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L'Institut d'investigation scientifique détaille les tests génétiques pour «Libération».
Bébés congelés: à la morgue de Séoul, avec les experts de l'ADN
Par Michel TEMMAN
QUOTIDIEN : Samedi 21 octobre 2006 - 06:00
Séoul envoyé spécial
En Corée du Sud, «l'affaire Courjault» n'est pas finie. Les
cadavres des bébés congelés par leur mère, Véronique Courjault,
reposent encore dans la chambre froide de l'Institut national
coréen d'investigation scientifique, le Nisi. Le Dr Seok Hoon-jeon,
qui a autopsié les corps, propose de s'y rendre. Après avoir passé
des couloirs lugubres, puant la mort, il ordonne à un légiste
d'ouvrir la porte blindée de la chambre froide. Là, un congélateur
en acier contenant les deux corps est posé au pied d'un mur.
«On ne sait plus quoi faire de ce "frigo", lance Kwon
Ki-seok, un employé du Nisi.
Il est là depuis des semaines. Plusieurs fois par jour, de 8 h
20 du matin à 21 heures, je dois vérifier l'état de conservation
des corps des bébés. C'est pénible. On veut se débarrasser de ce
frigo. Il est temps que les autorités françaises viennent le
récupérer.»
«On a beaucoup et très bien travaillé sur l'affaire
Courjault», se félicite Han Myun-soo, 47 ans, chef du
département des analyses ADN du Nisi. Cet organisme a déjà élucidé,
avec la police, une kyrielle d'affaires criminelles, dont celle de
Balbali, auteur de cent viols. Des traces d'ADN retrouvées dans une
pièce où il avait séquestré sept femmes l'ont trahi. Le Dr Han
Myun-soo a scotché au mur de son bureau la photo de
l'arrestation.
Tsunami. Mais, depuis douze semaines, c'est une autre
affaire qui l'occupe :
«L'affaire française» des deux bébés congelés de Jean-Louis
et Véronique Courjault, qui, en Corée du Sud, fait grand bruit.
«Près de 100 pays maîtrisent les tests ADN, dit le Dr Han.
La Corée se situe dans les vingt premiers. Quand le Forensic,
l'Institut anglais de médecine légale, obtient 4 résultats pour 10
mégots de cigarettes analysés, le nôtre en obtient 8.» Après le
tsunami de décembre 2004 en Asie, le Dr Han et ses équipes ont été
appelés pour identifier des milliers de corps. Lors de l'incendie
du métro de Daegu en 2003 (120 morts), le Dr Han est là.
Il n'oublie pas les insinuations françaises de l'été, laissant
supposer que ses équipes auraient pu commettre des erreurs.
«En Corée, je suis le pionnier de l'ADN. J'ai été formé il y a
vingt ans par le Dr Jeffreys, un scientifique britannique qui a
développé les enquêtes menées à partir du système ADN. Ensuite,
j'ai appris mon métier aux Etats-Unis, au sein du FBI. En Europe,
aux Etats-Unis et en Asie, nous utilisons les mêmes méthodes. Moi,
je suis un travailleur assidu. Pour déterminer la parenté de ces
bébés, nous avons effectué 30 analyses. Et recoupé tous les
résultats.»
Brosses à dents. Deux heures durant, le Dr Han livre
«pour la première fois à un journal français [...] toutes les
informations détaillées des analyses ADN» des Courjault.
«La police nous a fait parvenir des prélèvements des bébés. Des
objets de la famille, des brosses à dents, des peignes. Des
cheveux, aussi, des traces de salive... Nous avons ainsi
reconstitué l'ADN des Courjault. Puis, nous avons appliqué la
méthode STR pour retracer le lien paternel, la méthode YSTR pour
recouper les liens entre parents et objets, puis la méthode
mitochrondriale pour retracer le lignage maternel. Le résultat
final est apparu. Nous l'avons transmis aux enquêteurs le 26
juillet. Jean-Louis Courjault était bien le père des
bébés.» Pour en être sûr, le Nisi a mené un autre test censé
fixer le lignage paternel. Là encore, les résultats étaient
positifs.
«Nous avons ensuite réalisé les analyses ADN des bébés. Elles
n'étaient pas tout à fait identiques. Les bébés n'étaient donc pas
des frères jumeaux. Etaient-ils de faux jumeaux ? Des frères ? Qui
était leur mère ? Pour le savoir, nous avons analysé et recoupé
l'appartenance d'objets. Là encore, aucun doute n'était possible.
Véronique Courjault était bien la mère de ces bébés.» La
conclusion est alors d'autant plus sûre qu'en 2003 Véronique
Courjault a subi à Séoul une ablation de l'utérus. L'hôpital
Sainte-Marie, qui l'a opérée, a conservé ses tissus cellulaires. Le
Nisi les a récupérés.
«L'avocat du couple Courjault a affirmé que nous ne disposions
pas de tissus. Faux !»
«Dans cette affaire, ajoute Han Myun-soo,
j'ai fait mon devoir. Les bébés congelés avaient de mauvais
parents. Ils sont morts peu après leur naissance, privés de soins.
Je crois que Véronique Courjault est une femme intelligente. Mais,
refusant d'avoir ces enfants, elle a paniqué. Sans doute ne
savait-elle pas où enterrer les corps.» L'affaire a visiblement
marqué le Dr Han :
«J'ai l'habitude de travailler sur des cadavres. Mais je suis
aussi un chrétien baptiste et je dois reconnaître que j'ai été
choqué en découvrant ces cadavres de bébés congelés. Cela m'a
remué. Attristé. Comment l'être humain peut-il être capable de tant
de cruauté ? Je crois que, dans cette affaire, on touche un peu à
la folie.»
Confucianisme.
Seok Hoon-jeon, 37 ans, premier médecin légiste à avoir
autopsié les corps des deux bébés, assure de son côté que l'affaire
Courjault l'a
«gêné» :
«Je n'étais pas choqué, j'ai déjà mené des autopsies de bébés
coréens abandonnés dans des cuvettes de toilettes, dans des
stations de métro, dans des parkings ou dans des champs. Dans notre
pays, dominé par le confucianisme, on a des infanticides, car il
est tabou d'accoucher avant de se marier. C'était toutefois la
première fois que j'avais affaire à des bébés congelés. Ils
n'avaient pas de blessure extérieure, ils avaient vécu. L'autopsie
a révélé que leurs poumons étaient remplis d'air. Les accouchements
avaient été sauvages. Les nouveau-nés sont morts peu après la
naissance, faute d'avoir reçus les bons soins.» «Peut-être la
France a-t-elle eu honte de cette affaire et a-t-elle essayé de
nier sa réalité ? » dit-il, blessé que la justice française ait
méprisé la science de son pays. Libération ne peut être tenu responsable du contenu de ces liens. |
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