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Oeuvres

 

Suites pour deux pianos n°1 et n°2

 

Tableau de Levitan

"Pour Rachmaninov l'écriture est le fruit d'une recherche de couleurs et de sonorités, où la soi-disante " virtuosité technique" n'est en aucun cas un but mais seulement un moyen. Son jeu était d'une clarté exceptionnelle, toujours léger et très précis."
Claire Chevallier

Puce Introduction

-------Comme l'évoque Vladimir Jankélévitch, la musique de Rachmaninov culmine souvent dans la "griserie d'un élan lyrique irrésistible". Or cette griserie serait en quelque sorte inacceptable si elle était toujours au service d'une dévaluation de la vie : et tel serait le cas, grosso modo, de la musique de Rachmaninov, empreinte d'un romantisme et d'un pessimisme inaltérables. Pourtant, plusieurs oeuvres viennent démentir ce jugement, comme la Sonate pour violoncelle ou les deux magnifiques Suites pour deux pianos.
Près de dix ans séparent la Suite n°1 de la n°2, mais toutes deux portent l'ivresse de deux périodes enthousiastes et créatives. La première, dédiée à Tchaïkovski (celui-ci décèdera peu de temps après) et qui gagna les faveurs de Rimski-Korsakov, fut l'une des premières oeuvres importantes du jeune diplômé du conservatoire de Moscou. La seconde fait partie, avec le
deuxième concerto pour piano, des oeuvres de renaissance (on sent d'ailleurs que Rachmaninov trépigne d'impatiente dans l'entrée fracassante de l'Introduction, comme le remarque justement Jacques-Emmanuel Fousnaquer), succédant à la période douloureuse d'inactivité et de désespoir suite à l'échec de la première symphonie. Le pianiste russe la composa entre 1900 et 1901, après un voyage en Italie. Elle comporte deux danses particulièrement animées et virevoltantes (la Valse et la Tarentelle, qui est une danse italienne, justement, où le rythme s'accélère constamment).
Si les deux partitions portent très haut le pouvoir d'émotion, leur écriture, voluptueuse, n'est pas comparable : tandis que la première déploie un univers poétique et juvénile d'une rare profondeur (il s'agit en effet, nous allons le voir, d'une musique à programme), la seconde mise sur l'ardeur et l'amusement avec une maîtrise souveraine et impressionnante. Techniquement, le résultat est également important : non seulement le traitement des deux pianos est équitable et montre autant d'égards pour chacun des deux exécutants, ce qui donne aux deux suites un cachet unique, puissant et orchestral (en particulier pour la seconde), mais les deux oeuvres recèlent d'admirables procédés pianistiques irrésistibles que le compositeur multiplie avec bonheur.


Puce Suite pour deux pianos n°1

Nimbée d'une douce et noble poésie, la première des deux suites est également la plus picturale des deux (mais également la plus fantastique, au sens littéraire, son titre exact étant d'ailleurs Fantaisie-Tableaux pour deux pianos). L'univers, vespéral ou nocturne, se développe autour des textes de quatre poètes que Rachmaninov appréciait, dont la musique capture l'ambiance et la sensibilité et que le compositeur cite en exergue à chaque partition (les traductions de ces poèmes sont données à la suite de cet article).
Modelées avec une rare finesse, par un véritable travail de joaillier, ces quatre pièces permettent, sur l'ondoiement ravissant et épanoui de leur mélodie, une délivrance des plus savoureuses. D'abord sur le balancement velouté de la Barcarolle, qui se prête autant que celle de Chopin (dont elle est peut-être un hommage) aux mots chaleureux de Nietzsche :

Presque tous les états d'âme et toutes les conditions de la vie ont leur moment de bonheur [...] ; ce moment de bonheur, Chopin a su lui prêter des accords dans sa Barcarolle au point que les dieux eux-mêmes pourraient avoir envie de passer, allongés dans une barque, les longues soirées d'été.

Ensuite sur La nuit ... L'amour, nocturne solaire, apaisé, illimité, dans lequel, comme nous l'indique le poème de Lord Byron, "parvient des ramures la note aiguë du rossignol". L'auditeur, séduit par une telle sérénité, ne peut que faire voeu, dès lors, de s'évanouir auprès de ces délicieuses évocations, comme l'eau d'un ruisseau s'écoule lentement autour des galets de son lit.

La pesanteur ne fait pas partie de l'univers de la première Suite pour deux pianos, même si l'élégie humecte de larmes le charmant domaine de notre pamoison : poignantes et profondes dans les Larmes, justement, et nostalgiques, lointaines, secrètes dans Pâques. Si le son des deux pianos ressemble à maints égards au carillonnement des Eglises, c'est dans l'évocation de la tristesse que le souvenir des grandes cloches de la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod que Rachmaninov a découvert en compagnie de sa grand-mère se déploie avec le plus de force. Comme il l'écrit lui-même :

Les quatre sons étaient un thème qui revenait sans cesse, quatre sons qui pleuraient, au timbre argentin. J’ai toujours associé à ces sons de cloches la notion de larmes.

Et si, succédant aux larmes qui coulent "comme des torrents de pluie dans les ténèbres d'une nuit d'automne" (Féodor Tyoutche), Pâques, dont l'ouverture enjouée est brusquement condamnée par trois mystérieux accords graves, est une envolée de cloches pascales devenue célèbre, la pièce semble incorporer, sous le tintinnabulement répété et jubilatoire des deux pianos, et dans une manière de joie dionysiaque que n'aurait pas renié Nietzsche, une douloureuse difficulté à adhérer chaque jour à ce monde.

Barre Intermède personnel : Pâques Barre

C'est ce que caractérise, en particulier, les tendres efforts des clochettes finales pour gravir à nouveau, tel Sisyphe, le motif répétitif qu'est, ou pourrait être, l'existence... Mais comme la mélodie nous l'indique, pour ainsi dire, en harmonie d'ailleurs avec le texte célèbre de Camus, il faut, néanmoins, "s'imaginer Sisyphe heureux". L'enregistrement de Martha Argerich et d'Alexandre Rabinovitch conforte cette interprétation, tant et si bien qu'il semblerait que la partition puisse prendre pour prétexte l'épitaphe de Martinus von Biberach, dont nous parlons également dans l'article sur Les Cloches :

Je viens je ne sais d’où,
Je suis je ne sais qui,
Je meurs je ne sais quand,
Je vais je ne sais où,
Je m’étonne d’être aussi joyeux.

Comme si, pour se convaincre, la composition se devait de marteler, sans relâche et tragiquement, le dernier vers...


Puce Suite pour deux pianos n°2

Partition plus vive et solaire, impétueuse même, tant la charge créatrice dont elle est gorgée ne semble jamais s'épuiser, la seconde Suite est la plus connue des deux. Oeuvre heureuse, qui se réjouirait presque d'elle-même, la suite n°2 possède les traits particuliers et presque insolents des musiques composées dans l'ivresse : l'éclat, la facilité, l'assurance, la souplesse d'écriture, seules à même de joindre à la frénésie rythmique la suavité mélodique. Aussi accomplie que soit la première suite, elle semble déjà plus quelque peu fragile face à sa suivante. La virtuosité est ici au service d'une légèreté pianistique absolument électrique, des conquérants et fougueux accords de l'Introduction aux débauches rythmiques et techniques de la Tarentelle. Comme l'écrit Fousnaquer, à l'exploration amusée des petites formes et à l'hommage sincère se mêle un rien de distance goguenarde : "l'oeuvre ne sacrifie aux conventions salonnardes qu'avec une souveraine licence." Au sein de cette élégante profusion sonore se joint cependant la méditation joyeuse (le tendre passage meno mosso au coeur du tourbillon de la Valse) et l'ondulation satine d'une Romance taillée dans la même étoffe que le Second concerto pour piano, écrit à peu près à la même époque.

Puce Conclusion

Musiques libératrices et allègres, les deux Suites pour deux pianos forment dans l'oeuvre de Rachmaninov un contrepoids d'une rare fraîcheur et luminosité aux deux sonates pour pianos. Lorsqu'il assista, durant un récital privé, à l'exécution de sa première Suite, plus de quarante ans plus tard, Rachmaninov déclara à ses amis : "Ne jugez pas ce morceau trop sévèrement. J'étais mineur quand je l'écrivis". Pourtant, c'est bien celle-ci, soulevée et animée par une spontanéité et une jeunesse des plus charmantes, qui est à nos yeux la plus réussie de ces deux magnifiques compositions.

Pour continuer la découverte …

Informations
Fantaisie-Tableaux, opus 5 (suite n°1)
Composée l'été 1893 à Lebedine. Dédiée à Pyotr Tchaïkovsky.
I) Barcarolle II) La Nuit... L'amour III) Larmes IV) Pâques
Première exécution le 30 novembre 1893 par Rachmaninov et Paul Pabst.
Publiée par Gutheil

Seconde Suite pour 2 pianos, Opus 17
Introduction, Valse, Romance, Tarantelle.
Composée de décembre 1900 à avril 1901. Dédiée à Goldenweiser. Première exécution le 24 novembre 1901 à Moscou par Rachmaninov et Siloti. Publiée par Gutheil en octobre 1901.

Textes
Textes des traductions des poèmes figurant en tête de chaque mouvement de la Suite n°1.
Cliquez ici

Extrait sonore
Cliquez ici pour accéder à l'extrait sonore.