Le pont de l’Alma, le boulevard de Sébastopol, la ville de Malakoff… Tous ces noms
sont familiers aux Parisiens mais savent-ils qu’ils évoquent tous la guerre de Crimée ? Et que le
8 septembre 2005 est le 150ème anniversaire de la prise de Sébastopol par les Français ?
Pourquoi la guerre de Crimée ?
Dans la première moitié du XIXème siècle, les
nations chrétiennes des Balkans cherchent à se libérer de la domination turque.
L’Empire ottoman s’est affaibli au point que le tsar Nicolas 1er prend prétexte
des affaires religieuses intervenir dans les affaires intérieures turques.
En mai 1853, l’ambassadeur russe à Constantinople demande (exige plutôt) le
" protectorat spirituel " sur les sujets orthodoxes de l’Empire ottoman.
Une fin de non recevoir aboutit à la rupture des relations entre les deux pays.
La résistance turque est encouragée par l’appui de la France et de l’Angleterre
qui ne souhaitent pas voir les Balkans passer aux mains des Russes. Malgré toutes
les ressources de la diplomatie pour maintenir la paix, les Russes anéantissent
la flotte turque à Sinople le 30 novembre 1853 et détruisent la ville. Dès le
4 janvier, la flotte franco-anglaise pénètre dans la mer Noire et, le 27 février,
un ultimatum franco-anglais demande au tsar de retirer ses troupes.
Finalement, le 27 mars 1854, c’est la guerre.
Charge de la brigade légère lors de la bataille de Balaklava. Peinture de Richard Caton Woodville (1825-1855).
Une expédition qui dure…
Il ne s’agit pas pour la France d’une guerre de conquête. Napoléon III,
pacifiste, le souligne bien devant les Chambres : " La France n’a aucune idée d’agrandissement,
elle veut uniquement empêcher des empiètements dangereux ".
Pour atteindre le territoire russe,
les Alliés débarquent en Crimée. La victoire de l’Alma le 20 septembre 1854 leur ouvre la route
de Sébastopol, grand arsenal de guerre russe sur la mer Noire. La décision est prise d’aller
le détruire, mais ce qui devait être une simple expédition se transforme en une longue guerre
car le siège de la ville va durer près d’un an.
“La France [...] veut uniquement empêcher des empiètements dangereux”
Une guerre moderne et cruelle
La guerre de Crimée préfigure les guerres modernes,
les belligérants français et anglais devant intervenir à plusieurs milliers de kilomètres
de leurs bases : c’est leur supériorité navale et logistique qui permettra les
ravitaillements et, à terme, la victoire. Pourtant, rien ne semble joué.
Aucun espoir de prendre la ville rapidement.
“Au final près de 100 000 hommes perdus.”
"Aux pluies de décembre succédèrent les gelées et les neiges.
Les cas de congélation [des soldats] se multiplièrent. La nourriture était exécrable : du lard salé, pas de viande fraîche ;
de là, l’épidémie de scorbut
qui dévora plus
de vingt mille hommes ". Le choléra fait aussi des ravages. Les premières tranchées
apparaissent. Au final près de 100 000 hommes perdus, la plupart de maladie.
La cruauté de cette guerre incite Henry Dunant à imaginer des solutions pour venir
en aide aux blessés sur les champs de bataille : ce sera la Croix Rouge, créée en 1863.
Enfin, le 8 septembre 1855, la prise de la tour Malakoff par Mac-Mahon entraîne
la chute de Sébastopol et la fin des combats. La paix est signée en
1856 à Paris, garantissant l’intégrité de l’Empire turc, démilitarisant
la mer Noire, et accordant leur autonomie à la Moldavie et à la Valachie.
Une guerre controversée ?
Victor Hugo, qui déteste Napoléon III, ridiculise dans ses vers les soldats de
Crimée, par exemple le général Saint Arnaud, frappé par le choléra : " Il voyait, pâle, amer,
l’horreur dans les narines, Fondre sous lui sa gloire en allées aux latrines ". Il écrit
sur l’armée française des pamphlets d’une telle violence qu’ils seront repris par la propagande
allemande pendant la guerre de 1870 puis les deux guerres mondiales !
En réalité, dans l’opinion française, l’impact moral est considérable :
l’armée française peut sembler la première d’Europe, elle a su assurer une maintenance
logistique difficile et braver le tout-puissant Empire russe.
Lorsque, le 29 décembre 1855, quelques divisions revenues de Paris défilent à Paris, elles
sont acclamées par la population. " Ils sont entrés en tenue de campagne, raconte Prosper
Mérimée, avec leurs vieilles capotes déchirées, leurs drapeaux en loques et leurs blessés
marchant en avant avec les vivandières. Il y a eu une nuée de larmes. Le général
Canrobert pouvait à peine se tenir à cheval d’émotion. "
Et les Parisiens donneront à leurs boulevards les noms des victoires de Crimée.