LE
CENTRE PENITENTIAIRE, LA PLUS GRANDE PRISON D’EUROPE
Une usine carcérale
Le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis a ouvert
ses portes en 1967. Sa capacité d’accueil de près
de 4000 détenus devait permettre de désengorger
d’autres prisons et notamment de fermer celle de la Santé,
vétuste et surpeuplée, tout en offrant aux détenus
des conditions de vie plus humaines. Tel était du moins
l’objectif... On sait ce qu’il en est aujourd’hui,
puisque les deux établissements souffrent aujourd’hui
de surpopulation. Ce centre a été conçu
et considéré à l’époque comme
une prison ultra-moderne, et même une prison “ presse-bouton ”,
puisque l’ouverture des portes des cellules peut être
commandée à distance par les gardiens. “ On
dirait Mannix ”, disaient alors les premiers pensionnaires
de l’établissement... Ces dispositifs, largement
dépassés depuis par les divers systèmes
de sécurité électroniques, comportent un
caractère déshumanisant, pour les prisonniers mais
aussi pour les surveillants, qui, ajoutés aux dimensions
de l’établissement, ont contribué à en
faire une véritable “ usine carcérale ”.
Les gardiens y travaillent d’ailleurs en équipes,
deux équipes de jours de 6 heures et une de nuit de 12
heures, comme à l’usine...
Des
ateliers pour murs d’enceinte
Le centre pénitentiaire comporte trois prisons différentes
bâties sur le même modèle : la Maison d’arrêt
des hommes(1), la Maison d’arrêt des femmes (MAF)
et le Centre des jeunes détenus (CJD) réservé aux
détenus de moins de 21 ans.(2) Une de ses originalités
architecturales est que ces établissements ne comportent
pas de murs d’enceinte : ce sont des ateliers couverts
qui en font office, ce qui contribue à rendre les évasions
très difficiles : personne n’a jamais réussi à percer
ces murs en béton armé dont l’épaisseur
n’a pas été divulguée... Les trois
prisons sont disposées en “ hélice ”.
Leurs différentes ailes forment les pales de l’hélice.
D’où l’expression de “ tripale ” pour
désigner les différents secteurs, bien que leur
nombre soit supérieur à trois. A la Maison d’arrêt
des hommes, on compte ainsi cinq tripales baptisées
D1, D2, D3, D4, D5. Ces tripales sont elles aussi construites
sur le même modèle. Chacune est organisée
autour d’un rond-point central avec, à chaque étage,
une rotonde de verre protégée par des barreaux
métalliques, où un gardien, installé devant
ses écrans, ses micros et ses boutons, peut appeler
les détenus par interphone, commander l’ouverture
des portes, procéder à l’appel, etc. Chaque
tripale est plus ou moins autonome : elle dispose de ses cours
de promenades et terrains de sport. Des fonctions particulières
sont en principe attribuées à chacune : accueil
des prévenus, quartier disciplinaire où l’on
trouve les “ mitards ”, quartier d’isolement
avec ses promenades entièrement couvertes, quartier
réservé aux détenus posant des problèmes
particuliers, tel le “ commissariat ” où les
policiers, gendarmes ou... surveillants qui ont eu affaire
avec la justice sont isolés des autres détenus
pour des raisons évidentes.
Une
expérience qui n’a pas été renouvelée
Sur le plan théorique, le Centre pénitentaire
de Fleury-Mérogis est donc une prison modèle.
C’est aussi la plus grande d’Europe, celle que
l’on cite presque toujours et que des journalistes, sociologues
et professionnels divers viennent régulièrement
visiter. On s’accorde cependant à reconnaître
aujourd’hui qu’une concentration aussi importante
de détenus comme de personnels a été une
erreur et personne n’a proposé de renouveler l’expérience.
(1)
Une “ maison d’arrêt ” est en
principe réservée aux détenus effectuant
des courtes peines et aux prévenus,
contrairement aux “ maisons centrales ” qui accueillent
les condamnés à de longues peines.
(2) A partir de 21 ans, on est “ majeur pénal ”,
néanmoins les moins de 21 ans bénéficient,
en principe, d’un traitement carcéral particulier.
L’UNIVERS
DU DETENU
Entre la télé et
le coin toilette
Les cellules de la maison d’arrêt des hommes
sont de deux types : celles prévues à l’origine
pour un détenu, les plus nombreuses, et celles prévues
pour trois. (Les théories jadis en vigueur dans l’administration
pénitentiaire voulaient qu’on n’enferme
pas deux détenus en tête à tête,
par mesure de prévention contre... l’homosexualité).
L’évolution des mentalités et surtout la
surpopulation ont eu raison de ces traditions : les détenus
sont bien souvent deux ou trois dans des cellules de 11 m2
destinées à un seul prisonnier - ce qui
est relativement grand en regard des normes pénitentiaires,
car il faut savoir qu’il existe encore en France des
cellules de 6 m2, voire moins...
A droite en entrant, on trouve le coin-toilette avec une cuvette
de WC et un lavabo (eau froide seulement, seules les détenues
de la Maison d’arrêt des femmes ont droit à l’eau
chaude).
Un muret dissimule ce coin-toilette, ce qui représente
une petite amélioration des conditions de détention,
car la promiscuité est très difficile à vivre.
Deux lits superposés sont installés derrière
ce muret. Quand il y a un troisième détenu, il
doit sortir son matelas le soir et le ranger sous un lit pendant
la journée. La fenêtre est protégée
par des barreaux comme dans toutes les prisons du monde depuis
qu’on s’est aperçu que les parois de verre
blindé théoriquement incassables présentaient
diverses imperfections vite décelées par les
détenus. Sous la fenêtre sont disposés
une tablette et un mini-placard. La télévision,
que les détenus louent environ 70 francs par semaine
est fixée dans un angle, près du plafond, un
peu comme dans les hôpitaux. Les prisonniers sont autorisés à afficher
des photos et posters et à éteindre la lumière à l’heure
de leur choix - l’extinction générale des
feux a été supprimée depuis longtemps.
Ils conservent leurs vêtements civils depuis les réformes
des années soixante-dix et sont autorisés à posséder
divers objets personnels, comme des postes de radio, à condition
qu’ils aient été achetés à la “ cantine ”,
où on leur défalque sur leur compte, car ils
ne peuvent pas détenir d’argent. Ils peuvent aussi
s’abonner à des journaux, emprunter des livres à la
bibliothèque, recevoir du courrier. Ce dernier n’est
en principe pas censuré, mais l’administration
se réserve le droit de le lire.
Travailler en prison
Avec 1860 détenus au travail, le Centre pénitentiaire
de Fleury- Mérogis, c’est aussi une véritable
usine ! Dans les ateliers, on fabrique de tout : de l’ensachage
des graines à l’emballage de revues et aux pièces
de voitures pour Renault ou Citroën. Comme à l’usine,
il y a des OS et des ouvriers qualifiés mais, dans l’ensemble,
le travail est répétitif et sans intérêt,
et c’est le faible coût de la main-d’oeuvre
qui attire les entreprises “ concessionnaires ”.
Selon la direction, les salaires bruts seraient de l’ordre
de 80 à 120 francs par jour, mais les détenus
ne peuvent en utiliser que la moitié. L’autre
partie sert à payer l’administration, la justice,
dédommager les victimes... Le chômage sévit
aussi en prison : tous ceux qui souhaiteraient travailler ne
le peuvent pas. Les concessionnaires ne se bousculent pas car
les faibles salaires ont pour contrepartie un faible rendement,
lié aux déplacements des détenus, à leur
durée de séjour et aux mesures de sécurité.
Les opérations de déflocage, pour remplacer l’amiante
par d’autres matériaux, ont par ailleurs entraîné une
paralysie des ateliers.
350 autres détenus travaillent au “ service général ” :
cuisine, entretien, et même comme jardiniers aux alentours
de la prison, pour ceux qui sont en fin de peine et dont on
ne redoute pas l’évasion. Ils sont moins payés
que leurs camarades mais généralement plus “ peinards ”...
Le quartier des nourrices
La Maison d’arrêt des femmes (MAF) compte une nursery
où sont hébergés dix-huit mères
et leurs bébés. La loi prévoit en effet
que les femmes qui accouchent pendant la durée de leur
détention peuvent garder leur enfant avec elles jusqu’à l’âge
de 18 mois (elles n’accouchent cependant pas en prison
mais généralement à l’hôpital
pénitentiaire de Fresnes). La loi ne prévoit
pourtant aucune condition spéciale de détention
pour ces mamans et la MAF de Fleury est la seule prison dotée
d’un “ quartier des nourrices ”. Ce quartier
comporte un patio et diverses salles collectives où les
femmes peuvent se retrouver : cuisine, dispensaire-nursery,
salle de jeux pour les petits. Pendant la journée, les
cellules sont ouvertes et les détenues peuvent se rencontrer,
garder les enfants de celles qui participent à des activités
socio-éducatives ou sportives. L’administration
prend en charge les dépenses du bébé :
couches, vêtements, produits de soin et une puéricultrice
conseille et aide les mères. Entre 19 h et 7 h du matin,
le quartier des nourrices redevient une prison, les cellules
sont verrouillées et la mère reste seule avec
son enfant.
LE CENTRE DES JEUNES DETENUS
Des jeunes derrière
les barreaux
Ce qui frappe le visiteur, quand il pénètre dans
une cour de promenade du CJD (Centre des jeunes détenus),
c’est l’impression de se trouver dans la cour de
récréation... d’un LEP de banlieue. La
quasi-totalité des 450 jeunes détenus ici vient
en effet des “ quartiers difficiles ” de la banlieue
nord. Ils y restent en moyenne deux mois, mais les surveillants
revoient souvent les mêmes têtes : il y a près
de 70 % de récidives parmi les petits délinquants.
Les plus jeunes pensionnaires ont entre 13 et 16 ans, ils sont
9. La loi ne permet plus d’emprisonner des enfants de
moins de 13 ans, mais, voici encore une dizaine d’années,
le CJD a eu de petits prisonniers de 10, 11 et 12 ans... Les
plus jeunes ont toujours été détenus dans
un quartier à part, afin de les protéger du contact
des détenus plus âgés, qu’ils côtoient
toutefois au cours de diverses activités. Entre 16 et
18 ans, on compte 75 prisonniers, les autres ayant entre 18
et 21 ans. La plupart de ces jeunes sont détenus dans
des cellules individuelles. La scolarité des mineurs
est obligatoire, en prison comme en liberté. Le CJD
est d’ailleurs bien équipé en matériel
et en enseignants. On s’efforce aussi d’adapter
l’enseignement à l’évolution du marché du
travail : l’atelier de tôlerie a par exemple été fermé.
En raison de la faible durée de présence des élèves,
des modules de formation de cinq à six semaines ont été mis
sur pied. A sa sortie, le jeune détenu reçoit
un certificat qui ne mentionne pas son passage en prison. Pendant
son séjour au CJD, il a aussi la possibilité de
faire du sport et de participer à divers activités éducatives,
une nouvelle bibliothèque au fonctionnement plus souple
et plus attrayant a été créée.
Une partie des jeunes détenus ont aussi la possibilité de
travailler, comme les adultes, pour gagner de quoi “ cantiner ” et
louer un téléviseur - seuls les moins de 16 ans
ont droit à la télé gratuite... Beaucoup
de jeunes prisonniers passent d’ailleurs le plus clair
de leur journée entre quatre murs avec cette petite
lucarne pour seule compagnie. Surtout pendant la période
de travaux de “ désamiantage. ” Isabelle
Goudin, la Directrice de l’établissement, le déplore
mais n’a pas de solution. Elle ressent aussi, au sein
de cette population jeune, une montée de la violence
qui l’inquiète.
Des surveillants qui viennent de loin
Contrairement à une ville comme Clairvaux, où logent
pratiquement tous les surveillants de la prison locale, seule
une minorité du personnel du centre pénitentiaire
de Fleury-Mérogis habite Fleury : 350 dans les HLM «Résidences» et
80 dans des logements de fonction. 250 d’entre eux vivent
dans des foyers pour célibataires. Soit moins de la
moitié des 1480 fonctionnaires et employés divers.
Les autres se logent comme ils peuvent dans la région
où les appartements HLM F2 et F3 font cruellement défaut.
Beaucoup d’entre eux préfèrent tout simplement
rejoindre leur région d’origine, située
parfois à plusieurs centaines de kilomètres de
leur lieu de travail, au prix de longs et épuisants
trajets et de longues périodes de service ininterrompu
qui, par le jeu des récupérations en usage dans
l’administration pénitentiaire, leur permettent
de demeurer plusieurs jours dans leur famille. Le rythme de
travail des surveillants est en effet de deux services de jour
de 6 heures et d’un service de nuit de 12 heures. Ce
mode de vie, très proche de celui de l’usine,
et le déracinement qui l’accompagne contribuent à expliquer
la violence des mouvements de grève qui ont secoué l’administration
pénitentiaire au cours de ces dernières années.
D’autant que les surveillants ont bien souvent l’impression
d’être considérés comme de simples
porte-clés, alors que l’ingratitude de leurs tâches
reste ignorée par le reste de la sociéte. Les
réformes favorables aux détenus, le développement
d’activités socio-éducatives et sportives,
les investissements destinés à rendre la prison
moins inconfortable, ont parfois conduit les gardiens à penser
que les médias et les pouvoirs publics prenaient davantage
en compte les problèmes des détenus que les leurs.
Une autre partie des surveillants a pourtant pleinement conscience
que l’amélioration des conditions de détention
ne peut que favoriser leur mission, qui ne devrait pas se limiter à la
sécurité mais prendre en charge les problèmes
de rééducation et de réinsertion ; cependant
ils savent aussi que les moyens mis à leur disposition
et les conditions sociales actuelles, avec la montée
du chômage, rendent ces perspectives bien illusoires.
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