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HOME : SANCHO DOES ASIA > Dumplings - Three... Extremes
2004
8|11
Dumplings - Three... ExtremesHong Kong
aka Nouvelle cuisine | Hong Kong | 2004 | Un film de Fruit Chan Gor | Avec Miriam Yeung Chin-Wah, Bai Ling, Tony Leung Ka-Fai

Un film de Fruit Chan avec Miriam Yeung et Bai Ling, photographié par Christopher Doyle et estampillé Category III ; voilà une rencontre pour le moins inhabituelle. Dumplings est l’un des segments du second opus de l’anthologie Trois histoires de l’au-delà, Three... Extremes, ramené à sa taille initiale : celle d’un long métrage. Miriam Yeung n’y décroche pas un sourire, L’odeur de la papaye verte y rencontre The Untold Story, et Fruit Chan s’y impose comme le Wong Kar-Wai du Cat III. J’espère juste que vous n’aimez pas trop les raviolis-vapeur.

Madame Lee (Miriam Yeung) fait appel aux talents de Aunt Mei (Bai Ling), dont les dumplings sont réputés comme possédant des propriétés hors-normes - et notamment celle de faire rajeunir les gens qui les mangent. Ils sont particulièrement chers et rares ; et si l’on en croit le dégoût de Mme Lee lorsqu’elle en porte un à sa bouche pour la première fois, ils sont aussi répugnants. Toutefois notre héroïne fait fi de son aversion, décidant comme le lui conseille Mei d’oublier de quoi les raviolis sont faits si elle veut reconquérir son mari (Tony Leung Ka-Fai), pourfendeur de chairs plus jeunes que les siennes. Mais de quoi sont faits ces raviolis justement ? A deux mois la matière première est trop petite, inconsistante, alors qu’à cinq mois voire six, elle est parfaite, riche et tendre... Un indice supplémentaire ? Nous sommes à la frontière de Hong Kong et de la Chine, et Mei a longtemps pratiqué des avortements - des dizaines par jours - pour appliquer la politique de l’enfant unique du gouvernement chinois...

Dumplings est un film malade et répugnant, autant que magnifique et envoutant. Bien que s’écartant de la « richesse graphique » des Cat III de la vieille école (Billy Tang, Danny Lee et bien sûr Herman Yau), Fruit Chan y développe une verve malsaine insoupçonée et sans limites, d’autant plus dérangeante qu’elle se pare d’une beauté picturale à faire pâlir Tran Ahn Hung de jalousie. Pour ce faire, le réalisateur reprend à sa sauce bon nombre d’ingrédients de choix des Cat III des années 90 - inceste, avortement, cannibalisme et sexe aggressif -, tout en inversant les rêgles narratives qui les gouvernent.

La plupart des Cat III « pure souche », maintes fois célébrés en ces pages, s’attachent en effet les services du second degré le plus noir qui soit pour développer une trame opportuniste, basculant dans le premier degré à chaque tour de force, morale et/ou graphique qui, mis bout à bout, constituent son véritable objectif cinématographique. L’aspect technique est souvent secondaire au cours des scènes « comiques », alors que la réalisation se veut plus léchée puisque manipulatrice, pour le matériau dit « d’exploitation ». Dumplings lui, part d’un postulat inverse. Son objectif n’est pas la narration d’un fait divers peu ragoutant, mais la mise en scène d’un drame humain, au cœur duquel trois générations de femmes se disputent un maintien/regain de vie sexuelle. L’ « horreur » devient l’un des outils de cette narration et non son moteur, puisque les dumplings d’origine fœtale sont un moyen de raconter cette histoire et non pas l’histoire elle-même. Du coup, la mise en scène de Fruit Chan ne s’attarde pas sur les scènes « chocs », préférant leur conférer un côté léger, à grand renfort de musique décalée et de traitements esthétiques épurés. Le développement des personnages et de leurs énergies sexuelles par contre, fait appel à tout le savoir faire du réalisateur et de son chef opérateur.

Ainsi Dumplings est-il avant tout un véritable travail pictural, un film de mise en scène pure. La présentation des personnages se fait implicitement, au travers de leur placement dans le cadre, plus qu’explicitement, au travers de leurs interactions dialoguées. Miriam Yeung interprète parfaitement Madame Lee et sa frustration polie, mais son caractère se dessine paradoxalement, au travers de son caractère limitrophe au cadre, presque extérieur même au cours de ses premières minutes à l’écran. Lorsqu’elle n’est pas hors-champ bien que partie prenante d’une scène, elle est soit « coupée » soit dissimulée derrière une surface semi-opaque, ou encore un tissu partiellement aéré. A l’opposée Bai Ling, qui interprète Mei, est présentée plein cadre, avec une force d’évocation qui tiendrait presque du racolage si, là encore, les plans de Chan et Doyle n’étaient pas si bien composés. Personnage entièrement physique, Mei nous est principalement montrée comme un objet de désir implicite, penchée sur son travail de préparation culinaire pour nous offrir l’attrait délictueux de son magnifique décoleté - ou lorsqu’un point d’ombre devient le point « lumineux » d’une image, draînant le regard du spectateur vers lui, au creux de cette féminité exacerbée. De la même façon lorsque les deux femmes anticipent ou ressentent du désir au travers de leur cannibalisme, Miriam Yeung le fait presque avec honte, tandis que Bai Ling s’expose - quoique vétue - sans la moindre retenue.

Puis les deux personnages se rejoignent, aspirant à remplacer l’amante de Monsieur Lee - lui aussi cannibale d’une certaine façon, puisqu’il dévore des fœtus d’oiseaux à même les œufs. Il suffit d’un plan au sein duquel les féminités de Madame Lee et Mei, réunies, s’exposent sur un pied d’égalité, pour que leur combat devienne explicitement celui de leurs sexualités, plus ou moins agressives (étonnant contre emploi de Miriam Yeung) : toutes deux lutteront pour dérober Monsieur Lee à sa jeune amante, sur le corps nu de laquelle Fruit Chan se promène pudiquement. A partir de cet instant, Dumplings devient presque bestial dans sa mise en scène des rapports humains. Et tout au long de ces développements, l’horreur de la méthode continue de s’étaler sereinement, esthétique et posée comme en témoigne l’avortement plein écran d’une fille de quinze ans.

Ce nouvel opus de Fruit Chan est donc un objet cinématographique à l’impact rare. D’une beauté formelle redoutable, il est fascinant, séduisant et même excitant par moments. D’une maladie déconcertante, il est hanté par l’infamie et le dégoût, et provoque une profonde répulsion à bien d’autres. Bien que fonctionnant sur un mécanisme inverse de Daughter of Darkness et autres There is a Secret in my Soup, Dumplings est un authentique Cat III puisqu’il est lui aussi voyeur et sado-masochiste. Raffiné et révoltant, abject et délicieux à la fois et ce au premier degré, Dumplings est même d’une certaine façon le Cat III ultime, batard remarquable d’un cinéma d’auteur esthétisant et du cinéma d’exploitation.

Lire aussi l’interview de Bai Ling.

Dumplings est disponible en DVD HK sous-titré anglais chez Media Asia, dans une copie magnifique, digne du travail du Doyle.