĂ©e sur l’éga-
lité, le pardon de toutes les
fautes passées, la disparition
des conduites délictueuses, et
sur la rĂ©surrection des Morts. 

M

ESSIE

: de l’hĂ©breu 

Mashiah’

,

signifiant « oint Â», et quali-
fiant le personnage régalien,
de la lignée davidique, qui
incarnera l’ùre nouvelle du
« monde qui vient Â». Le juda-
ïsme attend le Messie, «

tou-

jours pour demain

» comme le

dit E. Wiesel. 

M

ONT DU TEMPLE

: traduction

de l’hĂ©braĂŻque antique 

Har

Bayt

. DĂ©signe le lieu de cons-

truction du Temple unique

consacré par Israël au culte
du Dieu ineffable. Ce temple,
construit par Salomon en 976
av. J-C, a Ă©tĂ© dĂ©truit 2 fois : en
586 av. J-C par Nabuchodono-
sor et en 70 apr. J-C par Titus.
Reste le mur d’enceinte extĂ©-
rieure ouest « Mur des Lamen-
tations Â» devenu lieu de priĂšres
et de pĂšlerinage. En surplomb
du Mur, les Musulmans ont
Ă©difiĂ©, sur le lieu mĂȘme du
Saint des Saints du Temple
des Juifs, deux mosquĂ©es.

P

ÂQUE

-P

ESSAH

: « passage Â».

FĂȘte majeure du calendrier
juif, coĂŻncidant avec le prin-
temps, commémorant la Sor-
tie d'Égypte et la libĂ©ration
des esclaves Juifs et non-juifs.

R

ABBIN

RABBI

REB

REBBE

:

maĂźtre de transmission des
savoirs en matiĂšre de 

Torah

et de 

Talmud

. Les rabbins,

non consacrĂ©s, n’ont aucune
fonction sacerdotale. Cer-
tains courants du judaĂŻsme
orthodoxe ou Hassidique ont
élevé les figures rabbiniques
à des niveaux de vénération,
d’intouchabilitĂ© parfaitement
Ă©trangers Ă  la tradition juive.

S

ANHEDRIN

: (du grec hébraïsé,

« tribunal Â») assemblĂ©e de 71
membres siégeant au Temple
de JĂ©rusalem, et ayant pou-
voir de juger les affaires poli-
tiques, religieuses, judiciaires
et législatives. Cité dans le

Nouveau Testament

comme

juridiction ayant condamné
JĂ©sus pour blasphĂšme. Le
nom sera repris par Napo-
léon qui convoquera en 1807
un grand Sanhédrin pour
Ɠuvrer à la normalisation et
Ă  l’intĂ©gration des Juifs.

S

CHISME

: scission du roy-

aume unitaire des 12 tribus
d’IsraĂ«l, Ă  la mort de Salo-
mon en 933 av. J-C, en deux
royaumes rivaux : le roy-
aume de Juda (tribus de
Juda, de Benjamin et des prĂȘ-
tres - capitale JĂ©rusalem) et le
royaume d’IsraĂ«l (les 10 aut-
res tribus - capitale Sichem
aujourd’hui Naplouse).

S

ÉFARADE

: « Espagnol Â» en

hébreu. Juif des pays du
pourtour méditerranéen.

S

ÉMITE

: désigne le descen-

dant de Sem (fils de Noé),
c’est-à-dire aujourd’hui les
Juifs et les Arabes.

S

ÉMITIQUES

: groupe de langues

rĂ©unissant l’hĂ©breu, l’arabe,
l’amrilhe


S

HABAT

: jour de repos hebdo-

madaire chez les Juifs, oĂč ils
s’abstiennent de travailler et
de faire du feu, entre autres
interdits ; 7

e

jour de la semai-

ne. Ce mot est aussi employé
péjorativement pour parler
d’une rĂ©union de sorciĂšres ou
d’une cĂ©rĂ©monie de magie noire.

S

ION

: nom poĂ©tique d’IsraĂ«l,

dans la Bible celui de JĂ©rusa-
lem, plein de l’espoir en un
avenir meilleur et porteur
d’aspirations messianiques.

S

YNAGOGUE

: lieu de priĂšres

pour les Juifs réunis en quo-
rum minimal de 10 person-
nes, ouvert Ă  tous, juifs et
non juifs. Le lieu n’est pas
sacrĂ©, pouvant donc ĂȘtre uti-
lisĂ© Ă  des « fins profanes Â».

T

ALMUD

: « Ă©tude Â». Commen-

taire exhaustif (plus de 50
volumes 

in folio

) de la 

Torah

,

appelĂ© aussi Loi orale, compi-
lĂ© par Ă©crit depuis l’ùre chrĂ©-
tienne. ConstituĂ© de la 

Mish-

na

, inventaire thématique de

l’univers juridique et rituel de
la 

Torah

et de la 

Guémara

s’at-

tachant à développer sous
forme de dialogue critique, et
contradictoire la 

Mishna

. Écrit

en partie en araméen, langue
elliptique, le 

Talmud

a long-

temps été mécompris, voire
raillé et méprisé par les Chré-
tiens. À plusieurs reprises, il
a été brûlé en place publique
comme l’

autodafé

de Sala-

manque en 1490, organisé
par le grand Inquisiteur Tor-
quemada ou Ă  Berlin en 1933.

T

ORAH

: « enseignement Â». 1

re

partie de la Bible juive
(« Ancien Testament Â»), com-
posée de 5 livres ou Penta-
teuque, encore appelée Loi
écrite. Donnée par Dieu à
MoĂŻse au mont SinaĂŻ Ă  la sor-
tie d'Égypte (env. 1200 av. J-C),
riche d’informations mytho-
logiques, historiques et juri-
diques, constituant un vérita-
ble lieu de la mĂ©moire struc-
turelle du peuple juif. La

Torah

, lue dans toutes les

synagogues, principalement
le 

Shabat

, est Ă©crit sur un rou-

leau de parchemin, le 

Sefer

Torah

. Chaque Juif se doit d’é-

tudier la 

Torah

et le 

Talmud

.

Y

OM

K

IPPOUR

: fĂȘte majeure

appelĂ© aussi « Grand Pardon Â»,
reprise en Islam sous le nom
d’

Achoura

(dizaine en arabe),

en correspondance avec la
date hĂ©braĂŻque de la fĂȘte,
fixée au 10

e

jour du mois de

Tishri

(septembre-octobre).

Vocabulaire

« La perversion de la citĂ© commence par la fraude des mots Â» 

Platon (AthĂšnes, 427 - 347 av. J-C)

élaboré par Hervé Rehby

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