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13e ardt - Autour de la place de l'Abbé Henocque
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Autour de la place de l'Abbé Henocque : trois lotissements du début du XXème siècle
Trouvant ses références dans les grandes cités industrielles du XIXe, le lotissement est la formule privilégiée de l’habitat individuel au début du siècle à Paris et dans les grandes villes. Au cœur du tissu urbain dense et composite de la capitale, le lotissement parisien, est indissociable du contexte politique et social qui l’a vu naître. Il marque aujourd’hui les quartiers d’une morphologie spécifique aux accents souvent pittoresques, dont témoignent parfaitement les trois lotissements du début du siècle, parfaitement conservés, qui composent l’ancien quartier des peupliers autour de la place de l’Abbé Hénocque.
Nés d’initiatives distinctes, ces lotissements construits entre 1908 et 1921 affichent dès l’origine des formes et des vocations différentes. Issus d’un même contexte historique, politique, législatif et social, chacun à sa manière présente une recherche intéressante en matière de construction et de lotissement. à travers l’histoire du lotissement parisien, ce parcours thématique autour de la place de l’Abbé Hénocque invite à découvrir la spécificité de trois ensembles remarquables soulignant la richesse de la réflexion sociale, architecturale et urbaine soulevée par ces opérations de construction du début du siècle.
Un terrain propice aux expérimentations urbaines La fin du XIXe siècle est marquée par les premières timides interventions de l’état qui soutient par la loi Siegfried de 1884 les premières sociétés d’Habitation Bon Marché. Dans le même temps, autour des réformateurs du Musée Social, l’idéologie du logement social se construit et s’étoffe : la crainte sous-jacente des révoltes sociales et la volonté de favoriser l’accès à la propriété des classes ouvrières pour pacifier le travailleur, tout comme les soucis d’hygiène et de salubrité, composent ainsi la pensée qui sous-tendra l’ensemble de ces opérations de construction au début du XXe siècle. à l’occasion de l’annexion des espaces “intra-muros” compris entre l’ancienne enceinte fiscale des Fermiers Généraux et les fortifications érigées par Thiers en 1844, la couronne de ces faubourgs périphériques déshérités et mal urbanisés, abritant une population en majeure partie ouvrière, va offrir un terrain de réflexions et d’applications propice aux architectes qui se préoccupent alors de l’économie de la construction et de la salubrité du logement social.
L’actuel 13e arrondissement, et tout particulièrement le quartier des Peupliers, se révèle être l’emplacement idéal pour la construction “d’Habitations à Bon Marché”. En effet, à la fin XIXe siècle, cette périphérie parisienne défavorisée concentre sur les bords de la Bièvre une population ouvrière réputée anarchiste et révolutionnaire, tandis que les eaux stagnantes et polluées par les rejets en amont des industries chimiques parisiennes de l’ancien cours d’eau parisien sont réputées pour les miasmes et les épidémies qu’elles génèrent. Ces deux préoccupations, sociale et hygiéniste, vont guider des aménagements urbains spécifiques. L’espace autour de la place est largement remblayé, et les deux bras de la Bièvre sont canalisés, puis transformés en égouts en 1912. Cette spécificité du site rend alors difficile la réalisation de fondations trop profondes, et favorise indirectement la construction d’habitat individuel bas. C’est dans ce contexte, à la fois technique, social, politique et idéologique que les trois initiatives privées de lotissement de la place des Peupliers voient le jour.
Parcours numéroté et descriptif des bâtiments remarquables
» Consulter le plan du parcours au format pdf (167 Ko) Sur le plan, les pastilles rouges indiquent les édifices à observer.
Les caractéristiques architecturales de ces bâtiments :
2 place de l'Abbé Georges Hénocque
Institut d'Hygiène Sociale construit entre 1913 et 1921 par Henri Viet pour la Mutuelle Générale des Cheminots. Il fait écho au lotissement voisin construit à l'initiative de l'Association Fraternelle des Employés de la Compagnie du Chemin de fer Métropolitain. Il répond également à l'ordonnancement de la place de l'abbé Georges Hénocque, bordée par un ensemble de bâtiments de faible hauteur datant du début du XXe siècle dont plusieurs équipements médicaux à vocation philanthropique. Le corps principal est en avancée sur la place et flanqué de deux pavillons de moindre hauteur sur les rues adjacentes. Les façades sont en briques appareillées polychromes. Au-dessus du perron, une sculpture représentant une locomotive rappelle la vocation cheminote du lieu. Cet édifice témoigne de l'attention accordée dans l'entre-deux-guerres aux bâtiments à vocation philanthropique, et des innovations découlant de ces programmes, comme la mise en œuvre remarquable de la brique, le jeu d'agencement des volumes, particulièrement lisibles sur cette façade, qui conserve parallèlement une certaine tradition historicisante.
“Le groupe des peupliers” : une initiative corporative paternaliste originale
Sur une parcelle triangulaire à l’intersection des rues des Peupliers, Henri Pape et Moulin des Prés, un premier lotissement - dit “groupe des peupliers”- est construit au début du siècle. Sa première originalité est d’être le fruit d’une initiative de l’ “Association Fraternelle des Employés et des Ouvriers de la Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain” créée en 1865. Destinée à loger les meilleurs agents et les ouvriers qualifiés de la compagnie ferroviaire, cette opération de construction de logements individuels donne lieu à un programme architectural de type paternaliste, innovant par sa technique et par sa qualité.
Après la cession de 3 559 m2 par la Ville de Paris à la corporation cheminote, la maîtrise d’œuvre du lotissement - fait rare à l’époque - sera attribuée pas concours à Georges Navette, l’architecte de Ville Neuve Saint George. Jugé trop peu rentable, son projet sera cependant refusé, et très vite remplacé par celui de Lambert. Divisé en 32 parcelles de 120 m2 en moyenne, destinées à accueillir les vingt-six maisons jumelées et les six pavillons simples du projet final, le terrain se construit à partir de 1908. Alignées sur rue, excepté celles situées aux deux angles bas de l’îlot, les maisons identiques du groupe des peupliers composent une uniformité d’ensemble recherchée par l’architecte. Mais derrière ces formes identiques, l’opération prend soin d’offrir à chaque famille en fonction de sa taille un logement adapté.
De même, à l’angle haut de la rue Henri Pape et de la rue des Peupliers se trouve la seule maison du lotissement à être signée par un autre architecte : destinée à la famille d’un contremaître, elle traduit ainsi la hiérarchie de la compagnie au cœur même du lotissement.
Une autre grande originalité de ce lotissement réside dans le caractère précurseur des techniques de construction et des nouveautés architecturales. En 1908, l’emploi du ciment armé dans les planchers, nettement visible depuis l’extérieur, est nouveau en matière de construction. Permettant d’échapper à la toiture mansardée, cette innovation technique invita l’architecte à concevoir des toits-terrasses, qui surmontaient à l’origine tous les pavillons du groupe. Nouveauté cette fois-ci trop en avance sur son temps, le problème des fuites d’eau poussa progressivement les habitants à exiger la surélévation d’un étage sous combles, marquant un retour vers un profil architectural nettement plus classique...
L’ “îlot Rousselle” : qualité homogène et diversité architecturale d’un lotissement privé
Equipées, les trente parcelles de l’opération sont ensuite revendues à différents commanditaires, auxquels est laissé libre le choix du maître d’œuvre. Laissant s’exprimer les goûts des propriétaires, chaque pavillon de l’“îlot Rousselle” est ainsi signé par un architecte différent, et seul un groupe de 8 maisons identiques, rue Henri Pape, sera réalisé en 1911 par Rebersat. Implantés selon un alignement continu sur rue, les pavillons de l’îlot, moins nombreux mais plus spacieux que ceux des cheminots, présentent un étage sous combles et un jardin potager, rappelant la destination ouvrière de ces habitations. Derrière la diversité du vocabulaire architectural qui donne son aspect hétérogène au lotissement, les pavillons restent rigoureusement identiques entre eux dans les prestations proposées : l’existence d’un cahier des charges précis témoigne de la volonté des lotisseurs d’offrir un même confort à tous les habitants.
Le “lotissement Dieulafoy” : un promoteur privé pour un lotissement bourgeois
Naturellement tournée vers les opérations spéculatives, la promotion privée ne réalise que rarement des projets de pavillons individuels au début du XXe siècle, surtout dans Paris où le prix du foncier reste plus élevé qu’en banlieue. Moins rentables, ces grands programmes d’habitations individuelles sont donc rares à Paris, et s’essoufflent particulièrement avec la crise du logement des années 20.
Le groupe Dieulafoy, à l’est de la place de l’Abbé Hénocque, illustre cependant ce rare cas de figure. Issu d’une promotion immobilière privée, le lotissement Dieulafoy diffère alors en tout point des deux opérations précédentes, par la clientèle visée, une classe moyenne relativement aisée, mais aussi par les techniques utilisées.
Accolées, les 44 maisons à l’identité parfaite de la rue Dieulafoy ont été conçues en 1921 par un seul et même architecte : Henry Trésal, qui ira d’ailleurs jusqu’à faire déposer son modèle, multiplié par la suite dans tout le quartier. Parfaitement cohérent dans sa répétitivité, le lotissement “Dieulafoy” présente un type intermédiaire d’habitation individuelle, entre la villa bourgeoise et le pavillon de banlieue, destiné à satisfaire les nouvelles exigences de confort d’une population plus aisée que celles des deux lotissements voisins, mais encore trop modeste pour acheter un terrain et y faire intervenir un architecte. La notion de confort est pour l’époque poussée à son paroxysme, tant dans la surface des pièces que dans leur destination : on note ainsi l’existence d’une salle de bain de 3 m2, ou encore d’une lingerie à l’étage, mais surtout d’une “remise à auto” pour chaque pavillon.
Et aussi…
72 rue de la Colonie
Logements sociaux de la fondation Singer-Polignac construits par l'architecte Georges Vaudoyer en 1911. Les corps de bâtiments s'ouvrent sur une cour ouverte, les façades sont en briques. Le décor est discret et se contente de souligner avec des chaînages de briques de plusieurs tons, les arêtes et les lignes de force des bâtiments. Le travail de Vaudoyer dans la construction sociale se distingue d'abord pour la qualité et la rigueur de son plan et le refus de toute exubérance décorative.
16 à 24 rue Brillat-Savarin - 7 et 7 à 19 rue de la Fontaine-à-Mullard
Ensemble d'Habitations à Bon Marché regroupant 320 logements construits par les architectes André Arfvidson, Joseph Bassompierre et Paul de Rutté pour la Ville de Paris entre 1913 et 1924. Le plan est en "dents de peigne" suivant les principes hygiénistes, aéré par des espaces verts aménagés entre les bâtiments. Les sept bâtiments à six étages sont agencés de part et d'autre d'une voie centrale reliant les rues Brillat-Savarin et de la Fontaine à Mulard et fermée à chaque extrémité par deux immeubles intégrant les portails d'accès. Les façades en briques rouges sont structurées par deux colonnes de loggias, en double hauteur et insérées dans un arc en plein cintre au niveau de l'attique, ornées de motifs végétaux en sgraffites bichromes. Ce groupe de logements fait partie des premières Habitations à Bon Marché d'initiative publique élevées à Paris, et constitue un jalon remarquable dans l'histoire du logement social parisien annonçant les Habitations à Bon Marché de la Ceinture Rouge.
8-10 rue Küss
Groupe scolaire construit en 1934 par l’architecte Roger-Henri Expert. L’école qui bénéficie d’une inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques est très représentative du “style transatlantique” des années trente. Les rotondes en retrait successif des logements de fonction, et leurs garde-corps rappellent tourelles et bastingages des paquebots, tel le Normandie qu’Expert aménageait à la même période. La cour donnant directement sur la rue – pour un ensoleillement maximum et pour agrémenter l’environnement – se veut un véritable jardin, proche de l’imaginaire des enfants : pergola, volières, arceaux de grille en forme de treillages, petits banc nichés dans des cavités protectrices…
Principaux repères bibliographiques
Sous la direction d’Isabelle M. Montserrat-Farguel et Virginie Grandval, Hameaux, Villas et Cités de Paris, Délégation à l’Action Artistique de la Ville de Paris éditeur, collection Paris et son patrimoine, 1998 Marie-Jeanne Dumont, Le logement social à Paris 1850-1930 : les habitations à bon marché, éditions Mardaga, 1991 Simon Texier, Le 13e arrondissement, itinéraires d’histoire et d’architecture, Mairie de Paris Action artistique de la Ville de Paris, 2000. Paul Chemetov, Marie-Jeanne Dumont, Bernard Marrey, Paris-Banlieue 1919-1939 : Architectures domestiques, éditions Dunod, 1989
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