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LE PREMIER SIECLE

CHAPITRE VI
La seconde Génération chrétienne

 

L'histoire de la génération chrétienne qui suivit le temps des apôtres est assez obscure (1). Tel est le cas, par exemple, pour l'importante église de Rome. Les indications données par les Pères sur deux personnages qui l'ont dirigée (Linus et Anaclet ou Clet), avant Clément de Rome, sont contradictoires (2). Par contre, la lettre aux Ephésiens, les trois épîtres « pastorales », celles dites « de Jacques, de Pierre et de Jean » et deux chapitres de l'Apocalypse (II et III), datant, semble-t-il, du dernier quart du 1er siècle, fournissent de précieux renseignements sur la foi, la vie ecclésiastique, l'attitude morale et sociale des églises de cette époque.

Le premier trait à signaler dam leur foi, c'est l'adoucissement du conflit doctrinal qui avait divisé la chrétienté issue du paganisme et celle qui s'était recrutée parmi les Juifs. Cette dernière, assurément, garde sa physionomie propre en face de l'autre, qu'on a nommée, à cause de sa supériorité numérique, « la grande Église», mais comme son attitude s'est faite conciliante depuis que la guerre juive, terminée par l'affreuse destruction de Jérusalem (en 70), est venue amoindrir l'église-mère, qui, après avoir fui à Pella, sur les bords du Jourdain, en Pérée, s'est péniblement reconstituée dans la capitale ravagée ! Quant à la masse pagano-chrétienne, on la voit s'orienter vers un paulinisme édulcoré. « Elle suivait, dit Sabatier, une voie moyenne entre la théologie de Paul qu'elle était incapable de comprendre et les prétentions et les rites des judaïsants qu'elle ne pouvait tolérer. Ainsi se formait une sorte de doctrine élémentaire et neutre, où entrait, par moitié, la sagesse rationnelle de la Grèce, et, par moitié, la tradition d'Israël » (Religions, p. 67-68).

Précisons maintenant les tendances dogmatiques de cette époque en utilisant les traces qu'elles ont laissées dans divers livres du Nouveau Testament.

Deux d'entre eux (l'épître aux Hébreux et celle de Jacques), sont des lettres adressées à des judéo-chrétiens. Les uns étaient imbus de philosophie alexandrine ; les autres, moins cultivés, paraissent avoir vécu en Syrie. Comme on pouvait s'y attendre, aucun de ces deux écrits ne porte la marque du paulinisme. Le second est même en conflit avec lui.

L'épître aux Hébreux est muette sur les sujets si familiers au grand apôtre, la circoncision, l'évangélisation des païens, l'union du fidèle avec Christ (3). Elle parle de foi, mais elle y voit la simple attente de la réalisation des promesses divines ; elle souligne l'infériorité de la Loi mais non sa déchéance ; elle enseigne la rédemption, mais « au lieu d'un drame humain, accompli au plein milieu de l'histoire humaine et dans la conscience de chaque croyant.... nous avons là une fonction sacerdotale, une sorte de messe idéale et divine » (4). La grande image qui la remplit, dit Lyder Brun, est celle du grand-prêtre entré dans le sanctuaire céleste, après s'être offert en sacrifice. « La justification ne joue pas un grand rôle dans cette épître, qui accentue plutôt les idées de purification et de perfectionnement moral » (5),

Dans l'épître de Jacques, qui est surtout pratique, on trouve une polémique contre la foi de tête, bavarde et inactive (2, 14 -3, 1). « L'homme, s'écrie son auteur, est justifié par les oeuvres et non par la foi seulement » (2, 24). Il ne faut pas voir dans ce point de vue cette soi-disant hostilité contre Paul qui a tant indisposé Luther contre cette épître. Jacques n'attaquait pas la foi telle que l'apôtre la concevait, de même que ce, dernier, loin d'exclure les bonnes oeuvres, les prescrivait (Gal. 5, 6, etc.). Pourtant, comme l'observe Ménégoz dans les Études de Théologie et d'Histoire, on constate entre eux une sérieuse divergence. Aux yeux de l'apôtre des Gentils, les oeuvres ne coopèrent pas avec la foi pour justifier ; elles n'en sont que le fruit. Pour Jacques, elles coopèrent avec elle. Il lui a manqué la notion paulinienne de la foi, et celle de l'imputation de la justice de Christ au fidèle. Pour lui, la foi était la croyance en Dieu.

L'empreinte du paulinisme est naturellement plus forte dans la grande Église que dans les communautés judéo-chrétiennes. Elle est évidente chez l'auteur de l'épître aux Ephésiens, lettre circulaire adressée à certaines églises de la région d'Éphèse. Les citations de l'épître aux Colossiens y abondent, et, en particulier, la doctrine de la rédemption par le sang de Christ y est clairement affirmée (1, 7). Cette empreinte est visible aussi dans la première épître de Pierre adressée aux « expatriés de la Dispersion » habitant l'Asie-Mineure (1,1), en majorité sortis du paganisme (2, 9 ; 4, 3). L'auteur insiste sur le salut par la mort expiatoire du Christ (1, 2 et 19 ; 2, 24 ; 3, 18) ; il enseigne même la prédestination (1, 20). On trouve aussi des allusions à l'expiation par le sang dans l'Apocalypse (7, 14 ; 12, 11) et dans la première épître de Jean (1, 7 ; 2, 2), destinées à un public résidant en Asie-Mineure. Le IVe évangile, qui est visiblement le frère des trois lettres de Jean, accentue, comme Paul et plus que lui, peut-être, la grandeur du Christ en l'appelant le Logos (1, 14). Il faut signaler pourtant l'idée très particulière que l'auteur de Jean s'est faite de la rédemption. Il présente la mort de Jésus, non comme un châtiment, mais comme une nécessité morale. Elle est le résultat inévitable du conflit entre la Lumière et les ténèbres, la Sainteté éclatante et les vils pécheurs (3, 19). Elle est le chemin redoutable par lequel il lui a fallu passer pour parvenir à sa « gloire », de même que le grain de blé doit mourir pour renaître en épi (12, 24). Elle est enfin le grand moyen de sauver les hommes qui la contempleront, comme la vue du serpent d'airain au désert, rendait la vie aux Israélites défaillants (3, 14). L'auteur de Jean figure ce sacrifice par le dévouement du « bon Berger », qui défend ses brebis au péril de sa vie (10, 11), sans aller d'ailleurs jusqu'à se faire tuer exprès ou sans subir le moindre châtiment (6).

Toutefois, à côté des églises animées par la chaude pensée religieuse de Paul, il y en avait d'autres chez qui elle s'était beaucoup affaiblie. Tel est le cas de celles d'Éphèse et de Crète (vers la fin du 1er siècle), visées par les trois épîtres pastorales, qui, elles-mêmes, selon le mot de Sabatier, sont Une forme « refroidie » du paulinisme. La foi y est représentée sans doute comme un sentiment vivant, une flamme mystique à attiser (2 Tim. 1, 6), mais elle l'est surtout comme une doctrine reçue. Selon la formule de H.-J. Holtzmann, on dirait qu'elle est, non pas la foi qui croit, mais celle qui est crue. Elle est un « dépôt », dont l'église doit assurer la transmission (l Tim. 6, 20). Les spéculations de Paul sur l'oeuvre du Christ, sans être supprimées (cf 1 Tim. 1, 15 ; 2, 5-6), ont fait place à de saines prescriptions morales. La grâce de Dieu n'est pas oubliée (2 Tim. 1, 9 ; Tite 3, 4-5), mais l'accent est mis sur les bonnes oeuvres (2 Tim. 2, 21 ; Tite, 2, 7). Cette piété « toute spirituelle » se distingue, au jugement de Renan, par « -une sorte de sobriété dans le mysticisme » et un « admirable bon sens pratique » (7), mais on n'y sent plus guère palpiter l'ardente dogmatique du grand apôtre.

À Rome, le refroidissement est encore plus marqué. « Cette église, dit Sabatier, n'a jamais pu comprendre ni s'approprier l'évangile paulinien. Clément de Rome avait lu l'épître aux Romains, mais il en affaiblit la doctrine qui, avec le Pasteur d'Hermas, tomba en oubli » (8). Même simplification dogmatique dans les églises de Syrie, si l'on en juge par la Didakhé, traité moral et liturgique qui date de l'an 100 environ. Elle ne mentionne en effet, ni le corps ni le sang de Christ dans la formule de la prière à prononcer pour l'eucharistie (ch. IX).

Un second trait à noter dans la foi de la seconde génération chrétienne, c'est l'affaiblissement graduel de la croyance à la parousie. Elle subsiste toujours et même' elle s'exprime avec violence, avec l'Apocalypse dite « de Jean », dans de larges fresques richement colorées par des symboles empruntés à la nature (9), et, au ne siècle, nous la retrouverons, vivante encore, dans quelques imaginations mal réglées. Pourtant, dès la fin du 1er siècle, la vision du retour glorieux du Christ est en train de pâlir. Le scepticisme de certains chrétiens, sensible déjà du temps de Paul (l Cor. 15, 12), s'est étendu, avivé par le retard du prodigieux événement attendu. Ce qui l'accroît également, c'est l'entrée dans l'Église grandissante d'esprits imbus de philosophie grecque, mesurée, optimiste, peu apte à sentir les iniquités sociales et la nécessité morale d'une catastrophe vengeresse. D'ailleurs, la conception hellénique de l'immortalité, qui, chez les Juifs alexandrins, avait déjà commencé à substituer l'idée de la survivance de l'âme et des sanctions individuelles ultra-terrestres à celle d'une résurrection eschatologique, était propre à fortifier dans les âmes chrétiennes les espérances purement spiritualistes esquissées déjà, par Paul (2 Cor. 5, 1-8). À ces causes d'affaiblissement venait s'ajouter l'orientation nouvelle imposée aux églises par la réaction contre le Gnosticisme naissant, étranger à, la foi en la parousie et disposé à n'admettre qu'une résurrection spirituelle. Elles furent ainsi entraînées à insister sur le grand sujet débattu par les gnostiques, la place du Christ dans la série des éons et son rôle dans l'oeuvre de la création du monde et celle de sa rédemption (10).

Ce fut dans les écrits johanniques que se manifesta le mieux l'eschatologie spiritualiste. Déjà l'épître aux Hébreux, tout en restant fidèle aux conceptions primitives de l'Église (6, 2 ; 12, 26-29) l'a préparée en substituant à l'idée de la restauration d'Israël celle de l'Église et en spéculant sur la gloire céleste du Fils. Avec le IVe évangile et les trois épîtres de Jean, tombent les décors de l'attente apocalyptique. « Les symboles s'effacent, dit Causse, il ne reste que l'idée ». La foi au retour de Christ y subsiste encore (Jean 5, 25, 28, 29 ; 1 Jean 2, 18 ; 4, 3), mais l'apparition glorieuse s'y réduit le plus souvent à la présence spirituelle de Jésus dans son Église, qu'il fortifie par l'envoi du Consolateur (11), l'Esprit de vérité (Jean 14, 16 et 23 ; 15, 4). La vie éternelle y est présentée comme un bien immédiat (Jean 5, 24 ; 1 Jean 2, 17 ; 5, 11-12), et le Jugement, loin d'être conçu comme à venir, s'opère dès ici-bas par le choix que l'homme, mis en présence du Fils, fait entre la lumière et les ténèbres (Jean, 3, 18-21).

Un dernier trait à signaler dans la foi, de cette époque, c'est l'essor de la tradition apostolique (12).

Jésus n'a rien écrit ou n'a rien laissé, mais nombre de ses paroles, pieusement recueillies et répétées, finirent par prendre une forme stable. Il s'y ajouta des récits de. sa vie, de sa mort et de sa résurrection, faits par les apôtres et les évangélistes, et enrichis sans cesse de nouveaux souvenirs. Cette tradition, que l'on peut appeler « apostolique. », se forma spontanément, sans décision officielle des apôtres ou de leurs premiers successeurs (13). D'abord orale - forme sous laquelle elle se maintint jusqu'au temps de Polycarpe et de Papias - elle fut partiellement fixée par écrit dès la seconde génération chrétienne. D'après ce dernier Père, Marc, interprète de Pierre, écrivit « les choses faites ou dites par le Christ », et !Matthieu composa, en hébreu, un recueil de ses discours (logia). De son côté, l'auteur de Luc rédigea un évangile à la suite d'essais antérieurs à lui (Luc 1, 1-4). Ce qui caractérisait tous ces récits, sous un fond commun et une même foi, c'était leur diversité, surtout celle des théologies. Jusqu'à la fin du 1er siècle, la tradition resta rudimentaire et flottante. Il n'y avait alors aucun credo officiel, à part quelques professions de foi esquissées dans les épîtres pastorales (14). Tout ce qui a été raconté par Ambroise, évêque de Milan (IVe siècle) et par Isidore, évêque de Séville (VIIe siècle) sur la composition du symbole par les apôtres eux-mêmes, n'est que pure fantaisie.

Signalons à présent les modifications subies par l'organisation ecclésiastique dans le dernier tiers du premier siècle.

Les églises primitives étaient parfois des groupes flottants qui frissonnaient au souffle de l'Esprit avec le beau désordre d'une forêt de chênes poussés au hasard. Quarante ans plus tard, elles feront songer aux arbres régulièrement plantés d'un verger clos.

A Corinthe, par exemple, dans cette communauté qui rappelait à la fois la synagogue et l'association grecque (15), c'était le régime de l'inspiration individuelle, des dons ou charismes suscités par l'Esprit. Les membres, égaux entre eux, ne se distinguaient que par la variété de ces dons, fonctions spontanées et provisoires. Chacun pouvait contribuer au culte (l Cor. 14, 26) par l'interprétation d'un texte, la glossolalie ou autrement. Les fidèles, qui s'acquittaient d'une tâche administrative ou religieuse tenaient leur autorité d'un appel intérieur (16). Dans d'autres églises, il est vrai, ils étaient nommés par le vote populaire (Actes 14, 23).
Mais ces embryons d'organismes allaient bientôt s'affermir. « Au-dessous ou à côté des apôtres, des prophètes et des docteurs qui tenaient directement leur vocation de Dieu seul, et qui étaient essentiellement itinérants, chaque communauté dut tirer de son propre sein des ministres sédentaires, anciens (presbyteroï), épiscopes (episcopoï, surveillants) et diacres (diaconoï, serviteurs)... Ainsi naquit le fonctionnarisme ecclésiastique qui, peu à peu, remplacera l'apostolat libre et nomade et l'absorbera » (Sabatier, Religions, p. 60).

Une idée générale régit cette évolution qui, en accord avec la définition d'Herbert Spencer, est bien une concentration de matière et une dissipation de mouvement - c'est la notion de l'Église. Ce qui l'implante dans les esprits, ce sont les liens de parenté qui unissent les communautés fondées par Paul, c'est l'enseignement de l'apôtre qui parle de l'Église « de Dieu » ou « de Christ », qui voit en elle le corps même de son chef. Toutefois, « cette unité n'est pas conçue comme extérieure et visible ; elle n'est pas fondée sur l'unité du gouvernement, sur des rites ou même des dogmes ; elle est toute morale et naît de la communion de l'Esprit ; elle se réalise pratiquement et se maintient par l'amour mutuel » (Sabatier, p. 62). Cette notion paulinienne apparaît comme un simple idéal qui se réalisera quand, pareille à une fiancée sortant à la rencontre de son époux, l'Église fera sa jonction avec le Christ triomphant.

À défaut de cette solution utopique, cette unité idéale de l'Église deviendra une réalité visible par l'unité de gouvernement, de culte et de foi. Il faudra pour cela un principe d'autorité, une règle dogmatique et un centre géographique. Trois causes principales viendront faciliter cette évolution : l'accroissement numérique de l'Église, avec ses éléments de qualité inférieure qui rendront nécessaire une sérieuse discipline, les persécutions et les hérésies qui feront de l'évêque un centre de résistance autour duquel se presseront les fidèles, une déviation dogmatique qui enfermera dans le canal du légalisme les jaillissements spirituels de la justification par la foi.

Cette tendance de l'Église idéale à se réaliser est très visible dans les épîtres pastorales (17), transition entre l'inspiration individuelle des premiers jours et la réglementation des siècles qui vont venir. Au temps où elles furent écrites (vers l'an 90), l'organisation ecclésiastique, il est vrai, n'est pas encore très développée ni bien fixe, et l'on ne doit pas dire, avec Batiffol, que c'est l'époque où l'épiscopat est en train de s'établir. Les fonctions de chef religieux, en ce qui concerne Timothée et Tite, y sont présentées comme une délégation émanée de l'apôtre et temporaire (1 Tim. 3, 14-15). Timothée, il est vrai, est placé au-dessus des anciens (1 Tim. 5, 19-20), mais cette élévation est amoindrie par le fait qu'il a reçu l'imposition des mains de l'assemblée des anciens (1 Tim. 4, 14), et par le devoir qui lui est prescrit de tenir compte du jugement de l'église (l Tim. 3, 10). En dehors de Timothée et de Tite, la charge d'épiscope se confond avec celle d'ancien ou presbytre (Tite 1, 5 et 7), comme cela se constate aussi dans l'épître aux Philippiens (1, 1) et les Actes (20, 17 et 28). Quant aux diacres, rien n'indique, dans les prescriptions qui les concernent, une période très éloignée du temps des apôtres. L'ordre des Veuves lui-même (femmes consacrées, à Dieu et assistées) semble n'être ici qu'à ses débuts (18). Toutefois, l'organisation ecclésiastique apparaît dans les Pastorales comme bien plus ferme que du temps de Paul. L'autorité s'appuie sur une nomination régulière avec imposition des mains et se transmet à des hommes choisis (2 Tim. 2, 2). Les présidents (proïstamenoï) et les docteurs (didascaloï) sont remplacés par les presbytres. Le ministère itinérant, à part celui de Timothée, et de Tite, est mal vu, sans doute, comme l'a supposé Réville, parce que les hérétiques l'utilisaient ou pouvaient l'utiliser pour leur propagande. Il y avait même conflit, d'après la troisième épître de Jean, entre les évangélistes en voyage et tel personnage ecclésiastique. Cependant, l'esprit clérical et la tendance à distinguer le sacré du profane ne se montrent pas encore. On peut même remarquer que « l'auteur anonyme de l'épître aux Hébreux se propose d'extirper à jamais la racine du cléricalisme en supprimant la nécessité d'un clergé » (19). Qu'on médite, d'autre part, ce texte de 1 Timothée : « Tout ce que Dieu a créé est bon, et rien ne doit être rejeté » (4, 4).

Le culte chrétien ne fut, dès l'origine, ni un procédé magique comme dans les religions naturistes, ni un rituel formaliste comme à Rome, ni une sphère sacrée séparée de la vie ordinaire comme dans le Judaïsme (20). Expression de la vie religieuse, où il s'alimentait sans cesse, il se distinguait par une grande liberté et une extrême simplicité, en réaction contre les cérémonies païennes. Il frappait surtout par sa haute spiritualité. Les premiers chrétiens de Jérusalem s'entretenaient des grands souvenirs du Maître disparu mais présent en esprit et ils priaient ensemble (Actes 2, 42). Dans la chrétienté issue du Paganisme, affranchie du rituel juif et amenée ainsi à organiser son propre culte, à Corinthe en particulier, la simplicité première se compliqua. Les réunions de fidèles devinrent mouvementées, sans rien perdre de l'esprit de liberté. Si quelqu'un se sentait poussé à chanter un psaume, exhorter, prier, faire part d'une révélation, laisser échapper une effusion de glossolalie, il le pouvait, pourvu que ce fût pour l'édification (l Cor. 14, 26). Avec les années, cette spontanéité, parfois torrentielle, se canalisa, et le culte prit un caractère plus solennel, comme on peut en juger par la célèbre lettre de Pline le Jeune à Trajan au début du IIe siècle (Epistolae, L. X, lettre 96). Réglé avec soin, il comprenait la lecture des livres saints, l'enseignement, les chants alternés et la Sainte Cène.

Cette touchante coutume de l'eucharistie avait été modifiée, en effet, à une époque difficile à, préciser. Conclusion de l'agape fraternelle qui réunissait le soir des chrétiens de toute condition autour de tables hospitalières, elle en fut détachée, sans doute à cause de difficultés pratiques, pour être reportée au culte du dimanche matin dont elle devint le couronnement. On trouve dans la Didakhé (ch. IX), la formule de la prière à, prononcer pour l'eucharistie, d'abord pour la coupe, ensuite pour le pain (21).

Le jour qu'on finit par choisir pour la célébration du culte fut le lendemain du sabbat, « le premier jour de la semaine » (Actes, 20, 7 ; 1 Cor. 16, 2), appelé aussi « le jour du Seigneur » (Apoc. 1, 10), qui passait pour être celui de la Résurrection et de la Pentecôte.

Vers la fin du 1er siècle, le baptême se pratiquait toujours par immersion, mais, d'après la Didahké, on se contentait, au besoin, d'une triple aspersion sur la tête, accompagnée de cette formule « : au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (22). Le baptême était précédé par le jeûne, pendant un jour ou deux, du catéchumène et même de l'officiant (23). Le sens qu'on lui attribuait à cette époque n'était pas encore très différent de sa signification primitive. Il avait, au début, une portée, non pas ecclésiastique, mais spirituelle. On voyait en lui, non pas un rite d'entrée dans l'Église, mais un symbole de purification intérieure par la repentance et le pardon des péchés, en vue du royaume de Dieu. Cette portée spirituelle était, d'ailleurs, tenue pour insuffisante. Il devait être complété par le « baptême de l'Esprit » (Actes, 8, 16-17 ; 19, 5). Parfois même, c'était lui qui le complétait (Actes, 10, 47-48). « Aux yeux de Paul, dit Sabatier, le baptême d'esprit seul faisait les chrétiens en les unissant au Christ et à, son corps qui est l'Eglise ». Mais, ajoute cet historien, « à mesure que l'Eglise et le Royaume des cieux tendaient à s'identifier, le bain de purification et l'effusion de l'Esprit devaient se confondre » (Religions, p. 103). Quand le baptême sera devenu le rite d'entrée dans l'Eglise, il s'y ajoutera une teinte sacramentaire, et il passera pour nécessaire au salut. Mais, vers- la fin du siècle apostolique, il gardait encore sa valeur toute spirituelle. « Le baptême qui nous sauve, écrivait un chrétien, c'est l'engagement d'une bonne conscience devant Dieu » (1 Pierre 3, 21).

L'esquisse que nous venons de faire de l'organisation ecclésiastique, au premier siècle, montre ce qu'il y a d'arbitraire dans la prétention des historiens catholiques à retrouver tout le système romain dans le Christianisme primitif. Rappelons, à ce propos, les remarques d'Harnack sur l'important ouvrage de Mgr Batiffol, L'Eglise naissante et le Catholicisme (Theologische Literaturzeitung, 16 janvier 1909). Tout en rendant hommage au savoir de l'éminent prélat français, il lui reproche de passer sous silence ce qui distingue, par exemple, le christianisme de Cyprien de celui des apôtres, et même de celui de Clément de Rome. Il reconnaît que « des éléments capitaux du catholicisme remontent jusqu'à l'âge apostolique », mais il ajoute : « Ces éléments ont acquis peu à peu, dans le catholicisme, une valeur, un -champ d'action, une proportion, tout différents de ceux qu'ils avaient au début. Et ils ont changé l'essence de la piété et la vie de la religion, à un tel point que le catholicisme romain peut bien prétendre à être un État antique avec une idéologie antique, mais qu'il y a en son essence peu de commun avec la religion chrétienne naissante ».

Table des matières

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(1) Consulter Renan, Les Évang. et la seconde génér. chrétienne ; Harnack, Mission ; Sabatier, Religions, L. 1, ch. II-IV ; E. de Faye, Étude sur les Origines des Églises de L'Age apostolique, Paris 1909.
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(2) Irénée (Adv. Hoer. III, 3, 3) et Eusèbe indiquent l'ordre suivant : Linus - Anaclet - Clément. Augustin dit : Linus, Clément, Anaclet. Tertullien affirme (De Praescr. Haer.) que Clément fut le successeur immédiat de Pierre.
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(3) Cf Ménégoz, La Théol. de l'ép. aux Hébreux, Paris 1894.
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(4) Sabatier, Études de Théologie et d'Histoire, p. 27.
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(5) Henri Monnier, Essai sur la Rédemption, p. 70-71.
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(6) Ménégoz, Publications diverses sur le Fidéisme T. III, p. 234 ; Loisy, Le IVe évangile, 2e éd. Paris 1921, p. 324.
 
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(7) L'Église Chrétienne, p. 104-105.
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(8) Encycl. Licht, art. Épître aux Romains.
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(9) Pour l'analyse et l'interprétation de l'Apocalypse cf. Causse, L'Évolution de L'Espérance messianique, Paris 1908, et nos Origines, p. 237-244.
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(10) Ces divers motifs sont finement exposés par Causse (p. 205-214).
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(11) Le mot grec Paracletos, qu'on traduit ainsi, a également le sens de « patron, tuteur, protecteur, avocat » (voir La Bible du Centenaire, T. IV, note sur Jean 14, 16).
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(12) Voir Aug. Sabatier, Religions, p. 93 ss.
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(13) On l'appelait tradition (paradosis), type d'enseignement (typos didakhés), bon dépôt (calé paratheké).
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(14) 1 Tim. 2, 5 ; 3, 16 ; 6, 12-13 ; 1 Tim. 1, 4 ; Tite 1, 9, etc.
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(15) Cf Jean Réville, Les Origines de L'Épiscopat, Paris 1894, p. 180-194.
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(16) Que l'on note cette expression de Paul : « Ils se sont ordonnés eux-mêmes (etaxan eautous), pour se mettre au service de la communauté » (1 Cor. 16-15).
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(17) A noter aussi la glorification de l'Église dans l'épître aux Ephésiens.
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(18) Cf Jean Réville, Le rôle des Veuves dans les communautés chrétiennes primitives, Paris 1889.
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(19) Wilfred Monod, art. du Christianisme social, février-mars 1925, p. 231.
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(20) E. de Pressensé, Vie des Chrétiens, p. 218 ss.
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(21) Dans la Didakhé, agape et eucharistie sont encore réunies, car l'auteur indique la prière à réciter « après que l'on s'est rassasié ».
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(22) A l'origine, le baptême était administré au nom du Christ (Actes, 2, 38 ; 8, 16 ; Rom. 6, 3, etc.). La formule trinitaire, qui remplaça la première, devait se développer au 1er siècle et engendrer des règles de foi, récitées par les catéchumènes. .
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(23) La coutume du jeûne était toujours en vigueur. L'auteur de la Didakhé formule la règle générale du jeûne, obligatoire le mercredi et le vendredi. Le premier de ces deux jours rappelait la trahison de Judas ; le deuxième, la crucifixion. À Rome, on prit l'habitude de jeûner aussi le jour du sabbat, pendant quelques heures, en souvenir de l'enseignement de Jésus.

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