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Manfred Eicher
Une histoire de musique et de liberté
Classica Répertoire

Par Bertrand Dermoncourt | CLASSICA | RENCONTRES | 8 septembre 2009
 

Fondé par Manfred Eicher à Munich en 1969, l’éclectique label ECM (catalogue disponible en LossLess en exclusivité mondiale sur Qobuz) a révélé le jazzman Keith Jarrett mais aussi, avec Arvo Pärt ou Giya Kancheli, un pan entier de la musique classique contemporaine. Récit d’une réussite exceptionnelle.





Il y a quarante ans, vous avez fondé ECM. Comment rester créatif après avoir produit plus de mille disques ?
— Il faut savoir éviter toute routine et rester à l’affût. Ce qui ne me pose pas de problème car ECM est toute ma vie. La nuit, je rêve de nos prochains enregistrements et le jour, je pense à de nouvelles idées... Elles viennent à moi à la manière d’un oiseau, et parfois elles finissent par prendre forme.

Les nouvelles technologies vont-elles changer votre métier de producteur ?
— Vous voulez parlez du téléchargement ? Certes, Internet permet une liberté sans contrainte. À chacun de l’utiliser au mieux. Mais attention ! D’un point de vue philosophique, je ne peux pas envisager une seconde la gratuité de la musique et la mort du droit d’auteur, ce serait une régression trop grave. Quoi qu’il en soit, il est évident que nous vivons une période de bouleversement de l’économie de la musique, mais cela ne me fait pas peur. Depuis quarante ans, nous affrontons tous les dix ans une supposée « grande crise ». La crise pétrolière a annoncé la mort du vinyle, et ainsi de suite. Aujourd’hui, c’est la dématérialisation, nous sommes toujours là et nous faisons notre métier. L’important est de savoir faire la différence entre la vie de la musique et l’économie de sa diffusion, par le disque ou d’autres supports. Cela n’a rien à voir ! Ce qui compte est que nous enregistrions les artistes majeurs de notre époque dans les bons répertoires et les meilleures conditions, avec intégrité. On arrivera toujours à trouver des solutions aux problèmes économiques. L’art et la musique restent des besoins fondamentaux dans nos sociétés.

MANFRED EICHER



1943
Naissance à Lindau, en Bavière

1968
Contrebassiste de l’Orchestre philharmonique de Berlin

1969
Crée le label ECM à Munich.

1975
Produit le Köln Concert du pianiste Keith Jarrett, son plus grand succès.

1984
Album Tabula Rasa d’Arvo Pärt, qui marque le début des « New Series » d’ECM

2002
Obtient trois ans de suite le Grammy Award récompensant le producteur de jazz de l’année.



 

40 ans


Pour son anniversaire, le label annonce une série de parutions exceptionnelles.

De septembre à novembre prochain paraîtront de nouveaux albums de stars du jazz maison, comme Keith Jarrett (Testament, 3 CD en solo captés Salle Pleyel à Paris), Jan Garbarek, Anouar Brahem, Tomasz Stanko ou Carla Bley.
Versant « classique », on annonce une intégrale des Caprices de Paganini par Thomas Zehetmair, un nouvel album de Rolf Lislevand ou encore les Partitas de Bach par Andras Schiff.



Quelles ont été vos influences en créant le label ?
— Les éditeurs de livres ont été mon modèle, pas les maisons de disques. Pourquoi ? Parce qu’une maison comme Suhrkamp en Allemagne ou peut-être Gallimard en France suit parfois des écrivains toute leur vie et leur permet de se développer naturellement. Ainsi, une librairie peut proposer tous les titres d’un auteur, ce qui n’est pas le cas d’un disquaire... En outre, il existe souvent une émulation entre les auteurs d’une même maison d’édition. Ils finissent généralement par se connaître, et c’est bon pour la création. Je suis fier d’avoir réussi avec certains artistes, comme Jan Garbarek ou Keith Jarrett, à établir une relation qui dure depuis nos débuts communs, il y a quarante ans. Et tous nos disques restent toujours disponibles, c’est essentiel. Pour ECM, tout se construit sur la durée. Les jeunes musiciens que nous découvrons doivent pouvoir sortir un disque moins fort qu’un autre pour se développer. Je dois être le partenaire musical des artistes, comprendre leur psychologie. C’est pour cela que je n’ai jamais signé de contrats à long terme, afin que la relation humaine se nourrisse naturellement. Si je dis non à un projet, je dois avoir de bonnes raisons. Cela m’arrive très rarement.

Existe-t-il un son ECM ?
— Non, il ne faut pas parler d’un « son ECM », c’est bien trop réducteur. Bien sûr, nous apportons tout le soin possible à la qualité technique de l’enregistrement, mais ce n’est pas l’essentiel. Le plus important, c’est le choix de la musique. Le son, ensuite, en découle ; le processus ne se fait jamais dans le sens inverse. De même, le contenant doit, lui, refléter le contenu. Tout cela, la musique, le son, le design, forge l’identité d’ECM. Ensuite, le fil rouge de nos choix est dans une large mesure dicté par mes goûts. Mon mémoire, lorsque j’étais étudiant en musique, avait comme sujet Pérotin et les compositeurs contemporains. Longtemps notre catalogue « classique » s’est développé dans ces deux directions initiales : la musique ancienne et celle d’aujourd’hui. D’où, aussi, le nom du label, ECM : Edition of Contemporary Music.

Comment êtes-vous devenu producteur de disques ?
— J’ai vécu une enfance « musicienne ». Ma mère était une bonne chanteuse. Il y avait toujours des amis musiciens à la maison et j’ai été élevé avec les lieder et les quatuors de Schubert. À six ans, j’ai appris le violon et, adolescent, j’ai découvert Miles Davis et son fabuleux contrebassiste, Paul Chambers. J’ai changé d’instrument et me suis mis à la contrebasse. J’ai ensuite suivi un cursus des plus classiques : j’ai étudié la musique à Berlin, tant sur le plan théorique que pratique, jusqu’au doctorat. En 1968, j’ai intégré l’Orchestre philharmonique de Berlin, qui était alors dirigé par Karajan. Mais au bout d’un an, j’ai décidé de ne pas prolonger l’expérience. Je voulais être libre. Je jouais aussi du jazz en club avec des musiciens américains comme le trompettiste Leo Smith, j’étais à la contrebasse, et j’ai souhaité lancer un label de disques qui collait le mieux à mes goûts. Notre premier album, paru en 1969, reflétait bien mon état d’esprit et l’air du temps : il s’intitulait Free at last (« Enfin libres »). À partir de ce moment, je me suis consacré à 100 % à ECM et j’ai plus ou moins arrêté de jouer — bien qu’on puisse m’entendre au piano sur quelques disques sans que mon nom soit mentionné... D’abord consacré à la musique improvisée, le catalogue s’est ouvert à la musique écrite avec nos « New Series ». Tout cela était logique, car inscrit dans mon parcours dès le début.

Vos choix de musiques contemporaines affichent un éclectisme militant, reflétant toutes les tendances du moment...
— Non, je ne le crois pas, au contraire ! Au départ, nous avons produit la musique des minimalistes américains Steve Reich et John Adams, puis celle d’Arvo Pärt. Puis d’autres compositeurs a priori très différents, écrivant de la musique d’avant-garde, comme Zimmermann, Lachenmann ou Holliger. Ce n’est pas par volonté d’éclectisme. Je choisis toujours des oeuvres que j’aime ; leurs styles peuvent être différents, mais j’y perçois toujours les mêmes qualités poétiques et lyriques. Qu’elles soient signées Kurtág ou Kancheli n’a plus d’importance.

Quelles partitions vous ont le plus marqué ?
— Nous suivons avec passion d’autres artistes comme Silvestrov, Mansurian ou Knaifel. Cependant, la musique d’Arvo Pärt a été - et reste - au centre de mes préoccupations. Je lui suis dédié corps et âme. Au passage, je ne comprends pas l’attitude des Français à propos de ce génie. Pourquoi tant de dédain ? Le jugement de Boulez et de son école sur tant de musiques d’aujourd’hui est-il à ce point intimidant ? Cela n’a pas de sens quand on entend un chef-d’oeuvre comme Lamentate. On y trouve l’intériorisation de toutes les sensations, comme si la musique s’incluait elle-même dans une crypte : sans pitié et solitaire.

Comment avez-vous découvert Arvo Pärt ?
— J’étais en voiture entre Stuttgart et Zurich, à la fin des années 1970. J’écoutais Radio Erevan que j’aimais bien car elle diffusait souvent des partitions inconnues à l’Ouest : une musique extraordinaire m’a obligé à stopper et à couper le moteur afin de l’écouter dans les meilleures conditions. Après un an de recherche, j’ai su que j’avais entendu un concert où était joué Tabula Rasa d’Arvo Pärt. Après cela, j’ai rencontré le compositeur à Vienne, où il résidait après avoir quitté son pays d’origine, l’Estonie, et nous avons parlé d’une collaboration. J’ai alors pensé, à cause de la couleur harmonique si particulière de sa musique, que Keith Jarrett pourrait en être un bon interprète. Arvo Pärt était emballé par l’idée. C’est ainsi que nous avons enregistré Fratres avec Jarrett, et Gidon Kremer au violon, une nuit à Bâle.

Le pianiste Keith Jarrett figure lui aussi au centre de vos préoccupations.
— Oui, et plus que jamais. Nous publions à la rentrée un nouveau disque de concert en solo. J’espère le convaincre de retourner en studio afin de retrouver l’esprit de groupe très particulier qui irriguait certains disques du début de sa carrière comme Belonging. Il existe aussi de très nombreuses partitions écrites par Keith Jarrett que j’aimerais pouvoir enregistrer. Elles sont dans ses archives, j’espère qu’il voudra bien les ouvrir un jour, car ce sont des oeuvres de grande qualité, extrêmement sensibles. Quant au fameux trio avec Gary Peacock et Jack DeJohnette... Nous avons tellement d’enregistrements « live » de côté !

Comment sélectionner ces concerts ?
— Le niveau est tel que tous ou presque mériteraient une parution. Keith voyage généralement avec son ingénieur du son, il enregistre ses concerts et les réécoute chez lui. Cela se passe généralement la nuit. Au petit matin, il me passe un coup de fil en me demandant d’écouter telle ou telle bande et nous en discutons. Tout reste très intuitif. Nous gardons les bandes « nues », sans trafiquer le son. Seul le Köln Concert a été dur à produire. D’abord nous n’avions pas, pour le concert, le piano prévu à cause d’une grève. L’intonation n’était pas parfaite. J’ai passé plusieurs jours en studio avec notre ingénieur pour améliorer la situation, rendre la musique « écoutable ». C’est devenu un mythe, même Marguerite Duras en a parlé dans le carnet qu’elle tenait pour Libération ! Une prise de son de référence, ce qui m’a toujours amusé compte tenu des circonstances de l’enregistrement...

Comment se porte le jazz aujourd’hui ?
— Pas trop mal, merci ! Le monde du jazz est bien vivant. Cependant, beaucoup de musiciens, qui possèdent une belle technique, reproduisent malheureusement des modèles connus sans faire preuve d’originalité. Or chaque musicien doit trouver sa propre voie pour devenir un véritable artiste. Bill Evans, Miles Davis ou Keith Jarrett avaient eux aussi subi des influences, mais leur apport à la musique est unique, comme l’est leur sonorité.

Dans vos rêves les plus fous, quel enregistrement aimeriez-vous produire ?
— Il y a très longtemps, alors que Keith Jarrett enregistrait des improvisations sur un orgue baroque, nous devions avoir... Miles Davis. Quel duo cela aurait pu faire ! Miles, enfin, dans le recueillement le plus pur, la simplicité la plus nue ! Mais ce n’est qu’un rêve, et souvent les rêves restent des rêves...

À téléchargez sur Qobuz : ECM New Series (Classique) disponible en LossLess, en exclusivité mondiale
À téléchargez sur Qobuz : ECM (Jazz/Blues) disponible en LossLess, en exclusivité mondiale

 

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