Morceaux choisis

Antoine Gérin-Lajoie

Claude-Henri Grignon

Germaine Guèvremont

Louis Hémon

Albert Laberge

Ringuet

Félix-Antoine Savard

Pour aller plus loin

Poètes du terroir

Poètes du terroir II

Poètes du terroir III

Arthur Buies

Edmond Massicotte

Les Exotiques

* * *

Début du chapitre

L'HYMNE À LA ROUTE

Dans Le Survenant, le dernier grand roman du terroir, Germaine Guèvremont raconte l'histoire d'un étranger qui arrive dans un petit patelin et qui y demeure un an. Deux façons de voir le monde s'affrontent, celle du nomade et celle des sédentaires. L'extrait qui suit nous présente le dénouement de cet affrontement. Le père Didace, un veuf de soixante ans, courtise une femme qu'on surnomme l'Acayenne. Tous commencent à médire sur son compte, avant même de l'avoir rencontrée. Le survenant (le nomade) n'en peut plus! (Informations supplémentaires)

Soudainement il sentit le besoin de détacher sa chaise du rond familier.

Pendant un an il avait pu partager leur vie, mais il n'était pas des leurs; il ne le serait jamais. Même sa voix changea, plus grave, comme plus distante quand il commença :

- Vous autres...

Dans un remuement de pieds, les chaises se détassèrent. De soi par la force des choses, l'anneau se déjoignait.

- Vous autres, vous savez pas ce que c'est d'aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège, tout son avoir sur le dos. Non! vous aimez mieux piétonner toujours à la même place, pliés en deux sur vos terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs de poche. Sainte bénite, vous aurez donc jamais rien vu, de votre vivant! Si un oiseau un peu dépareillé vient à passer, vous restez en extase devant, des années de temps. Vous parlez encore du bucéphale, oui, le plongeux à grosse tête, là, que le père Didace a tué il y a autour de deux ans. Quoi c'est que ça serait si vous voyiez s'avancer devers vous, par troupeaux de milliers, les oies sauvages, blanches et frivolantes comme une neige de bourrasque? Quand elles voyagent sur neuf milles de longueur formant une belle anse sur le bleu du firmament, et qu'une d'elles, de dix, onze livres, épaisse de flanc, s'en détache et tombe comme une roche? Ça c'est un vrai coup de fusil! Si vous saviez ce que c'est de voir du pays...

Les mots titubaient sur ses lèvres. Il était ivre, ivre de distances, ivre de départ. Une fois de plus, l'inlassable pèlerin voyait rutiler dans la coupe d'or le vin illusoire de la route, des grands espaces, des horizons, des lointains inconnus.

Comme son regard, tout le temps qu'il parlait, tendait uniquement vers la porte, chacun, à son exemple, porta la vue dessus : une porte grise, massive et basse, qui donnait sur les champs, si basse que les plus grands devaient baisser la tête pour ne pas heurter le haut de l'embrasure. Son seuil, ils l'avaient passé tant de fois et tant d'autres l'avaient passé avant eux, qu'il s'était creusé, au centre, de tous leurs pas pesants. Et la clenche centenaire, recourbée et pointue, n'en pouvait plus à force de cliqueter sous toutes sortes de mains, une humble porte de tous les jours, se parant de vertus à la parole d'un passant.

- Tout ce qu'on avait à voir, Survenant, on l'a vu, reprit digne Pierre-Côme Provençal, mortifié dans sa personne, dans sa famille, dans sa paroisse.

(Germaine GUÈVREMONT, Le Survenant, éditions Beauchemin, 1945)

Plus de détails sur Laurentiana.

Angélina (Annick Lemay) et Le survenant (Jean-François Verreault) - Angélina - Didace (Gilles Renaud) et le Survenant dans le film d'Éric Canuel paru en 2005.


Questions

  1. Qu'est-ce qui oppose les sédentaires au nomade?
     

  2. Quand le Survenant retire sa chaise du cercle familier, que faut-il comprendre sur ses intentions?
     

  3. Que symbolise la porte?