Menu
|
Suites pour deux pianos n°1 et n°2
"Pour
Rachmaninov l'écriture est le fruit d'une recherche de
couleurs et de sonorités, où la soi-disante "
virtuosité technique" n'est en aucun cas un but
mais seulement un moyen. Son jeu était d'une clarté
exceptionnelle, toujours léger et très précis." Introduction Nimbée d'une douce
et noble poésie, la première des deux suites est
également la plus picturale des deux (mais également la
plus fantastique, au sens littéraire, son titre exact
étant d'ailleurs Fantaisie-Tableaux pour deux pianos).
L'univers, vespéral ou nocturne, se développe autour
des textes de quatre poètes que Rachmaninov appréciait,
dont la musique capture l'ambiance et la sensibilité et
que le compositeur cite en exergue à chaque partition (les
traductions de ces poèmes sont données à la suite de
cet article).
Ensuite sur La nuit ... L'amour, nocturne solaire, apaisé, illimité, dans lequel, comme nous l'indique le poème de Lord Byron, "parvient des ramures la note aiguë du rossignol". L'auditeur, séduit par une telle sérénité, ne peut que faire voeu, dès lors, de s'évanouir auprès de ces délicieuses évocations, comme l'eau d'un ruisseau s'écoule lentement autour des galets de son lit. La pesanteur ne
fait pas partie de l'univers de la première Suite
pour deux pianos, même si l'élégie humecte de
larmes le charmant domaine de notre pamoison : poignantes
et profondes dans les Larmes, justement, et
nostalgiques, lointaines, secrètes dans Pâques.
Si le son des deux pianos ressemble à maints égards au
carillonnement des Eglises, c'est dans l'évocation de la
tristesse que le souvenir des grandes cloches de la
cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod que Rachmaninov a
découvert en compagnie de sa grand-mère se déploie
avec le plus de force. Comme il l'écrit lui-même :
Et si, succédant aux larmes qui coulent "comme des torrents de pluie dans les ténèbres d'une nuit d'automne" (Féodor Tyoutche), Pâques, dont l'ouverture enjouée est brusquement condamnée par trois mystérieux accords graves, est une envolée de cloches pascales devenue célèbre, la pièce semble incorporer, sous le tintinnabulement répété et jubilatoire des deux pianos, et dans une manière de joie dionysiaque que n'aurait pas renié Nietzsche, une douloureuse difficulté à adhérer chaque jour à ce monde. Intermède personnel : Pâques C'est ce que caractérise, en particulier, les tendres efforts des clochettes finales pour gravir à nouveau, tel Sisyphe, le motif répétitif qu'est, ou pourrait être, l'existence... Mais comme la mélodie nous l'indique, pour ainsi dire, en harmonie d'ailleurs avec le texte célèbre de Camus, il faut, néanmoins, "s'imaginer Sisyphe heureux". L'enregistrement de Martha Argerich et d'Alexandre Rabinovitch conforte cette interprétation, tant et si bien qu'il semblerait que la partition puisse prendre pour prétexte l'épitaphe de Martinus von Biberach, dont nous parlons également dans l'article sur Les Cloches : Je viens je
ne sais doù, Comme si, pour se
convaincre, la composition se devait de marteler, sans
relâche et tragiquement, le dernier vers... Suite pour deux pianos n°2 Partition plus vive
et solaire, impétueuse même, tant la charge créatrice
dont elle est gorgée ne semble jamais s'épuiser, la seconde
Suite est la plus connue des deux. Oeuvre heureuse,
qui se réjouirait presque d'elle-même, la suite n°2
possède les traits particuliers et presque insolents des
musiques composées dans l'ivresse : l'éclat, la
facilité, l'assurance, la souplesse d'écriture, seules
à même de joindre à la frénésie rythmique la
suavité mélodique. Aussi accomplie que soit la première
suite, elle semble déjà plus quelque peu fragile
face à sa suivante. La virtuosité est ici au service d'une
légèreté pianistique absolument électrique, des
conquérants et fougueux accords de l'Introduction
aux débauches rythmiques et techniques de la Tarentelle.
Comme l'écrit Fousnaquer, à l'exploration amusée des
petites formes et à l'hommage sincère se mêle un rien
de distance goguenarde : "l'oeuvre ne sacrifie
aux conventions salonnardes qu'avec une souveraine
licence." Au sein de cette élégante profusion
sonore se joint cependant la méditation joyeuse (le
tendre passage meno mosso au coeur du tourbillon
de la Valse) et l'ondulation satine d'une Romance
taillée dans la même étoffe que le Second
concerto pour piano, écrit à peu près à la même époque. Conclusion Musiques libératrices et allègres, les deux Suites pour deux pianos forment dans l'oeuvre de Rachmaninov un contrepoids d'une rare fraîcheur et luminosité aux deux sonates pour pianos. Lorsqu'il assista, durant un récital privé, à l'exécution de sa première Suite, plus de quarante ans plus tard, Rachmaninov déclara à ses amis : "Ne jugez pas ce morceau trop sévèrement. J'étais mineur quand je l'écrivis". Pourtant, c'est bien celle-ci, soulevée et animée par une spontanéité et une jeunesse des plus charmantes, qui est à nos yeux la plus réussie de ces deux magnifiques compositions. Informations Textes Extrait
sonore |